Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION DE Hurteau & Associés s.e.n.c. à la demande d’enregistrement No. 1152225 pour la marque de commerce PASSION DES FRUITS produite Courtney Clarke_______________________________

 

 

 

I Les Procédures

 

Courtney Clarke (le « Requérant ») a déposé le 11 septembre 2002 une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce PASSION DES FRUITS (la «Marque»), demande numéro 1152225, fondée sur un emploi depuis juillet 1994 en liaison avec les services de vente de fruits et de légumes (les « Services »). Le Requérant s’est désisté du droit à l’usage exclusif du mot « fruits » en dehors de la Marque.

 

La demande fut publiée le 31 décembre 2003 dans le Journal des marques de commerce pour fins d’opposition. Le 12 janvier 2004, Le Groupe Fruits et Passion Inc./ The Fruits and Passion Group Inc. déposa une déclaration d’opposition soulevant les motifs d’opposition suivants :

1. En vertu des dispositions des articles 38(2)(a) et 30 de la loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la « loi ») la demande d’enregistrement ne satisfait pas aux exigences de la loi en ce que :

a) le Requérant n’a pas employé comme il est dit la Marque en liaison avec les Services;

b) Le Requérant a abandonné en tout ou en partie la Marque par emploi discontinu;

c) Le Requérant a faussement déclaré qu’il était convaincu qu’il avait droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Services.

 

2. La Marque n’est pas enregistrable en vertu des dispositions de l’article 12(1)(d) de la loi puisqu’elle porte à confusion avec les marques de commerce de l’opposante FRUITS & PASSION, certificat d’enregistrement TMA412083 et  FRUITS & PASSION & graphisme, certificat d’enregistrement TMA466166.

 

3. En vertu des dispositions de l’article 16(1)(a) de la loi le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car elle porte à confusion avec les marques de commerce de l’opposante FRUITS & PASSION et FRUITS & PASSION & graphisme employées antérieurement à la date de premier emploi alléguée dans la présente demande d’enregistrement en liaison avec ses marchandises et les services de commerce au détail de produits alimentaires, produits de toilette, produits de beauté et de soins personnels ou pour le corps et accessoires y reliés.

 

4. En vertu des dispositions de l’article 16(1)(b) de la loi le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car elle porte à confusion avec la marque de commerce de l’opposante FRUITS & PASSION pour laquelle une demande d’enregistrement numéro 692122 avait été produite au Canada antérieurement à la date de premier emploi alléguée dans la présente demande d’enregistrement.

 

5. En vertu des dispositions de l’article 16(1)(c) de la loi le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car elle porte à confusion avec les noms commerciaux FRUITS & PASSION, GROUPE FRUITS & PASSION INC., THE FRUITS & PASSION GROUP INC. et GROUPE FRUITS & PASSSION INC./ THE FRUITS & PASSION GROUP INC. de l’opposante employés ou révélés au Canada antérieurement à la date de premier emploi alléguée dans la présente demande d’enregistrement.

 

6. En vertu des dispositions des articles 38(2)(d) et 2 de la loi la Marque n’est pas distinctive en ce que :

a)      eu égard principalement à l’adoption, emploi, révélation et enregistrements des marques dont l’opposante est titulaire de même que l’emploi et la révélation des noms commerciaux allégués par l’opposante;

b)      par la suite de son transfert, il subsistait des droits chez deux ou plusieurs personnes à l’emploi de la Marque et ces droits ont été exercés par lesdites personnes concurremment et ce, contrairement aux dispositions de l’article 48(2) de la loi;

c)      le requérant a permis à des tiers d’employer au Canada la Marque et de fait, ces tiers l’ont employé hors les cadres des dispositions législatives régissant l’emploi sous licence d’une marque et ce contrairement aux dispositions de l’article 50 de la loi.

 

Le 29 octobre 2003, le Requérant a déposé une contre-déclaration d’opposition niant les motifs d’opposition soulevés par l’opposante et contenant plusieurs éléments d’argumentation concernant les critères énumérés à l’article 6(5) de la loi.

 

L’opposante a produit en preuve l’affidavit de Monsieur Jean Hurteau alors que le Requérant produisait sa propre déclaration solennelle. À titre de contre-preuve, l’opposante a produit l’affidavit de Karine Iskandar. Aucune des parties n’a produit un plaidoyer écrit et une audience fut tenue où elles étaient représentées.

