Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de La Confédération des Caisses populaires et d’économie Desjardins du Québec. à la demande n883635 produite par Accord Business Credit Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce ACCORD

 

 

I           Actes de procédure

 

 

Le 8 juillet 1998, Accord Business Credit Inc. (la requérante) a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce ACCORD (la marque), portant numéro 883635, fondée sur l’emploi depuis 1978 en liaison avec des services d’affacturage avec et sans recours ainsi que des services de recouvrement des prêts et d’impartition de recouvrement pour entreprises commerciales (les services). Le 8 septembre 1999, la demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce aux fins d’opposition.

 

La Confédération des Caisses populaires et d’économie Desjardins du Québec (l’opposante) a déposé le 11 septembre 2000 une déclaration d’opposition. Les motifs de l’opposition sont les suivants :

            [traduction]

1)      Compte tenu des alinéas 38(2)a) et 30a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), la demande ne respecte les exigences de l’article 30 parce qu’elle ne renferme pas un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des services spécifiques en liaison avec lesquels la marque a été employée.

2)      Compte tenu des alinéas 38(2)a) et 30b) de la Loi, la marque n’a pas été employée au Canada depuis 1978, tel qu’il est allégué dans la demande, et, si elle l’a été, ce n’est pas suivant les termes du paragraphe 4(1) [sic] de la Loi, en liaison avec les services, et elle ne l’a pas été de manière continue depuis ce temps.

3)      Compte tenu des alinéas 38(2)a) et 30i) de la Loi, la requérante ne pouvait et ne peut toujours pas faire la déclaration mentionnée à l’alinéa 30i) parce qu’elle ne pouvait être convaincue qu’elle avait droit d’employer la marque au Canada en liaison avec les services.

4)      Compte tenu de l’alinéa 38(2)c) et de l’article 16 de la Loi, la requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque car la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi, parce que la marque n’est pas employée ou a été abandonnée.

5)      Compte tenu de l’alinéa 38(2)d), la marque n’est pas distinctive, parce qu’elle n’a jamais été employée en conformité avec les dispositions des articles 2 et 4 de la Loi.

 

 

Dans la contre‑déclaration qu’elle a déposée le 14 novembre 2000, la requérante a nié tous les motifs de l’opposition.

 

La preuve présentée par l’opposante se compose de l’affidavit de Johanne Muzzo accompagné des pièces JM-1 à JM-6, de l’affidavit d’Alain Lacroix, de l’affidavit de Jean­Pierre Desmarais accompagné de la pièce JPD-1 et de l’affidavit de Jennifer Petras accompagné de la pièce JP-1.

 

La preuve présentée par la requérante consiste en l’affidavit de Mark Perna accompagné des pièces A à L, de l’affidavit de Jean­Paul Lafontaine, y compris la pièce A, et de l’affidavit de Karen Thompson accompagné des pièces A à C. MM. Perna et Lafontaine ont été contre‑interrogés.

 

L’opposante n’a pas produit de preuve en réponse. Les deux parties ont déposé des observations écrites et étaient représentées à l’audience au cours de laquelle l’opposante a avisé le registraire qu’elle abandonnait les motifs 3 et 5 décrits ci‑dessus. Je dois donc trancher les motifs restants seulement.

 

II La preuve de l’opposante

 

Mme Muzzo travaille pour les agents de l’opposante. Elle a fait une recherche sur lnternet à l’aide du moteur de recherche Google. Elle a tapé les mots « accord credit business », ce qui lui a permis d’accéder par la suite au site Web de la requérante. Elle a produit certaines pages de ce site sous la cote JM­1. Elle allègue que la marque de commerce ACCORD n’apparaît jamais seule sur ces pages.

 

Elle a déposé des extraits du Webster’s Ninth New Collegiate Dictionary, édition de 1989, pour la définition des mots anglais suivants : « accord », « factor », « recourse », « credit », « collection » et « receivables ».

 

Elle a également consulté deux dictionnaires électroniques, à savoir BBG Financial Dictionary et Money 101 Glossary, et produit les extraits pertinents sous les cotes JM-3 et JM-4.

