Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE‑MARKS

Référence : 2011 COMC 101

Date de la décision : 2011‑06‑30

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITON

produite par Demerara Distillers Ltd. à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1206738 pour la marque de commerce DEMERARA GOLD au nom de Bedessee Imports Ltd.

[1]               Le 18 février 2004, Bedessee Imports Ltd. (la Requérante), a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce DEMERARA GOLD (la Marque) fondée sur son emploi au Canada depuis au moins janvier 1984, en liaison avec les marchandises suivantes : sucre, glucose, riz et huile de noix de coco. La Requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif de DEMERARA en dehors de la marque de commerce prise dans son ensemble à l’égard des marchandises suivantes : « sucre et glucose ».

[2]               La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 22 décembre 2004.

[3]               Le 22 février 2005, Demerara Distillers Ltd. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande d’enregistrement fondée sur les motifs suivants : la demande de la Requérante ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), la Marque n’est pas enregistrable suivant l’alinéa 12(1)b) car elle donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité ou du lieu d’origine des marchandises de la Requérante, la Marque n’est pas enregistrable suivant l’alinéa 12(1)e) parce qu’en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique elle est devenue reconnue au Canada comme désignant le type et la qualité de certaines marchandises provenant de Guyana, ou d’une de ses régions données, et qu’elle est interdite suivant l’art. 10, la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque aux termes des alinéas 16(1)a), 16(1)b) et 16(1)c) parce qu’elle créait de la confusion avec une ou plusieurs des marques de commerce DEMERARA, DEMERARA GOLD et DEMERARA GOLD RUM, ou avec un ou plusieurs des noms commerciaux Demerara Distillers et Demerara Distillers Limited, depuis la date de premier emploi alléguée par la Requérante, et la marque n’est pas distinctive du fait que les marques de commerce et les noms commerciaux énumérés ci‑dessus ont antérieurement été employés ou révélés par l’Opposante et parce qu’ils donnent une description fausse et trompeuse de la nature, de la qualité ou du lieu d’origine des marchandises de la Requérante.

[4]               La Requérante a produit et signifié une contre‑déclaration dans laquelle elle nie les allégations de l’Opposante.

[5]               La preuve de l’Opposante se compose des affidavits de Bradley Warden et de Jennifer Stecyk. Même si l’Opposante a également produit l’affidavit de Ramona Vansluytman, cet affidavit est réputé ne pas faire partie de la preuve parce que Mme Vansluytman a omis de se présenter au contre‑interrogatoire [voir par. 44(5) du Règlement sur les marques de commerce].

[6]               La preuve de la Requérante se compose des affidavits de Rayman Bedessee et Robert W. White, ainsi que d’une copie certifiée de l’enregistrement no 273027 de la marque CABOT TOWER et son dessin.

[7]               Madame Stecyk et M. Warden ont été contre‑interrogés au sujet de leurs affidavits.

[8]               La Requérante et l’Opposante ont produit un plaidoyer écrit. Une audience a été tenue à laquelle les deux parties ont été bien représentées.

 

Fardeau de la preuve et dates pertinentes

[9]               C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Il incombe toutefois à l’Opposante de s’acquitter du fardeau de preuve initial en établissant les faits sur lesquels elle appuie ses motifs d’opposition [voir John Labatt Ltd c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), à la p. 298; Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

[10]           Les dates pertinentes qui s’appliquent aux motifs d’opposition sont les suivantes :

         art. 30 – la date de production de la demande [voir Georgia‑Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.), p. 475];

         al. 12(1)b) – la date de production de la demande [voir Shell Canada Ltd. c. P.T. Sari Incofood Corp. (2005), 41 C.P.R. (4th) 250) (C.F. 1re inst.); Fiesta Barbeques Ltdc. General Housewares Corp. (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst.)];

         al. 12(1)e) – la date de la décision [voir Association Olympique Canadienne c. Allied Corp. (1989), 28 C.P.R. (3d) 161 (C.A.F.)];

         par. 16(1) – la date de premier emploi par la Requérante [voir par. 16(1)];

         absence de nature distinctif – la date de production de l’opposition [voir Metro‑Goldwyn‑Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)].

