Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de

Havana Club Holdings S.A. à la demande numéro 821459 produite par Bacardi & Company Limited en vue de l’enregistrement de la marque de commerce OLD HAVANA et dessin

 

 

Le 30 août 1996, Bacardi & Company Limited (requérante) a produit une demande en vue de l’enregistrement de la marque de commerce OLD HAVANA et dessin (marque), tel qu’illustré ci-bas, en liaison avec les boissons alcooliques distillées, principalement le rhum (les marchandises), fondée sur un emploi au Canada depuis le 1er août 1996.

 

 

La demande a été par la suite annoncée le 28 mai 1997, pour fins d’opposition, dans le Journal des marques de commerce.

 

Le 9 juin 1997, Havana Club Holdings S.A. (opposante) a produit une déclaration d’opposition. En réponse à la déclaration d’opposition, la requérante a signifié et produit une contre-déclaration le 4 juillet 1997, dans laquelle elle nie chacun des motifs de l’opposition. Les parties ont produit une argumentation écrite et, à l’audience tenue le 16 septembre 2003, elles ont présenté des observations orales.

 

 

Les motifs de l’opposition se résument comme suit :

 

a)                  La requérante ne s’est pas conformée à l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce (Loi) en ce que :

(i)                 La requérante n’a pas employé la marque en liaison avec les marchandises;

(ii)               La requérante a abandonné la marque en totalité ou en partie;

(iii)             La requérante a faussement déclaré qu’elle avait le droit d’employer la marque au Canada en raison des faits exposés ci-après;

 

b)                  La marque n’était pas enregistrable suivant les dispositions du paragraphe 12(1) de la Loi en ce que :

(i)                 Qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services, à savoir Cuba qui a pour capitale La Havane (Havana);

(ii)               Elle crée de la confusion avec les marques déposées de l’opposante « HAVANA CLUB », numéro d’enregistrement UCA 03512 et « HAVANA CLUB & DESIGN », numéro d’enregistrement 212087, tel qu’illustré ci-après

les deux en liaison avec le rhum;

 

c)                  La requérante n’est pas la personne admise à l’enregistrement de la marque, suivant les dispositions de l’article 16 de la Loi en ce que :

 

(i)                 À la date présumée de son premier emploi, la marque créait de la confusion avec les marques de commerce HAVANA et HAVANA CLUB antérieurement employées ou révélées au Canada par l’opposante ou ses prédécesseurs en titre en liaison avec des boissons alcooliques, à savoir liqueurs et rhum;

(ii)               La demande n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 de la Loi parce qu’elle n’aurait pas dû être fondée sur l’emploi mais plutôt sur un emploi projeté, ou parce que la marque a été abandonnée, selon le cas, et qu’elle n’est donc pas enregistrable;

 

d)                 La marque ne distingue pas, au sens l’article 2 de la Loi, les marchandises de la requérante et elle n’est pas adaptée à les distinguer de celles de l’opposante pour les motifs suivants : 

(i)                 L’adoption, l’emploi, la révélation ou l’enregistrement des marques célèbres de l’opposante ainsi que l’emploi et la révélation de ses noms commerciaux;

(ii)               Par suite de son transfert, il restait des droits d’emploi chez deux ou plusieurs entités qui ont été exercés concurremment par elles, le tout contrairement aux dispositions du paragraphe 48(2) de la Loi;

(iii)             La requérante a permis à des tiers d’employer la marque au Canada et les tiers l’ont effectivement employée, hors du champ de protection de l’emploi sous licence, prévue à l’article 50 de la Loi.

 

Il convient de noter qu’il n’y pas de preuve en ce qui concerne l’emploi seul, par l’opposante, du terme HAVANA comme marque de commerce.

 

La preuve de l’opposante se compose des affidavits de Johanne Dalton, avec les pièces JD-1 à JD-8 à l’appui, de Panagiota Koutsogiannis avec les pièces PK-1 à PK-4 à l’appui, et de Noel Adrian. La requérante a produit les affidavits de Carol Luciani avec les pièces A-1 à A-26 à l’appui, et de Andrea Risk avec les pièces A à JJ à l’appui. Les historiques relatifs aux numéros d’enregistrement des marques de commerce UCA 03512, 212087, 211345 et 357802 ont également été produits dans le cadre de la preuve de la requérante. Les déposants Johanne Dalton et Noel Adrian ont été interrogés et les transcriptions de ces contre-interrogatoires ont été produites au dossier. Les pièces INA1 à INA13 jointes au contre-interrogatoire de Monsieur Adrian, tenu le 15 juin 1998, ont également été produites au présent dossier.

