Contenu de la décision
TRADUCTION
Référence : 2010 COMC 34
PROCÉDURE PRÉVUE À L’ARTICLE 45
MARQUE DE COMMERCE : RELACOR
NO D’ENREGISTREMENT LMC585,370
[1] Le 19 octobre 2006, à la demande d’Oyen Wiggs Green & Mutala LLP (la Requérante), le registraire a envoyé l’avis prescrit par l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), à M. Mathias Rath (l’Inscrivant), propriétaire inscrit de l’enregistrement no 585,370 visant la marque de commerce RELACOR (la Marque), employée en liaison avec des suppléments nutritionnels et diététiques, nommément des vitamines, minéraux, amino-acides et éléments en traces (les Marchandises).
[2] L’article 45 vise à établir une procédure simple, sommaire et expéditive permettant de radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires en tant que marques de commerce en usage [Ridout & Maybee s.r.l. c. Omega SA (2004), 39 C.P.R. (4th) 261 (C.F.)].
[3] L’article 45 exige que le propriétaire inscrit de la marque de commerce indique si la marque a été employée au Canada en liaison avec chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l’enregistrement, à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis, en l’espèce entre le 19 octobre 2003 et le 19 octobre 2006 (la Période). Si la marque n’a pas été employée au cours de cette période, le propriétaire inscrit est tenu d’indiquer la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Le fardeau de preuve imposé au propriétaire inscrit par l’article 45 n’est pas très exigeant [Austin Nichols & Co. c. Cinnabon, Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 513 (C.A.F.)].
[4] L’emploi d’une marque de commerce est défini à l’article 4 de la Loi, qui énonce ce qui suit :
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.
(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.
[5] En réponse à l’avis prévu à l’article 45, un affidavit souscrit par M. Donald Wesley Karn a été produit, dont il appert que M. Karn est président directeur général de Dr. Rath Health Programs USA, BV (Rath Programs) depuis la constitution de la société en 2004 et que, de 2002 à 2004, il supervisait les activités de Matthias Rath Inc. (Rath Inc.), société qui a été dissoute au mois de décembre 2004. M. Karn indique que Rath Programs et Rath Inc. (collectivement appelées les Titulaires de licence) sont ou étaient autorisées à employer la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises, en vertu d’une licence octroyée par l’Inscrivant. Il déclare que l’Inscrivant contrôle directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des marchandises vendues sous licence en liaison avec la marque. Cette déclaration est suffisante, dans le contexte de la procédure prévue par l’article 45, pour permettre de considérer que tout emploi de la Marque par une des Titulaires de licence est un emploi par l’Inscrivant en application de l’article 50 de la Loi.
[6] Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit, et toutes deux ont pris part à l’audience.
[7] L’Inscrivant ne déclare pas qu’il a employé la Marque au Canada pendant la Période, il fait plutôt valoir des circonstances spéciales pour justifier le non‑emploi de la Marque.
[8] Dans la décision Bereskin & Parr c. Bartlett (2008), 70 C.P.R. (4th) 469 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Barnett a résumé ainsi l’analyse applicable lorsque des circonstances spéciales sont invoquées pour justifier l’absence d’emploi :
16 La question de savoir s’il y a présence ou non de circonstances spéciales qui justifient l’absence d’emploi nécessite la prise en considération de trois critères. Le premier est la durée au cours de laquelle la marque n’a pas été utilisée. Le second est de savoir si les motifs d’absence d’emploi étaient attribuables à des circonstances indépendantes de la volonté de l’inscrivant. Le troisième est de savoir si ce dernier a l’intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque dans un bref délai : Canada (Registraire des marques de commerce) c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.). Les « circonstances spéciales » du deuxième critère, à savoir si l’absence d’emploi était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté de l’inscrivant, signifie des « circonstances de nature inhabituelle, peu courantes et exceptionnelles » (John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (1976), 25 C.P.R. (2d) 115 (C.F. 1re inst.)).