Le motif fondé sur l’alinéa 12(1)b)

[11]           L’Opposante a allégué que la Marque n’est pas enregistrable parce qu’elle donne une description fausse et trompeuse : 1) de la nature ou de la qualité des marchandises de la Requérante; ou 2) du lieu d’origine des marchandises de la Requérante. Si je comprends bien, l’Opposante soutient que la Marque donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité du sucre de la Requérante parce que la combinaison des mots DEMERARA et GOLD a pour effet d’indiquer aux consommateurs que les produits de la Requérante proviennent de la région de Demerara en Guyana et se caractérisent par une teinte dorée. Le deuxième argument soumis par l’Opposante à l’appui du présent motif d’opposition est que DEMERARA désigne une région de Guyana réputée pour son sucre et les produits dérivés du sucre, dont le rhum. Étant donné que les marchandises de la Requérante ne proviennent pas de Guyana, l’Opposante soutient que la Marque est trompeuse et qu’elle risque d’induire les consommateurs en erreur.

[12]           Le 7 août 2009, l’Opposante a sollicité l’autorisation de produire une déclaration d’opposition modifiée pour pouvoir en outre alléguer que la Marque donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises ou de leur lieu d’origine. Le 28 septembre 2009, la Commission a rejeté la demande d’autorisation, car elle n’était pas convaincue qu’il était dans le meilleur intérêt de la justice d’y faire droit compte tenu des circonstances de l’espèce.

[13]           Se fondant sur la décision rendue dans Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. APA – Engineered Wood Association (2000), 7 C.P.R. (4th) 239 (C.F. 1re inst.), inf. (1998) 86 C.P.R. (3d) 513 (C.O.M.C.) (APA Wood), l’agent de l’Opposante a fait valoir lors de l’audience que la Commission a compétence pour trancher la question de savoir si la marque faisant l’objet de la demande contrevient à l’al. 12(1)b) pour des motifs autres que ceux allégués dans la déclaration d’opposition. Dans cette affaire, l’opposante a fait valoir que les marques proposées n’étaient pas enregistrables parce qu’elles donnaient une description claire ou une description trompeuse des personnes intervenant dans la production des marchandises et dans la prestation des services. Dans la décision rendue par la Commission des oppositions, le registraire aurait accueilli l’opposition au motif que les mots « THE ENGINEERED WOOD ASSOCIATION » donnaient une description claire d’une association qui fait la promotion des intérêts des producteurs de l’industrie, s’il n’avait pas conclu à son absence de compétence en ce qui a trait à l’examen d’un motif d’opposition autre que ceux énoncés dans la déclaration d’opposition.

[14]           En appel, voici ce que la Cour a dit au par. 63 :

[traduction] Toutefois, je suis également d’avis que le registraire ne doit pas indûment limiter son analyse dans une procédure d’opposition. En l’espèce, l’appelant avait clairement formulé son opposition à l’enregistrement de la marque de commerce en vertu de l’alinéa 12(1)b) dans sa déclaration d’opposition. Il ne serait pas raisonnable que le registraire permette que ce qui, à son avis, est une marque non enregistrable soit enregistrée simplement parce que les motifs restreints de non‑enregistrabilité prévus à l’alinéa 12(1)b) et soulevés par l’opposant n’ont pas été retenus. Cela dit, cette analyse élargie doit examiner la mesure dans laquelle le requérant subirait un préjudice du fait de ces mesures, et tenir compte de son droit d’être avisé des motifs d’opposition, de façon à pouvoir exercer effectivement ses droits de présenter des observations sous forme de contre‑déclaration. (Je souligne.)

