Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de Jurak Holdings Ltd. à la demande n° 1,004,414 produite par Matol Biotech Laboratories Ltd. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce KARL JURAK 1904-1993__________

 

 

I La procédure

 

Le 5 février 1999, Matol Biotech Laboratories Ltd. (la requérante) a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce KARL JURAK 1904-1993 (la marque). La requérante a produit une demande de révision de l’état des marchandises et des services dressé dans la demande d’enregistrement initiale et le registraire a accueilli la demande révisée le 4 mai 2004. La demande vise maintenant des minéraux et des vitamines pour usages thérapeutiques (les marchandises). La demande d’enregistrement est fondée sur l’emploi au Canada depuis le 31 octobre 1994 et elle a été annoncée au Journal des marques de commerce du 28 août 2002.

 

Jurak Holdings Ltd. (l’opposante) a produit une déclaration d’opposition le 28 janvier 2003, que le registraire a transmise à la requérante le 25 février 2003. La requérante a produit une contre‑déclaration le 27 février 2003 dans laquelle elle conteste tous les motifs d’opposition.

 

L’opposante a produit les affidavits d’Anthony Carl Jurak, Arlene E. Siderius et Glenn A. Berg et la requérante, les affidavits de Jennifer Perras et J.F. Robert Bolduc. Avec le consentement des parties et l’autorisation du registraire, la transcription du contre-interrogatoire de M. Anthony Carl Jurak mené dans le cadre d’une procédure d’opposition connexe, soit la demande n° 1,004,415, a été produite dans la présente procédure. Le 30 juin 2004, le registraire a également rendu une ordonnance de contre-interrogatoire de M. Bolduc. Il n’y a toutefois aucune trace au dossier de la transcription de ce contre-interrogatoire. Il se peut que le contre‑interrogatoire de M. Bolduc n’ait jamais eu lieu ou que la transcription n’ait pas été versée au dossier.

 

Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit mais il n’y a pas eu d’audience. Le registraire a reçu le plaidoyer écrit de la requérante le 19 juillet 2005, sans lettre d’accompagnement. Cela a créé de la confusion dans l’esprit de l’opposante, qui prétend que le plaidoyer n’a pas été produit dans le délai prescrit, vraisemblablement en raison de l’absence d’une lettre d’accompagnement qui aurait confirmé la production.

 

II Les procédures connexes

 

La requérante a également produit des demandes d’enregistrement visant les marques de commerce Karl Jurak 1904-1993 et dessin y afférent, portant le numéro de demande 863,443, KARL JURAK, portant le numéro de demande 1,004,415 et JURAK, portant le numéro de demande 1,000,611. S’agissant du dernier dossier, ma collègue, Céline Tremblay, a rendu une décision le 3 mars 2006 (publiée sous l’intitulé Jurak Holdings Ltd. c. Matol Biotech Laboratories Ltd. (2006), 50 C.P.R. (4th) 337), où elle rejette l’opposition de l’opposante. Certains des affidavits produits dans le présent dossier semblent avoir été produits en preuve dans la réponse relative à la demande n° 1,000,611. Sans entrer plus en détail dans cette décision, qu’il me suffise d’en citer tout de suite un extrait sur la recevabilité de la preuve en réponse :

 

À toutes fins utiles, je relève que, même si ces affidavits devaient être considérés comme preuve selon l’article 43, j’accepterais au mieux de prendre en compte le contenu intéressant directement Karl Jurak, parce qu’il est l’un des particuliers nommés dans la lettre de la requérante (pièce RB-1). Je ne tiendrais compte d’aucune autre preuve qui ne se limiterait pas strictement aux matières servant de réponse à la preuve de la requérante. Selon mon analyse de ces affidavits, analyse qui suit, je n’accorderais aucun poids à la preuve que j’accepterais selon l’article 43. Ainsi, même si j’ai commis une erreur en acceptant les affidavits dans la présente opposition, ou même si j’ai commis une erreur en les rejetant comme preuve selon l’article 43, l’issue générale de la présente affaire sera la même. J’ajouterais que mes observations à propos des affidavits sont faites dans le contexte de la présente opposition, et non dans celui de l’opposition à la demande n° 1,004,415. (Non souligné dans l’original.)

