Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE CONCERNANT L’OPPOSITION de

Essilor International (compagnie générale d’optique) à la demande no 862514, produite par Rampage Clothing Company en vue de l’enregistrement de la marque R-WEAR

 

 

Le 24 novembre 1997, Rampage Clothing Company (ci-après la requérante) a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce R-WEAR (ci-après la marque) en liaison avec les marchandises suivantes :

Chemises, jupes et robes; traitements pour la peau et traitements de beauté, produits de maquillage et pour le bain, nommément fonds de teint, poudre pour le visage, ombre à paupières, eye-liner, crayons à paupières, crayon à sourcils, fard à cils, fard à joues, rouge à lèvres, brillant à lèvres, crayons pour les lèvres, pinceaux et brosses pour maquillage et faux cils, lotions pour le corps, lotions pour les mains, huile pour le corps, crème/gel pour les yeux, baume pour les lèvres, shampoing, revitalisants, gel/laque pour cheveux, gel pour le bain, barres de savon, exfoliant pour la peau, savon moussant pour le bain, huile pour le bain, crème pour cuticules, crème pour le cou et la gorge, nettoyant pour le visage, tonifiant pour le visage, poudre de talc, crème pour le visage, exfoliant pour le visage, masque de beauté, masque pour le corps, masques de boue, fragrances et parfums; articles de lunetterie, nommément montures de lunettes d’ordonnance et lunettes de soleil; bijoux; articles en cuir, nommément portefeuilles, pièce de monnaie ou porte-monnaie, porte-cartes de crédit, porte-clés, calendriers au jour le jour, agendas, calendriers, classeurs à compartiments, sacs banane, sacs à dos, embrayages, petites bourses en cuir; habillement de cuir, nommément vestes, manteaux, paletots d’auto, blousons aviateur et vestes de motards; parapluies; chaises et oreillers; sacs à linge; literie, nommément draps, couvertures, revêtements de matelas, couettes, volants de lit, et taies d’oreiller à volant, linge de toilette, nommément serviettes, débarbouillettes, carpettes,  housses de sièges de toilette et housses pour couvercles de siège de toilette, lingerie de maison, nommément nappes, serviettes à vaisselle, gants isolants et linge de table, nommément sous-verres, serviettes et napperons; chaussures; et accessoires pour cheveux, nommément bandeaux, nœuds, peignes, serre-cheveux, accessoires pour torsader les cheveux, résilles et écharpes,

 

basée sur l’emploi projeté. La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce du 14 octobre 1998 aux fins de toute opposition éventuelle.

 

Le 13 avril 1999, Essilor International (compagnie générale d’optique) (ci-après l’opposante) a produit une déclaration d’opposition.  Le 4 juin 1999, la requérante a signifié et produit une contre-déclaration en réponse à la déclaration d’opposition, dans laquelle elle niait chacun des motifs d’oppositon invoqués par l’opposante dans sa déclaration d’opposition.  Les deux parties ont produit des arguments écrits et, lors de l’audition tenue le 19 septembre 2003, elles ont présenté des observations orales.

 

Les motifs d’opposition peuvent se résumer de la façon suivante dans la mesure où ils ne se rapportent qu’aux articles de lunetterie, nommément aux montures de lunettes d’ordonnance et aux lunettes de soleil (ci-après les marchandises) :

 

a)                  La marque visée par la demande d’enregistrement n’est pas enregistrable compte tenu de l’alinéa 38(2)a) de la Loi sur les marques de commerce (ci-après la Loi), car la marque ne se conforme pas aux exigences de l’article 30.  En particulier :

                                            i.            La requérante a déjà employé la marque au Canada en tout ou en partie;

                                          ii.            La requérante n’a jamais eu l’intention d’employer la marque au Canada ou a abandonné la marque en tout ou en partie;

                                        iii.            La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30a), car elle ne renferme pas un état dressé dans les termes ordinaires du commerce des marchandises spécifiques en liaison avec lesquelles la marque a été employée;

                                        iv.            La requérante a déclaré faussement qu’elle avait droit à l’enregistrement de la marque pour les raisons énoncées ci-après;

 

b)      La marque visée par la demande d’enregistrement n’est pas enregistrable compte tenu de l’alinéa 38(2)c), car la requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque en vertu du paragraphe 16(3) de la Loi parce que :

 

                                            i.            à la date du dépôt de la demande, la marque créait de la confusion avec la marque de commerce AIRWEAR employée antérieurement ou révélée au Canada par l’opposante ou par son prédécesseur en titre en liaison avec des lentilles; lentilles faites de matières organiques; lentilles traitées; verres semi-finis pour les lentilles; étuis pour toutes les marchandises susmentionnées (ci-après les marchandises de l’opposante);

                                          ii.            à la date de dépôt de la demande, la marque créait de la confusion avec la marque de commerce AIRWEAR pour laquelle une demande d’enregistrement a été produite sous le numéro 859171 avec la date de priorité du 22 avril 1997 en liaison avec les marchandises de l’opposante;

                                        iii.            la demande n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 de la Loi et la marque n’est pas une marque de commerce dont l’emploi est projeté mais plutôt une marque de commerce employée ou abandonnée.