[15]           L’affaire qui nous occupe est semblable à l’affaire APA Wood parce que l’Opposante a soulevé la question de l’enregistrabilité au regard de l’al. 12(1)b) dans sa déclaration d’opposition. Elle s’en distingue toutefois parce que l’Opposante en l’espèce n’a pas allégué dès le départ que la Marque donnait soit une description claire, soit une description fausse et trompeuse. De plus, l’Opposante en l’espèce avait déjà demandé l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition afin d’inclure dans le motif invoqué en vertu de l’al. 12(1)b) une allégation selon laquelle la Marque donnait une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises ou de son lieu d’origine, et cette demande a été rejetée. Je ne crois donc pas qu’il serait juste ou raisonnable d’élargir le motif à cette étape‑ci de la procédure parce que la Requérante n’a pas été avisée du fait que ce motif serait élargi et qu’en conséquence elle n’a pas été en mesure d’exercer pleinement son droit de présenter des observations en réponse. De plus, pour les motifs exposés ci‑après, je ne crois pas que la Marque dont l’enregistrement est demandé soit une « marque non enregistrable ». En conséquence, dans les circonstances, je m’en tiendrai au motif fondé sur l’al. 12(1)b) tel qu’il a été formulé.

[16]           Pour ce qui est tout d’abord du deuxième argument de l’Opposante à l’appui de ce motif, le test à appliquer en matière de description fausse et trompeuse est énoncé par le juge Cattanach dans la décision Promotions Atlantiques Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183, à la p. 186 (C.F. 1re inst.) (Promotions Atlantiques), en ces termes :

Selon moi, le critère que l’on doit appliquer pour déterminer si une marque de commerce dans son entier constitue une description fausse et trompeuse consiste à savoir si le public canadien serait induit en erreur sur l’origine du produit associée à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l’endroit désigné par le nom géographique utilisé. (Je souligne.)

 

[17]           Le juge Cattanach a ajouté que si un nom géographique est lié à des marchandises qui sont fabriquées dans ce lieu, cela constitue une « description claire du lieu d’origine ». Si les marchandises ne sont pas fabriquées en ce lieu, l’expression est alors une description fausse et, selon les circonstances, elle peut induire en erreur. De plus, comme le critère l’indique, c’est la marque de commerce dans son entier qui doit être examinée lorsqu’il s’agit de déterminer si elle est enregistrable plutôt que ses éléments considérés de façon isolée [voir Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1974), 15 C.P.R. (2d) 1, à la p. 8 (C.F. 1re inst.); et Molson Cos. Ltd. c. John Labatt Ltd. (1981), 58 C.P.R. (2d) 157, 129 D.L.R. (3d) 201 (C.F. 1re inst.)]. Enfin, la question de savoir si une marque de commerce constitue une description fausse et trompeuse aux termes de l’al. 12(1)b) est une question de fait [voir Promotions Atlantiques, précité, à la p. 187].

[18]           Le type de preuve utilisé pour établir qu’une région géographique spécifique jouit d’une réputation quant à la fabrication d’un certain type de marchandises a été décrit en ces termes par Fox dans The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 4th ed. (2002), à la p. 5‑46 :

[traduction] Dans certains cas, il est possible de prendre connaissance d’office de la réputation dont jouit une certaine région quant à la fabrication d’une marchandise. Mais dans la plupart des cas, bien que le registraire puisse se reporter à certains documents de référence pour établir la signification géographique d’un mot, il faut produire une preuve pour établir au Canada la réputation d’une région ou d’un emplacement donné aux yeux de la population visée. Lorsqu’on tente d’établir qu’une région géographique donnée est connue des Canadiens, il ne suffit pas en général de simplement démontrer l’existence en librairie de certains ouvrages de référence traitant de cette région, sans plus. Il faut produire une preuve pour établir que la région géographique en question, ou les caractéristiques de celle‑ci, sont connues des Canadiens

 

[19]           Des copies des imprimés de pages tirées de divers sites Web contenant des renseignements sur l’historique ou l’origine du sucre DEMERARA ont été jointes comme pièce D à l’affidavit de Mme Stecyk. Mis à part les problèmes de ouï‑dire, j’estime que ces éléments de preuve sont pertinents du fait qu’ils indiquent que le Demerara est une région de Guyana, et que le sucre DEMERARA tire son origine du Demerara, en Guyana. Cependant, en l’absence de renseignements sur le nombre de Canadiens ayant pu avoir accès à ces sites Web, aucune preuve ne démontre que les renseignements provenant de ces sites Web ont été portés à la connaissance de consommateurs sur le marché canadien [voir Candrug Health Solutions Inc. c. Thorkelson (2007), 60 C.P.R. (4th) 35 (C.F.), infirmé par (2008), 64 C.P.R. (4th) 431 (C.A.F.)]. En outre, il semble que plusieurs de ces sites Web proviennent du Royaume‑Uni, plutôt que du Canada.