 

III Les motifs d’opposition

 

La déclaration d’opposition soulève les questions suivantes :

1)      La demande ne satisfait pas aux conditions de l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi) en ce que la requérante ne pouvait être convaincue qu’elle avait droit d’employer la marque du fait qu’elle savait que Karl Jurak n’est principalement que le nom d’un particulier célèbre qui est décédé dans les trente années précédentes. En fait, les chiffres qui suivent le nom Karl Jurak dans la marque représentent respectivement l’année de sa naissance (1904) et l’année de sa mort (1993). Par conséquent, la marque n’est pas enregistrable et ne peut servir de marque de commerce.

2)      La demande ne satisfait pas aux conditions de l’alinéa 30a) de la Loi dans la mesure où elle ne renferme pas un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises.

3)      La demande ne satisfait pas aux conditions de l’alinéa 30b) de la Loi du fait que la requérante n’a pas employé la marque au Canada depuis le 31 octobre 1994 en liaison avec les marchandises.

4)      La marque n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)a) parce qu’elle n’est principalement que le nom de famille d’un particulier célèbre qui est décédé dans les trente années précédentes, accompagné des dates de vie de ce particulier célèbre, et qu’elle n’est donc pas enregistrable. En outre, même si les bottins téléphoniques canadiens comptent vraisemblablement moins de 25 inscriptions au nom de Karl Jurak, la preuve établira que ce nom est celui d’un particulier célèbre. Par conséquent, en dépit du fait que les bottins téléphoniques canadiens comptent vraisemblablement moins de 25 inscriptions du nom, la demande n’est pas rendue valide par l’énoncé de pratique daté du 16 août 2000 sur lequel l’examinatrice semble s’être appuyée relativement à ce point.

5)      La marque n’est pas distinctive dans la mesure où elle ne distingue pas et n’est pas apte à distinguer les marchandises et les services de la requérante de ceux d’autres personnes, n’étant que le nom d’un particulier célèbre qui est décédé dans les trente années précédentes, accompagné des dates de vie de ce particulier célèbre, et n’est donc pas enregistrable ni ne peut servir de marque de commerce. En outre, même si les bottins téléphoniques canadiens comptent vraisemblablement moins de 25 inscriptions au nom de Karl Jurak, la preuve établira que ce nom est celui d’un particulier célèbre. Par conséquent, en dépit du fait que les bottins téléphoniques canadiens comptent vraisemblablement moins de 25 inscriptions du nom, la demande n’est pas rendue valide par l’énoncé de pratique daté du 16 août 2000 sur lequel l’examinatrice semble s’être appuyée relativement à ce point.

 

IV Discussion des questions que soulève l’opposante

 

Le fardeau de persuasion incombe à la requérante, qui doit établir que sa demande satisfait aux dispositions de la Loi, mais l’opposante doit s’acquitter du fardeau de présentation initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve recevables dont on puisse raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition. Une fois que l’opposante s’est acquittée du fardeau de présentation initial, la requérante doit toujours établir, selon la prépondérance de la preuve, que les motifs d’opposition particuliers ne devraient pas empêcher l’enregistrement de la marque [Voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al. c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux pages 329 et 330; John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company, [2005] C.F. 722].

 

J’ai examiné les éléments de preuve produits par les deux parties, dont certains seront décrits de façon plus détaillée par la suite, et aucun n’étaie la prétention que les marchandises ne sont pas décrites dans les termes ordinaires du commerce. En fait, l’opposante n’a pas traité la question dans son plaidoyer écrit. L’opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial. Par conséquent, le deuxième motif d’opposition exposé ci-dessus est rejeté.

 

Les dates pertinentes pour l’analyse des autres motifs d’opposition sont les suivantes :

 

  Le respect des alinéas 30b) et i) de la Loi : la date de production de la demande (le 5 février 1999); [Voir John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, et Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd., 3 C.P.R. (3d) 469].