 

À ce stade, je dois me prononcer sur deux questions préliminaires qui ont été soulevées par les parties. Premièrement, pendant le contre-interrogatoire de Noel Adrian, il a été convenu que la transcription de son interrogatoire préalable ou de son contre-interrogatoire tenu le 15 avril 1998 dans le cadre des procédures d’injonction prises par l’opposante contre la requérante devant la Cour supérieure du Québec (procédures d’injonction) ferait partie intégrante du présent dossier. Un certain Monsieur Larretche a également été interrogé dans le cadre des procédures d’injonction. Il semblerait que durant l’interrogatoire tenu le 14 mars 1997, M. Larretche a pris certains engagements et produit nombreux documents. La requérante a produit toutes les réponses aux engagements et tous les documents auxquels renvoie l’interrogatoire en question dans le présent dossier. L’opposante a soulevé une objection à l’égard de la production de ces documents ainsi que des documents produits par M. Adrian lors de son interrogatoire préalable au motif qu’il n’y avait pas d’entente à ce sujet.

 

J’ai examiné les pages 6, 7, 114 et 115 de la transcription du contre-interrogatoire de M. Adrian, tenu le 15 juin 1998. L’avocat de l’opposante a fait des déclarations pour le moins ambiguës quant à ce qu’il était prêt à admettre en preuve dans le présent dossier. Lorsqu’on les examine dans leur contexte, les déclarations faites par les avocats des parties au cours de ce contre-interrogatoire m’amènent à conclure que leur intention était de produire dans le présent dossier les réponses aux engagements pris au cours de l’interrogatoire de M. Larretche le 14 mars 1997 et de M. Adrian le 15 avril 1998, à l’exception de tous les documents contractuels ou du moins ceux qui étaient considérés pertinents quant à l’instance, qui devaient être produits pendant le contre-interrogatoire de M. Adrian le 15 juin 1998. 

 

La deuxième question préliminaire porte sur le statut de l’opposante. La requérante fait valoir que l’opposante n’est pas une personne intéressée au sens de l’article 2 de la Loi en ce que la chaîne de propriété dans les enregistrements susmentionnés des marques de commerce est basée sur une confiscation présumée d’actifs canadiens par le gouvernement cubain. Étant donné que la confiscation présumée ne serait par reconnue ou appliquée en droit canadien, l’opposante ne pouvait être convaincue qu’elle était une « personne intéressée » au sens de la définition de l’article 2 de la Loi ou qu’elle avait la qualité ou l’intérêt pour contester, suivant le paragraphe 38(1), la demande d’enregistrement de la requérante. La requérante, dans des procédures d’opposition à la demande 845949 mettant en cause les mêmes parties, a soulevé les mêmes arguments qui ont été rejetés par l’agent d’audience M. Herzig, et la Cour fédérale a confirmé cette décision [Voir le jugement non publié Bacardi & Company Limited v. Havana Club S.A., T-1181- 01]. Le juge Martineau a résumé l’argument de la requérante comme suit :

Au contraire, la demanderesse [Bacardi & Company Limited] fait valoir que l'inscription du nom de la défenderesse au registre à titre de propriétaire serait sans effet légal. Selon la demanderesse, dans le cadre d'une procédure d'opposition, le registraire peut ignorer cette inscription et la tenir pour invalide. En effet, selon ses prétentions, la défenderesse ne serait pas la véritable propriétaire de la marque déposée car son titre et celui de ses prédécesseurs serait vicié. S'appuyant notamment sur les arrêts Lecouturier v. Rey, [1910] A.C. 262 (H.L. (Eng.)) et Laane & Balster v. Estonian State Cargo and Passenger Steamship Line, [1949] S.C.R. 530, la demanderesse soumet que les tribunaux ne donneront pas effet sur leur territoire aux dispositions d'une loi de nature pénale adoptée par un pays étranger dont l'objet est d'exproprier sans compensation un actif pouvant se trouver à l'extérieur de ce pays; ce qui serait le cas en l'espèce puisque la République de Cuba, le 13 octobre 1960, aurait nationalisé, par expropriation forcée, les actifs de différentes sociétés, incluant ceux de la société Jose Arechabala S.A. (l'inscrivant original) dont le nom apparaissait au registre comme propriétaire de la marque déposée depuis le 11 juillet 1934. Ainsi, selon la demanderesse, le registraire n'avait pas le pouvoir et n'aurait pas dû modifier, comme il l'a fait le 24 septembre 1963, l'inscription au registre pour y substituer le nom de la société nationalisée, soit Jose Arechabala S.A. Nacionalizada, à celui de l'inscrivant original. Argumentant que la propriété d'une marque déposée constitue un actif intangible, la demanderesse soumet donc que la défenderesse ne s'est pas déchargée du fardeau d'établir son droit à l'enregistrement de la nouvelle marque, car rien dans le dossier du registraire n'indique qu'une indemnité ait été versée aux personnes affectées par cette expropriation forcée.

La Cour a statué que le registraire n’a pas compétence pour se prononcer sur la validité d’un enregistrement d’une marque de commerce. Il doit reconnaître que l’opposante est la propriétaire actuelle des marques de commerce déposées, citées par elle, ainsi qu’il appert des copies certifiées de ces enregistrements. Comme le dit le juge Martineau, la requérante dispose de certains moyens pour s’opposer à la validité de ces certificats d’enregistrement. Pour ces motifs, je conclus que l’opposante est une personne intéressée au sens de l’article 2 de la Loi.

