Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT UNE OPPOSITION de Crossworld Software, Inc. à la demande no 1,080,518 produite par Crossworlds Software, Inc. (désormais au nom de International Business Machines Corporation) en vue de l’enregistrement de la marque de commerce CROSSWORLDS

 

 

Le 27 octobre 2000, Crossworlds Software, Inc., société du Delaware, a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce CROSSWORLDS, qu’elle projetait d’employer en liaison avec les services suivants :

Services de consultation, essais de conceptions, services de recherches et de conseils, ayant tous trait à la programmation informatique; services de dessin de conception technique assistés par ordinateur; impression lithographique; programmation informatique; analyse de systèmes informatiques; partage de temps d’ordinateur; recherche et développement de matériel informatique et de logiciels; services technologiques ayant trait aux ordinateurs; location et crédit-bail d’ordinateurs et crédit-bail de temps d’accès à une base de données informatiques; location d’ordinateur et mise à niveau de logiciels; conception de logiciels; location à bail de bases de données informatisées.

 

En janvier 2002, la demande a été cédée à la International Business Machines Corporation (la requérante).

 

La demande a été publiée, aux fins d’opposition, dans le Journal des marques de commerce du 11 septembre 2002. Le 5 novembre 2002, une entreprise québécoise, Crossworld Software, Inc. (l’opposante), a produit une déclaration d’opposition fondée sur les alinéas 38(2)a), b), c) et d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13 (la Loi). La requérante a déposé et signifié une contre‑déclaration dans laquelle elle réfute les allégations de l’opposante et nie avoir eu connaissance des intentions et des activités de la requérante initiale.

 

En tant que preuve prévue à l’article 41 du Règlement, l’opposante a soumis les affidavits de Philip Azimov (président de l’opposante) et de Manon Goudreau (recherchiste en marques de commerce), plus une copie certifiée conforme de l’enregistrement no LMC453,566.

 

Conformément à l’article 44 du Règlement, l’opposante a également produit une copie certifiée conforme du dossier de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada concernant la demande en question, ainsi qu’un deuxième affidavit de M. Azimov.

 

La requérante a, conformément à l’article 42 du Règlement, soumis comme preuve les affidavits de John Mesberg (cadre de la société requérante) et de Martha Murphy (bibliothécaire employée par une entreprise liée à la requérante), deux affidavits de Mary Fox (administratrice de brevets et de marques de commerce employée par une entreprise liée à la requérante) et des copies certifiées conformes des documents suivants :

         la cession des demandes de marque de commerce canadienne nos 874,389, 1,080,518 et 1,069,220;

         la demande canadienne no 1,080,518;

         l’enregistrement canadien no LMC568,553;

         l’historique de la demande no 1,080,518;

         l’historique de la demande no 773,831 (aboutissant à l’enregistrement du no LMC453,566);

         l’enregistrement de la marque de commerce (É.‑U.) no 2,110,252;

         l’enregistrement de la marque de commerce (É.‑U.) no 2,375,703;

         l’enregistrement de la marque de commerce (É.‑U.) no 2,612,095;

         l’enregistrement de la marque de commerce (É.‑U.) no 2,423,654.

 

À titre de contre‑preuve, l’opposante a produit un certificat de conformité et un certificat d’existence délivrés par Industrie Canada et attestant l’existence de la compagnie Crossworld Software Inc. (c.‑à‑d. l’opposante) depuis le 7 juillet 2004.

 

Seule la requérante a déposé des observations écrites. Les parties n’ont pas demandé la tenue d’une audience.

 

La charge de la preuve

C’est à la requérante qu’il appartient d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences fixées par la Loi. Mais il appartient initialement à l’opposante de produire des preuves admissibles qui permettent raisonnablement de conclure que les faits qu’elle avance à l’appui de chacun des motifs d’opposition qu’elle invoque correspondent bien à la réalité. [Voir John Labatt Limited c. Molson Companies Limited, 30 C.P.R. (3d) 293, page 298; Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.).]