[20]           En conséquence, bien qu’il est possible que la preuve présentée par l’Opposante indique que le Demerara est une région d’un pays appelé la Guyana, aucune preuve ne démontre que des Canadiens sont au courant de cette donnée géographique, ou que cette région jouit d’une réputation dans le domaine du sucre sur le marché canadien. De plus, même s’il est possible que la preuve présentée établisse que le sucre de type Demerara provient du Demerara, en Guyana, et en tire son appellation, cette même preuve démontre également qu’il est maintenant produit en plusieurs autres endroits dont à Maurice, au Malawi et en Jamaïque (voir l’affidavit de Stecyk, pièce D), tout comme le sucre de la Requérante (voir l’affidavit de M. Bedessee, au par. 7). Enfin, il appert de plusieurs des autres sucres de type Demerara présentés en preuve par la Requérante qu’ils ont été raffinés au Canada et qu’aucun n’a été produit en Guyana (voir l’affidavit de M. Bedessee, pièces M à U).

[21]           Je suis donc d’avis que le DEMERARA est un type de sucre qui n’est pas associé de façon spécifique à une source ou à un lieu unique.

[22]           En examinant ce point, j’ai pris en compte la décision rendue par le Magistrat de Londres dans l’affaire Anderson c. Britcher (1913), Division du Banc du Roi, où le juge Darling a affirmé que le mot DEMERARA, utilisé en liaison avec du sucre, ne renvoie pas à du sucre produit uniquement dans la région de Demerara. Voici les propos tenus à la p. 64 par la Cour du Banc du Roi :

[traduction] En ce qui concerne le sucre Demerara, on affirme et il est admis que le mot « Demerara », utilisé en liaison avec le mot sucre, ne désigne pas un sucre produit uniquement dans la région de Demerara; il désigne plutôt un sucre produit dans la région de Demerara, ou à la Grenade, en Martinique, ou à Saint‑Kitts, ou à Tobago, ou à la Barbade, ou à la Dominique, ou dans plusieurs autres îles des Indes‑Occidentales, et, en conséquence, il est vraiment difficile de distinguer la présente affaire de l’affaire de la carpette de Bruxelles, dont personne ne suppose qu’elle y a nécessairement été fabriquée, ou de l’affaire de la saucisse de Cambridge, dont personne ne croit, je suppose, qu’elle provient nécessairement de ce lieu.

 

[23]           Vu la preuve qui m’a été présentée, je ne peux pas conclure selon la prépondérance des probabilités que la population en général au Canada sait que DEMERARA est une région située en Guyana ou que le Demerara, en Guyana, est reconnu comme une source d’approvisionnement de sucre. Dans l’ignorance de ces faits, je n’ai aucune raison de croire qu’en voyant la Marque DEMERARA GOLD le Canadien moyen pourrait avoir l’impression que les marchandises de la Requérante proviennent de cette région géographique.

[24]           Ce volet de ce motif d’opposition est donc rejeté.

[25]           L’Opposante s’est fondée sur les décisions Havana Club Holding S.A. c. Bacardi & Co. (2004), 35 C.P.R. (4th) 559 (C.O.M.C.) et Havana Club Holding, Inc. c. Matusalem (2009), 79 C.P.R. (4th) 332; conf. par 86 C.P.R. (4th) 437, où les demandes d’enregistrement des marques OLD HAVANA et THE SPIRIT OF CUBA ont été rejetées au motif que ces marques donnaient une description fausse et trompeuse du lieu d’origine du rhum lié à chacune de ces marques de commerce. Ces décisions doivent toutefois être distinguées de la présente affaire parce que les marchandises dont l’enregistrement était demandé dans chacune étaient du rhum et parce que M. Carrier, membre de la Commission, a estimé que Cuba était bien connue des Canadiens comme une île des Caraïbes et que les Caraïbes étaient connues au Canada comme un lieu d’origine du rhum.