 

 

 

 

II Remarques préliminaires

 

Pour les fins de cette décision je me dois de résumer les incidents qui se sont produits en cours de route dans ce dossier. Par décision rendue le 31 août 2005 le registraire a accordée la permission à l’opposante d’amender une première fois sa déclaration d’opposition afin:

a)      De modifier l’identité de l’opposante pour Groupe Fruits & Passion Inc. (Le)/ The Fruits & Passion Group Inc.;

b)      Préciser que le Requérant n’emploie plus la Marque depuis octobre 1997;

c)      Y ajouter la connaissance du Requérant des droits de l’opposante et l’illégalité de tout emploi de la Marque qui violerait les droits de l’opposante;

d)     Y ajouter le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(b) de la loi en ce que la Marque constituerait, en anglais ou français une description claire ou fausse et trompeuse de la nature des Services, savoir non seulement un magasin de vente au détail de fruits, mais encore un magasin de vente au détail de fruits et légumes;

e)      Y ajouter l’emploi des marque ou nom PASSION DES FRUITS en liaison avec un magasin de fruits et de légumes par 9039-7985 Québec Inc., 9102-0149 Québec Inc., Fruiterie Muscat Ic. et 9144-2293 Québec Inc. au soutien de son motif d’opposition concernant le caractère distinctif de la Marque (sous les trois allégués de ce motif d’opposition)

 

Le 25 octobre 2005 le registraire autorisait la production de l’affidavit de Mme Iskandar à titre de preuve supplémentaire ainsi que des certificats de conformité émis par le registraire des entreprises du Québec concernant les entités corporatives identifiées dans la déclaration d’opposition amendée et dans la déclaration solennelle du Requérant.

 

Le 10 avril 2006 le registraire permettait à l’opposante d’amender une seconde fois sa déclaration d’opposition afin d’y énumérer les marchandises et services couverts par son certificat d’enregistrement TMA412083 modifié le 10 novembre 2005. En vertu de la même décision, permission était accordée à l’opposante de produire ledit certificat d’enregistrement modifié et au Requérant de produire au dossier des documents provenant du registre des entreprises du Québec annexés à une correspondance datée du 2 novembre 2005.

 

Finalement le 30 mars 2007 une autre permission fut accordée par le registraire à l’opposante d’amender sa déclaration d’opposition pour modifier le nom de l’opposante pour Hurteau et Associés S.E.N.C. suite à un transfert de propriété à cette entité des marques de commerces mentionnées dans la déclaration d’opposition. Ainsi j’utiliserai l’expression « l’Opposante » pour désigner soit Le Groupe Fruits et Passion Inc./ The Fruits and Passion Group Inc., Groupe Fruits & Passion Inc. (Le)/ The Fruits & Passion Group Inc. et/ou Hurteau et Associés S.E.N.C. selon le cas.

 

De ces nombreux amendements nous retiendrons que, de façon générale, l’Opposante plaide les motifs d’opposition suivants : le non-respect des exigences de l’article 30; la Marque ne serait pas enregistrable en vertu des dispositions des articles 12(1)(b) et 12(1)(d); le Requérant ne serait pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en raison de l’emploi antérieur des marques de commerce et des noms commerciaux de l’Opposante, de la production antérieure d’une demande d’enregistrement pour la marque de commerce FRUITS & PASSION et finalement l’absence de caractère distinctif de la Marque.

 

Au début de l’audience l’agent de l’Opposante a indiqué qu’il ne comptait faire aucune représentation sur les motifs d’opposition fondés sur les articles 12(1)(b) et 16 de la loi.

 

III Sommaire des documents corporatifs produits au dossier

 

Il y a lieu de faire un bref résumé des informations contenues dans les documents produits de part et d’autre concernant certaines entités juridiques.

 

9039-7985 Québec Inc. est une société incorporée le 4 septembre 1996 dont le Requérant est l’unique administrateur et actionnaire. Il est indiqué dans la déclaration initiale signée le 3 septembre 1996 qu’elle fait également affaires sous le nom de PASSION DES FRUITS et opère un commerce de fruits et légumes situé au 2001 Ave. Mont-Royal Est à Montréal.