 

Les dates pertinentes

Tous les motifs d’opposition invoqués reposent sur la question de la probabilité de confusion mais, pour chacun de ces motifs, la question doit être, sur ce point, évaluée à une date différente. La date à retenir en ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)a) est la date de production de la demande. [Voir Georgia‑Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd., 3 C.P.R. (3d) 469, page 475.] La date à retenir en ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)b), c’est‑à‑dire la question de l’enregistrabilité de la demande, est la date de ma décision. [Voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et le registraire des marques de commerce, 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.).] La date à retenir pour ce qui est du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)c), c’est‑à‑dire la question de la personne ayant droit à l’enregistrement, est la date de production de la demande. [Voir le paragraphe 16(3).] Pour ce qui est du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)d), la date pertinente est généralement la date de production de la déclaration d’opposition. [Voir Metro‑Goldwyn‑Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst), page 324.]

 

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)a)

Ce motif est formulé en partie en ces termes :

[traduction]

[...] la demande en cause ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi étant donné que :

a.         à la date à laquelle a été produite sa demande, la requérante employait déjà la marque au Canada, en tout ou en partie [...]

 

Suit une énumération d’affaires dans lesquelles le registraire des marques de commerce a repoussé une demande d’enregistrement fondée sur l’emploi projeté d’une marque au vu de preuves attestant que la marque de commerce était en fait déjà employée avant la date de dépôt. [Voir Nabisco Brands Ltd. c. Cuda Consolidated Inc. (1997), 81 C.P.R. (3d) 537 (COMC), page 540.]

 

Dans l’affaire Nabisco, le président de la Commission a écrit, au paragraphe 4 de sa décision :

[traduction]   [...] il appartient à la requérante de démontrer que sa demande satisfait aux exigences de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce. La preuve doit porter à la fois sur la question de savoir si la requérante a bien déposé une demande conforme aux exigences de l’article 30 et si les indications données dans la demande sont exactes. Dans la mesure où l’opposante allègue certains faits à l’appui du motif d’opposition fondé sur l’article 30, il lui appartient initialement de démontrer le bien‑fondé de ses allégations [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 (COMC), pages 329 et 330]. Pour démontrer, comme il lui appartient de le faire, le bien‑fondé des motifs d’opposition qu’elle invoque au titre de l’article 30, l’opposante peut faire appel aux preuves produites par la requérante.

 

En l’espèce, ainsi qu’il en était dans l’affaire Nabisco, l’opposante n’a produit aucune preuve confirmant que, comme elle le prétend, la marque visée par la demande d’enregistrement avait été employée au Canada avant la date de production de la demande dans laquelle est exposé l’emploi qu’il et projeté de faire de cette marque, c’est‑à‑dire le 27 octobre 2000. Mais la preuve produite par la requérante semble établir cela clairement. Aux paragraphes 7 et 8 de son affidavit, M. Mesberg, employé de la requérante initiale, Crossworlds Software Inc., de 1998 à 2002 (lorsque la marque fut cédée à son propriétaire actuel) et par la suite employé de la requérante, déclare ce qui suit :

[traduction]

7.         Dans les services qu’elles assurent à leur clientèle, tant aux États‑Unis qu’au Canada, Crossworlds Software Inc. et International Business Machines Corporation ont depuis des années recours aux logiciels et aux services Crossworlds. La pièce A comprend une copie de certaines parties d’un contrat d’utilisation de logiciels et de conseil en informatique, en date du 4 août 1999, les annexes à ce contrat et un ordre d’achat, tous portant sur des services et des logiciels Crossworlds. Certaines des pages ont été caviardées afin que soient masqués des renseignements confidentiels ne devant pas être rendus publics.

 

8.         La pièce A donne un exemple de la teneur de contrats couramment signés par Crossworlds Software Inc. avec sa clientèle et prévoyant la fourniture de services et de logiciels Crossworlds tant au Canada qu’aux États‑Unis.

 

Le contrat d’utilisation de logiciels et de conseil en informatique en date du 4 août 1999 a été conclu entre Crossworlds Software Inc. et une entreprise ontarienne. Aux termes de ce contrat, la rémunération prévue est scindée en deux avec, d’une part, les frais d’utilisation de logiciels et, d’autre part, les frais de services, ceux‑ci comprenant une rémunération horaire pour le [traduction] « consultant CrossWorlds  en applications » et le [traduction] « consultant/gestionnaire CrossWorlds  pour les questions techniques ». Selon le contrat, la rémunération prévue au titre de ces services comprend le conseil en informatique, les services en matière de planification et de programmation du développement, ainsi que la gamme complète de services de mise en oeuvre. Il était prévu que ces services débuteraient le 3 août 1999, leur date d’achèvement étant le 31 décembre de la même année. Le contrat prévoyait en outre une rémunération annuelle au titre du soutien technique. Je relève également que, bien qu’il soit fortement caviardé, l’ordre d’achat faisant partie de la pièce A porte la date du 27 octobre 1999.

