Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L'OPPOSITION de C‑Gem Seafoods Inc. à la demande no 1169682 produite par Pêcheries Belle-Île Fisheries Ltée Ltd. en vue de l'enregistrement de la marque de commerce C‑GEM et Dessin

 

Le 3 mars 2003, Pêcheries Belle-Île Fisheries Ltée Ltd. (la « Requérante ») a produit une demande d'enregistrement pour la marque de commerce C‑GEM et Dessin (la « Marque »), reproduite ci‑dessous, ladite demande étant fondée sur l'emploi qu’elle fait au Canada depuis 1981. L'état déclaratif des marchandises est actuellement libellé comme suit : « poisson frais, surgelé et transformé, nommément crabes des neiges et homards ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La demande a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce le 31 décembre 2003.

 

Le 28 mai 2004, C‑Gem Seafoods Inc. (l'« Opposante ») a produit une déclaration d'opposition à la demande. La Requérante a ensuite produit et signifié une contre-déclaration, dans laquelle elle niait les allégations de l'Opposante. L’Opposante a reçu l'autorisation de produire une déclaration d'opposition modifiée datée du 13 décembre 2004, par la voie d'une lettre de la Commission des oppositions en date du 2 février 2005.

 

La Requérante a produit des demandes modifiées les 18 janvier 2005 et 14 février 2007. Dans sa version la plus récente, la demande est fondée sur l'emploi de la marque par la Requérante et ses prédécesseurs en titre Bay Chaleur Packers Ltd. (« BCLP »), Les Produits de Pêche M.O. Duguay Limitée – M.O. Duguay Fish Products Limited (« M.O.D. »), et C‑Gem Exports Limited (« CGE »).

 

La preuve de l'Opposante consiste en des affidavits souscrits par Rudolphe LeBreton et Doris Paulin. Celle de la Requérante consiste en des affidavits de Jean Pierre Hebert, Anatole Godin, Brian Paquette, Allan White et Donna MacEwen.     

 

L'Opposante a demandé que soit ordonné le contre-interrogatoire des déposants de la Requérante, mais la demande a été refusée par lettre de la Commission des oppositions en date du 12 avril 1997, au motif qu'elle avait été formée après que le registraire eut avisé les parties, en application du paragraphe 44(2) du Règlement sur les marques de commerce, qu'elles pouvaient produire leurs plaidoyers écrits. Par la même lettre, le registraire a aussi refusé la demande par laquelle l'Opposante sollicitait le retrait de l'avis relatif aux plaidoyers écrits. Par conséquent, aucun des déposants n'a été contre-interrogé.

 

La Requérante et l'Opposante ont toutes deux produit un plaidoyer écrit. Une audience a été tenue à laquelle les deux parties ont été représentées de manière compétente. 

 

Les motifs d'opposition, dans leur version modifiée, sont les suivants :

 

      [TRADUCTION]

1.      La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30b) pour les motifs suivants :

(i)                 La Requérante n'a pas employé la marque de commerce C‑GEM et Dessin au Canada à compter de la date de premier emploi revendiquée dans la demande no 1169682, soit avril 1981. Sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, l'Opposante rappelle que la Requérante, Pêcheries Belle‑Île Fisheries Ltée Ltd., a été constituée en société en vertu des lois du Nouveau-Brunswick le 31 octobre 1988;

(ii)               Si la date d’emploi allégué en avril 1981, s'applique à un ou plusieurs prédécesseurs en titre de la Requérante, ce ou ces prédécesseurs en titre n'étaient pas désignés dans la demande no 1169682 de ladite Requérante, que ce soit au moment de la production de cette demande ou au moment où l'Opposante y a déclaré son opposition.

 

  1. La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30i) en ce que la Requérante ne pouvait être convaincue qu'elle avait droit d'enregistrer la marque de commerce C‑GEM et Dessin au Canada, puisqu'elle était au courant de l'emploi antérieur ou concomitant au Canada de la marque de commerce et du nom commercial C‑GEM par l'Opposante et par C‑GEM EXPORTS LIMITED en liaison avec des fruits de mer.