 

De plus, elle a consulté Le Grand Dictionnaire Électronique et The Merriam-Webster On Line Dictionary et produit des extraits portant les cotes JM-5 et JM-6 respectivement.

 

M. Lacroix, avocat, est au service de l’opposante depuis 1981. Il dit être familier avec les services financiers et n’avoir jamais vu la marque de commerce ACCORD de la requérante, ni entendu parler de celle‑ci, avant le début de la présente procédure d’opposition.

 

M. Desmarais est un enquêteur privé au service de Megaprobe. Les agents de l’opposante lui ont confié le mandat de faire enquête sur l’emploi de la marque de commerce ACCORD par la requérante en liaison avec les services depuis 1978.

 

Le 8 juin 2001, il a parlé au téléphone avec M. Lafontaine, vice‑président de la requérante, en se faisant appeler Jean‑Pierre Picotte. Il a demandé à M. Lafontaine si la requérante utilisait la marque ACCORD en liaison avec ses services. M. Lafontaine lui a, paraît‑il, répondu que la requérante n’employait pas le mot « ACCORD » seul en liaison avec ses services mais qu’elle utilisait son nom commercial Accord Business Credit Inc.

 

Mme Petras travaille pour les agents de l’opposante. Elle a commandé de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada une copie conforme du dossier complet de la demande, laquelle est jointe à son affidavit.

 

III Preuve présentée par la requérante

 

M. Lafontaine est vice‑président de la requérante depuis août 1993. Il allègue avoir reçu un appel téléphonique, le 7 ou 8 juin 2001, d’un certain Jean‑Pierre Picotte. La conversation a duré trois ou quatre minutes. M. Picotte n’a pas fait état de l’objet de son appel ni précisé pour qui il travaillait. M. Lafontaine a communiqué à son interlocuteur des renseignements généraux sur la requérante et lui a offert des brochures d’information et des modèles de contrats d’affacturage qui ont été réunis dans un dossier que quelqu’un devait passer prendre en après‑midi. Il a produit une copie de ces documents sur lesquels apparaît la marque de commerce ACCORD. Il affirme n’avoir jamais discuté de marques de commerce avec son interlocuteur. Au cours du contre‑interrogatoire, il a renforcé le contenu de son affidavit.

 

M. Perna est entré au service de la requérante en juin 1978. [Voir le contre‑interrogatoire à la page 3.] Depuis 1995, il est président de la requérante, laquelle est une filiale appartenant en propriété exclusive à Accord Financial Corporation (AFC). Avant sa nomination, il a agi à titre de vice‑président de la requérante pendant une période d’environ dix ans. En raison de la structure de la société, il existe une entente en vertu laquelle la requérante a autorisé AFC à utiliser la marque ACCORD en liaison avec les services. Il prétend que la requérante contrôle directement la qualité et les caractéristiques des services fournis par AFC en liaison avec la marque. Aucune preuve d’emploi de la marque par AFC n’a été présentée.

 

Il a donné une description détaillée de chacun des services qui auraient été offerts depuis 1978 par la requérante au Canada. La requérante est établie à Montréal et à Toronto. Il a allégué que, depuis 1978, la requérante a dépensé plus de 2,6 millions de dollars pour promouvoir au Canada les services en liaison avec la marque. Elle a annoncé les services dans des publications spécialisées. Des échantillons de ces annonces ont été joints à son affidavit sous la cote E. La plus ancienne des annonces produites a été publiée dans le numéro de mai‑juin 1987 du Secured Lender. Aucun chiffre n’a été produit concernant le nombre d’exemplaires distribués au Canada des publications dans lesquelles les annonces ont été placées, à supposer que ces publications aient réellement été distribuées au Canada.

 

Il a effectivement prétendu que la requérante emploie la marque depuis 1978 en liaison avec les services. [Voir les paragraphes 4 et 5 de son affidavit.] M. le juge Cattanach, dans la décision Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183, a tenu les propos suivants concernant la notion d’« emploi » :

Les articles 2 et 4 de la Loi sur les marques de commerce définissent l’« emploi » d’une marque de commerce et toute conclusion sur la question de savoir si un ensemble donné de faits constitue cet emploi est une conséquence juridique de l’état de fait allégué. L’auteur de l’affidavit ne peut tirer cette conclusion, car ce faisant il usurperait les fonctions du registraire. Il doit s’en tenir à établir des faits à partir desquels il sera possible de conclure à l’emploi de la marque de commerce.