 

J’estime qu’en produisant ces divers éléments, l’opposante s’est acquittée de la preuve initiale qui lui incombait en ce qui concerne l’alinéa 30e). La requérante n’ayant soumis aucune contre‑preuve sur ce point, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)a) est accueilli, puisque la requérante initiale, Crossworlds Software, Inc., à la date à laquelle elle a produit la demande d’emploi projeté, employait déjà cette marque au Canada en liaison avec ses services.

 

La requérante a développé, aux pages 15 et 16 de ses observations écrites, certains arguments sur ce que le témoignage de M. Mesberg entraîne pour ce motif d’opposition :

[traduction] Le contrat joint à l’affidavit de John Mesberg, auquel celui‑ci renvoie, est un exemple d’un contrat de services et d’utilisation de logiciels conclu avec la clientèle, au Canada et aux États‑Unis. Aux termes mêmes du contrat, celui‑ci est régi par les lois de l’État de New York (New York) et doit être interprété en vertu de ces mêmes lois. Comme l’indique la page 2 du contrat annexé à la pièce A, ce contrat s’applique au « territoire » qui, aux termes mêmes de l’accord, consiste en une liste des nombreux pays où le client fait affaire. Le contrat est un document entrant dans le cadre des communications privées entre les parties. Le contrat montre très nettement que les parties n’y voyaient aucunement un moyen de faire connaître, par la requérante ou son prédécesseur en titre, au Canada ou dans tout autre pays, la marque CROSSWORLDS.

[...]

En ce qui concerne l’affidavit de John Mesberg et la pièce qui y est jointe, c’est‑à‑dire le contrat caviardé en date du 4 août 1999, la pièce correspond aux contrats pouvant être conclus, tant au Canada qu’aux États‑Unis, avec les clients à qui l’on entend fournir des services et des logiciels CROSSWORLDS.

 

Je ne suis guère convaincue par ces arguments. D’abord, le contrat est revêtu de la signature d’un représentant autorisée de la requérante initiale, et la signature de la compagnie ontarienne semble avoir été caviardée. Il ne s’agit donc pas simplement d’un contrat « pouvant » être conclu. Deuxièmement, je ne vois nullement indiqué, dans la pièce A, le droit régissant ce contrat (ni aucune indication non plus du lieu de sa signature). Troisièmement, bien que la page 2 dise effectivement qu’on entend par « territoire » tous les pays énumérés à l’annexe F, cette annexe F (ou autre texte explicatif) n’a pas été fournie. Quatrièmement, rien n’indique qu’il ne s’agit pas d’une transaction entre parties n’ayant aucun lien de dépendance, et le fait que la marque CROSSWORLDS figure dans ce contrat, ainsi que sur la facture, constitue effectivement l’« emploi » de la marque de commerce en liaison avec les services. Je relève, enfin, qu’il ressort clairement de la preuve que, pour assurer ses services, la requérante devait se rendre dans les locaux du client. Étant donné que, selon le contrat, ces locaux se trouvent en Ontario, il n’y a aucune raison de supposer que les services n’ont pas été assurés dans ces locaux et selon le calendrier prévu dans le contrat.

 

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)c)

Le motif d’opposition invoqué au titre de l’alinéa 38(2)c) est formulé, en partie, en ces termes :

[traduction] [...] la requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement étant donné que :

 

a.                   à la date de production de la demande faisant l’objet de l’opposition et à toute date pertinente, la marque créait de la confusion avec une marque de commerce employée antérieurement au Canada ou révélée par l’opposante au Canada (ou, dans son intérêt, par une entreprise licenciée) ou par ses prédécesseurs en titre, au sujet desquels sont fournies les précisions suivantes :

 

a.1       CROSSWORLD en liaison avec des logiciels informatiques et les services connexes, y compris le conseil en informatique;