 

3.   La marque de commerce dont l'enregistrement est demandé n'est pas distinctive parce qu'elle ne distingue ni n'est adaptée à distinguer les marchandises de la Requérante du poisson et des fruits de mer, notamment le crabe des neiges et le homard, de l'Opposante et de C‑GEM EXPORTS LIMITED, lesquels poisson et fruits de mer ont été commercialisés et vendus au Canada en liaison avec les marques de commerce et noms commerciaux C‑GEM, C‑GEM SEAFOODS, C‑GEM SEAFOODS INC., C‑GEM EXPORTS et C‑GEM EXPORTS LIMITED.

 

Le fardeau de preuve et les dates pertinentes

C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la « Loi »). Il incombe toutefois à l'Opposante de s’acquitter du fardeau de preuve initial de produire des éléments de preuve suffisants pour établir la véracité des faits sur lesquels s’appuie chacun de ses motifs d'opposition (voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), p. 298; et Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.).

 

Les dates pertinentes applicables aux motifs d'opposition sont les suivantes :

         article 30 –  la date de production de la demande (voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.), p. 475);

         absence de caractère distinctif – la date de production de la déclaration d'opposition (voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.)).

 

Question préliminaire

L'agente de la Requérante a déclaré par lettre en date du 16 janvier 2006 que les pièces annexées à l'affidavit d'Anatole Godin, souscrit le 16 décembre 2005, étaient irrégulièrement certifiées. Les certificats dûment signés, relativement à ces pièces, par la personne qui a reçu le serment du M. Godin étaient joints à ladite lettre de l'agente. Le registraire, par lettre en date du 21 février 2006, a avisé l'Opposante qu'elle avait trois semaines pour présenter des observations concernant la production de pièces régulièrement certifiées à l'appui de l'affidavit d'Anatole Godin. Par lettre en date du 11 mai 2006, le registraire a constaté que l'Opposante n'avait pas produit d'observations et qu'il serait statué sur cette question de preuve à l'étape de la décision.

 

La non-légalisation ou la légalisation irrégulière d'une pièce ne sont pas nécessairement rédhibitoires si la partie adverse ne soulève aucune objection ou si l’objection est soulevée à une étape si avancée de l'opposition que la partie qui a produit l'élément de preuve en question n'a plus ou guère la possibilité de corriger le vice de forme; voir Maximillian Fur Co. Incc. Maximillian For Men’s Apparel Ltd. (1983), 82 C.P.R. (2d) 146, p. 149. En la présente espèce, la partie qui a produit la preuve en cause s'est efforcée de corriger le vice de forme de l'affidavit de M. Godin presque immédiatement après sa découverte. En outre, bien que la possibilité lui ait été donnée de s’opposer à la production des certificats dûment signés par la personne qui a reçu le serment de M. Godin, l'Opposante ne l'a pas fait. Je suis donc disposée à admettre en preuve les pièces ainsi régulièrement certifiées.

 

Je souligne en outre que les pièces jointes à l'affidavit de M. Godin ne sont pas numérotées correctement et que l'une des pièces mentionnées dans cet affidavit n'a pas été produite. M. Godin renvoie à deux documents différents comme étant la pièce B annexée à son affidavit, et attribue la cote C à trois documents distincts. Comme l'extrait de la base de données du Registre des affaires corporatives du Nouveau-Brunswick portant les renseignements généraux sur 605036 N.B. Inc. n'a été produit ni avec la première version de son affidavit ni avec les pièces régulièrement certifiées déposées le 16 janvier 2006, la seule pièce B au dossier est le document réunissant l'offre d'achat et la convention d'achat-vente. En ce qui concerne la pièce C annexée à l'affidavit de M. Godin, afin d'éviter toute ambiguïté, j'attribuerai la cote C1 à la confirmation de cession, et la cote C2 aux engagements et à l'état des rajustements.

 

Aperçu de la preuve

Les preuves respectives de la Requérante et de l'Opposante, deux entreprises exploitant une usine de transformation des produits de la mer dans le petit village de Bas-Caraquet au Nouveau-Brunswick, se contredisent pour ce qui est des rapports de ces deux entreprises avec CGE, ancien exploitant d'une usine de même nature sise au même endroit. Chacune des deux parties pense en effet que CGE est son prédécesseur en titre. C’est pourquoi chacune a demandé l'enregistrement de la Marque, estimant qu'elle lui appartient.

 

La présente espèce concerne la demande d'enregistrement de la Marque produite par la Requérante le 3 mars 2003 sur le fondement de l'emploi au Canada depuis 1981. Comme l’établit la preuve produite par la Requérante dans la présente espèce, l'Opposante a aussi produit une demande d'enregistrement de la marque C‑GEM; cette demande, fondée sur l'emploi projeté au Canada, porte le numéro 1169779 et a été produite le 6 mars 2003.