 

En conséquence, je dois vérifier la preuve produite pour déterminer si elle permet d’établir l’emploi de la marque et ne pas m’appuyer strictement sur les assertions faites par l’auteur de l’affidavit.

 

La requérante fait la promotion des services sur son site Web et dans ses brochures dont des échantillons ont été joints à l’affidavit sous la cote F. Durant son contre‑interrogatoire, M. Perna a cependant admis que la requérante avait commencé à utiliser les brochures seulement depuis le début des années 1980. [Voir les pages 52 et 65 du contre-interrogatoire.] La pièce G consiste en divers documents et formulaires, sur lesquels apparaît la marque. M. Perna ne pouvait affirmer avec certitude que les formulaires utilisés en 1978 portaient la marque plutôt que le nom commercial de la requérante. [Voir page 71 du contre-interrogatoire.]

 

La requérante est membre, depuis 1980, de diverses associations de sociétés d’affacturage et d’institutions financières. L’auteur de l’affidavit a fourni les statistiques relatives au volume des services offerts au Canada durant la période de 1979 à 2000. Il a déposé, sous la cote G, divers documents sur lesquels apparaît la marque, parfois, avec un « A » stylisé, mais je considère cet « emploi » comme étant l’emploi de la marque. [Voir Nightingale Interloc Ltd. c. Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 535 (COMC).] Il importe de noter que le plus ancien document déposé par M. Perna date de 1989; il s’agit du rapport annuel de la requérante pour 1988. Ce document ne peut servir qu’à établir que la requérante exerçait ses activités commerciales en 1988, mais il ne constitue pas une preuve de l’emploi de la marque en liaison avec les services au sens du paragraphe 4(2) de la Loi.

 

Les définitions des divers services décrits dans la demande proviennent d’extraits de volumes traitant de l’affacturage et de l’ouvrage intitulé L’examen des marques de commerce : le manuel des marchandises et services, déposés sous les cotes J, K et L.

 

Il est facile de concevoir à partir du contenu du contre-interrogatoire de M. Perna que l’opposante a essayé de vérifier la véracité de l’allégation de premier emploi de la marque en 1978, particulièrement en raison du fait que la preuve de la requérante, au dossier à ce moment‑là, ne contenait pas de documents antérieurs à 1987 sur lesquels la marque apparaissait [pièce E jointe à l’affidavit de M. Perna]. L’avocat de l’opposante a cependant demandé à maintes reprises au cours du contre-interrogatoire de M. Perma que des spécimens de documents publicitaires et de formulaires utilisés en 1978 ou 1979 avec la marque soient produits. La requérante s’est initialement opposée à ces demandes en invoquant qu’elles étaient trop générales et de la nature d’un interrogatoire à l’aveuglette. À certaines occasions, elle a reporté sa réponse. La position de l’opposante a été clairement exprimée dans la déclaration suivante :

 

[traduction] Et je vais maintenant vous expliquer pourquoi j’aimerais obtenir un spécimen de ces relevés. À mon avis, de façon plus importante que pour les brochures et les catalogues, c’est à ces documents que les clients d’Accord Business Credit prêtent le plus d’attention. Et la raison pour laquelle je désire remonter jusqu’en 1978 est que j’aimerais constater l’évolution de la marque de commerce sur ces formulaires, parce que l’affidavit de M. Perna ne comporte aucun spécimen de la marque de commerce, si je ne m’abuse, antérieur à 1987 [voir page 24 du contre-interrogatoire de M. Perna].

 

L’avocat de l’opposante a fait des remarques similaires aux pages 71 à 74 de ce contre‑interrogatoire.