  L’enregistrabilité de la marque en vertu de l’alinéa 12(1)a) de la Loi : la date de production de la demande également; [Voir Calvin Klein Trademark Trust c. Wertex Hosiery Inc. (2005), 41 C.P.R. (4th) 552].

  Le caractère distinctif de la marque : la date de production de la déclaration d’opposition est généralement acceptée comme la date pertinente (le 28 janvier 2003). [Voir Andres Wines Ltd. and E & J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, à la page 130 (C.A.F.), et Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.)].

 

i)        Le respect de l’alinéa 30b) de la Loi

 

L’opposante doit s’acquitter du fardeau de présentation, mais celui-ci est généralement caractérisé comme étant peu exigeant. De plus, l’opposante peut s’appuyer sur les éléments de preuve produits par la requérante. Dans ce cas cependant, la preuve de la requérante doit soulever des doutes graves sur l’exactitude des affirmations de la requérante dans sa demande d’enregistrement. [Voir Tune Masters c. Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. (1986) 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.), Labatt Brewing Co. c. Molson Breweries, société en nom collectif (1996), 68 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), et Williams Telecommunications Corp. c. William Tell Ltd., (1999) 4 C.P.R. (4th) 107 (C.O.M.C.)].

 

Je résumerai ci-dessous les éléments de preuve pertinents sur la question.

 

M. Anthony Carl Jurak est le président et le chef de la direction de l’opposante, Jurak Corporation World Wide Inc. Il a été cofondateur de Matol Botanical International Ltd. (Matol Botanical) avec M. Bolduc. Il est le fils de M. Karl Jurak qui est mort en 1993.

 

Il a produit à titre de pièces GG-1 à GG-6 accompagnant son affidavit des photographies des produits de la requérante portant la marque de commerce MATOL. Il a expliqué au paragraphe 54 de son affidavit qu’au moment où il travaillait chez Matol Botanical, entre 1984 et 1997, il était chargé de la production des produits de cette société. Chacun des produits portait une date de péremption marquée sur le produit. Cette date tombe au terme d’un délai de deux ans de la production. Il déclare également que la pièce GG-1 est représentative des produits qui étaient fabriqués lorsqu’il travaillait chez Matol Botanical. Selon la date de péremption, le produit visé aurait été fabriqué le 29 août 1996 ou vers cette date et il ne porte pas la marque ni aucune mention de Karl Jurak ou de M. Karl Jurak. Cependant, la pièce GG-2 porte la marque et aurait été fabriquée le 5 juin 1997 ou vers cette date si on applique la théorie de M. Jurak. La marque apparaît également sur la pièce GG-6, dont le produit aurait été fabriqué le 4 juillet 2002 ou vers cette date.

 

M. Anthony Carl Jurak allègue au paragraphe 56 de son affidavit que Matol Botanical n’a fait mention de son père qu’en 1994 sur les produits vendus en liaison avec la marque de commerce MATOL. Il s’agissait d’un emballage spécial qui a été épuisé vers la fin de cette année. La pièce GG-2 contredit cette affirmation. De plus, M. Bolduc a produit dans son affidavit des factures qui remontent à 1995 (pièce RB-1 et paragraphe 7 de son affidavit), comme il n’a pu retracer de factures remontant à l’année 1994 (paragraphe 8 de son affidavit), qui établissent la vente de produits portant la marque de commerce MATOL. M. Bolduc a produit comme pièce RB-2 un échantillon représentatif d’un flacon portant la marque de commerce MATOL (paragraphe 9 de son affidavit), sur lequel apparaît également la marque. L’opposante fait valoir que l’auteur de l’affidavit n’a pas déclaré que la requérante avait employé de manière continue un tel échantillon depuis octobre 1994. Je n’estime pas que cette omission soulève un doute grave qui pourrait faire conclure que l’opposante s’est acquittée de son fardeau de présentation initial. Les paragraphes 7 à 9 de l’affidavit de M. Bolduc doivent être lus comme un tout. En outre, M. Jurak a admis dans son affidavit qu’il a été fait mention de son père en 1994 sur les produits vendus par Matol Botanical sous la marque de commerce MATOL. Par conséquent, je rejette le troisième motif d’opposition.