 

Voici le résumé des principaux arguments avancés par l'Opposante à l'appui de ses motifs d'opposition. Premièrement, soutient‑elle, CGE n'est pas le prédécesseur en titre de la Requérante, puisque CGE a transféré la totalité de ses actifs, y compris la Marque, à 605036 N.B. Inc., (c'est‑à‑dire à l'Opposante sous sa dénomination précédente, qu'elle a remplacée par l'actuelle le ou vers le 18 février 2003). Subsidiairement, l'Opposante soutient que CGE n'est pas le prédécesseur en titre de la Requérante au motif que la Marque n'a pas été cédée régulièrement à cette dernière, de sorte qu'elle n'en est pas propriétaire. 

 

La décision sur les motifs d'opposition dépendra de mes conclusions touchant les documents relatifs à la vente de CGE et à la cession supposée de la Marque à la Requérante. Cependant, avant d'examiner les arguments avancés sur ces questions, il me paraît utile de résumer la preuve de la Requérante concernant la chaîne de ses titres. J'analyserai ensuite les documents afférents à la vente de CGE et la confirmation de cession adressée par CGE à la Requérante.

 

La chaîne des titres de la Requérante

Voici la chronologie des événements relatifs à la Marque pour autant que je puisse l'établir à partir de la preuve de la Requérante :

 

1969-1989 :                 BCPL transformait du crabe, et conditionnait et vendait de la chair de crabe, en liaison avec la Marque.

 

1981 – 1988/1989 :     M.O.D. transformait du crabe, et conditionnait et vendait de la chair de crabe, en liaison avec la Marque sous licence de BCPL.

 

1988 :                          La Requérante a acquis les actifs de M.O.D.

 

1989 :                          BCPL a été mise sous séquestre.

 

1989 :                          La Requérante aurait commencé à transformer du crabe, et à conditionner et vendre de la chair de crabe, en liaison avec la Marque (sous licence de BCPL).

 

1991 :                          Les actifs de BCPL ont été vendus à 047375 N.B. Inc. (qui réunissait les actionnaires Thomas Duguay, Simon Gionet, Edna Lanteigne, Allain Gionet, Jacques Lanteigne, Robert Ross, Anatole Godin, Albert Noel et Jean Pierre Le Bouthillier).

 

1991 :                          047375 N.B. Inc. est devenue CGE.

 

Le ou vers le

10 janvier 2003 :         CGE a vendu la totalité de ses actifs, sauf la Marque, à 058400 N.B. Ltd., personne morale réunissant des industriels du poisson qui résident à Terre-Neuve, soit Pat Quinlan, Derrick Philpott et Robin Quinlan. La clôture de la transaction était prévue pour le 15 février 2003.

 

4 février 2003 :            CGE a cédé la Marque à la Requérante.

 

Entre le 13 janvier

et le 15 fév. 2003 :      054800 N.B. Ltd. a été remplacée en tant qu'acheteur par 605036 N.B. Inc., société constituée en vertu des lois du Nouveau-Brunswick et ayant comme actionnaires Pat Quinlan, Derrick Philpot et Robin Quinlan, tous résidents de Terre-Neuve.

 

Les documents relatifs à la vente de CGE

M. Rodolphe LeBreton atteste qu’il est le directeur de l'Opposante. Selon son affidavit, 605036 N.B. Inc. a été constituée en société le ou vers le 28 janvier 2003 expressément aux fins d'acquisition d’une usine de crabe appartenant à CGE et sise dans le village de Bas-Caraquet au Nouveau-Brunswick. Après sa constitution, soit le ou vers le 6 février 2003, cette société a acheté la totalité des actifs commerciaux, fonds de terre et bâtiments de CGE pour la somme de 2 500 000 $. Une copie de l'acte de vente, daté du 4 février 2003 et signé par CGE, est jointe en annexe B à l'affidavit de M. LeBreton, mais je signale que le montant qui y figure est de 1 470 000 $. M. LeBreton déclare en outre que le ou vers le 10 février 2003, le secrétaire-trésorier de CGE, Jacques Lanteigne, a signé au nom de cette entreprise un consentement selon lequel elle ne voyait pas d'objection à ce qu'une société fût constituée sous la dénomination de C‑Gem Seafoods Inc. Par suite de ce consentement, 605036 N.B. Inc. a changé sa dénomination pour celle de C‑Gem Seafoods Inc. le ou vers le 18 février 2003.