 

par conséquent, la demande faisant l’objet de l’opposition devrait être repoussée en vertu des alinéas 38(2)c) et 16(3)a) de la Loi;

 

b.                  à la date de production de la demande faisant l’objet de l’opposition et à toute date pertinente, la marque créait de la confusion avec un nom commercial qui avait été employé antérieurement au Canada par l’opposante ou par ses prédécesseurs en titre, au sujet duquel sont fournies les précisions suivantes :

 

b.1       CROSSWORLD SOFTWARE, INC.;

b.2       CROSSWORLD SOFTWARE;

b.3       LOGICIEL CROSSWORLD INC.;

b.4       LOGICIEL CROSSWORLD.

 

en liaison avec des logiciels informatiques et les services connexes, y compris le conseil en informatique;

 

par conséquent, la demande faisant l’objet de l’opposition devrait être repoussée au titre des alinéas 38(2)c) et 16(3)c) de la Loi.

 

Pour apporter la preuve qui lui incombe à l’égard de cet argument, l’opposante doit établir que sa marque de commerce ou son nom commercial était employé ou a été révélé au Canada avant le 27 octobre 2000 en liaison avec les logiciels informatiques et les services connexes, et que cet emploi ou cette révélation de la marque n’était pas abandonné au 11 septembre 2002. [Voir les paragraphes 16(5) et 17(1) de la Loi.] L’emploi de la marque par l’opposante doit avoir été à la fois continu et effectué dans le cadre de son activité commerciale ordinaire. [Voir Redsand Inc. c. Dylex Ltd. (1997), 74 C.P.R. (3d) 373 (C.F. 1re inst.), page 384.]

 

Je vais maintenant résumer les parties de la preuve produite par l’opposante concernant son emploi de la marque CROSSWORLD avant les deux dates pertinentes susmentionnées :

  • L’opposante est spécialisée dans le développement, la vente et la distribution de logiciels personnalisés. Elle assure à ses clients, pour l’utilisation de logiciels, un soutien technique continu. M. Azimov affirme que la marque CROSSWORLD est employée au Canada depuis au moins 1994. La marque a été enregistrée le 2 février 1996 en liaison notamment avec des logiciels informatiques, l’entreprise ayant pu justifier de son emploi de la marque au Canada depuis au moins le 24 mai 1994. [Voir les paragraphes 5 à 7 de l’affidavit Azimov (no 1) ainsi que la copie certifiée conforme de l’enregistrement no LMC453,566.]
  • En 1996‑1997, l’opposante a conçu, à l’intention d’un client aux États‑Unis, un logiciel personnalisé pour les dossiers médicaux et la facturation. Ce logiciel a été conçu dans les locaux montréalais de l’opposante, et un représentant du client s’y est rendu afin d’examiner le logiciel au cours de son développement. La marque CROSSWORLD figure sur les premiers instantanés représentant ce logiciel, et la marque de commerce Crossworld Software, Inc. figure sur la facture envoyée au client le 1er mars 1997. Des factures ont été par la suite envoyées au titre du soutien technique. [Voir les paragraphes 20 à 24 et les pièces PA‑3 et PA‑4 de l’affidavit Azimov (no 1).]
  • [traduction] « Dans les premiers mois de 1997, l’opposante a conçu, sous la marque CROSSWORLD, une version Windows 95 d’un logiciel de mots croisés, de jeux de lettres et de vocabulaire casse‑tête. » L’opposante n’ayant pas les moyens d’exploiter elle‑même les droits de copie et de distribution de ce logiciel sous sa marque de commerce CROSSWORLD, elle céda ses droits à Gametek Inc., un fabricant qui a assuré la reproduction et la distribution des logiciels CROSSWORLD aux détaillants en vue de la revente. Gametek Inc. a assuré aux détaillants la distribution des logiciels CROSSWORLD au Canada et aux États‑Unis [traduction] « depuis au moins décembre 1997 ». M. Azimov a produit un exemplaire de l’emballage utilisé. [Voir les paragraphes 9 à 15 et la pièce PA‑1 de l’affidavit Azimov (no 1).] La marque de commerce CROSSWORLD figure sur l’emballage.
  • Une autre entreprise, Softkey Multimedia Inc., a reproduit et distribué le logiciel CROSSWORLD aux détaillants au Canada [traduction] « au cours de l’année 1998 ». L’emballage utilisé a été produit sous la cote PA‑2. La marque de commerce CROSSWORLD figure sur l’emballage. M. Azimov n’a pas pu citer de chiffres concernant la distribution du logiciel en question mais, en 1998, il s’était lui‑même procuré, dans un commerce de détail de Montréal, une copie de ce logiciel. [Voir les paragraphes 16 à 18 de l’affidavit Azimov (no 1).] Au Canada, la distribution du logiciel de casse‑tête CROSSWORLD a pris fin en 1999. [Paragraphe 19 de l’affidavit Azimov (no 1).]
  • En 2002, l’opposante a conçu pour un client de Montréal un logiciel de base de données sur les ventes. La marque de commerce CROSSWORLD figure sur les premiers instantanés correspondant à ce logiciel, et les noms commerciaux Crossworld Software et Crossworld Software Inc. figurent sur les factures envoyées au client les 18 septembre 2002, 12 décembre 2002 et 14 décembre 2002. [Voir les paragraphes 25 à 28 et les pièces PA‑5 et PA‑6 de l’affidavit Azimov (no 1).]