[26]           La question suivante à trancher en ce qui concerne ce motif est de savoir si la Marque donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises de la Requérante. L’Opposante soutient que la Marque donne une description fausse ou trompeuse de la nature et de la qualité des marchandises de la Requérante parce que le mot DEMERARA combiné avec le mot GOLD a pour effet d’indiquer aux consommateurs que les marchandises de la Requérante proviennent de la région de Demerara, en Guyana, et qu’elles ont une teinte dorée comme caractéristique.

[27]           La preuve de la Requérante démontre que le DEMERARA est un type de sucre doté de caractéristiques ou de propriétés physiques particulières. À cet égard, tous les articles joints comme pièces K1 à K8 à l’affidavit de M. Bedessee décrivent les propriétés du sucre de type DEMERARA. Par exemple, il est décrit comme un sucre de canne brut de spécialité habituellement d’un brun jaunâtre ou doré et doté d’un riche arôme. Comme je l’ai déjà mentionné, des éléments de preuve d’autres sucres de type DEMERARA de diverses sociétés canadiennes ont également été présentés en preuve (voir l’affidavit de M. Bedessee, pièces M à U).

[28]           La Marque au complet est cependant DEMERARA GOLD. Bien qu’il ne soit pas contesté que Demerara est à la fois le nom donné à un lieu en Guyana et la description d’un type de sucre, la question à trancher est de savoir quelle serait la première impression laissée par la marque DEMERARA GOLD sur le consommateur moyen de sucre.

[29]           Sur ce point, l’Opposante fait valoir que l’intention de la Requérante, comme en témoigne son choix d’étiquette, constitue une circonstance pertinente [voir Der Stabilisierungsfonds Fur Wein c. Andres Wines Ltd. (1986), 14 C.P.R. (3d) 225, p. 230 (C.O.M.C.)]. L’Opposante soutient que la Requérante a intentionnellement choisi en l’espèce un emballage pour son sucre illustrant une carte de la Guyana. Au soutien de cet argument, une copie imprimée d’une carte de la Guyana, telle qu’elle a été relevée sur le site Web www.mapquest.com, a été jointe à l’affidavit de Mme Stecyk comme pièce B. Un spécimen de l’étiquette de la Requérante utilisée en liaison avec son sucre a été joint à l’affidavit de M. Warden comme pièce A.

[30]           Je ne suis pas convaincue que l’intention de la Requérante, telle qu’illustrée par son choix d’étiquette, soit une considération pertinente relativement à la question qui nous occupe. De toute façon, je suis d’accord avec l’Opposante sur le fait que la forme irrégulière occupant l’espace principal de ladite pièce A, jointe à l’affidavit de Bradley Warden, semble constituer une représentation d’une carte de la Guyana.

[31]           Bien qu’il soit possible que l’emballage utilisé par la Requérante pour son sucre illustre le pourtour du territoire de la Guyana, aucune preuve ne démontre que cette illustration serait reconnue en tant que telle par le consommateur moyen. De plus, aucune preuve ne démontre qu’un consommateur moyen a été trompé, malgré une utilisation soutenue de la Marque au Canada comme le démontre l’affidavit de Mme Bedessee. De plus, bien que la preuve démontre que le Demerara, en Guyana, est le lieu d’où provient le sucre de type DEMERARA, la preuve montre aussi clairement que le sucre de la Requérante n’est pas fabriqué dans cette région guyanaise, mais qu’il l’est plutôt à Maurice et que cette information est indiquée sur l’emballage utilisé par la Requérante.