 

ii) L’enregistrabilité de la marque

 

Comme l’a souligné la requérante dans son plaidoyer écrit, les autres motifs d’opposition soulèvent la question de savoir si la marque est un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier qui est décédé dans les trente années précédentes. Le gros des éléments de preuve produits porte sur cette question. Il ne fait pas de doute qu’il a existé un particulier du nom de Karl Jurak qui est décédé en 1993. On a fait référence à l’énoncé de pratique du 16 août 2000, intitulé « Alinéa 12(1)a) de la Loi – Nom ou nom de famille », qui fournit des lignes directrices sur l’interprétation de l’alinéa 12(1)a). Ces lignes directrices s’appliquent à l’étape de l’examen de la demande d’enregistrement. De plus, elles ne lient pas le registraire à l’étape de la décision sur l’opposition.

 

La jurisprudence faisant autorité sur la question de la non-enregistrabilité d’une marque de commerce n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes est la suivante : Canada (Registrar of Trade‑marks) c. Coles Book Stores Limited [1974] R.C.S. 438, Gerhard Horn Investments Ltd. c. Registrar of Trade-marks (1983), 73 C.P.R. (2d) 23, et Standard Oil Company c. Registrar of Trade-marks, (1968) 2 R.C. de l’É. 523. Comme l’expose cette jurisprudence, le critère relatif à l’alinéa 12(1)a) est double :

1)      la première condition, et la plus importante, est de savoir si la marque est le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou décédé depuis peu;

2)      dans l’affirmative, le registraire doit alors décider si, dans l’esprit du consommateur canadien moyen, la marque n’est « principalement qu[’] » un nom ou un nom de famille plutôt qu’autre chose.

 

Dans les décisions Molson Cos. c. John Labatt Ltd. 58 C.P.R. (2d) 157, Gould Inc. c. Gould Fasteners Ltd. 85 C.P.R. (3d) 549 et Baron Philippe de Rothschild SA c. Hiltebrandt 22 C.P.R. (3d) 411, il a été statué que pour l’application de l’alinéa 12(1)a) de la Loi, il faut considérer la marque dans son ensemble et ne pas prendre exclusivement en compte la partie de la marque de commerce qui pourrait être considérée comme le nom ou le nom de famille d’un particulier.

 

En l’espèce, la marque n’est pas seulement le nom d’un particulier. Elle comporte un élément numérique. Par conséquent, dans son ensemble, la marque n’est pas le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes. Il n’est pas nécessaire d’examiner le second volet du critère exposé ci-dessus. Le quatrième motif d’opposition est donc rejeté.

 

iii)                Les motifs d’opposition de l’alinéa 30i) et du caractère distinctif

 

Le premier motif d’opposition emploie des formulations semblables à celles du quatrième motif d’opposition. Sans décider si le premier motif d’opposition, dans sa formulation, constitue un motif d’opposition fondé, je ne vois aucune raison qui m’amènerait à des conclusions différentes à l’égard des deux motifs. Dans son ensemble, la marque n’est pas le nom d’une personne. Par conséquent, le premier motif d’opposition est lui aussi rejeté.

 

L’opposante soutient que la marque n’est pas distinctive au motif qu’elle n’est principalement que le nom d’un particulier célèbre décédé dans les trente années précédentes. Par conséquent, l’opposante s’appuie sur la formulation à laquelle elle a eu recours pour le quatrième motif d’opposition. Pour les motifs que j’ai exposés quand j’ai apprécié le quatrième motif d’opposition, je rejette le cinquième motif d’opposition. Je pourrais ajouter qu’aucun élément de preuve n’établit que la marque n’est pas distinctive ou apte à distinguer les marchandises de la requérante de celles d’autres personnes, notamment de celles de l’opposante.

 

 

 

 

 

 

 

 


V Conclusion

 

Compte tenu de ce qui précède et des pouvoirs qui me sont délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition de l’opposante en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), LE 14 SEPTEMBRE 2007.

 

 

 

 

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

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