 

Selon l'affidavit de M. Godin, administrateur de CGE, les conditions de l'offre d'achat et de la convention d'achat-vente (jointes à son affidavit en annexe B) ont été négociées, d'une part, par lui-même et Jacques Lanteigne au nom de CGE, et d'autre part par Rodolphe LeBreton, agissant pour le compte des industriels du poisson Pat Quinlan, Derrick Philpott et Robin Quinlan, que réunissait la personne morale dénommée 054800 N.B. Ltd. M. Godin déclare en outre que la convention a été signée par l'épouse de Rodolphe LeBreton, Thérèse Allain, le 10 janvier 2003.

 

Qui plus est, M. Godin affirme que les marques de commerce de CGE étaient expressément exclues de l'offre d'achat et de la convention d'achat-vente, parce que CGE se disposait à en transférer la propriété à la Requérante. De plus, dans la pièce jointe à son affidavit intitulée [TRADUCTION] « Offre d'achat et convention d'achat-vente », les marques de fabrique, marques de commerce, logotypes et autres signes distinctifs de la société ou de ses produits sont rayés de la liste des éléments dont les parties conviennent que le prix d'achat total est la contrepartie. En outre, la convention porte expressément que le prix d'achat s'applique à la totalité des licences, des permis et du fonds commercial, éléments que l'état des rajustements, joint en pièce C2 à l'affidavit de M. Godin, donne aussi comme inclus dans le prix d'achat de 2 500 000 $. Je mentionne à ce stade-ci l'argument de l'agente de la Requérante selon lequel le fait que les marques de fabrique, marques de commerce, logotypes et autres signes distinctifs de la société ou de ses produits soient expressément exclus de la convention, tandis que [TRADUCTION] « les licences, les permis et le fonds commercial » y sont explicitement inclus, donne à penser que ces deux catégories d'éléments étaient considérées comme séparées et distinctes et non comme formant un seul ensemble.

 

M. Godin déclare aussi que, après la signature de la convention d'achat-vente (le 13 janvier 2003) et avant la date de clôture de la vente (le 15 février 2003), 054800 N.B. Ltd. a été remplacée comme acheteur par 605036 N.B. Inc., société constituée en vertu des lois du Nouveau-Brunswick et ayant pour actionnaires Pat Quinlan, Derrick Philpott et Robin Quinlan (soit les mêmes industriels du poisson que réunissait la société 054800 N.B. Ltd.). Enfin, M. Godin affirme qu'on ne trouve dans les registres sociaux de CGE ni copie ni mention du consentement à l'emploi de la dénomination C‑Gem Seafoods Inc. dont parle M. LeBreton dans son affidavit.

 

Je pense comme la Requérante que la preuve de l'Opposante relative à l'achat des actifs de CGE concorde dans l'ensemble avec la sienne. Les deux parties s'accordent ainsi à dire que l'usine de crabe de CGE a été vendue au début de 2003 pour la somme de 2,5 millions de dollars.

 

Les preuves respectives des parties se contredisent cependant pour ce qui concerne l'identité de l'acheteur. Selon la preuve de l'Opposante, l'usine a été vendue à 605036 N.B. Inc., tandis que, si l'on en croit la preuve de la Requérante, cette usine a d'abord été vendue à 054800 N.B. Ltd., société qui a été remplacée comme acheteur par 605036 N.B. Inc. avant la date de clôture de la transaction.

 

Dans la décision Siebruck Hosiery Ltd. c. Just Hosiery Inc. (1996), 66 C.P.R. (3d) 398 (C.O.M.C.), M Herzig, membre de la Commission, a formulé les observations suivantes concernant les preuves contradictoires produites devant lui :

           

[TRADUCTION] Faute de contre-interrogatoire, je ne dispose guère d'éléments me permettant de me prononcer sur le bien-fondé des allégations contradictoires des parties. Je penche en faveur du témoignage de M. Lazar de préférence aux témoignages de Stephen et Paul Harbour étant donné que le premier est plus détaillé et plus complet, qu'il laisse moins de questions sans réponse et aussi parce que les pièces jointes à l'affidavit de M. Lazar appuient davantage son témoignage que ne corroborent le témoignage de M. Harbour les pièces jointes à son affidavit.