 

9102-0149 Québec Inc. est une société incorporée le 15 mars 2001. On constate d’après les informations contenues dans la déclaration initiale datée du 19 mars 2001 que le Requérant en était le principal actionnaire et seul administrateur et qu’elle opérait également un commerce de vente de fruits et légumes sous le nom PASSION DES FRUITS situé au 5000 Saint-Denis à Montréal. Cette société a changé de nom, à une date qui n’est pas spécifiée dans les documents produits au dossier, pour Fruiterie Muscat Inc. La déclaration annuelle de l’année 2004 révèle que le Requérant n’en est plus l’actionnaire majorité ni l’administrateur unique. Il est spécifié que cette société opère sous le nom PASSION DES FRUITS. Toutefois une déclaration modificative datée du 13 juin 2005 confirme que cette société n’utilise plus le nom commercial PASSION DES FRUITS.

 

9144-2293 Québec Inc. fut incorporée le 6 juillet 2004. L’extrait du registre des entreprises produit au dossier indique que le Requérant en est le principal actionnaire et unique administrateur. Cette société opère également un commerce de fruits et légumes sous le nom commercial PASION DES FRUITS situé au 2001 Ave. Mont-Royal Est à Montréal.

 

Je m’en limiterai à ces informations. L’agent du Requérant a fourni certaines explications concernant ces différentes compagnies et les adresses ci-haut décrites mais je ne peux les prendre en considération car ces informations additionnelles n’ont pas été incorporées dans un affidavit. La preuve de faits matériels doit être présentée devant le registraire sous forme d’un affidavit ou déclaration statutaire et non lors des plaidoiries. [Voir règles 41, 42, et 43 du Règlement sur les marques de commerce]

 

IV Le droit applicable

 

Dans le cadre de procédures en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, l’Opposante doit présenter suffisamment d’éléments de preuve concernant les motifs d’opposition qu’elle soulève afin qu’il soit apparent qu’il existe des faits qui peuvent supporter ces motifs d’opposition. Si l’Opposante rencontre cette exigence, le Requérant devra alors convaincre le registraire que les motifs d’opposition ne devraient pas empêcher l’enregistrement de la Marque. [Voir Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53, Joseph Seagram & Sons Ltd. c. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 et John Labatt Ltd. c Molson Companies Limited, (1990), 30 C.P.R. (3d) 293]

 

La date pertinente pour analyser les différents motifs d’opposition varie selon le motif d’opposition soulevé. Ainsi, pour les motifs d’opposition fondés sur l’article 30 de la loi, la date pertinente est celle du dépôt de la demande d’enregistrement (le 11 septembre 2002) [voir Dic Dac Holdings (Canada) Ltd c. Yao Tsai Co. (1999), 1 C.P.R. (4th) 263 et Georgia-Pacific Corp.v. Scott Paper Ltd., 3 C.P.R. (3d) 469]. Lorsque le motif d’opposition est fondé sur l’alinéa 16(1) de la loi, la date de premier emploi de la Marque (juillet 1994) alléguée dans la demande d’enregistrement est la date de référence tel que stipulé audit article. L’enregistrabilité de la Marque sous l’article 12(1)(d) de la loi doit être déterminé à la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (CAF)] alors que sous l’article 12(1)(b) elle doit être déterminée à la date de production de la demande d’enregistrement. [Voir  Fiesta Barbeques Limited v. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60] Finalement, il est généralement reconnu que la date de dépôt de la déclaration d’opposition (le 12 janvier 2004) représente la date pertinente pour analyser le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque. [Voir Andres Wines Ltd. and E&J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (F.C.A.) à la page 130, et Metro-Goldwyn-Meyer Inc c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317]

 

V L’enregistrabilité de la Marque sous l’article 12(1)(d)

 

L’Opposante a satisfait le fardeau initial de preuve qui lui incombait en vertu de l’article 12(1)(d) de la loi en produisant des copies certifiées des certificats d’enregistrement suivants :

  TMA412083 pour la marque FRUITS & PASSION couvrant les marchandises suivantes :