Le fardeau de persuasion incombe à la requérante qui doit établir que sa demande est conforme aux dispositions de l’article 30 de la Loi, mais l'opposante a le fardeau initial de prouver les faits qu'elle allègue au soutien de ses motifs d'opposition. Dès qu’il est satisfait au fardeau initial, il incombe alors à la requérante d’établir que les motifs d’opposition en question ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de la marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, pp. 329-330; et John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293].

L’opposante n’a présenté aucune preuve à l’appui des motifs d’opposition a), c)(ii), d)(ii) et (iii), indiqués précédemment, et par conséquent ils sont rejetés. Les autres motifs d’opposition concernent le caractère descriptif de la marque et la possibilité de confusion avec les marques déposées de l’opposante.

La période pertinente pour l’examen de la question de l’absence de droit fondée sur le paragraphe 16(1) de la Loi, est la date présumée du premier emploi de la marque (1er août 1996) [article 16 de la Loi]. La date pertinente pour examiner la question du caractère distinctif est généralement la date de la production de l’opposition (9 juin 1997), bien que l’enregistrabilité au regard de l’alinéa 12(1)d) doive être examinée à la date de ma décision. [Voir Andres Wines Ltd. and E&J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 p.130 (C.A.F.) et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 p. 424 (C.A.F.)]

Cependant, les opinions divergent en ce qui concerne la date pertinente quant au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b). Avant la décision Park Avenue Furniture Corporation, précitée, on reconnaissait que la question du caractère descriptif de la marque demandée étaient examinée à la date de la production de la demande. Dans l’arrêt Lightning Fastener Co. c. Canadian Goodrich Co., [1932], 1 D.L.R. 297, la Cour suprême du Canada a adopté ce point de vue et a été suivie par la Cour de l’Échiquier dans Association Of Professional Engineers Of Ontario c. Registrar Of Trade Marks, 31 C.P.R. 79. Avant sa décision dans Park Avenue, la Cour d’appel fédérale dans Oshawa Group Ltd. c. Creative Resources Co. Ltd., (1982) 61 C.P.R. (2d) 29, dans une observation incidente, a adopté le point de vue du juge Cattanach dans Sico Inc. c. Borden Inc, (1970) 63 C.P.R. 223, où il conclut que la date pertinente pour examiner un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) (confusion avec une marque de commerce déposée) est la date de la décision relative à l’affaire.

Dans l’arrêt Park Avenue, précité, la Cour d’appel fédérale a examiné en profondeur la question de la date pertinente lorsqu’elle doit traiter de la confusion avec une marque de commerce déposée (alinéa 12(1)d) de la Loi). La Cour a indiqué à ce sujet :

Le juge de première instance a souscrit à l’opinion du registraire suivant laquelle la date à retenir pour trancher la question de la confusion était la date du dépôt de l’opposition et non la date du dépôt de la demande  Il a ajouté qu’il importait peu de retenir l’une ou l’autre date parce que le résultat serait le même.

….

 

La Loi sur les marques de commerce renferme des dispositions qui précisent la date à laquelle certaines situations doivent être appréciées.  Ainsi, le paragraphe 16(1) de la Loi précise que la date à laquelle la confusion doit être appréciée est celle à laquelle la marque a été en premier lieu employée ou révélée en liaison avec des marchandises ou des services.  Le paragraphe 16(3) de la Loi précise que la confusion doit être appréciée à la date du dépôt de la demande.  Le paragraphe 6(5) de la Loi ne contient cependant aucun indice quant à la date à retenir pour déterminer si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion.  Dans ces conditions, on devrait retenir le principe qui s’applique généralement en matières contentieuses, à savoir la date à laquelle l’affaire est tranchée suivant la preuve produite.

 

Dans le cas d’une opposition au droit à l’enregistrement, le point de vue adopté par le juge Heald dans l’arrêt Oshawa m’apparaît le plus logique.  Je ne vois rien d’anormal dans la possibilité pour les parties de mettre la situation à jour lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a lieu d’accorder une reconnaissance législative à une marque.  Il me semble qu’il importe que la décision du registraire ou du tribunal reflète avec exactitude l’état du registre. Le droit à l’enregistrement devrait être décidé à la date de l’enregistrement ou à la date du refus de l’enregistrement.