 

Dans la réponse faisant suite à ses engagements, la requérante a dit maintenir ses objections aux questions mais, en tout état de cause, elle a fourni quelques [traduction] « documents historiques accessoires » en prétendant que les formulaires et les dossiers étaient détruits dans le cours normal de ses activités après un délai de sept ans généralement. Le plus ancien document portant la marque date du 6 novembre 1981. Il s’agit d’une photocopie d’une feuille de bloc‑notes sur laquelle apparaît la marque. Ce document n’établit pas l’emploi en soi d’une marque de commerce en liaison avec les services, comme le prévoit le paragraphe 4(2) de la Loi. L’autre document déposé, présenté à l’annexe A de la réponse, est une lettre de la requérante, datée du 1er novembre 1981, sur laquelle apparaît le nom commercial Accord Business Credit. Ce document n’établit pas l’emploi de la marque. Je ne considère pas que l’emploi du nom commercial Accord Business Credit de l’opposante constitue l’emploi de la marque ACCORD. [Voir Registraire des marques de commerce c. Compagnie internationale pour l’informatique CII Honeywell Bull, [1985] 1 F.C. 406.]

 

Au cours du contre‑interrogatoire, M. Perna a mentionné que le premier logo utilisé par la requérante en 1978 était un « A » stylisé, lequel ne constitue pas à lui seul l’emploi de la marque. Le mot « ACCORD » a été ajouté sous le logo depuis au moins 1981. Toutefois, la requérante n’a produit aucun document pour corroborer cette affirmation. Le document le plus ancien présentant à la fois le « A » stylisé et la marque est daté du 31 décembre 1984. [Voir la facture 766 intégrée à l’annexe A de la réponse à l’engagement 7 du contre‑interrogatoire de M. Perna.] Une nouvelle version stylisée a été créée à la fin de 1997.

 

Mme Thompson effectue des recherches sur les marques de commerce depuis 24 ans et elle était au service de l’agent de la requérante lorsqu’elle a souscrit son affidavit. On lui a demandé de faire une recherche à l’aide du système CDNameSearch, qui comprend la base de données des marques de commerce canadiennes, pour trouver les marques de commerce acceptées ou déposées dont la description des services contenait le mot anglais « factoring » (affacturage). Elle a trouvé 77 marques de commerce. De ce nombre, quatre faisaient expressément état de l’affacturage avec recours dans la description des services.

 

IV Le droit

 

Il incombe à la requérante de démontrer que sa demande respecte les dispositions de l’article 30 de la Loi, mais l’opposante doit par contre d’abord établir à l’appui de chacun des motifs de l’opposition les faits qu’elle invoque. Une fois que l’opposante s’est acquittée de ce fardeau, la requérante doit alors prouver que les motifs particuliers de l’opposition ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de la marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux pages 329 et 330 et John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293].

 

Le moment pertinent pour trancher la question de l’absence de droit à l’enregistrement de la marque est la date du premier emploi allégué dans la demande (voir le paragraphe 16(1) de la Loi). La requérante n’a pas mentionné dans sa demande de date précise durant l’année civile 1978. Compte tenu de ces circonstances, le registraire estime que la date alléguée du premier emploi de la marque est le 31 décembre 1978. [Voir Khan c. Turban Brand Products Ltd. (1984) 1 C.P.R. (3d) 388 (COMC).]

 

La date importante pour apprécier la question de l’absence de conformité aux dispositions de l’article 30 de la Loi est la date de production de la demande [voir Dic Dac Holdings (Canada) Ltd. c. Yao Tsai Co. (1999), 1 C.P.R. (4th) 263].

 

V Analyse des questions de droit

 

Je vais d’abord trancher le quatrième motif d’opposition, tel qu’il est rédigé. La question de l’absence de droit à l’enregistrement d’une marque de commerce doit être étayée par une allégation d’emploi antérieur au Canada d’une marque ou appellation commerciale similaire prêtant à confusion, ou par une allégation suivant laquelle une marque de commerce s’est fait connaître au Canada avant la date alléguée de premier emploi de la marque de commerce faisant l’objet de la demande ou suivant laquelle une demande d’enregistrement de marque de commerce a été antérieurement déposée au Canada (paragraphe 16(1) de la Loi). L’opposante n’a pas formulé de pareilles allégations dans sa déclaration d’opposition. En conséquence, l’opposante ne peut invoquer l’article 16 pour faire valoir que la requérante n’a pas satisfait aux exigences de l’article 30 de la Loi. Cet argument a déjà été plaidé à l’égard du deuxième motif de l’opposition. Par conséquent, le quatrième motif est rejeté parce que, tel qu’il est rédigé, il ne constitue pas un motif d’opposition valide.