(1)Bains moussants, huiles de bain, savons, shampooings, eaux de toilette, crèmes et laits pour le corps, et huiles essentielles.
(2) Personal care products, namely shower gel, foaming bath cream, massage oil, body milk lotion, talcum powder, powder deodorant, hand soap, bath sea salts, eau de fruits, body cream, lip balm, hand cream, moisturizing body milk, shower gel cream, after-shave lotion, shaving cream, deodorant, gel scrub, body shampoo, eye contour cream, cream mask, cleansing milk, cleansing gel, regenerating toners, hair shampoo, hair moisturizing, hair conditioner, sunscreen lotion, after-sun neutralizing lotion, after-sun regenerating butter, moisturizing deodorant foot cream, cleansing & soothing foot bath, exfoliating foot cream, refreshing and deodorant foot powder; potpourri, perfumed sachet, eye bags; candles; air fresheners and deodorisers, perfumed oil; electric pedicure sets; pedicure implements namely, nail files, nail cutters, nail scissors; pedicure groomer; massager, massage brushes, exfoliating gloves and sponges; diffuser for room fragrance; candle-holders, soap dish, bath brushes, hair brushes; maple butter, fruits compotes, fruits preserved in alcohol, cooking oil, vinaigrettes; honey, maple syrup, mustard, fruits and honey chutney, vinegar, teas, herbal teas, marinades sauces, condiments sauces.
(3) Laundry detergent, all purpose household cleaning preparations and disinfectants with cleaning, deodorizing and germicidal properties.

 

et les services suivants:

Retail store services featuring food products, beauty products and grooming products.

 

   TMA 466166 pour la marque de commerce FRUITS & PASSIONS et graphisme

FRUITS & PASSION & DESIGN

 

couvrant les marchandises suivantes :

1) Bubble baths, bath oils, body soaps, hair shampoos, toilet water, body creams and milks, essential oils for personal use, potpourri, and sea water bath salts.
(2) Candles.
(3) Jams, fruits preserves, dried fruits, olive oil.
(4) Stationery articles, namely: paper sheets, envelopes, fine perfumed paper, gift wrapper paper.
(5) Honey, lip balm, cosmetic products, namely: skin care creams, skin cleansing lotions; perfumes.

et les services suivants:

(1) Retail store services featuring food products, beauty products, and grooming products.

 

Le Requérant doit donc prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne risque pas de porter à confusion avec les marques déposées de l’Opposante. [Voir Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd [2002] 3 C.F.405 (CAF)].

 

Le risque de la confusion entre deux marques de commerce doit s’analyser en fonction des circonstances propres à chacun des dossiers. Une liste non exhaustive de ces circonstances apparaît à l’article 6(5) de la loi. La cour suprême du Canada, par l’entremise de la plume de l’honorable juge Binnie, s’est récemment prononcée sur la portée de cet article dans Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., (2006) 49 C.P.R. (4th) 321, en déclarant :

Pour l’application du critère de « toutes les circonstances de l’espèce », le par. 6(5) de la Loi énumère cinq facteurs à prendre en compte pour décider si une marque de commerce crée ou non de la confusion.  Ce sont : « a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent ».  La liste des circonstances n’est pas exhaustive et un poids différent sera attribué à différents facteurs selon le contexte.  Voir Gainers Inc. c. Marchildon, [1996] A.C.F. no 297 (QL) (1re inst.).  Comme je l’ai déjà dit, dans le cadre d’une procédure d’opposition, c’est au requérant (en l’occurrence l’intimée) qu’incombe le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir.

 

C’est à la lumière de ces principes que j’analyserai chacune des circonstances pertinentes en l’espèce en fonction de la preuve versée au dossier. Je m’attarderai dans cette analyse à comparer la marque vocable FRUITS & PASSION et la Marque car la marque graphique de l’Opposante n’apporterait rien de plus avantageux à cette dernière.

 

a)      le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

 

La marque vocable FRUITS & PASSION de l’Opposante pas plus que la Marque ne jouit d’un caractère distinctif inhérent fort. Elles sont toutes composées des mêmes mots que l’on retrouve couramment dans la langue française. Elles comportent toutes un désistement du droit à l’emploi exclusif du mot « FRUITS » en dehors de la marque de commerce.

 

Le niveau de caractère distinctif d’une marque de commerce peut être rehaussé par la preuve de son usage au Canada. M. Hurteau est le président fondateur de l’Opposante depuis mai 1992. L’Opposante exploite une entreprise oeuvrant, entre autres, dans la fabrication, distribution, commercialisation et la vente de produits de soins corporels, de beauté et de toilette à base de fruits ainsi que la vente de produits gourmets. Les pièces JH-1, JH-2 et JH-3 sont des brochures expliquant les activités commerciales de l’Opposante.