 

Par la suite dans l’arrêt Lubrication Engineers, Inc. c. Canadian Council Of Professional Engineers, (1992) 41 C.P.R. (3d) 243, la Cour d’appel fédérale s’est référée à sa décision dans Park Avenue, précitée, pour décider que le registraire avait tort de conclure que la date pertinente pour examiner la question de l’enregistrabilité dans le cas d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b) est la date de la demande. La Cour n’a pas examiné la possibilité d’adopter une date pertinente différente. La Cour n’a fait aucune distinction entre le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) et le motif fondé sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

Récemment, dans Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (non publié, 2003 CF 1021), le juge Russell a fait l’analyse suivante pour résoudre la question :

La demanderesse fait aussi valoir à titre subsidiaire que le registraire s'est trompé en statuant que la date pertinente au regard de l'alinéa 12(1)b) doit être la date de la décision plutôt que la date de production de la demande. Le registraire s'est fondé sur la décision Lubrication Engineers Inc. c. Conseil canadien des ingénieurs (1992), 41 C.P.R. (3d) 243. La demanderesse prétend que, dans cette décision, les remarques concernant la date pertinente étaient des remarques incidentes. De plus, dans la décision Conseil canadien des ingénieurs, précitée, la Cour se fonde sur l'arrêt Park Avenue Furniture Corp c. Wickes/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.), aux p. 422-424, lequel examine aussi de façon incidente la question de la date pertinente au sens de l'alinéa 12(1)b). Qui plus est, les remarques incidentes dans l'arrêt Park Avenue, précité, étaient en contradiction directe avec le libellé des dispositions 12(1)e), 9, 10, 13(1), 12(2), 12(1)a) ou b) et 16(3)b), lesquelles confirment que la date pertinente est la date du dépôt de la demande.

 

Également de façon subsidiaire, la demanderesse soutient que les remarques incidentes dans l'arrêt Park Avenue, précité, sont contraires à l'arrêt de la Cour suprême Lightning Fastener Co. c. Canadian Goodrich Co., [1932] 1 D.L.R. 297, confirmant [1931] 2 D.L.R. 625 , aux pages 301-302. La demanderesse admet que cet arrêt a été rendu sous le régime de l'ancienne loi, mais elle soutient qu'il n'y a pas de distinction importante entre l'ancienne et la nouvelle loi quant aux dates pertinentes pour apprécier l'enregistrabilité.

 De plus, en décidant que la date pertinente à considérer au regard de l'alinéa 12(1)b) est la « date de la décision » (voir à cet effet l'arrêt Conseil canadien des ingénieurs (1996) c. Lubrication Engineers, Inc., 41 C.P.R. (3d) 243 (C.A.F.)), le registraire a ignoré l'arrêt Lightning Fastener Co. c. Canadian Goodrich Co., [1932] 1 D.L.R. 297, [1932] R.C.S. 189 (rendu sous le régime de l'ancienne loi) et appliqué dans la décision Association of Professional Engineers v. Registrar of Trade-Marks (1959), 31 C.P.R. 79 (Cour de l'Échiquier), aux p. 87-88 (rendue en vertu de la loi actuelle), selon lequel la date applicable est la date de production de la demande.

 

Il a conclu que la date de la demande est la date pertinente pour apprécier le caractère descriptif de la marque demandée. Comme l’indique l’arrêt Park Avenue, la date de la décision doit, en l’absence de disposition spécifique dans la Loi à cet égard, être considérée comme la date pertinente. Le paragraphe 12(2) de la Loi indique clairement que lorsque l’on examine l’enregistrabilité d’une marque de commerce malgré les dispositions des alinéas 12(1)a) ou b), la date pertinente est celle de la production de la demande. Il serait difficilement justifiable de recourir à la date de la décision comme date pertinente pour décider si la marque de commerce est descriptive et donc non enregistrable d’une part, et d’autre part, devant l’argument contradictoire de la requérante fondé sur le paragraphe 12(2), d’examiner la preuve à la date de la production de la demande pour décider si la marque est devenue distinctive en raison de son emploi, en dépit des dispositions de l’alinéa 12(1)b). Je dois donc adopter le point de vue dans Fiesta et considérer la date de la demande comme date pertinente au regard de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

La preuve au dossier révèle que Madame Dalton est la directrice -administration et finance- de la Société des Vins Fins Limitée et de Nihco International (importation) Ltée depuis 1996 et qu’elle était contrôleuse de ces entités entre 1991 et 1995. Elle a produit, comme pièce JD-2, un certificat d’authenticité à l’égard de la marque de commerce HAVANA CLUB, numéro d’enregistrement UCA 03512. Elle a produit, comme pièce JD-3, des fiches techniques décrivant les caractéristiques de trois sortes différentes de rhum HAVANA CLUB. Elle a produit respectivement, comme pièces JD-4 et JD-8, les photos des bouteilles de rhum affichant les marques de commerce HAVANA CLUB et la marque. Elle a produit, comme pièce JD-5, les étiquettes affichant la marque de commerce HAVANA CLUB. De plus, elle a respectivement produit, comme pièces JD-6 et JD-7, la circulaire numéro 0132 de la Société des Alcools du Québec (SAQ) à l’égard des produits OLD HAVANA et une fiche de renseignements sur ces produits. La fiche de renseignements JD-7 contient l’énoncé suivant :

                        « Produits selon une authentique tradition cubaine.»