 

c)      La marque visée par la demande n’est pas enregistrable compte tenu de l’alinéa 38(2)d), car la marque n’est pas, n’a pas été et ne pouvait pas être, à toute époque pertinente, distinctive des marchandises au sens de l’article 2 de la Loi, car elle n’était pas apte à distinguer les marchandises de la requérante des marchandises de l’opposante compte tenu de :

 

                                            i.            L’emploi ou le fait de faire connaître la fameuse marque de commerce de l’opposante;

                                          ii.            Eu égard à l’article 50, la requérante a permis que la marque soit employée au Canada par des tiers sans que ceux-ci aient une licence appropriée;

                                        iii.            Après son transfert, deux entités ou plus avaient encore le droit d’employer la marque, et ces droits ont été exercés par celles-ci concurremment en contravention du paragraphe 48(2) de la Loi.

 

Les éléments de preuve produits par l’opposante consistent en une attestation d’authenticité de sa demande portant le numéro 859171 pour la marque de commerce AIRWEAR tandis que la requérante a produit l’affidavit de Mme Linda Victoria Thibeault en date du 23 juin 2000.  En réponse, l’opposante a produit l’affidavit de M. Patrick Sartore en date du 17 octobre 2000.  Dans son argumentation écrite, la requérante s’est opposée à l’admissibilité d’un tel affidavit en faisant valoir que ce n’était pas un élément de preuve adéquat à titre de contre-preuve.  Je traiterai cette objection lorsque j’examinerai son contenu.

 

L’affidavit de Mme Linda Victoria Thibeault indique qu’elle est une recherchiste en matière de marques de commerce, qui a été chargée par les agents de la requérante de faire des recherches dans le registre pour repérer des demandes d’enregistrement de marque de commerce ou des enregistrements dans lesquels le mot AIR est employé comme élément en liaison avec des articles de lunetterie.  Les résultats de ces recherches ont été produits comme pièce A jointe à son affidavit. Il y a 14 mentions, y compris la demande de l’opposante.  Comme pièce B jointe à son affidavit, elle a produit une copie correspondante des certificats d’enregistrement ou des demandes où se trouvent les mentions énumérées dans son rapport qu’est la pièce A.

 

Elle a mené une deuxième recherche dans le registre pour repérer des demandes d’enregistrement de marque de commerce ou des enregistrements dans lesquels le mot WEAR est employé comme élément en liaison avec des articles de lunetterie.  Les résultats de cette recherche ont été produits comme pièce C jointe à son affidavit.  Il y a 37 mentions, y compris la demande de l’opposante.  Comme pièce D jointe à son affidavit, elle a produit une copie correspondante des certificats d’enregistrement ou des demandes où se trouvent les mentions énumérées dans son rapport qu’est la pièce C.

 

Elle a finalement fait des recherches dans le registre pour repérer des marques de commerce similaires sur le plan phonétique.  Les résultats de cette recherche ont été produits comme pièce E jointe à son affidavit.  Comme pièce F jointe à son affidavit, elle a produit une copie correspondante des certificats d’enregistrement ou des demandes où se trouvent les mentions énumérées dans son rapport qu’est la pièce E.

 

La contre-preuve de l’opposante consiste en l’affidavit de M. Patrick Sartore.  À l’époque où il a signé son affidavit, il était stagiaire en droit chez les agents de l’opposante.  Il a consulté le dictionnaire français Le Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, pour déterminer la prononciation française du mot AIR et de la lettre R.  Il a produit comme pièce PS-1 jointe à son affidavit les extraits pertinents de ce dictionnaire.  Il allègue que, selon la pièce PS-1, le mot AIR et la lettre R se prononcent de la même façon en français.