17 La Cour d’appel fédérale, dans son récent arrêt Scott Paper Limited c. Smart & Biggar et Le procureur général du Canada, 2008 CAF 129, a quelque peu clarifié l’interprétation du critère des circonstances spéciales faite dans l’arrêt Harris Knitting, précité. En se basant sur la grille d’analyse d’Harris Knitting Mills, la cour a conclu que l’examen approprié, lorsqu’il s’agit évaluer s’il y a présence ou non de circonstances spéciales qui justifieraient l’absence d’emploi de la marque, doit porter sur la raison de l’absence d’emploi, et qu’aucun autre facteur ne doit être pris en considération. Selon cette analyse, il doit être satisfait au deuxième critère du test d’Harris Knitting Mills pour pouvoir conclure que l’absence d’emploi de la marque est justifiée par une ou des circonstances spéciales. Selon mon analyse, cette conclusion ne signifie pas que les deux autres critères ne sont pas des facteurs pertinents : toutefois, ces deux critères ne pourraient, à eux seuls, constituer des circonstances spéciales. Dans tous les cas, l’intention de reprendre l’emploi doit être étayée par la preuve (Arrowhead Spring Water Ltd. c. Arrowhead Water Corp. (1993), 47 C.P.R. (3d) 217 (C.F. 1re inst.); NTD Apparel Inc. c. Ryan (2003), 27 C.P.R. (4th) 73 (C.F. 1re inst.).
[9] Appliquant cette grille d’analyse, je signalerai d’abord que M. Karn n’a pas démontré que la Marque a déjà été employée au Canada. La pièce D jointe à son affidavit – une lettre en date du 23 mai 2006 adressée à la Direction des produits de santé naturels par un représentant de Rath Programs indique que les produits n’ont pas été commercialisés au Canada pendant que les demandes de mise en marché de produits étaient sous examen. Selon la Requérante, cette lettre démontre que la Marque n’a jamais été employée au Canada. Toutefois, M. Karn déclare que le Règlement sur les produits de santé naturels (RPSN), qui exige l’approbation des Marchandises avant leur mise en marché, n’est entré en vigueur que le 1er janvier 2004, de sorte qu’il est possible que la pièce D ne fasse que confirmer qu’aucune vente n’a été faite en contravention du RPSN, c.‑à‑d. après le 1er janvier 2004.
[10] À l’audience, la Requérante m’a cité la décision Re Canaglobe International Inc. (1992), 47 C.P.R. (3d) 122, rendue par l’agente principale d’audience Savard relativement à une affaire relevant de l’article 45, où l’on peut lire : [traduction] « [l]orsque aucune date de dernier emploi n’est indiquée ou prouvée, le registraire considère généralement la date d’enregistrement comme date de dernier emploi ». J’adhère à cette méthode et, constatant que la Marque a été enregistrée le 16 juillet 2003, je conclus qu’à la date de l’affidavit de M. Karn, la durée du non‑emploi s’établissait à quatre ans environ.
[11] En l’espèce, l’enregistrement a été effectué sur le fondement d’une déclaration d’emploi, et la Requérante soutient qu’il n’a pas été obtenu dans les règles parce qu’il appert de l’affidavit de M. Karn que la Marque n’a jamais été employée au Canada. Pour appuyer la pertinence de son argument, elle cite le passage suivant de la décision Re Canaglobe International Inc., susmentionnée, de l’agente principale d’audience Savard : [traduction] « ... Je suis également consciente du fait que l’inscrivant n’a jamais employé la marque de commerce en liaison avec les services visés par l’enregistrement, de sorte que le propriétaire inscrit n’avait pas droit à l’enregistrement ». Je ne suis toutefois pas d’avis qu’un argument ou une observation de cette nature ait lieu d’être dans une procédure relevant de l’article 45. En effet, la décision à rendre à l’issue d’une telle procédure se limite à déterminer si une marque déposée a été employée au cours d’une période triennale déterminée ou si des circonstances spéciales en justifient le non‑emploi.