Au cours de son contre-interrogatoire, elle a admis qu’elle ne connaissait pas beaucoup les pièces JD-6, JD-7 et JD-8. Elle a affirmé que les fiches techniques JD-3 provenaient de Havana Club International S.A., une licenciée de l’opposante. Il importe de souligner que la requérante n’a produit aucune preuve pour contester la véracité des documents produits par Madame Dalton.

M. Adrian est le directeur général de Havana Club International S.A., qui détient une licence (pièce INA-6) pour l’emploi des marques HAVANA CLUB appartenant à l’opposante. La Société des Vins Fins Limitée distribue au Québec et en Ontario les rhums HAVANA CLUB, et Nihco International (importation) Ltée les distribue dans les autres provinces du Canada. M. Adrian prétend que Cuba est reconnu pour la qualité de son rhum.

 

Au cours de son contre-interrogatoire, M. Adrian explique que la SAQ doit parfois réduire le pourcentage d’alcool dans les rhums qui seront vendus au Canada sous la marque HAVANA CLUB afin de respecter les exigences de l’opposante. La SAQ effectue cette opération  seulement à l’égard du rhum blanc Silver Dry, vendu sous la marque HAVANA CLUB. Il a expliqué que les divers rhums vendus sous la marque HAVANA CLUB sont produits dans deux distilleries, situées dans les villes de Santa Cruz et de Villa Clara, à Cuba. Auparavant, ils étaient produits dans la ville de Santiago à Cuba, jusqu’à ce qu’un accord commercial soit conclu avec la compagnie Pernod Ricard. Il n’existe pas de distillerie de rhum à La Havane, Cuba. Il a également été question, au cours de son contre-interrogatoire, de la documentation appuyant la chaîne de propriété de l’opposante dans les marques déposées énumérées dans sa déclaration d’opposition. Pour les motifs indiqués ci-dessus, les questions de la chaîne de titres et de la propriété des marques déposées de l’opposante ne sont pas pertinentes dans le contexte des présentes procédures d’opposition.

Au cours de son interrogatoire du 15 avril 1998 concernant les procédures d’injonction et dont la transcription fait partie intégrante du présent dossier, M. Adrian affirme que le rhum HAVANA CLUB a remporté des prix à Londres (Angleterre) en 1996 et à Chicago (É.-U.) en 1995, 1996 et 1997. Selon M. Adrian, l’emploi du mot OLD dans la marque laisse entendre que le rhum de la requérante, vendu sous la marque, a été vieilli. Il a goûté à ce rhum et il est convaincu qu’il ne s’agit pas d’un rhum vieilli ni même d’un rhum produit avec de la canne à sucre cubaine. Selon la méthode cubaine, le rhum doit être fait à partir de la canne à sucre cubaine et vieilli dans des fûts en chêne. Aucun test effectué sur le rhum de l’opposante n’a été déposé en preuve, mis à part la dégustation faite par M. Adrian. Par ailleurs, la requérante n’a fourni aucune preuve qui contredit les déclarations de M. Adrian.

Les réponses fournies par M. Adrian, à l’égard des engagements pris durant l’interrogatoire, révèlent les faits suivants :

a)                  Le rhum HAVANA CLUB est vendu au Québec et en Ontario depuis au moins 1986, et dans les autres provinces canadiennes depuis 1989, ce qui inclut le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba et Terre-Neuve [réf. pièce INA 68];

b)                  Divers articles et moyens ont été utilisés pour promouvoir la marque de commerce HAVANA CLUB au Canada, comme des T-shirts, shakers, cartons, enseignes, dépliants, annonces sur les menus de restaurants et de bars, commandites de différents événements. La plupart des éléments de preuve se rapportent à des campagnes de publicité après 1995.

M. Adrian prétend que le rhum HAVANA CLUB est de qualité supérieure car il est produit à Cuba, et qu’il jouit d’une réputation au Canada, plus particulièrement dans la province de Québec. Les extraits des publications suivantes ont été produits pour justifier l’allégation que Cuba est reconnu pour son rhum (exclusion faite des publications provenant de l’opposante, ses licenciées ou ses partenaires commerciaux, qui constituent des preuves intéressées) :

a)                    Le Grand Guide de Cuba, éd. Gallimard (INA 75)

b)                    Guide de Voyage Ulysse (INA 76)

c)                    Guide du Routard, éd. Hachette (INA 77)

d)                   Guide Michelin, Neos, Cuba (INA 78)

e)                    Guide Bleu-Cuba, Hachette (INA 79)

f)                     Guide de voyage Lonely Planet-Cuba (INA 80)

g)                    Guide des Alcools, Éditions Stock (INA 81)

Il n’y a aucune preuve que ces publications sont soit disponibles au Canada ou ont déjà circulé au Canada et, le cas échéant, depuis combien de temps. Il n’y a aucune preuve au dossier pour appuyer les allégations de M. Adrian concernant la réputation enviable dont jouit au Canada le rhum de l’opposante vendu sous la marque HAVANA CLUB.