 

En ce qui a trait au premier motif, l’opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial. Le contenu de l’affidavit de Mme Muzzo n’établit pas que les services ne sont pas décrits dans les termes ordinaires du commerce. Quoi qu’il en soit, les paragraphes 4, 12, 13 et 14 de l’affidavit de M. Perna confirment cependant que les services étaient bien décrits dans des termes ordinaires du commerce. Par conséquent, le premier motif de l’opposition est également rejeté.

 

Le deuxième motif d’opposition soulève les questions de fardeau de preuve, à savoir ce qui peut être utilisé pour s’acquitter de ce fardeau et, le cas échéant, quelles sont les conséquences. Je fais référence à la décision de l’agente d’audience J. Bradbury dans Black Dog Tavern Co. c. 533737 Alberta Ltd. 2000, CarswellNat 2479, lorsqu’elle a résumé ces questions dans les termes suivants :

 

[traduction] Dans la mesure où l’opposante s’appuie sur des allégations de fait pour étayer son motif fondé sur l’article 30, il existe un fardeau de présentation suivant lequel elle doit prouver ces allégations [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al. c. Seagram Real Estate Ltd., (1984), 3 C.P.R. (3d) 325, aux pages 329 et 330]. Ce fardeau est par ailleurs moins lourd en ce qui a trait à la question de non‑respect des exigences de l’alinéa 30b) [voir Tune Masters c. Mr. Ps Mastertune (1986), 10 C.P.R. (3d) 84, page 89]. Pour s’acquitter du fardeau de présentation qui lui incombe en ce qui a trait à une question particulière, l’opposante doit présenter une preuve admissible suffisante à partir de laquelle il peut raisonnablement être conclu que les faits allégués à l’appui de la question existent [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd., (1990), 30 C.P.R. (3d) 293, page 298]. L’opposante peut s’acquitter de son fardeau en se référant non seulement à sa preuve mais aussi à celle de la requérante [voir La Brasserie Labatt Limitée c. Les Brasseries Molson, Société en nom collectif (1996), 68 C.P.R. (3d) 216, à la page 230].

 

Je dois également reproduire un extrait pertinent du jugement prononcé par M. le juge Heald dans La Brasserie Labatt Limitée, précité, qui a été cité dans nombre de décisions se rapportant à un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) de la Loi :

 

Comme Labatt l’a déclaré avec justesse dans ses observations, il lui incombait, en tant que requérante, de convaincre le registraire qu’elle a satisfait aux exigences de l’article 30. Elle a donc produit des éléments de preuve, dont les affidavits de M. Beasley, pour établir le caractère enregistrable de la marque de commerce. Dans sa déclaration d’opposition modifiée, Molson a invoqué le motif énoncé à l’alinéa 38(2)a) susmentionné et a affirmé que la marque demandée n’avait pas été employée par Labatt depuis la date indiquée, soit 1957. Toutefois, Molson n’a produit aucun élément de preuve au soutien de cette affirmation. Par conséquent, la question qui se pose est celle de savoir si le registraire a eu tort de refuser l’enregistrement de la marque de commerce en se fondant sur ce motif, compte tenu du défaut de l’opposante de produire des éléments de preuve à cet égard.

