Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de French Connection Limited à la demande numéro 1,036,021 produite par International Clothiers Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce F.H.U.K.                                         

 

 

Le 15 novembre 1999, International Clothiers Inc. (la requérante) a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce F.H.U.K. (la marque) fondée sur l’emploi projeté en liaison avec des vêtements, nommément costumes, manteaux, vestes, chandails, pantalons, shorts, gilets, chemises, tee-shirts, cravates, chaussettes et chapeaux (les marchandises).

 

La demande a été publiée en vue de la procédure d’opposition dans le numéro du 16 avril 2003 du Journal des marques de commerce. Le 10 juin 2003, French Connection Limited (l’opposante) a produit une déclaration d’opposition à la demande d’enregistrement. La requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle niait les allégations soulevées par l’opposante.

 

À titre de preuve visée par l’article 41 du Règlement sur les marques de commerce (1996) (le Règlement), l’opposante a produit les affidavits de Neil Williams et de Elizabeth Hardy, ainsi qu’une copie certifiée de l’enregistrement canadien de la marque de commerce no LMC515,878.

 

La requérante a choisi de ne pas produire de preuve. Elle a obtenu une ordonnance l’autorisant à contre-interroger les auteurs d’affidavit de l’opposante, mais elle n’a pas procédé aux contre-interrogatoires.

 

Les parties ont toutes deux déposé un plaidoyer écrit.

 

Aucune demande d’audience n’a été présentée.

 

Probabilité de confusion

La principale question qui se pose en la présente instance concerne la probabilité de confusion entre la marque et la marque FCUK de l’opposante, laquelle a enregistré sa marque et l’a employée en liaison avec des vêtements et d’autres articles. La probabilité de confusion constitue l’élément essentiel sur lequel reposent les motifs d’opposition invoqués en application de trois dispositions de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) : les al. 12(1)d) – l’enregistrabilité ― et 16(3)a) – le droit à l’enregistrement ―, ainsi que l’art. 2 – le caractère distinctif. Les dates pertinentes pour examiner ces motifs d’opposition sont les suivantes : al. 12(1)d) ― la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et le registraire des marques de commerce (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)]; al. 16(3)a) ― la date du dépôt de la demande; le caractère non distinctif ― la date du dépôt de la déclaration d’opposition [voir Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc.  (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.), p. 324].

 

Il incombe à la requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Cela dit, il appartient initialement à l’opposante de produire suffisamment de preuves admissibles permettant raisonnablement de conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition invoqués. [Voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), p. 298; Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.).]

 

L’opposante s’est acquittée de son fardeau initial relativement à l’al. 12(1)d) parce que l’enregistrement sur lequel elle se fonde, LMC 515,878 pour FCUK, est en règle.

 

Pour s’acquitter du fardeau que lui impose l’art. 16, l’opposante doit prouver qu’elle a employé sa marque au Canada avant la date où la requérante a produit sa demande et qu’elle n’avait pas abandonné cet emploi à la date de publication de la demande de la requérante. Le témoignage de Mme Hardy a permis de satisfaire à ce fardeau. Mme Hardy est la directrice générale de French Connection (Canada) Limited, distributeur canadien autorisé de l’opposante qui exploite des magasins de détail et des concessions de French Connection au Canada. Elle a fourni des photographies des marchandises FCUK de l’opposante, ainsi que les étiquettes, étiquettes volantes et emballage employés pour ces marchandises. Ont été fournis les chiffres d’affaires annuels réalisés au Canada par la vente des produits portant la marque FCUK pour les années 1998 à 2003, ainsi que des exemples de factures établissant la vente de marchandises FCUK livrées au Canada destinées à la revente pour les années 1998, 1999, 2001, 2002, 2003 et 2004. (Pièces A-D)

 

Pour s’acquitter du fardeau initial de preuve relatif au caractère distinctif, l’opposante doit établir que sa marque de commerce était « connue au moins jusqu’à un certain point » à la date de production de la déclaration d’opposition, le 10 juin 2003 [Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.), p. 58]. Le témoignage de Mme Hardy satisfait également à ce fardeau. En plus de fournir des renseignements concernant les ventes, elle a donné des précisions concernant la publicité et la promotion de la marque FCUK de l’opposante au Canada depuis au moins juillet 2000 (pièces F1 à K).

 

Critère permettant de conclure à la confusion

Le critère qui permet de conclure à une éventuelle confusion repose sur la première impression et le souvenir imparfait. Suivant le par. 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale. En appliquant ce critère, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles que prévoit le par. 6(5) de la Loi, c’est-à-dire : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. La liste de ces critères n’est pas exhaustive et la valeur probante de chacun peut varier [voir Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.) et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.)].