 

De même, dans la présente espèce, je ne dispose guère d'éléments me permettant de me prononcer sur le bien-fondé des preuves contradictoires des parties pour ce qui concerne l'identité de la personne morale à qui l'usine a été vendue. Je retiens le témoignage de M. Godin de préférence à celui de M. LeBreton parce qu'il est plus détaillé sous le rapport particulier de la vente de l'usine, et que les pièces jointes à son affidavit appuient davantage son témoignage que ne corroborent le témoignage de M. LeBreton les pièces jointes à son affidavit. De plus, rien dans la preuve de l'Opposante ne contredit M. Godin qui a affirmé dans son témoignage que les deux sociétés se composent des mêmes actionnaires. En outre, le contenu des documents afférents à la vente de CGE produits par l'Opposante aussi bien que la Requérante concorde avec le témoignage de M. Godin. En conséquence, j'estime raisonnable de conclure que 054800 N.B. Ltd. a été remplacée par 605036 N.B. Inc. comme acheteur de CGE.

 

Cependant, c'est plutôt à un tribunal judiciaire qu'il appartiendrait de décider si la Marque était incluse dans les éléments d'actif de CGE acquis par l'Opposante. Je me permettrai cependant de faire remarquer que, à mon sens, les éléments de preuve suivants étayent la thèse de la Requérante selon laquelle la Marque n'était pas incluse dans la vente de CGE à l'Opposante.

 

1)      M. Godin a déclaré dans son affidavit que les marques de commerce de CGE étaient expressément exclues de la convention d'achat-vente parce que CGE se disposait à transférer la propriété de ces marques de commerce à la Requérante.

2)      Les marques de fabrique, marques de commerce, logotypes et autres signes distinctifs de la société ou de ses produits ont été expressément rayés de la liste des éléments visés par l'offre d'achat et la convention d'achat-vente.

3)      L'acte de vente joint à l'affidavit de M. LeBreton ne fait pas mention de la marque de commerce de CGE.

4)      L'Opposante, peu après son acquisition de l'usine de crabe, a demandé à CGE de consentir à ce qu'elle constituât une société sous la dénomination de C‑Gem Seafoods Inc.

 

La confirmation de cession

Si l'on suppose que la Marque n'a pas été vendue à l'Opposante avec le reste des actifs de CGE, il incombe à la Requérante de démontrer que cette Marque lui a été régulièrement cédée.  

 

M. Godin déclare que CGE a cédé à la Requérante le 4 février 2003 la totalité des droits, titres et intérêts afférents à la Marque, sous réserve de l'approbation de son conseil d'administration. Bien que M. Godin ajoute qu'une confirmation de cession de la Marque dûment signée est jointe en annexe C1 à son affidavit, la confirmation de cession ainsi jointe ne porte pas de signature. L'agente de la Requérante fait valoir qu'elle n'est pas signée parce que M. Godin n'avait pas obtenu l'approbation du conseil d'administration à la date de son affidavit. Une copie signée de ladite confirmation, dont l'agente de la Requérante soutient qu'on peut conclure que l'approbation du conseil d'administration avait été obtenue, était jointe en annexe A à l'affidavit de Mme MacEwen. La confirmation de cession est libellée comme suit :

 

 

                                                   [TRADUCTION]

CONFIRMATION DE CESSION

 

ATTENDU QUE C‑Gem Exports Limited, dont le principal bureau ou siège d'affaires est sis au Parc industriel de Bas‑Caraquet (Nouveau-Brunswick), est le propriétaire de la marque de commerce reproduite à l'annexe A de la présente;

 

ET ATTENDU QUE C‑GEM Exports Limited a cédé et transféré à Pêcheries Belle-Île Fisheries Ltée Ltd., le 4 février 2003, la totalité de ses droits, titres et intérêts relatifs à ladite marque de commerce, ainsi que la totalité des demandes et enregistrements y afférents, pour une contrepartie à titre onéreux et valable;

 

EN CONSÉQUENCE, C‑Gem Exports Limited confirme par la présente la cession susdite et, par la présente, vend, transfère et cède à Pêcheries Belle-Île Fisheries Ltée Ltd. la totalité de ses droits, titres et intérêts relatifs à la marque de commerce reproduite à l'annexe A de la présente, y compris les demandes et l'enregistrement y afférents, ainsi que la totalité du fonds commercial lié à ladite marque de commerce, cette cession et ce transfert ayant été opérés et ayant pris effet le 4 février 2003, sous réserve de l'approbation du conseil d'administration de C‑Gem Exports Limited.