 

Au paragraphe 29 de son affidavit, M. Azimov déclare :

[traduction] Même si l’on considère comme modestes les activités menées par l’opposante, Crossworld Software, Inc. a employé de façon continue sa marque de commerce CROSSWORLD avant même l’année 2000 et jusqu’à aujourd’hui [11 juillet 2003] : non seulement l’opposante conçoit‑elle des logiciels pour ses clients, mais elle assure en outre certains services tels que le service après vente, c’est‑à‑dire le soutien technique dont ont besoin les clients utilisant le logiciel conçu par l’opposante. Afin d’illustrer les services assurés par l’opposante, j’ai déposé à titre de pièce PA‑7 jointe à mon affidavit, la copie d’une facture envoyée en 1995 à un des clients de l’opposante à Saint‑Laurent (Montréal). [Le nom commercial Crossworld Software Inc. figure sur cette facture.]

           

Compte tenu de la déposition de M. Azimov, j’estime que l’opposante s’est acquittée de la preuve initiale qui lui incombait quant à son motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)c), pour ce qui est du nom commercial Crossworld Software, Inc., ainsi qu’au motif d’opposition qu’elle fonde sur l’alinéa 16(3)a) (en ce qui concerne ce dernier motif, je me suis fondée sur les ventes qui ont eu lieu en 1998 et 2002).

 

Je relève que les observations écrites de la requérante reposent sur les affidavits de Mme Fox pour étayer son argument voulant que les noms commerciaux de l’opposante n’ont pas été employés et n’ont acquis aucune notoriété. Mme Fox a effectué trois recherches, au terme desquelles elle n’est pas parvenue à trouver les noms commerciaux de l’opposante : une recherche dans la base de données de Dun and Bradstreet, répertoire des entreprises exerçant leurs activités au Canada, une recherche dans les numéros de téléphone d’entreprises figurant dans la base de données CANADA411; une recherche dans la base de données OnCorp Direct, qui répertorie les entreprises exerçant leurs activités en Ontario. (Elle a également versé au dossier des preuves par ouï‑dire voulant qu’on lui ait dit que le nom de l’opposante a été radié du registre des entreprises du Québec le 10 mai 2002. De telles preuves ne sont pas admissibles mais, en tout état de cause, la preuve produite par l’opposante au titre de l’article 44 du Règlement a permis d’établir qu’elle existait encore en 2004.)

 

La déposition de Mme Fox n’empêche aucunement l’opposante d’apporter la preuve initiale lui incombant en vertu de l’article 16, étant donné essentiellement que la déposition de Mme Fox est ultérieure aux dates pertinentes en l’espèce.

 

Estimant que l’opposante s’est acquittée de la preuve initiale lui incombant, il y a lieu maintenant d’évaluer la probabilité de confusion. Je considère que le motif invoqué par l’opposante au titre de l’alinéa 16(3)c) est plus probant que celui qu’elle invoque au titre de l’alinéa 16(3)a), et c’est donc celui‑là que je vais examiner.