 

À mon avis, la question n’est pas aussi simple que le prétend Labatt. On ne peut pas simplement dire que, parce que Molson n’a pas fourni d’éléments de preuve au soutien de ce motif d’opposition, une conclusion quant à ce motif est erronée. Selon la thèse de Labatt, les faits indiqués dans les affidavits qu’elle a présentés comme preuve établissaient l’emploi de la marque depuis la date indiquée. Sans contester ces faits en soi, sauf sur la base de l’admissibilité, Molson a défendu le point de vue selon lequel ces faits n’établissaient pas l’emploi de la marque demandée. À mon avis, Molson n’était pas obligée de produire des éléments de preuve au soutien de cette prétention. La décision rendue dans l’affaire John Labatt précitée impose un fardeau de preuve à une opposante dans la mesure où celle­ci se fonde sur des allégations de fait. Toutefois, l’opposante dans la présente espèce, à savoir Molson, a soulevé une discussion juridique quant aux conclusions à tirer des faits allégués par Labatt. Par conséquent, je repousse la prétention de Labatt selon laquelle le registraire a commis une erreur en rendant une décision fondée sur un motif à l’égard duquel Molson n’a produit aucun élément de preuve.

 

Labatt a de nouveau invoqué la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Playboy précitée. Dans cette affaire, le registraire a rejeté l’opposition à une marque demandée fondée sur le motif que la requérante n’avait pas employé la marque à la date indiquée. La Section de première instance [39 C.P.R. (2d) 32] a confirmé la décision du registraire [35 C.P.R. (2d) 43] et la Cour d’appel a rejeté l’appel. Bien que l’opposant dans cette affaire ait affirmé qu’il n’y avait pas d’emploi à la date indiquée, il n’a produit aucun élément de preuve au soutien de cette affirmation. La requérante n’a pas fourni elle non plus d’éléments de preuve établissant l’emploi à la date indiquée. La Cour a résumé la situation en ces termes :

L’appelante [l’opposante] a déposé quatre affidavits lors de la procédure d’opposition. Aucun d’entre eux ne contenait une preuve appuyant l’allégation selon laquelle la date de premier emploi était postérieure à celle indiquée dans la demande. De même, il n’y avait aucun témoignage fait sous serment par l’intimé pour appuyer cette indication, autre que la répétition de la date contenue dans la contre‑déclaration. Le registraire se trouvait donc dans la situation où il avait la déclaration de l’intimé dans la forme exigée par la Loi et les règlements y afférents, non réfutée par une preuve ayant quelque valeur. Il n’avait que l’allégation non prouvée de l’appelante. Il devait, dans ces circonstances, résoudre une question de fait et, à mon avis, en se fondant sur la preuve qui lui avait été soumise, il était justifié à conclure, comme il l’a apparemment fait, que l’attaque dirigée contre la date de premier emploi spécifiée par l’intimé n’était pas fondée. À mon avis, il avait parfaitement le droit, en se fondant sur les éléments du dossier, de conclure ainsi et le juge de première instance n’a pas fait d’erreur en rejetant cette attaque dirigée contre la décision du registraire. [Playboy, précité, aux pages 275 et 276.]

L’avocat de Labatt a soutenu que l’extrait précité de l’affaire Playboy appuie l’argument qui veut que si l’opposante ne produit aucun élément de preuve au soutien d’un motif d’opposition, alors la requérante devrait pouvoir conclure que ce motif n’est plus en jeu. Selon moi, l’affaire Playboy n’appuie pas cette prétention. Les faits dans Playboy permettent d’établir une distinction avec la présente espèce car le registraire ne disposait d’aucune déclaration sous serment dans cette affaire. La seule preuve dont il disposait était une déclaration non réfutée de la requérante. Le registraire a décidé d’accepter cette déclaration et a tiré ses conclusions en conséquence. Dans la présente espèce, le registraire a été saisi de déclarations sous serment dont il a pu tirer des conclusions de fait. Le registraire dans la présente espèce n’était donc pas dans la même situation que le registraire dans l’affaire Playboy.

 

L’avocat de Labatt a soutenu que le registraire [TRADUCTION] « peut uniquement examiner la totalité de la preuve se rapportant au motif au soutien duquel elle a été produite » [Transcriptions, 9 avril 1996, page 19]. L’avocat a en outre affirmé que le registraire doit examiner la preuve [TRADUCTION] « point par point, motif par motif » [Transcriptions, 9 avril 1996, page 19]. Je rejette ce point de vue de Labatt. À mon avis, le registraire a le droit d’examiner la preuve dans son intégralité, afin de se convaincre que la marque est enregistrable et qu’il n’existe aucun motif d’opposition valide. S’il n’en était pas ainsi, la pureté du registre des marques de commerce serait compromise. [Non souligné dans l’original.]