 

La requérante a fait valoir qu’un tel élément de preuve ne pouvait pas constituer une contre-preuve adéquate, car l’affidavit de Mme Linda Victoria Thibeault était simplement une recherche concernant l’état du registre.  L’opposante ne devrait pas être autorisée à diviser son dossier de cette façon.  La requérante invoquait London Life Insurance Co. v. Manufacturers Life Insurance Co., (1996), 67 C.P.R. (3d) 563 (COMC).  Dans cette affaire, M. Herzig, membre de la Commission, a indiqué :

 

« Conformément à l’article 43 du Règlement sur les marques de commerce, C.R.C. 1978, ch. 1559, il s’agit d’éléments de preuve qui auraient dû être produits [page 567] dans le cadre de la preuve principale de l’opposante, ou l’opposante aurait dû demander l’autorisation de les présenter à titre de preuve additionnelle en vertu du par. 46(1).  Comme l’a signalé M. Martin, membre de la Commission, dans R.J. Reynolds Tobacco Co. v. Philip Morris Products Inc. (31 juillet 1995, inédite, re. demande no 630,981 pour la marque DE-NIC) [maintenant publié dans 64 C.P.R. (3d) 395], l’article 45 du Règlement ne sert pas à corriger les lacunes de la preuve principale de l’opposante.  Je n’ai donc pas tenu compte du témoignage de M. Kennedy.»

 

À l’audition, l’opposante a fait valoir que cet élément de preuve devrait être considéré comme une contre-preuve adéquate compte tenu du contenu de la pièce F jointe à l’affidavit de Mme Thibeault, laquelle contient le certificat d’enregistrement no 384330 pour la marque de commerce AIR-FOAM et le certificat d’enregistrement no 330456 pour la marque de commerce R-FOAM.  Selon l’affidavit de Mme Thibeault, ces marques de commerce seraient phonétiquement similaires et ont tout de même été autorisées à coexister.  Je dois me rapporter à la déclaration d’opposition produite par l’opposante pour trancher cette question.  L’opposante a allégué que la requérante n’avait pas droit à l’enregistrement de la marque, car elle créait de la confusion avec la marque de commerce AIRWEAR de la requérante.  Le critère pour déterminer s’il y a confusion visé à l’article 6 de la Loi mentionne le degré de ressemblance des marques en litige sur le plan de la présentation ou du son ou dans les idées qu’elles suggèrent (alinéa 6(5)e) de la Loi).  Si l’opposante voulait établir que les marques en litige étaient phonétiquement identiques, elle aurait dû le faire dans le cadre de sa preuve principale.  Par conséquent, le contenu de l’affidavit de M. Sartore est écarté.

 

Il incombe à la requérante d’établir que sa demande est conforme aux dispositions de l’article 30 de la Loi, toutefois, l’opposante doit initialement établir les faits sur lesquels elle se fonde pour appuyer de tels motifs d’opposition.  Une fois que l’opposante s’est acquittée de ce fardeau de la preuve initial, il incombe à la requérante d’établir que les motifs d’opposition particuliers ne doivent pas empêcher l’enregistrement de la marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al v. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux pages 329-330; et John Labatt Ltd. v. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293].

 

Les éléments de preuve de l’opposante n’appuient que le motif d’opposition b) ii) ci-dessus et le motif corollaire a) iv).  Par conséquent, tous les autres motifs d’opposition soulevés par l’opposante dans sa déclaration d’opposition sont rejetés, car l’opposante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve initial qui lui incombait.

 

La question de l’absence de droit à l’enregistrement fondée sur l’alinéa 16(3)b) de la Loi doit être examinée à la date du dépôt de la demande de la requérante (le 24 novembre 1997) [Article 16 de la Loi].

 

Le dépôt de l’attestation d’authenticité de la demande no 859171 pour la marque de commerce AIRWEAR établit la date de dépôt comme étant le 20 octobre 1997, laquelle date est antérieure à la date de dépôt de la demande de la requérante.  Par conséquent, le fardeau de la preuve  se déplace sur la requérante, à qui il incombe d’établir selon la prépondérance des probabilités que la marque ne crée pas de confusion avec la marque de commerce AIRWEAR de l’opposante [voir Christian Dior, S.A. v. Dion Neckwear Ltd [2002] 3 C.F. 405].  Pour déterminer s’il y a confusion entre les marques, le paragraphe 6(5) de la Loi prévoit que le registraire doit tenir compte des circonstances, y compris :

 

i)          le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

ii)         la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

iii)        le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

iv)        la nature du commerce;

 

v)         le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

 