[12] Il faut ensuite examiner si les causes de l’absence d’emploi constituent des circonstances indépendantes de la volonté de l’Inscrivant. À cet égard, il importe de signaler que la Période a commencé le 19 octobre 2003, c’est‑à‑dire à peu près deux mois et demi avant l’entrée en vigueur du RPSN et quatre mois après la production de la déclaration d’emploi de l’Inscrivant. Tel que je comprends l’argument de l’Inscrivant, il fait valoir que ce règlement est en fait la circonstance spéciale expliquant le non‑emploi de la Marque. Indépendamment de la question de savoir si le RPSN peut constituer une circonstance spéciale, l’argument n’explique pas pourquoi la Marque n’a pas été employée pendant la partie de la Période qui a précédé l’entrée en vigueur du RPSN, à savoir entre le 19 octobre 2003 et le 1er janvier 2004. Rien n’exige un emploi de la Marque ininterrompu pendant la Période mais, en l’absence d’emploi, les circonstances spéciales alléguées doivent s’appliquer à toute la Période. Ce motif seul suffit à conclure que l’Inscrivant n’a pas répondu de façon satisfaisante à l’avis donné en vertu de l’article 45.
[13] Par souci d’exhaustivité, j’examinerai toutefois la question de savoir si le RPSN constitue une circonstance spéciale pouvant justifier l’absence d’emploi entre le 1er janvier 2004 et le 19 octobre 2006.
[14] Commençons par résumer la preuve présentée par M. Karn concernant les efforts déployés par l’Inscrivant pour se conformer au RPSN :
• Le 26 juillet 2004, la Direction des produits de santé naturels de Santé Canada (DPSN) a accusé réception de la demande soumise par Rath Inc. le 19 juillet précédent (pièce B). Je constate que M. Karn n’explique pas pourquoi l’Inscrivant a attendu environ sept mois pour soumettre une demande à la DPSN.
• Le 26 avril 2006, la DPSN a informé l’agent de Rath Inc. par lettre que des préoccupations concernant l’innocuité de la L-arginine (un ingrédient figurant apparemment dans le produit RELACOR de l’Inscrivant) avaient été soulevées et qu’il fallait suspendre la vente des produits contenant cet ingrédient. La lettre indiquait qu’il fallait soumettre une demande de licence de mise en marché et d’étiquette modifiée afin de satisfaire à certaines exigences (pièce C).
• Le 22 mai 2006, l’agent a répondu à cette lettre en indiquant que les demandes modifiées visant les [traduction] « deux produits mentionnés » étaient jointes à la réponse (pièce D).
• Le 14 juin 2006, la DPSN a envoyé à l’agent de Rath Inc. un avis de défaut signalant quatre lacunes à corriger pour que l’examen de la demande se poursuive et lui donnant 30 jours civils pour le faire (pièce E).
• Au mois de juillet 2006, selon M. Karn, la DPSN a demandé un sommaire des données sur la qualité des produits et, Rath Programs n’ayant pas donné suite à la requête, la demande a été présumée abandonnée (paragraphe 7(f) et pièce F).
• En avril 2007, M. Karn indique que Rath Programs soumettra [traduction] « sous peu » une nouvelle demande d’approbation à la DPSN visant les produits RELACOR, et il produit une copie expurgée de la « partie principale » de cette demande, laquelle n’a pas encore été signée ou datée. Il affirme que Rath Programs [traduction] « a la ferme intention de mener à terme la demande et d’obtenir l’approbation de la DPSN » (paragraphe 7(g) et pièce G).