Les faits suivants, allégués par l’opposante ou fournis en réponse aux engagements, constituent une preuve non contredite :

a)                    La marque HAVANA CLUB, certificat d’enregistrement UCA 03512, a été déposée au Canada le 11 juillet 1934 par le prédécesseur en titre de l’opposante, en liaison avec le rhum, et a été renouvelée depuis par ses prédécesseurs en titre et/ou par elle-même;

b)                    L’opposante est également la propriétaire enregistrée de la marque HAVANA CLUB et dessin, certificat d’enregistrement 212087, en liaison avec le rhum et la marque HAVANA CLUB SILVER DRY, certificat d’enregistrement 357802, en liaison avec le rhum;

c)                    L’opposante a entrepris les démarches appropriées pour protéger la marque HAVANA CLUB dans soixante-dix pays environ. Cependant, aucun document n’a été produit pour appuyer cette allégation;

d)                   Le rhum de l’opposante vendu sous la marque HAVANA CLUB est le seul rhum provenant de Cuba vendu dans la province de Québec;

e)                    Le marché du rhum HAVANA CLUB de l’opposante est principalement celui de la province de Québec;

f)                     Les ventes du rhum HAVANA CLUB de l’opposante ont été fournies pour les années 1986 à 1996 inclusivement.  Elles varient de 6 241 boîtes de 12 bouteilles de 750 ml en 1986 à 11 264 boîtes en 1996, avec un sommet de 17 961 boîtes en 1993;

g)                    Le rhum de la requérante est vendu dans la province de Québec depuis novembre 1996 sous la marque OLD HAVANA. La requérante a vendu au Canada environ 2 000 boîtes en 1996 et 15 000 boîtes en 1997 de son rhum OLD HAVANA;

h)                    Le rhum de la requérante n’est pas produit à La Havane ni même à Cuba;

i)                      L’étiquette de l’opposante portant la marque a l’inscription suivante :

« Mélangé selon la tradition du Cuba pré-révolutionnaire »

Pour mettre les chiffres indiqués aux paragraphes f) et g) dans leur contexte, l’état des ventes mensuelles de l’Association des distillateurs canadiens pour l’année 1996, produit comme pièce  IPL-11, révèle que le montant total des ventes du rhum blanc domestique dépassait 441 200 boîtes de neuf (9) litres. Les ventes du rhum HAVANA CLUB de l’opposante représenteraient seulement 2,5% du montant total des ventes de rhum au Canada, si l’on présume qu’il n’y a aucun autre rhum importé et vendu au Canada à part celui de l’opposante. De toute manière, s’il y avait d’autres marques de rhum vendues au Canada, la part du marché de l’opposante diminuerait.

Panagiota Koutsogianis, étudiante chez Robic au moment de la rédaction de son affidavit, a produit les documents suivants :

a)                  Divers extraits de sites Web (PK-2);

b)                  Des extraits de World Book Encyclopaedia sur Cuba (PK-2);

c)                  Des extraits de Clements Encyclopaedia of World Governments sur Cuba (PK-3);

d)                 Des extraits de divers guides touristiques sur Cuba (PK-4).

Madame Andrea Risk est une étudiante travaillant chez Gowling. Elle a acheté diverses bouteilles d’alcool à l’une des succursales de la Régie des alcools à Ottawa. Elle a produit comme pièces accompagnant son affidavit les photocopies d’étiquettes des bouteilles en question. Elle a également produit des extraits de définitions du mot HAVANA trouvées dans des dictionnaires. Elle a produit des extraits de sites Web qui contiennent des informations sur La Havane.

Il ressort desdites étiquettes que les rhums dits domestiques sont soit embouteillés ou distillés au Canada. Les étiquettes produites contiennent les inscriptions suivantes :

Pièce F de l’affidavit de Mme Risk :              « rhum léger des Caraïbes »

Pièce H de l’affidavit de Mme Risk :             « un mélange de rhum importé et de rhum canadien »

Pièce I de l’affidavit de Mme Risk:               « un mélange de rhum jamaïcain et de rhum canadien »

Pièce J de l’affidavit de Mme Risk :              « mélangé et embouteillé au Canada »

Pièce K de l’affidavit de Mme Risk :             « un rhum de grande qualité mélangé et embouteillé sous la surveillance du gouvernement canadien »

Pièce M de l’affidavit de Mme Risk :                        « vieilli et mis en bouteille au Canada »

Si l’on s’en tient à ces étiquettes, comme l’a dit la requérante dans son argumentation écrite, nous pouvons conclure que le rhum est associé généralement avec les Caraïbes soit par l’emploi d’images, soit par des inscriptions sur les étiquettes.

Mme Carol Luciani, recherchiste en marques de commerce chez Gowling, a effectué une recherche dans le registre, grâce à la base de données sur CD-ROM en date du 4 février 2000, pour retracer toutes les marques qui apparaissent sur les étiquettes énumérées dans l’affidavit de Mme Andrea Risk. Elle a produit comme pièces A1 à A26 une copie des enregistrements de ces marques. Il importe de souligner qu’aucune d’elles ne contient le mot HAVANA comme composante d’une marque déposée.