 

EN FOI DE QUOI, C‑Gem Exports Limited, représentée par un agent dûment autorisé, a apposé ci‑après sa signature à Caraquet (Nouveau-Brunswick), le 16 décembre 2005.

 

L'Opposante fait valoir que, l'effet de la confirmation de cession étant subordonné à l'approbation du conseil d'administration, il faut tirer une conclusion défavorable à la Requérante de l'absence d'éléments établissant que l'approbation dudit conseil a effectivement été obtenue, de sorte que la cession n'est pas valable.

 

Je constate comme l'Opposante que l'effet de la confirmation de cession était subordonné à l'approbation du conseil d'administration et que rien dans la preuve n'établit que cette approbation a été obtenue. En outre, je ne suis pas disposée à conclure comme le proposait la Requérante que le conseil d'administration a donné son approbation. En conséquence, j'estime qu’il n’a pas été établi que CGE a régulièrement cédé la Marque à la Requérante.

 

Les motifs d'opposition
 

Le motif fondé sur l’alinéa 30b)         

Le fardeau initial de l'Opposante est peu exigeant concernant le non-respect de l’alinéa 30b), étant donné que la Requérante est bien au courant des faits qui permettent de soutenir son emploi de la Marque (Tune Masters c. Mr. P's Mastertune Ignition Services Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.), p. 89). L'Opposante peut s'acquitter de ce fardeau en s’appuyant non seulement sur sa propre preuve, mais aussi sur la preuve de la Requérante (Labatt Brewing Co. c. Molson Breweries, société en nom collectif (1996), 68 C.P.R. (3d) 216, p. 230 (C.F. 1re inst.)). Cependant, s'il est vrai qu'elle peut se fonder sur la preuve de la Requérante pour satisfaire au fardeau qui lui incombe relativement à ce motif, l'Opposante doit établir que la preuve de la Requérante est « manifestement » incompatible avec les prétentions formulées dans sa demande d'enregistrement.

 

C’est à la Requérante qu’il incombe ultimement de prouver que sa demande est conforme à l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce. L’alinéa 30b) exige aussi qu'il y ait eu emploi ininterrompu, dans la pratique normale du commerce, de la marque de commerce visée par la demande d'enregistrement depuis la date revendiquée (voir Labatt Brewing Company Limited c. Benson & Hedges (Canada) Limited et Molson Breweries, société en nom collectif, [1996] 67 C.P.R.(3d) 258, p. 262 (C.F. 1re inst.)).

 

En la présente espèce, je conclus que l'Opposante a satisfait à son fardeau initial au moyen de la preuve de la Requérante. À cet égard, même si l'agente de cette dernière m'a convaincue que, à en juger par la preuve produite dans la présente instance, CGE ne paraissait pas avoir vendu la Marque à l'Opposante avec ses autres actifs commerciaux, la Requérante n'a pu prouver que CGE lui eût cédé cette Marque dans les règles. La Requérante n'a donc pas produit d'éléments de preuve établissant l'emploi ininterrompu de sa marque, soit par elle-même, soit par un prédécesseur en titre, depuis la date de premier emploi revendiquée dans sa demande d'enregistrement.

 

Même dans l'hypothèse où la Marque aurait été régulièrement cédée à la Requérante, j'estime, pour les raisons dont l'exposé suit, que celle-ci n'a pas établi qu'elle ait elle-même employé sa marque, ou que ses prédécesseurs en titre l'aient employée, depuis 1981 en liaison avec le crabe et le homard, conformément aux conditions fixées par le paragraphe 4(1) de la Loi.

 

L'emploi d'une marque de commerce est défini comme suit à l'article 4 de la Loi :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[…]

(3) Emploi pour exportation – Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

 

 

M. Hebert déclare que, de 1981 à 1989, M.O.D. a transformé du crabe, et conditionné et vendu de la chair de crabe, en liaison avec la marque de commerce C‑GEM et Dessin sous licence de BCPL. M. Godin explique que BCPL contrôlait l'utilisation de la marque de commerce par M.O.D. en liaison avec la chair de crabe produite, conditionnée et vendue par cette dernière entreprise. Il ajoute que, après le transfert des actifs de BCPL à CGE (opéré en 1991), la Requérante a continué, en tant que successeur de M.O.D., à employer la Marque en liaison avec la chair de crabe, cette fois sous licence de CGE. Il a joint en annexe A à son affidavit la copie d'une étiquette utilisée par la Requérante en liaison avec la chair de crabe. M. Godin précise en outre qu'il a été actionnaire de toutes les sociétés qui ont eu la Marque en propriété ou l'ont employée sous licence entre 1981 et 2003.