[15] M. Karn n’explique pas pourquoi Rath Programs a permis que la demande présentée à la DPSN soit présumée abandonnée en juillet 2006 ni pourquoi aucune nouvelle demande n’avait été soumise à la date à laquelle l’affidavit a été souscrit (18 avril 2007). Je me trouve donc dans l’impossibilité de conclure que l’inscrivant n’avait pas abandonné volontairement la demande de licence de mise en marché en juillet 2006. Il me faut plutôt conclure qu’il a volontairement abandonné une demande qui, selon toute apparence, était nécessaire pour vendre les Marchandises RELACOR au Canada. (Il est à noter que la Requérante a fait valoir, concernant ce dernier point, qu’il n’a pas été démontré que l’approbation de la DPSN est effectivement nécessaire pour vendre les produits RELACOR.)
[16] Tout bien considéré, je ne vois pas en quoi les exigences de la DPSN pourraient constituer une circonstance spéciale justifiant l’absence d’emploi de la marque RELACOR au Canada entre juillet 2006 et le 19 octobre 2006, puisque la preuve n’indique pas que l’Inscrivant prenait des mesures pour se conformer au Règlement pendant cette période.
[17] Les deux parties conviennent que la réglementation peut constituer une circonstance spéciale justifiant une période de non‑emploi. Toutefois, la jurisprudence citée par l’Inscrivant n’est pas applicable en l’espèce, selon la Requérante, parce que, dans ces affaires, il n’y avait pas eu abandon de la procédure de demande prévue au règlement, les propriétaires de marque de commerce ayant démontré qu’ils continuaient de s’employer activement à obtenir l’autorisation gouvernementale [voir Re Montorsi Francesco E Figli-S.p.A., 2007 CarswellNat 4056 (C.O.M.C.), Cassels Brock & Blackwell LLP c. Montorsi Francesco E Figli-S.p.A (2004), 35 C.P.R. (4th) 35 (C.F)]. La preuve dont je dispose n’établit pas que l’Inscrivant s’employait activement à obtenir l’approbation gouvernementale pendant la Période.
[18] L’Inscrivant prétend que la présente espèce s’apparente à l’affaire Spirits International N.V. c. Le registraire des marques de commerce et SC Prodal 94 Srl (2007), 60 C.P.R. (4th) 31 (C.A.F.), confirmant 49 C.P.R. (4th) 196 (C.F.), confirmant 42 C.P.R. (4th) 279 (C.O.M.C.). J’estime toutefois que cette affaire se distingue de la présente situation factuelle à plusieurs égards, notamment du fait que i) l’inscrivante avait fait la preuve des diverses mesures qu’elle avait prises pour la mise en marché de ses marchandises au Canada et ii) qu’elle avait indiqué la date à laquelle elle prévoyait entrer dans le marché canadien ainsi que le volume de ventes qu’elle prévoyait réaliser. Quoi qu’il en soit, il est bien établi en droit que les décisions se rendent en fonction des faits de chaque cas et qu’il arrive rarement que des situations soient identiques.
[19] Il reste à examiner la question de l’intention de reprendre dans un proche avenir l'emploi de la marque. Suivant Lander Co. Canada c. Alex E. Macrae & Co. (1993), 46 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.), cette intention « doit être établie par des éléments factuels comme des bons de commande ou, à tout le moins, une date certaine de reprise », or l’affidavit de M. Karn ne fournit aucun élément factuel de cette sorte. Comme l’affirme la Requérante, en supposant même que l’Inscrivant ait obtenu l’approbation de la DPSN à l’égard de ses produits RELACOR, il n’a pas été démontré qu’il était commercialement en mesure de vendre les Marchandises une fois l’approbation reçue.
[20] Je suis donc d’avis qu’à l’égard de la totalité de la Période, l’Inscrivant n’a pas fait la preuve de motifs justifiant l’absence d’emploi de la Marque. J’estime en outre qu’il n’a pas démontré qu’il avait sérieusement l’intention de reprendre l’emploi de la Marque dans un proche avenir.
Décision
[21] Dans l'exercice des pouvoirs qui m'ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, l'enregistrement sera radié conformément aux dispositions du paragraphe 45(5) de la Loi.
FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 17 MARS 2010.
Jill W. Bradbury
Membre
Commission des oppositions des marques de commerce
Traduction certifiée conforme
Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.