Dans Pernod Ricard v. Molson Breweries (1992), 44 C.P.R. (3d) 359 à la p. 369, M. le juge Deneault a résumé de la façon suivante le critère qu’il faut appliquer pour déterminer s’il y a un risque de confusion entre les deux marques de commerce :

« Le critère de la confusion tient de la première impression. Les marques de commerce devraient être examinées dans l’optique du consommateur moyen qui a un souvenir non pas précis mais général de la marque précédente. En conséquence, les marques ne devraient pas être disséquées ni soumises à une analyse microscopique en vue d’apprécier leurs ressemblances et leurs différences. Au contraire, elles devraient être regardées globalement et évaluées selon leur effet sur l’ensemble des consommateurs moyens: Ultravite Laboratories Ltd. v. Whitehall Laboratories Ltd. [1965] R.C.S. 734, à la p. 737;  Oshawa Group Ltd. v. Creative Resources Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 29 à la p. 35, (C.A.F.); Cantine Torresella s.r.l. v. Carbo (1987), 16 C.P.R. (3d) 137 à la p. 146, (C.F. 1re inst.).

Bien qu’on ne doive pas disséquer les marques pour trancher la question de la confusion, on a jugé que la première partie d’une marque de commerce était la plus pertinente pour les fins de la distinction : Molson Companies Ltd. v. John Labatt Ltd. (1990), 28 C.P.R. (3d) 457 à la p. 461 (C.F. 1re inst.); Conde Nast Publications Inc. v. Union Des Editions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 à la p. 188 (C.F. 1re inst.). Je trouve les propos suivants du Président Thorson dans l’arrêt British Drug Houses Ltd. v. Battle Pharmaceuticals (1944), 4 C.P.R. 48 aux pp. 57 et 58 (C. de l’É.) particulièrement utiles pour expliquer la raison pour laquelle on devrait attirer l’attention sur la première partie de la marque de l’appelante en l’espèce :

 

[TRADUCTION] «... la Cour devrait plutôt chercher à se placer dans la position d’une personne qui ne possède qu’un souvenir général et non précis de la marque précédente et qui voit ensuite la marque récente seule; si cette personne est susceptible de penser que les marchandises sur lesquelles la marque récente est apposée sont produites par les mêmes personnes que les marchandises vendues sous la marque dont il n’a que le souvenir, la Cour peut à bon droit conclure que les marques sont semblables.»

 

 

Dans Battle Pharmaceuticals v. British Drug House Ltd., [1946] R.C.S. 50, l’Honorable juge Kerwin a cité le passage suivant de la décision rendue par le Conseil privé dans Aritoc Limited v. Rysta Limited [1945] A.C. 68 :

« La question de savoir si la prononciation d’un mot ressemble trop à celle d’un autre mot de sorte que le premier tombe sous le coup de l’article 12 de la Trade Marks Act de 1938 dépend presque toujours de la première impression, car il est certain que la personne qui connaît les deux mots ne les confondra pas. C’est la personne qui ne connaît qu’un seul des mots et qui n’en a peut-être qu’un vague souvenir qui se trompera vraisemblablement. Il ressort donc peu de chose d’un examen méticuleux des deux mots, lettre par lettre, syllabe par syllabe, et de leur prononciation avec la clarté d’un professeur de diction. La Cour doit veiller à prendre en considération le souvenir vague et l’effet de la prononciation négligée non seulement de l’acheteur qui utilise la marque de commerce mais également du commis qui sert l’acheteur.»

 

C’est en gardant ces principes à l’esprit que j’analyserai les critères énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi et toutes les circonstances de l’espèce.

 

i           caractère distinctif inhérent

 

Le mot anglais « WEAR » est le suffixe des deux marques de commerce en litige.  La lettre R est le préfixe de la marque tandis que le mot « AIR » est le préfixe de la marque de commerce de l’opposante.  La position prise par les parties sur la question ne diffère pas beaucoup, car la requérante indique que les deux marques ont un certain caractère distinctif tandis que l’opposante fait valoir que les marques en litige ont approximativement le même caractère distinctif inhérent. Ce facteur ne profite à aucune partie.

 

ii          la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

 

Aucun élément de preuve n’a été produit par les parties en ce qui concerne leur emploi de leur marque de commerce respective. Ainsi ce facteur ne profite à aucune partie.


 

iii et iv             le genre de marchandises et la nature du commerce

 

Comme l’opposition est limitée à l’enregistrement de la marque en liaison avec les marchandises, je ne tiendrai compte de ceux-ci qu’aux fins de ma décision.