 

En matière de confusion, le critère à retenir est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Aux termes du paragraphe 6(3) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec nom commercial lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale. Dans l’application de ce critère, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris les circonstances énumérées précisément au paragraphe 6(5) de la Loi, c’est‑à‑dire : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

Dans l’arrêt Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Association et al. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51 (C.A.F.), pages 58 et 59, le juge Malone, au paragraphe 18 de ses motifs, résume les principes sur lesquels il convient de se fonder pour évaluer la probabilité de confusion :

 

L’examen de certains arrêts‑clés fournit également des principes directeurs pratiques. Par exemple, la Cour doit se mettre à la place d’une personne ordinaire qui est familière avec la marque antérieure mais qui n’en a qu’un vague souvenir; la question à se poser est de savoir si un consommateur ordinaire, au vu de la marque postérieure, aura comme première impression que les marchandises avec lesquelles la seconde marque est employée sont en quelque façon associées à celles de la marque antérieure. S’agissant du degré de ressemblance dans la présentation, le son ou l’idée dont il est question à l’alinéa 6(5)e), les marques de commerce en cause doivent être examinées comme un tout. De la même façon, puisque c’est la combinaison des éléments qui constitue la marque de commerce et lui confère son caractère distinctif, il n’est pas correct, pour l’application du critère de la confusion, de placer les marques l’une en regard de l’autre et de comparer ou observer les ressemblances ou les différences des éléments ou des composantes de ces marques. En outre, les marques de commerce ne doivent pas être considérées séparément des marchandises ou services avec lesquels elles sont associées, mais en liaison avec ces marchandises ou services. Quand il s’agit de marques célèbres ou notoirement connues, il peut être plus difficile d’établir qu’il n’y a pas de probabilité de confusion, particulièrement quand le genre des marchandises est similaire. En dernier lieu, les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne doivent pas nécessairement se voir attribuer le même poids. Chaque cas de confusion peut justifier qu’on accorde plus d’importance à l’un de ces critères.

 

Le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce ou du nom commercial

La marque CROSSWORLDS, de la requérante, et le nom commercial Crossworld Software, Inc., de l’opposante, ont tous deux un caractère distinctif inhérent comparable.

 

La mesure dans laquelle la marque de commerce et le nom commercial sont devenus connus

La demande ayant été déposée au titre de l’emploi projeté, l’on peut supposer que la marque de la requérante n’était pas vraiment connue à la date de dépôt de la demande. Comme nous l’avons vu plus haut, certains éléments de preuve indiquent que la requérante initiale avait employé la marque au Canada avant la production de sa demande. Si tant est que je puisse tenir compte de ces preuves pour justifier ce motif d’opposition, je serais portée à conclure que la marque de la requérante était, dans une certaine mesure, devenue connue au Canada au moment où la demande a été produite au titre de l’emploi projeté mais, étant donné que, selon la preuve produite, une seule vente a été enregistrée, la notoriété qu’aurait pu acquérir la marque jusque‑là semble plutôt limitée. J’ajoute que même si la requérante a produit de nombreux autres éléments de preuve sous forme d’articles publiés sur Internet, articles [traduction] « où l’on trouve mentionnées IBM et Crossworlds Software », je n’ai accordé que peu de poids à ces preuves, essentiellement parce que rien n’indique que les articles aient été diffusés au Canada. Je relève, en outre, qu’environ un tiers de ces articles sont ultérieurs à la date pertinente et qu’ils ne sont bien sûr pas admissibles en tant que preuve de l’exactitude de leur contenu. Je relève également que, à la page 16 de ses observations écrites, la requérante précise que [traduction] « Dans ces articles, CROSSWORLDS est essentiellement citée en tant que nom commercial et en liaison avec des logiciels, pas en liaison avec les services spécifiques visés par la requérante dans sa demande d’enregistrement de la marque de commerce CROSSWORLDS. »

 

La preuve ne permet guère de dire dans quelle mesure le nom commercial de l’opposante était connu, et je ne saurais conclure que sa réputation avait atteint une certaine ampleur.

 

La période pendant laquelle la marque de commerce et le nom commercial ont été en usage

Pour ce qui est du temps que la marque de commerce et le nom commercial en cause avaient été en usage à la date de production de la demande, il faut conclure en faveur de l’opposante.