[32]           En ce qui concerne la signification du mot « GOLD », je crois que je peux prendre connaissance d’office des diverses définitions qu’en donnent les dictionnaires. J’ai remarqué qu’en plus de désigner une couleur d’un jaune foncé, le mot GOLD désigne également un métal précieux ainsi qu’une norme de qualité. La Marque en l’espèce pourrait donc évoquer un type de sucre pouvant avoir une teinte dorée, ou laisser croire que le sucre de la Requérante est d’une qualité supérieure aux autres sucres de type DEMERARA disponibles sur le marché. Le fait qu’une marque puisse être suggestive de la nature, de la qualité ou du lieu d’origine des marchandises (ou qu’elle puisse induire en erreur à ce sujet) ne fait pas en sorte qu’elle ne puisse en raison de l’alinéa 12(1)b) de la Loi être enregistrée. Qui plus est, le fait que la marque soit susceptible de susciter diverses réactions montre qu’il n’y a pas une réaction unique, encore moins une réaction supposant que la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse des marchandises. Par conséquent, ce volet du motif d’opposition fondé sur l’al. 12(1)b) est également rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)e) et l’art. 10

[33]           Dans le troisième motif d’opposition, il est allégué que la Marque n’est pas enregistrable en raison de l’al. 12(1)e) et de l’art. 10 de la Loi. Voici ce que l’Opposante allègue plus précisément :

[traduction]

i) que le mot DEMERARA, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est devenu reconnu au Canada comme désignant le type et la qualité de certaines marchandises provenant de la Guyana ou d’une région particulière de la Guyana. À ce titre, l’adoption et l’utilisation de la Marque en liaison avec des marchandises qui ne proviennent pas de la Guyana sont interdites en vertu de l’article 10 et la Marque n’est pas enregistrable;

ii) que l’adoption et l’utilisation de la Marque par la Requérante sont susceptibles d’induire en erreur. Le mot DEMERARA qui fait partie de la Marque est susceptible d’induire en erreur le public en l’amenant à croire que les marchandises visées par la demande d’enregistrement no 1206738 proviennent de Guyana, ou d’une région particulière de Guyana, ce qui n’est pas le cas. À ce titre, l’adoption de la Marque est interdite par l’article 10 et la Marque n’est pas enregistrable.

 

[34]           L’article 10 est ainsi libellé :

10. Si une marque, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d’origine ou la date de production de marchandises ou services, nul ne peut l’adopter comme marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l’employer d’une manière susceptible d’induire en erreur, et nul ne peut ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre.

 

[35]           À mon avis, la preuve en l’espèce ne permet pas de conclure que la Marque est visée par les interdictions susmentionnées. À cet égard, l’Opposante n’a pas établi que le Canadien moyen reconnaîtrait la région de Demerara, en Guyana, comme le lieu d’origine du sucre DEMERARA. Si l’Oppposante croyait que les Canadiens ont appris à reconnaître que le mot DEMERARA désigne le lieu d’origine du sucre de type DEMERARA, elle aurait pu présenter les éléments de preuve nécessaires provenant de consommateurs canadiens sous forme de preuve par sondage. L’absence de preuve indiquant que des consommateurs seraient induits en erreur, ou qu’ils l’ont été, par l’utilisation d’une marque dont le préfixe est DEMERARA en liaison avec du sucre qui ne provient pas de ce lieu tend à affaiblir la thèse de l’Opposante. De plus, comme l’a souligné l’agent de la Requérante, la propre preuve de l’Opposante montre qu’il est admis que du sucre de type DEMERARA provient du Malawi, de la Jamaïque et de Maurice (voir l’affidavit de Stecyk, pièce D).

[36]           J’aimerais ajouter que même s’il avait été établi que DEMERARA est une marque interdite en raison de l’article 10, la Marque DEMERARA GOLD ne ressemble pas au mot DEMERARA au point d’être vraisemblablement confondue avec celui‑ci [voir Scotch Whiskey Assn. c. Glenora Distillers International Ltd. (2009), 75 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.)]. Par conséquent, ce motif d’opposition est également rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b)

[37]           L’Opposante soutient que la demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :

i) la Requérante n’a pas employé la marque de commerce au Canada à compter de la date de premier emploi alléguée;

ii) le Requérante n’a pas employé la marque de commerce au Canada en liaison avec toutes les marchandises à compter de la date de dépôt de la demande ;

iii) la Requérante n’a pas employé sans interruption la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises visées par la demande à compter de la date de premier emploi alléguée.