 

L’Opposante opère plus de 100 boutiques sur 3 continents, dont 75 au Canada. Les boutiques au Canada appartiennent à l’Opposante ou à des franchisés ou licenciés. Ses ventes au Canada représentent 70% de ses ventes totales annuelles des produits portant les marques FRUITS & PASSION et n’ont jamais été inférieures à $5 millions depuis 1996.

 

Elle emploie au Canada la marque de commerce FRUITS ET PASSION en liaison avec divers produits de soins corporels, de beauté et de toilette depuis 1992 et en liaison avec des produits gourmets depuis octobre 1994 et depuis novembre 1995 en liaison avec des services de magasins de détail. Plusieurs des produits de l’Opposante sont parfumés aux arômes de fruits. À ce sujet je me réfère aux photographies d’échantillons de produits, pièce JH-5 à l’affidavit de M. Hurteau. Des exemplaires de factures provenant de différentes boutiques FRUITS & PASSION opérées ou contrôlées par l’Opposante ont été produites sous la cote JH-4. On y retrouve une facture illustrant la vente de produits alimentaires tels que miel et compote de fruits. La pièce JH-6 est composée de photographies de produits alimentaires portant les marques L’ART DE LA TABLE et FRUITS & PASSION.

 

Depuis 1996 l’Opposante dépense un minimum de $350,000 pour promouvoir ses produits sous la marque FRUITS ET PASSION et en 2003 ce chiffre dépassait les $2 millions. La pièce JH-7 est un exemplaire de publicité utilisée à la fin des années 1990.

 

Les pièces JH-8 et JH-9 sont des brochures utilisées en 2003 et 2004 où on y retrouve des illustrations de produits alimentaires. M. Hurteau a également produit des extraits de publicités et d’articles parues dans des journaux ou magazines sauf que nous n’avons aucune information sur la circulation de ces publications au Canada. Je n’accorderai donc pas beaucoup d’importance à ces éléments de preuve.

 

La déclaration solennelle du Requérant ne contient aucun élément de preuve matérielle pouvant soutenir son allégation d’emploi de la Marque depuis juillet 1994 en liaison avec les Services. Il n’y a aucune preuve d’emploi de la Marque en liaison avec les Services au sens de l’article 4(2) de la loi autre qu’une photographie prise le 29 mai 2005 par Mme Iskandar d’une enseigne extérieure portant la Marque. Je tiens à rappeler que la production de documents corporatifs ne peut constituer en soi une preuve d’emploi de la Marque en liaison avec les Services au sens de l’article 4(2) de la loi. [Voir Pharmx Rexall Drug Stores Inc. v. Vitabrin Investments Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 108 (C.O.M.C.) et Tension 10 Inc. v. Tension Clothing Inc. (2005) 45 C.P.R. (4th) 136 (C.O.M.C.)]

 

À la lumière de la preuve versée au dossier je considère que la marque de commerce vocable FRUITS & PASSION de l’Opposante est connue au Canada en liaison avec des produits pour soins corporels, de beauté et de toilette et l’exploitation de magasins offrant pour la vente de tels produits. Ce facteur favorise l’Opposante.

 

b)      la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage

 

Tel que mentionné précédemment je n’ai aucune preuve admissible d’usage de la Marque antérieure au 29 mai 2005. Toutefois la demande d’enregistrement fait état d’un emploi depuis juillet 1994 alors que le certificat d’enregistrement TMA412083 fait référence à un usage de la marque vocable FRUITS & PASSION depuis octobre 1995 en liaison avec les services ci-haut énumérés et depuis décembre 1992 en liaison avec les marchandises suivantes : bains moussants, huiles de bain, savons, shampooings, eaux de toilette, crèmes et laits pour le corps, et huiles essentielles. La preuve de l’Opposante démontre l’emploi de sa marque de commerce FRUITS ET PASSION depuis au moins novembre 1995 (voir factures produites sous JH-4) en liaison avec les services de vente de produits alimentaires (compote de fruits et miel), de produits de soins corporels, de beauté et de toilettes à base de fruits. Il y a absence de preuve d’emploi de la Marque par le Requérant depuis la date alléguée dans sa demande d’enregistrement. Je ne peux conclure que la Marque a été employée au Canada depuis juillet 1994 au sens de l’article 4(2) de la loi. Ce facteur favorise donc l’Opposante.