 

Le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce

Les parties exploitent chacune une entreprise spécialisée en informatique.

 

Selon M. Azimov, l’opposante [traduction] « exploite une entreprise spécialisée dans le développement, la vente et la distribution de logiciels personnalisés; elle assure également à ses clients un soutien technique continu pour l’utilisation de ses logiciels. Il est établi que l’opposante vendait trois sortes de logiciels CROSSWORLD :

1.      un logiciel personnalisé pour les dossiers médicaux et la facturation;

2.      un logiciel qui crée des jeux de lettres, des mots croisés et des vocabulaires casse‑tête, et qui permet de pratiquer ces jeux;

3.      un logiciel pour les bases de données sur les ventes.

 

La demande en cause vise des services et non des marchandises, mais M. Mesberg a donné du « produit » CROSSWORLDS offert par la requérante, la description suivante :

[traduction] Les produits vendus par IBM sous la marque Crossworlds sont une suite de logiciels d’intégration des procédés commerciaux, exploités sous licence par les clients qui souhaitent à la fois unifier et étendre leurs procédés opérationnels. Ce logiciel permet notamment de rationaliser et d’améliorer les opérations internes et les relations commerciales, de réduire les dépenses en matière de technologie de l’information, d’accroître la productivité et d’améliorer la réactivité aux demandes de la clientèle. Le logiciel Crossworlds est un logiciel perfectionné de processus opérationnels dont la mise en oeuvre est normalement accompagnée tout au long par une activité de conseil, un soutien technique et de services de formation permettant au client d’en tirer pleinement parti.

 

Ainsi que nous l’avons vu plus haut, M. Mesberg a versé au dossier certaines parties d’un contrat de licence et de services en matière de logiciel, conclu le 4 août 1999 entre la requérante initiale et une compagnie ontarienne. Ce contrat calcule séparément le prix du logiciel et la rémunération des services. La rémunération des services concerne l’activité conseil en informatique et les services de programmation et de planification du développement. Elle est calculée selon un tarif horaire pour les services d’un [traduction] « consultant CrossWorlds en applications informatiques » et d’un [traduction] « consultant/gestionnaire CrossWorlds pour les questions techniques ». Le contrat prévoit en outre une rémunération annuelle au titre du soutien technique. Le « logiciel » visé par la licence comprend, selon la définition qui en est donnée dans le contrat, tout logiciel de la requérante énuméré dans l’annexe au contrat. Je ne sais pas très bien de quels produits il s’agit, mais je suppose qu’ils appartiennent à la catégorie définie ci‑dessus.

 

Le degré de ressemblance entre la marque de commerce et le nom commercial dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent

Il existe entre CROSSWORLDS et Crossworld Software, Inc. une très forte ressemblance. Il est possible que CROSSWORLD soit une sorte de jeu de mots qui, par rapport au logiciel ludique créé par l’opposante, évoque le mot anglais pour mots croisés, mais je ne vois pas très bien l’idée que cette marque pourrait suggérer par rapport à l’activité commerciale aux services ou autre logiciel de l’opposante, ou par rapport aux services de la requérante. Dans ses observations écrites, la requérante fait cependant valoir que CROSSWORLDS [traduction] « évoque l’intégration et la réunion de systèmes informatiques disparates, possiblement liés à Internet, afin d’aboutir à un système opérationnel unique capable de fonctionner à l’échelle mondiale »,

 

Autres circonstances de l’espèce

Au paragraphe 9 de son affidavit, M. Mesberg déclare ceci :

[traduction] Je n’ai eu connaissance d’aucun cas de confusion, que ce soit au Canada ou aux États‑Unis, entre le nom « Crossworlds », qu’IBM emploie sur ses marchandises et pour ses services, et toute autre utilisation d’un nom lui ressemblant figurant sur les marchandises et services d’un tiers, que ce tiers soit ou non l’opposante.

 

Cet argument n’avance cependant pas la cause de la requérante puisque rien ne permet d’affirmer que c’est à M. Mesberg qu’auraient été signalées d’éventuelles confusions. J’ajoute que M. Mesberg, en citant le nom d’IBM, évoque manifestement une période postérieure à la date qu’il nous faut retenir à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)c).