 

Enfin, le commissaire Martin dans Hearst Communications, Inc. c. Nesbitt Burns Corp., (2000) 7 C.P.R. (4th) 161, a affirmé ce qui suit :

[traduction] La preuve de l’opposante ne traite pas de l’exactitude de la date de premier emploi spécifiée par la requérante. Toutefois, comme l’a souligné l’opposante, la propre preuve de la requérante jette un doute sur la date spécifiée.

 

Je dois trancher les questions soulevées par les parties en ce qui a trait à ce motif d’opposition en appliquant les principes énoncés ci‑dessus.

 

Le requérante allègue que l’opposante ne s’est pas acquittée du fardeau initial de la preuve. Elle fait valoir que M. Lacroix n’a aucune expertise en droit des marques de commerce et qu’il a été engagé par l’opposante en 1981 seulement. Par conséquent, même s’il avait les qualités requises pour témoigner de l’absence d’emploi de la marque, ses connaissances personnelles remontaient à 1981 seulement, alors que la demande est fondée sur l’emploi depuis 1978.

 

La requérante prétend que l’affidavit de M. Desmarais est du pur ouï‑dire car il se serait fondé sur des déclarations de M. Lafontaine. Cet affidavit prouve effectivement qu’une conversation téléphonique a eu lieu mais il n’en prouve pas le contenu. Quoi qu’il soit, tel qu’il ressortira de mon raisonnement, je ne m’appuie pas sur le contenu de l’affidavit de M. Desmarais pour étayer ma conclusion.

 

Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, même si le fardeau de présentation incombe à l’opposante, celui‑ci n’est pas très lourd [voir en outre Tune Masters c. Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd., (1986) 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.); La Brasserie Labatt Limitée c. Les Brasseries Molson, Société en nom collectif (1996), 68 C.P.R. (3d) 216 (C.F.P.I.); Williams Telecommunications Corp. c. William Tell Ltd., (1999) 4 C.P.R. (4th) 107 (C.O.M.C.)]. Souvent la partie qui s’oppose allègue ce motif dans sa déclaration d’opposition, mais il est en fin de compte rejeté parce qu’elle ne réussit pas à s’acquitter du fardeau initial. La requérante a invoqué la décision Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, S.A., [2002] 3 C.F. 405, pour faire valoir que la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités et que la preuve présentée par l’opposante ne satisfait pas à cette norme.

 

La requérante soutient en outre que, si l’on considère la preuve dans son ensemble, la prépondérance des probabilités la favorise parce qu’il est plus raisonnable de conclure qu’elle a employé la marque depuis 1978 que de conclure autrement. Je ne souscris pas à cette opinion pour les motifs exposés ci‑après.

 

Si l’opposante soulève comme motif d’opposition que la requérante n’a pas respecté les exigences de l’article 30 de la Loi, elle a le fardeau initial d’établir les faits qui rendent cette allégation probable. Toutefois, pour s’acquitter de ce fardeau initial, l’opposante peut s’appuyer sur tous les éléments de preuve déposés, y compris, le cas échéant, la preuve produite par la requérante. Le registraire ne rend aucune décision interlocutoire sur le caractère suffisant de la preuve produite par l’opposante et, par conséquent, la requérante doit déterminer à ce stade initial s’il est nécessaire de produire une preuve pour démontrer que les motifs d’opposition soulevés ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de la marque. Il se peut qu’il soit nécessaire de produire certains éléments de preuve pour trancher un motif particulier de l’opposition, mais cette preuve fait partie intégrante du dossier et peut être utilisée par l’opposante pour lui permettre de s’acquitter du fardeau initial qui lui incombe relativement aux motifs d’opposition plaidés. Si l’opposante réussit à s’acquitter de sa charge initiale en faisant référence à l’ensemble de la preuve versée au dossier, le fardeau échoit alors à la requérante qui devra prouver, suivant la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de l’article 30 de la Loi, à savoir en l’occurrence que la marque a été employée la première fois à la date alléguée et qu’elle l’a été de manière continue. [Voir Brasserie Labatt Ltée c. Benson & Hedges (Canada) Ltée (1996), 67 C.P.R. (3d) 258 (C.F. 1re inst.), à la page 262.]