 

c)       le genre de marchandises, services ou entreprises; et d) la nature du commerce;

 

Le Requérant plaide que les marchandises et services offerts par les parties en présence sont totalement différents de telle sorte qu’il ne pourrait y avoir de risque de confusion chez le consommateur moyen ayant une connaissance imparfaite des marques de commerce de l’Opposante. Le Requérant fait référence à la preuve volumineuse produite par l’Opposante démontrant l’usage de ses marques de commerce FRUITS & PASSION et FRUITS & PASSION et graphisme en liaison avec des produits de soins corporels, de beauté et de toilette alors que la Marque est employée en liaison avec des services de vente de fruits et de légumes. Il est bon de rappeler que l’analyse des critères énumérés à l’article 6(5), dans le cadre du motif d’opposition fondé sur l’article 12(1) (d) de la loi, consiste à comparer la nature des marchandises et services décrits aux certificats d’enregistrement des marques déposées de l’Opposante avec la description des services contenue dans la présente demande d’enregistrement. On ne doit pas se limiter à l’usage fait par l’Opposante de sa marque de commerce. [Voir Sears Canada c. K.C. Masterpiece Products Inc. (1990), 33 C.P.R. (3d) 489] Or il est clair que le certificat d’enregistrement TMA412083 pour la marque de commerce FRUITS & PASSION de l’Opposante couvre les services de vente de produits alimentaires. Il y a donc chevauchement dans le genre de services et la nature des commerces décrits dans la présente demande d’enregistrement et au certificat d’enregistrement TMA412083 de l’Opposante. Ces facteurs favorisent également l’Opposante.

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce

 

Le degré de ressemblance entre les marques en présence a maintes fois été considéré comme étant un des facteurs les plus importants à considérer lors de l’analyse du risque de confusion qu’il peut y avoir entre deux marques de commerce. [Voir Beverly Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstery Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145, conf. 60 C.P.R. (2d) 70].

 

Le Requérant plaide que les marques en présence, bien que composées des mêmes mots, ont des significations différentes en raison de l’inversion de ces mots. Je suis prêt à concéder au Requérant que pour un francophone les expressions « passion des fruits » et « fruits et passion » ont des significations différentes. Toutefois comme le soulignait la cour d’appel fédérale dans Smithkline Beecham Corporation c. Pierre Fabre Médicament (2001), 11 C.P.R. (4th) 1 le risque de confusion doit s’analyser en considérant les deux langues officielles. S’il y a risque de confusion chez un consommateur anglophone qui n’a aucune connaissance de la langue de Molière, ce facteur favoriserait l’Opposante. Or visuellement et phonétiquement pour un unilingue anglophone les marques se ressemblent.

 

Le Requérant a plaidé que le logo et la typographie utilisés par les parties faisaient en sorte qu’il ne pouvait y avoir de risque de confusion. Or la Marque ne comporte pas de dessin ou de typographie particulière. Je dois déterminer si la Marque, et non celle apparaissant sur la photographie de l’enseigne extérieure, risque de porter à confusion avec la marque de commerce vocable FRUITS & PASION.

 

Je conclus que ce facteur favorise également l’Opposante.

 

Le Requérant ne s’est donc pas déchargé de prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y a pas de risque de confusion entre la Marque et la marque de commerce déposée FRUITS & PASSION de l’Opposante. Le certificat d’enregistrement TMA412083 couvre des services de vente de produits alimentaires. De plus la Marque est composée des mots formant la marque de commerce vocable de l’Opposante; donc il existe une ressemblance entre la Marque et celle de l’Opposante. Pour ces raisons, j’accueille le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(d) de l’Opposante.

 

VI Les autres motifs d’opposition

 

a)      motif fondé sur l’article 12(1)(b) de la loi

 

Il n’y a eu aucune preuve de produite au dossier par l’Opposante pour supporter un tel motif d’opposition. D’ailleurs l’Opposante n’a présenté aucun argument pour conclure au bien fondé de ce motif d’opposition. Puisque l’Opposante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve initial je rejette ce motif d’opposition.