Compte tenu de la preuve soumise par les parties et de leur argumentation écrite et orale, je dois me prononcer sur deux questions :

a.       La marque crée-t-elle de la confusion avec les marques déposées de l’opposante, mentionnées ci-haut?

b.      La marque donne-t-elle une description claire ou donne-t-elle une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises devant être vendues?

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d)

J’examinerai maintenant la question de la confusion de la marque avec les marques déposées de l’opposante. Le fardeau de la preuve repose sur la requérante qui doit convaincre le registraire qu’il n’y a, aux dates pertinentes susmentionnées, aucun risque vraisemblable de confusion entre la marque et les marques de l’opposante [Voir Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53].

Pour décider si des marques créent de la confusion, le registraire doit, selon le paragraphe 6(5) de la Loi, tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

i) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

ii) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

iii) le genre de marchandises, services ou entreprises;

iv) la nature du commerce;

v) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

Le critère pour décider s’il existe, selon la prépondérance des probabilités, un risque vraisemblable de confusion entre la marque et les marques déposées de l’opposante, a été énoncé par le juge Décary dans Miss Universe Inc. c. Bohna (1994), [1995] 1 C.F. 613 (C.A.F.) dans les termes suivants :

Pour décider si l'emploi d'une marque de commerce ou d'un nom commercial cause de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque ou de l'autre nom5  [Voir l'arrêt Coca-Cola Co. v. Pepsi-Cola Co. (1942), 2 D.L.R. 657 (P.C.), à la p. 661, lord Russell of Killowen.], l'emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale.

 

J’appliquerai maintenant ces principes à la preuve produite au dossier par les parties.

i)          le caractère distinctif inhérent

Les parties s’entendent sur le fait que la marque et les marques déposées de l’opposante, en ce qui concerne l’aspect verbal de ces marques, possèdent en soi le même degré de caractère distinctif inhérent. Cela s’applique également à l’aspect graphique de la marque et de la marque HAVANA CLUB de l’opposante, certificat d’enregistrement 212087. Toutefois, l’opposante fait valoir que ses marques devraient avoir acquis un plus grand caractère distinctif étant donné leur emploi fréquent au Canada [Voir Pernod Ricard c. Molson Breweries (1992), 44 C.P.R (3d) 359] Toutefois, ainsi qu’il appert des chiffres de ventes mentionnés ci-haut, la part de marché de l’opposante est loin d’établir que les marques de celle-ci sont devenues très connues au Canada ou qu’elles ont acquis une réputation ou une notoriété publique substantielle en liaison avec son rhum. Par conséquent, cette circonstance ne milite en faveur de ni l’une ni l’autre des parties.

ii)                     la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

Au moment de la production de la demande, l’opposante employait ses marques au Canada depuis au moins 1986. La requérante a fondé sa demande sur un emploi projeté. En conséquence, ce critère tend à favoriser l’opposante.

iii) & iv)           le genre de marchandises et la nature du commerce

Les marchandises et la nature du commerce sont identiques.

v)                     le degré de ressemblance

En ce qui concerne ce critère, le juge Cattanach a tenu les propos suivants dans Beverly Bedding & Upholstery Co.cv. Regal Bedding & Upholstery Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145, conf. 60 C.P.R. (2d) 70 :

À toutes fins pratiques, le facteur le plus important dans la plupart des cas, et celui qui est décisif, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées quelles suggèrent, les autres facteurs jouant un rôle secondaire.

Les caractéristiques dominantes des marques en cause sont le mot HAVANA (La Havane, en anglais), une ville de Cuba, et les éléments graphiques de la marque et de la marque déposée HAVANA CLUB, certificat d’enregistrement 212087. La marque HAVANA CLUB évoque l’exclusivité, comme un club privé, tandis que la marque évoque une époque lointaine. L’aspect graphique de la marque est très différent de celui de la marque HAVANA CLUB de l’opposante, certificat d’enregistrement 212087.

De plus, j’ai tenu compte du fait qu’il n’y aurait pas eu de cas de confusion malgré la co-existence des marques en cause depuis 1996. [Cornell Trading Ltd. c. Saan Stores Ltd., 8 C.P.R.(4th) 233, et Compulife Software inc c. CompuOffice Software inc (2001), 13 C.P.R. (4th) 117].

Considérant toutes les circonstances de l’espèce, j’ai conclu que la requérante s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la marque n’était pas susceptible de créer de la confusion avec les marques HAVANA CLUB et HAVANA CLUB et dessin de l’opposante lorsqu’elles sont employées en liaison avec les marchandises. Le motif de l’opposante b)(ii) est donc rejeté.