 

En m’appuyant sur la preuve déposée par les deux parties, je conclus que l’opposante s’est acquittée de sa charge initiale. L’effet combiné du contenu des affidavits de M. Lacroix et de M. Perna et du contre‑interrogatoire de ce dernier soulève des doutes sérieux quant à l’emploi de la marque à partir de la date alléguée et la continuité de cet emploi continu entre 1978 et le 31 décembre 1984 (soit la date pour laquelle il serait possible de prétendre qu’il existe une preuve de l’emploi de la marque). M. Perna, dans son affidavit, tire des conclusions de droit sans produire de preuve documentaire pour corroborer la date de premier emploi de la marque. En ce qui a trait à M. Lacroix, malgré le fait qu’il n’ait pu attester l’absence d’emploi de la marque entre 1978 et 1981, cette dernière année étant celle où il a commencé à travailler pour l’opposante, il n’en demeure pas moins qu’il travaille pour une institution financière depuis plus de vingt ans et que la déclaration faite dans son affidavit est assez sérieuse pour soulever des doutes quant à l’emploi continu de la marque au Canada entre 1981 et 1984. Ces doutes sont confirmés lorsqu’on examine le contenu du contre‑interrogatoire de M. Perna au cours duquel la requérante s’est opposée à la production de documents qui lui auraient permis d’établir l’emploi de la marque au Canada à la date alléguée de premier emploi. En toute déférence pour la requérante, cette question était importante et les réponses aux engagements n’étaient pas satisfaisantes. Si un requérant décide de fonder sa demande sur l’emploi depuis une date précise, on peut s’attendre à ce qu’il soit en mesure de justifier cet emploi s’il y a lieu. La requérante a prétendu qu’elle détruisait ses dossiers après une période de sept ans. Malgré cela, je note le fait que la requérante a pu récupérer des documents datant de 1981. Si un requérant ne peut corroborer l’emploi d’une marque de commerce à partir de la date de premier emploi, il lui est toujours possible de s’appuyer sur une date ultérieure dont il peut faire la preuve; il ne peut toutefois pas présenter une demande fondée sur un emploi projeté si la marque a été employée avant la date de production de la demande. [Voir Marineland Inc. c. Marine Wonderland & Animal Park Ltd. (1974), 16 C.P.R. 97 (CF 1re inst.).]

 

Par conséquent, le fardeau reposait ensuite sur les épaules de la requérante qui devait prouver, suivant la prépondérance des probabilités, qu’elle avait utilisé la marque pour la première fois en 1978 et qu’elle avait continu de l’employer depuis ce temps. La requérante n’a pas réussi à démontrer l’emploi de la marque au Canada depuis 1978, au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, en liaison avec les services, ni son emploi continu depuis cette date jusqu’à la date de production de la demande. Il n’existe aucune preuve d’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services entre le 1er janvier 1979 et le 31 décembre 1984, soit la date inscrite sur la facture 766. Je suis d’accord avec la requérante pour dire qu’elle n’a pas besoin d’établir l’emploi de sa marque de commerce pour chacun des mois de la période pertinente, mais l’intervalle de cinq ans en l’espèce est trop important pour être écarté compte tenu de la preuve produite par l’opposante. La prépondérance des probabilités favorise l’opposante parce qu’il est plus raisonnable de conclure, à partir de la preuve au dossier, que la requérante n’a pas commencé à employer la marque à partir du 31 décembre 1978 et qu’elle a commencé à l’employer de façon continue seulement à partir du 31 décembre 1984. Par conséquent, je maintiens le deuxième motif de l’opposante.

 

VI Conclusion

 

En vertu de la délégation des pouvoirs du registraire faite sous le régime du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse, en application du paragraphe 38(8) de la Loi, la demande d’enregistrement de la marque.

 

 

 

Fait à Boucherville (Québec), le 21 septembre 2005.

 

 

 

Jean Carrière, Commissaire

Commission des oppositions des marques de commerce

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