 

Selon le témoignage de M. Hebert, la Requérante transforme du crabe, et conditionne et vend de la chair de crabe, en liaison avec la Marque depuis 1989. Il a joint en annexe A à son affidavit les copies de factures et de notes de chargement de dates diverses s'échelonnant entre 1990 et 2005. Ces factures et ces notes de chargement sont adressées à la Requérante par les entreprises Emballages Domtar Ltée, Norampac Inc. et Master Packaging (NB) et s'appliquent à des emballages pour chair de crabe portant la marque C‑GEM.

 

Cependant, Mme Paulin, qui a souscrit un affidavit pour l'Opposante, déclare qu'elle n'avait pas connaissance que M.O.D. eût jamais employé le nom C‑GEM ou en eût jamais été propriétaire. Selon son témoignage, les seules entreprises de transformation de produits de la mer qui aient employé le nom C‑GEM avant l'Opposante étaient BCPL d'abord, et plus tard CGE.  

 

Là encore, faute de contre-interrogatoire, je ne dispose guère d'éléments me permettant de me prononcer sur le bien-fondé des allégations contradictoires des parties. Peu importe s'il a été établi qu'un emploi quelconque de la Marque soit réputé profiter à la Requérante et à ses prédécesseurs en titre sous le régime de l'article 50 de la Loi, il n’en demeure pas moins que la Requérante, à mon sens, n'a pas établi l'emploi ininterrompu de la Marque par elle-même ou ses prédécesseurs en titre depuis 1981, conformément aux conditions fixées aux paragraphes 4(1) ou 4(3). Les factures et les notes de chargement jointes à l'affidavit de M. Hebert ne font pas état de ventes et d'expéditions par la Requérante à des clients de crabe portant la marque, mais plutôt de ventes et d'expéditions par diverses entreprises d'emballage à la Requérante d'étiquettes portant la Marque. Rien dans la preuve n’établit l'existence de transactions opérées par la Requérante dans la pratique normale du commerce ou dans le cadre de l'exportation.   

 

L'agente de la Requérante a fait valoir que la preuve de la présence de la Marque sur les étiquettes devrait suffire à en établir l'emploi, puisqu'on peut déduire de la quantité d'emballages commandée par la Requérante qu'elle vendait les marchandises pour lesquelles elle utilisait ces étiquettes. Pourquoi la Requérante commanderait-elle une telle quantité d'emballages, a‑t‑elle demandé, si elle ne vendait pas ses marchandises? Si convaincante que me paraisse la logique de la Requérante, il reste que la Loi sur les marques de commerce et la jurisprudence applicable définissent clairement la nature des éléments que doit produire la Requérante pour établir l'emploi de sa marque dans la pratique normale du commerce ou dans le cadre de l'exportation. À mon sens, si la Requérante a effectivement transformé du crabe, et conditionné et vendu de la chair de crabe, en liaison avec la Marque durant tant d'années, il lui eût été facile de produire des éléments de preuve corroborant cette affirmation.

 

En conséquence, j'accueille ce motif d'opposition.

 

Le motif d'opposition fondé sur le caractère distinctif

L'Opposante soutient que la Marque ne distingue pas les marchandises de la Requérante des marchandises liées aux marques de commerce et noms commerciaux C‑GEM, C‑GEM SEAFOODS, C‑GEM SEAFOODS INC., C‑GEM EXPORTS et C‑GEM EXPORTS LIMITED de l'Opposante, et n'est pas apte à les distinguer.

 

Pour s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe relativement à ce motif, l'Opposante doit établir que, à la date de production de la déclaration d'opposition, soit le 28 mai 2004, sa dénomination et/ou les marques connexes étaient suffisamment connues pour annuler le caractère distinctif de la Marque (Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44, p. 58 (C.F. 1re inst.); Andres Wines Ltd. c. E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p 130 (C.A.F.); et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, p. 424 (C.A.F.)).