La question de la confusion entre les marques de l’opposante et la marque de la requérante est également une question d’importance en ce qui concerne les motifs d’opposition c)(i) et d)(i) susmentionnés, sauf que, comme nous l’avons vu, la date pertinente pour ces deux motifs d’opposition est différente de la date cruciale pour l’application de l’alinéa 12(1)d). Malgré cette différence, la conclusion aurait été identique à celle qui a été tirée à l’égard de l’enregistrabilité de la marque (alinéa 12(1)d)). Par conséquent, les motifs d’opposition c)(i) et d)(i) sont également rejetés.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b) 

Il est bien établi qu’une marque de commerce ne peut pas être considérée comme descriptive du lieu d’origine des marchandises si celles-ci ne proviennent pas du territoire visé par la désignation géographique employée comme marque. [Voir Deinhard & Co. c. Andres Wines (1977), 38 C.P.R. (2d) 225, p. 231, Bio Generation Laboratories Inc c. Pantron I, Corp. (1991), 37 C.P.R. (3d) 546, et Bata Industries Ltd. c. Seychelles Inc. (1993), 48 C.P.R. (3d) 414, p. 416] De plus, la question de savoir si la marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse doit être appréciée du point de vue d’un consommateur canadien moyen de rhum. Il ne faut pas décomposer la marque en ses éléments constitutifs ni l'analyser avec soin, mais il faut plutôt la considérer dans son ensemble et selon la première impression qui s'en dégage. [Voir Der Stabilisierungsfonds Fur Wein c. Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd. (1986), 9 C.P.R. (3d) 535, Comité Interprofessionel du Vin de Champagne c. Source Perrier (1986), 13 C.P.R. (3d) 229, et Deutscher Weinfonds c. Ridout Wines Ltd. (1992), 45 C.P.R. (3d) 545]. Enfin, la question doit être résolue selon la prépondérance des probabilités. [Voir Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd, [2002] 3 C.F. 405]

La requérante n’a pas produit de preuve en ce qui concerne l’origine du rhum vendu en liaison avec la marque. La preuve non contredite révèle que le rhum de la requérante vendu au Canada en liaison avec la marque n’est pas produit à La Havane ni même à Cuba. Pour ces motifs, la marque ne peut pas être considérée comme donnant une description claire du lieu d’origine des marchandises au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Cependant, donne-t-elle une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises? La notion de description fausse et trompeuse au sens de l’alinéa 12(1)b) a été analysée par le juge Cattanach dans Atlantic Promotions inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183. Il a écrit :

En vertu de l’alinéa 26(1)c) de la Loi sur la concurrence déloyale, l’enregistrement était à priori refusé aux mots servant de marque qui « étaient clairement descriptifs ou trompeurs quant à la nature ou la qualité des marchandises ». L’adverbe « clairement » s’appliquait également au qualitatif « trompeurs ».

À l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce le terme « clairement » appliqué à « trompeurs » a été remplacé par l’expression « description fausse et trompeuse ».

Le changement était voulu.

Plusieurs termes peuvent être « clairement trompeurs » quant aux marchandises en liaison avec lesquelles ils sont employés, sans constituer pour autant une « description fausse et trompeuse ».

Selon moi, le critère que l’on doit appliquer pour déterminer si une marque de commerce dans son entier constitue une description fausse et trompeuse consiste à savoir si le public canadien serait induit en erreur sur l’origine du produit associée à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l’endroit désigné par le nom géographique utilisé.[p.187]

La question de savoir si une marque de commerce constitue une description fausse et trompeuse est autant une question de fait que celle de savoir si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque.

[Voir également T. G. Bright & Co., Ltd. c. Registrar of Trade Marks  (1985), 4 C.P.R. (3d) 64.]

La preuve produite au dossier m’amène à conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le consommateur canadien moyen de rhum constaterait, à la première impression, que HAVANA est le nom anglais d’une ville à Cuba et présumerait que le rhum vendu en liaison avec la marque OLD HAVANA provient de cette ville. [Voir T. G. Bright & Co, Ltd., précité] Je fonde ma conclusion sur les faits suivants :

a)                  La ville de La Havane (Cuba) est située dans les Caraïbes;

b)                  Pour le Canadien moyen, La Havane est reconnue comme étant une ville cubaine, ainsi qu’il appert des diverses définitions de dictionnaires produites par la requérante ainsi que des extraits de sites Web et d’encyclopédies produits par l’opposante;

c)                  Les îles des Caraïbes sont reconnues pour être l’une des sources d’origine du rhum, comme la requérante l’a admis dans son argumentation écrite;

d)                 L’étiquette de la requérante fait effectivement référence à Cuba.

Il convient de souligner que je suis arrivé à cette conclusion sans souscrire à l’argument de l’opposante, qui maintenait que Cuba est reconnu au Canada pour la qualité supérieure de son rhum, puisqu’il n’y a aucun élément de preuve qui a été déposé pour appuyer cet argument. Par conséquent, le motif d’opposition de l’opposante fondé sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi est accueilli.

Par le pouvoir que m'a délégué le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur les marques de commerce, je repousse la demande de la requérante visant l’enregistrement de la marque en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT LE 12 JANVIER 2004 À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

 

 

Jean Carrière,

Agent d’audience,

 

Commission des oppositions des marques de commerce

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