 

b)      motifs fondés sur l’article 16(1) de la loi

 

Je n’ai aucune preuve de l’emploi de la marque de commerce FRUITS & PASSION, en liaison avec les services de vente de produits alimentaires, antérieur à la date de premier emploi de la Marque alléguée dans la demande d’enregistrement du Requérant. Même si l’Opposante avait démontré l’emploi antérieur de sa marque, au sens de l’article 4(1) de la loi, en liaison avec des produits de soins corporels, de beauté et de toilette, j’arriverais à la conclusion que la différence entre ces produits et la nature des Services ferait en sorte qu’il n’y aurait pas de risque de confusion entre la Marque et celle de l’Opposante.

 

Quant au motif fondé sur l’alinéa 16(1)(b) de la loi, la demande portant le numéro 692122, qui a résulté au certificat d’enregistrement TMA412083, n’était plus pendante au moment de la publication de la présente demande d’enregistrement (alinéa 16(4) de la loi). Finalement pour ce qui est de l’alinéa 16(1)(c) de la loi, l’Opposante a fait défaut de présenter une preuve de l’emploi des noms commerciaux décrits précédemment.

 

Pour toutes ces raisons, je rejette également ces motifs d’opposition.

 

c)      Motifs d’opposition sous l’article 30 de la loi

 

La preuve documentaire sur les différentes entités juridiques ci-haut décrites démontre que le Requérant était l’unique actionnaire et administrateur de la plupart de ces entités juridiques. Cette preuve laisse présumer un certain degré de contrôle au sens de l’alinéa 50(1) de la loi de la part du Requérant sur l’usage de la Marque par ces entités. [Voir Lindy c. Canada (Registrar of Trade Marks) 1999 CarswellNat 652 et Smart & Biggar c. Powers (2001), 16 C.P.R. (4th) 276]. La seule entité qui ne semblait pas être contrôlée par le Requérant est Fruiterie Muscat Inc. Or elle a produit une déclaration modificative pour confirmer qu’elle n’employait pas la Marque. Je rejette donc le motif d’opposition décrit ci-haut au sous-paragraphe 1b).

 

Quant au motif décrit au sous-paragraphe 1a), le fardeau de preuve initial repose sur l’Opposante. Elle n’a pas apporté suffisamment d’éléments de preuve pour se décharger de ce fardeau initial. Il est vrai que le Requérant n’a apporté aucun élément de preuve pouvant satisfaire les critères d’emploi d’une marque de commerce tels que définis à l’alinéa 4(2) de la loi, mais il n’avait pas à le faire dans les circonstances. Je rejette donc également ce motif d’opposition.

 

Finalement l’Opposante plaide la fausseté de la déclaration du Requérant que l’on retrouve dans sa demande d’enregistrement à l’effet qu’il se dit convaincu d’avoir droit à l’emploi de la Marque au Canada au motif de la connaissance des marques de l’Opposante. Même si le Requérant avait connaissance des marques de l’Opposante au moment du dépôt de la présente demande d’enregistrement, il pouvait toujours prétendre en toute bonne foi avoir droit à l’emploi de la Marque au Canada en liaison avec les Services. Il est bon de se rappeler qu’un motif d’opposition basé sur l’alinéa 30(i) de la loi ne sera maintenu que dans des cas exceptionnels tels que dans les cas de mauvaise foi ou fraude de la part du Requérant. [Voir Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol Myers Co. (1974) 15 C.P.R. (2d) 152]

 

d)     perte du caractère distinctif de la Marque

 

Ce motif s’apprécie à la date de production de la déclaration d’opposition. Il est fondé sur les mêmes faits décrits au paragraphe précédent, à savoir l’emploi de la Marque par des entités autres que le Requérant en dehors du cadre de l’article 50 de la loi de sorte que la Marque aurait perdu son caractère distinctif. Pour les mêmes motifs que ceux détaillés au paragraphe précédent je rejette également ce motif d’opposition.

 

VII Conclusion

 

La Requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver, selon la prépondérance de la preuve, que la Marque est enregistrable au sens de l’article 12(1)(d) de la loi et ne risque pas de causer de la confusion avec la marque de commerce déposée de l’Opposante FRUITS & PASSION. J’arrive à cette conclusion suite à l’analyse des circonstances pertinentes détaillées ci-haut sous ce motif d’opposition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En raison des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la loi, je repousse la demande d’enregistrement de la Requérante pour la Marque en liaison avec les Services, le tout selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

 

DATÉ À BOUCHERVILLE, QUÉBEC, CE 6 JUIN 2007

 

Jean Carrière,

Membre de la commission des oppositions des marques de commerce

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