 

Dans deux arrêts récents, Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321, [2006] 1 R.C.S. 772, et Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée et al (2006), 49 C.P.R. (4th) 401, [2006] 1 R.C.S. 824, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la procédure à suivre pour tenir compte de l’ensemble des circonstances qui permettent de décider si deux marques de commerce créent de la confusion.

 

Monsieur le juge Binnie a examiné, au paragraphe 20 l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin, le critère permettant de conclure à la confusion :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), [1969] R.C.S. 192 (C.S.C.), p. 202 :

[traduction] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement. Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu’il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion.

 

...les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d’empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque. (Citant Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

 

Attentive à ces principes généraux, je vais maintenant évaluer s’il y a probabilité de confusion entre les marques des parties.

 

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d)

L’al. 6(5)a) – le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle chacune est devenue connue 

La marque de commerce uniquement composée de lettres n’est pas une marque qui possède un caractère distinctif inhérent [GSW Ltd. c. Great West Steel Industries Ltd. et al. (1975), 22 C.P.R. (2d) 154 (C.F. 1re inst.)]. Ni l’une ni l’autre des parties ne possède donc une marque ayant un caractère distinctif inhérent.

 

Il n’y a apparemment pas eu d’emploi ou de promotion de la marque de la requérante, ce qui signifie qu’elle n’est pas devenue connue. Par contre, la preuve démontre que l’opposante a largement employé et fait la promotion de sa marque, ce qui me permet de conclure que sa marque FCUK est devenue suffisamment connue au Canada.

 

Dans l’ensemble, ce facteur favorise l’opposante.

 

L’al. 6(5)b) – la période pendant laquelle chacune des marques de commerce a été en usage

Ce facteur joue nettement en faveur de l’opposante.

 

Les al. 6(5)c) et d) – le genre de marchandises, services ou entreprises

Les marchandises des parties sont pareilles ou se chevauchent, et l’on peut raisonnablement supposer qu’elles emprunteraient des circuits de distribution similaires. C’est pourquoi ce facteur joue également en faveur de l’opposante.

 

L’al. 6(5)e) – Le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

Il existe dans la présentation des marques F.H.U.K. et FCUK, considérées globalement, une grande ressemblance. Rien dans la preuve n’indique comment prononcer l’une ou l’autre marque : on ne sait si l’on doit prononcer chaque lettre ou si un consommateur prononcerait les lettres en formant un mot auquel l’agencement des lettres lui fait penser. On se demande par ailleurs quelles idées ces marques peuvent suggérer. Il est toutefois permis de croire que les consommateurs associeraient les deux marques au mot « fuck », et qu’ils les prononceraient de cette manière. 

 

Dans l’ensemble, j’estime que ce facteur favorise l’opposante.

 

Les autres circonstances

Il importe de souligner que rien dans la preuve n’établit que des tiers ont employé des marques similaires dans le domaine du vêtement.

 

Conclusion concernant la probabilité de confusion

Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la requérante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombe de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’absence de probabilité raisonnable de confusion entre les deux marques à ce jour. Je reconnais que les marques composées d’initiales n’ont droit, à première vue, qu’à une protection limitée, mais en l’espèce rien dans la preuve n’indique que la marque de la requérante a acquis un caractère distinctif : la preuve établit plutôt que c’est la marque de l’opposante qui a acquis un caractère distinctif et que l’ensemble des circonstances favorisent l’opposante. Le motif d’opposition fondé sur l’al. 12(1)d) est donc admis.

 

Le motif d’opposition fondé sur l’al. 16(3)a)

La marque de l’opposante n’avait pas, à la date de production de la demande, acquis une réputation aussi solide qu’elle ne l’a maintenant. L’opposante avait néanmoins vendu au Canada, à la date de production de la demande, des produits FCUK dont la valeur s’élevait à plus d’un million de dollars.

 

Ayant tenu compte de toutes les circonstances à la date de production, je conclus que la requérante ne s’est pas non plus acquittée de sa charge ultime de prouver la probabilité de confusion à cette date. Le motif d’opposition fondé sur l’al. 16(3)a) est donc admis.

 

Les autres motifs d’opposition

Puisque j’ai déjà donné raison à l’opposante en ce qui concerne deux motifs d’opposition, il n’est pas nécessaire que je tranche les autres.

 

Décision

En vertu des pouvoirs qui me sont délégués par le registraire des marques de commerce au titre du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande en application du paragraphe 38(8).

 

 

 

FAIT À TORONTO (ONTARIO), LE 3 MAI 2007.

 

 

 

Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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