[38]           L’Opposante a un fardeau initial de la preuve lorsqu’elle allègue que la demande ne satisfait pas aux dispositions de l’alinéa 30b) de la Loi, mais on peut qualifier ce fardeau de léger. À cet égard, l’Opposante peut s’acquitter de son fardeau en s’appuyant non seulement sur sa propre preuve, mais aussi sur la preuve produite par la Requérante elle‑même [voir Tune Masters c. Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.); Labatt Brewing Company Limited c. Molson Breweries, a Partnership (1996), 68 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.)]. Dans un tel cas, toutefois, l’Opposante doit démontrer qu’il y a clairement incompatibilité entre la preuve et la prétention de la Requérante [voir York Barbell Holdings Ltd. c. ICON Health & Fitness, Inc. (2001), 13 C.P.R. (4th) 156 (C.O.M.C.); Williams Telecommunications Corp. c. William Tell Ltd., (1999), 4 C.P.R. (4th) 107 (C.O.M.C.); et Ivy Lea Shirt Co. c. 1227624 Ontario Ltd. (1999), 2 C.P.R. (4th) 562, p. 565 et 566 (C.O.M.C.), confirmé par 11 C.P.R. (4th) 489 (C.F. 1re inst.)].

[39]           Je souligne que, dans sa plaidoirie, l’Opposante s’est appuyée sur sa propre preuve produite au moyen de l’affidavit de Warden pour étayer l’argument suivant lequel la Requérante n’emploie pas sa Marque en liaison avec du glucose. Elle a également soutenu que la Marque n’est pas affichée sur les emballages des produits de riz et d’huile de noix de coco de la Requérante. Je note cependant, sans me prononcer sur la valeur de ces éléments de preuve, que la preuve produite au moyen de l’affidavit de Warden porte sur l’emploi de la Marque à compter de novembre 2005. Étant donné que la date pertinente pour statuer sur le présent motif d’opposition est la date de dépôt de la demande, je ne tiendrai pas compte de cet élément de preuve. En conséquence, pour s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe, l’Opposante est contrainte de se fonder sur la preuve de la Requérante que je vais maintenant examiner.

[40]           En premier lieu, en ce qui concerne le deuxième motif portant sur le non‑respect de l’alinéa 30b) de la Loi comme il est dit ci‑dessus, l’Opposante met précisément en doute la preuve de la Requérante concernant l’emploi de sa Marque en liaison avec du glucose et du riz. En ce qui concerne le glucose, l’Opposante soutient que la preuve établissant son emploi est ambigüe étant donné que la copie de l’étiquette produite comme pièce E jointe à l’affidavit de M. Bedessee est censée avoir été employée en liaison avec du glucose alors que les produits sont décrits sur l’étiquette comme étant de la « poudre de glucose ». En toute déférence cependant, je ne vois aucune ambigüité. Monsieur Bedessee a clairement affirmé que ces produits étaient semblables. De plus, indépendamment de cette mise au point, j’estime qu’il est raisonnable de penser que le produit figurant sur l’emballage compris dans la pièce E est du glucose; il s’agit simplement de glucose sous forme de poudre.

[41]           En ce qui concerne le riz, l’Opposante soutient que la Requérante n’a pas produit d’étiquettes établissant l’emploi de la Marque en liaison avec du riz. Je conviens qu’il peut paraître curieux pour la Requérante de ne pas avoir produit d’étiquettes aux fins de prouver l’emploi de la Marque en liaison avec ces marchandises, alors qu’elle l’a fait à l’égard de chacune des autres marchandises. Toutefois, je ne crois pas que ce fait à lui seul soulève de doute sur la véracité de l’affirmation de la Requérante qui dit avoir employé sa Marque dès le mois de janvier 1984 en liaison avec l’ensemble des marchandises visées par l’enregistrement.