 

Selon le témoignage de M. LeBreton, l'Opposante produit, conditionne et commercialise des préparations de crabe sous le nom de C‑GEM au Canada, pour vente aux États-Unis et au Japon, depuis 2003. Il fait état de chiffres considérables (entre 14,6 et 18,6 millions de dollars canadiens) pour les ventes de C‑Gem Seafoods Inc. sur ses marchés étrangers en 2003 et 2004. Il a joint en annexe D à son affidavit la copie d'une étiquette portant la représentation d'un diamant accolée au mot C‑GEM en gros caractères, les mots SEAFOODS INC. apparaissant en dessous en caractères plus petits.

 

La Requérante soutient que, étant donné la déclaration de M. Godin portant qu’il n'avait pas connaissance du consentement que l'Opposante aurait reçu de M. Lanteigne l'autorisant à utiliser « C‑Gem Seafoods Inc. » comme nom commercial, tout emploi fait par l’Opposante d'une marque commerciale ou d'un nom commercial de la famille C‑GEM est illicite, de sorte que ladite Opposante ne peut l'invoquer à l'appui de son allégation d'absence de caractère distinctif de la Marque. En outre, la Requérante fait valoir que, même dans l'hypothèse où l'Opposante aurait effectivement reçu le consentement l'autorisant à utiliser le nom commercial C‑Gem Seafoods Inc., ce consentement ne s'appliquait qu'à l'enregistrement de la dénomination sociale et ne constituait ni une autorisation d'emploi ni une cession de la Marque.

 

La Requérante invoque la décision McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc. (1989), 23 C.P.R. (3d) 498 (C.F. 1re inst.) (« McCabe »), à l'appui de la thèse qu'une allégation d'absence de caractère distinctif ne peut être valablement fondée sur l'emploi illicite d'une marque de commerce. Dans McCabe, cependant, on avait produit devant la Cour fédérale la conclusion d'un tribunal américain comme quoi l'emploi de la marque de commerce par l'intimée portait atteinte aux droits de l'appelante. En la présente espèce, aucun élément de preuve n'établit clairement le caractère illicite de l'emploi du nom commercial C‑Gem Seafoods Inc. et des marques connexes. Cette question doit être tranchée par un tribunal judiciaire compétent. Comme la question de la licéité reste ici en suspens, j'estime que je n’ai pas compétence pour empêcher l'Opposante d'invoquer son emploi antérieur de la Marque (voir Sunbeam Products, Incc. Mister Coffee & Services Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 53, p. 58 et 59 (C.F. 1re inst.)).

 

En conséquence, j'estime que l'Opposante s'est acquittée du fardeau qui lui incombait relativement à ce motif. Comme la marque C‑GEM et Dessin de l'Opposante crée manifestement de la confusion avec la Marque de la Requérante et que celle‑ci ne s'est pas acquittée de son fardeau ultime d'établir que sa Marque distingue ses marchandises, j'accueille ce motif d'opposition.

 

Le motif d'opposition fondé sur l’alinéa 30i)

Comme je le disais précédemment, l'Opposante soutient que la demande d'enregistrement ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30i) au motif que la Requérante ne pouvait pas être convaincue qu'elle avait droit de faire enregistrer la marque de commerce C‑GEM et Dessin au Canada, puisqu'elle était au courant de l'emploi antérieur ou concomitant au Canada de la marque de commerce et du nom commercial C‑GEM par l'Opposante et par C-GEM EXPORTS LIMITED en liaison avec des fruits de mer. Ce motif est allégué de manière inopportune parce que la déclaration prescrite par l’alinéa 30i) doit porter que le requérant est convaincu qu'il a droit d'employer la marque de commerce (et non qu'il a droit de la faire enregistrer). Quoi qu'il en soit, lorsque le requérant a produit la déclaration prescrite par l’alinéa 30i), il ne convient d'accueillir un motif d'opposition fondé sur cet alinéa que dans des cas exceptionnels, par exemple s'il y a des preuves de mauvaise foi de la part du requérant (Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152 (C.O.M.C.), p. 155). Comme ce n'est pas le cas en l’espèce, je rejette ce motif d'opposition.

 

 

Décision

À titre de personne déléguée par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande conformément aux dispositions du paragraphe 38(8).

 

 

FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 29 SEPTEMBRE 2008.

 

Cindy Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.