 

J’ajoute comme autre circonstance dont il convient de tenir compte, que la requérante, au cours de l’instruction de la demande en cause, a pu écarter l’obstacle que constituait l’enregistrement obtenu par l’opposante. Mais la décision de la Section de l’examen du Bureau des marques de commerce ne lie pas la Commission et n’a pas, pour celle‑ci, valeur de précédent. [traduction] « La Commission n’est pas en mesure d’expliquer les conclusions auxquelles est parvenue la Section de l’examen du Bureau des marques de commerce. Je précise que la Section de l’examen n’avait pas accès aux preuves que les parties produisent dans le cadre d’une procédure d’opposition : voir les décisions rendues par la Commission dans les affaires Thomas J. Lipton Inc. c. Boyd Coffee Co. (1991), 40 C.P.R. (3d) 272 (COMC), page 277 et Procter & Gamble Inc. c. Morlee Corp. (1993), 48 C.P.R. (3d) 377 (COMC), page 386. » [Interdoc Corporation c. Xerox Corporation, décision non publiée de la Commission des oppositions des marques de commerce, en date du 25 novembre 1998 concernant la demande déposée sous le no 786,491.] Notons également que la preuve qui incombe au requérant, lors de l’examen de sa demande, n’est pas la même que celle qu’il aura à produire dans le cadre d’une procédure d’opposition.

 

La requérante fait également état des éléments qu’elle a produits afin de démontrer que les marques des parties sont toutes les deux inscrites au registre des marques de commerce des États‑Unis. Mais il se peut que l’enregistrement concomitant de marques dans un ressort étranger se justifie au regard de facteurs qui n’existent pas au Canada (facteurs tels que des différences quant aux règles de droit applicables ou l’enregistrement dans un État différent), et c’est pourquoi on ne peut guère donner de poids à la coexistence des marques sur le registre des marques de commerce d’un autre pays. [Voir Quantum Instruments, Inc. c. Elinca S.A., 60 C.P.R. (3d) 264 (COMC), pages 268 et 269.]

 

Conclusion concernant la probabilité de confusion

L’opposante n’a pu démontrer qu’un emploi antérieur limité de son nom commercial, et je dois donc conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait bien une probabilité raisonnable de confusion entre les services informatiques offerts par la requérante sous la marque CROSSWORLD et les activités informatiques menées par l’opposante dans le cadre de Crossworld Software, Inc. le 27 octobre 2000. Après tout, l’opposante bénéficie de l’antériorité dans l’emploi de la marque, celle‑ci et le nom commercial sont presque identiques, rien n’indique que le mot CROSSWORLD ait été couramment employé dans le domaine de l’informatique et, malgré les différences pouvant exister entre les services et marchandises informatiques des deux parties, il n’est pas clair que ces différences suffiraient à éviter toute confusion. Les deux parties semblent en définitif vendre, en liaison avec la marque/nom commercial CROSSWORLD(S), des logiciels et services de soutien destinés à aider les entreprises à améliorer leurs opérations.

 

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)c) est donc accueilli au vu de la partie de l’argumentation de l’opposante fondée sur l’alinéa 16(3)c).

 

Avant de poursuivre, je rappelle que la requérante a démontré que l’enregistrement de la marque CROSSWORLD, obtenu par l’opposante sous le no 453,566, a été modifié, par une décision en date du 17 juillet 2001 et en application de l’article 45, afin que soit supprimée de l’enregistrement l’activité de conseil en informatique. Le fait que l’opposante n’ait pas, dans le cadre des procédures engagées au titre de l’article 45, démontré son emploi de la marque en liaison avec de tels services, ne m’empêche aucunement de conclure, au vu des preuves produites dans le cadre de la présente procédure, qu’à la date pertinente, l’opposante employait sa marque de commerce/nom commercial.

 

Les autres motifs d’opposition

Ayant déjà donné gain de cause à l’opposante au regard de deux de ses motifs d’opposition, il n’y a pas lieu pour moi de me prononcer sur les autres motifs.

 

Décision

Conformément aux pouvoirs qui me sont délégués par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, la demande est repoussée en application du paragraphe 38(8).

 

 

 

 

 

FAIT À TORONTO (ONTARIO), CE 28e JOUR D’AOÛT 2006.

 

 

 

Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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