[42]           En ce qui concerne les autres motifs invoqués par l’Opposante portant sur le non‑respect de l’alinéa 30b) de la Loi, l’Opposante soutient qu’hormis les simples affirmations figurant dans l’affidavit de M. Bedessee, aucune facture ni aucun autre élément de preuve n’ont été présentés pour étayer la date de premier emploi revendiquée dans la demande ou pour étayer la revendication d’emploi continu depuis 1984. Toutefois, l’Opposante n’a pas démontré que la preuve de la Requérante est manifestement incompatible avec l’emploi allégué de la Marque en liaison avec chacune des marchandises visées par la demande. En conséquence, la Requérante n’était pas tenue de prouver l’emploi de sa marque de commerce depuis cette date. En d’autres termes, l’absence de facture ou d’autre élément de preuve de ce type ne suffit pas pour accueillir un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) lorsque l’Opposante n’a pas satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait. Ce motif d’opposition est donc rejeté.

Motifs fondés sur l’article 16

[43]           En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement en raison du fait que les marques de commerce DEMERARA, DEMERARA GOLD et DEMERARA GOLD RUM et/ou un ou plusieurs des noms commerciaux Demerara Distillers et Demerara Distillers Limited ont été antérieurement utilisés ou révélés, compte tenu des dispositions des par. 16(5) et 17(1) de la Loi, l’Oppposante supporte le fardeau initial de prouver son premier emploi ou sa première révélation allégué de ces marques de commerce ou noms commerciaux au Canada en liaison avec du rhum, et elle doit également prouver qu’elle n’avait pas abandonné leur emploi en liaison avec cette marchandise à la date de l’annonce de la Marque dans le Journal des marques de commerce. Comme l’Opposante n’a déposé aucune preuve d’emploi ou de révélation à l’égard de ces marques ou noms dans le cadre de la présente opposition, l’Opposante n’a pas prouvé son emploi antérieur ou la révélation allégués de ces marques de commerce et noms commerciaux et, en conséquence, ces motifs d’opposition sont rejetés.

[44]           L’Opposante s’est également fondée sur la demande d’enregistrement qu’elle avait antérieurement produite à l’égard de la marque de commerce DEMERARA, la demande d’enregistrement no 1172524, afin de contester le droit à l’enregistrement de la Requérante. Une copie de cette demande était jointe à l’affidavit de Mme Stecyk comme pièce A. Je souligne que la date de dépôt de cette demande d’enregistrement est le 27 mars 2003. Comme cette demande n’était pas en instance à la date de premier emploi de la Requérante, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau à l’égard de ce motif et il est donc rejeté.

Motifs fondés sur le nature distinctif

[45]           Le motif d’opposition de l’Opposante fondé sur le nature distinctif a été plaidé de la façon suivante :

[traduction] La marque de commerce n’est pas distinctive de la requérante parce qu’elle ne distingue pas, ni n’est adaptée à distinguer, les marchandises de la requérante des marchandises ou services des autres, dont ceux de l’Opposante, en ce qui a trait : (i) à l’emploi antérieur ou la révélation des marques de commerce et des noms commerciaux décrits ci‑dessus par l’Opposante en liaison avec du rhum; et 2) au fait que la marque de commerce donne une description fausse et trompeuse de la nature, de la qualité et/ou du lieu d’origine des marchandises de la Requérante.

[46]           Pour s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe relativement à ce motif, l’Opposante doit établir que, à la date de production de la déclaration d’opposition, soit le 22 février 2005, ses marques et noms commerciaux étaient suffisamment connus pour détruire le caractère distinctif de la Marque [Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44, p. 58 (C.F. 1re inst.); E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130 (C.A.F.); Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, p. 424 (C.A.F.)].

[47]           L’Opposante n’a présenté aucune preuve d’emploi ou de révélation à l’égard de ces marques ou noms dans le cadre de la présente opposition. L’Opposante ne s’est donc pas acquittée de son fardeau à l’égard du premier volet de ce motif d’opposition, lequel est donc rejeté.

[48]           En ce qui a trait au deuxième volet de ce motif d’opposition, les motifs susmentionnés justifiant la conclusion selon laquelle la Marque ne donne pas une description fausse et trompeuse de la nature, de la qualité ou du lieu d’origine des marchandises de la Requérante s’appliquent également à ce deuxième volet, lequel est donc aussi rejeté.

Décision

[49]           Compte tenu de ce qui précède, et dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

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Cindy R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.

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