 

L’opposante fait valoir que les marchandises et les marchandises de l’opposante sont dans la même catégorie générale de marchandises, à savoir les articles de lunetterie.  Par conséquent, les marchandises circuleraient par les mêmes voies commerciales.  La requérante fait valoir que vu qu’il est projeté d’employer la marque en liaison avec une longue liste de vêtements, cosmétiques, produits pour le bain, accessoires de vêtements et articles ménagers, et que l’expression R-WEAR a une certaine signification en rapport avec la raison sociale de la requérante, laquelle est « Rampage Clothing Company », il est évident que la requérante a l’intention d’employer la marque dans le contexte d’une marque de conception sur un éventail étendu d’articles et d’accessoires de mode.  Dans ses arguments écrits et au cours de l’audition orale, la requérante a soumis diverses hypothèses afin de distinguer la nature du commerce de ses marchandises de celles de l’opposante.  En l’absence d’éléments de preuve pour appuyer l’un ou l’autre des scénarios probables de la requérante, je ne peux conclure en faveur de l’une ou l’autre des parties lorsque j’analyse la nature du commerce, mais je peux toutefois conclure, en me servant du sens commun, que les marchandises et les marchandises de l’opposante sont dans la même catégorie générale de marchandises, à savoir les articles de lunetterie.

 

v          degré de ressemblance

En ce qui concerne ce critère, le juge Cattanach a indiqué dans Beverly Bedding & Upholstery Co. v. Regal Bedding & Upholstery Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145, conf. 60 C.P.R. (2d) 70 :

« À toutes fins pratique, le facteur le plus important dans la plupart des cas, et celui qui est décisif, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées quelles suggèrent, les autres facteurs jouent un rôle secondaire.»

Le degré de ressemblance entre les marques de commerce en litige doit être évalué en tenant compte de leur présentation ou du son, ou des idées quelles suggèrent.  Il existe une différence dans la présentation des marques de commerce en litige et dans les idées quelles suggèrent.  La principale question est de savoir s’il existe une ressemblance phonétique entre les marques de commerce.  La requérante fait valoir qu’il n’y aucune preuve d’expert qui me permettrait de conclure qu’un francophone prononcerait les deux marques de commerce de la même façon.  Étant donné que j’ai écarté du dossier l’affidavit de M. Patrick Sartore, il n’y a aucune preuve au dossier en ce qui concerne la prononciation française des mots « RWEAR » et « AIRWEAR ».

L’opposante se fonde sur l’affaire Thorold Concrete Products Ltd. v. Registrar of Trade-Marks, (1961) 37 C.P.R. 166 pour appuyer la proposition voulant que le registraire pourrait consulter les dictionnaires pour déterminer la prononciation des mots.  Dans cette affaire, les parties ont produit des extraits de dictionnaires pour établir la prononciation d’un mot en anglais.  Pour prendre sa décision, le tribunal s’est référé à un dictionnaire américain, mais ce n’est pas clair si ledit extrait a été produit par l’une des parties comme élément de preuve ou si c’est le tribunal qui, de sa propre initiative, s’est référé à ce dictionnaire.  Dans Molson Breweries, Apartnership v. John Labatt Ltd, 3 C.P.R.(4th) 543 et dans Insurance Co. of Prince Edward Island v. Prince Edward Island Insurance Co. (1999) 2 C.P.R.(4th) 103, M. Gary Partington, qui était président de la Commission des oppositions des marques de commerce, s’est référé à un dictionnaire pour déterminer le sens d’un mot, même si les extraits pertinents n’étaient pas compris dans les éléments de preuve produits dans ces dossiers.

La question à laquelle je dois répondre est la suivante : est-il nécessaire que la prononciation des mots soit établie au moyen d’un affidavit d’expert ou si le tribunal peut en prendre connaissance d’office?  La position de la requérante est que la prononciation des mots doit être établie au moyen d’un affidavit d’expert.  Pour appuyer sa prétention, la requérante invoque la décision Etablissements Léon Duhamel v. Créations K.T. M., (1986) 9 C.I.P.R. 60.  Il faut remarquer que, dans cette affaire, le président G.W. Partington devait trancher la question de l’admissibilité d’un témoignage expert pour établir la prononciation de mots.  Il a statué que ce témoignage était admissible et il a cité le passage suivant du juge Walsh dans Ethicon Inc. et al v. Cyanamid of Canada Ltd., 35 C.P.R. (2nd) 126 pour appuyer sa décision :

 

« Quant aux affidavits relatifs à la prononciation du mot « Ethicon », l’intimée a cité l’affaire Home Juice Co. v. Orange Maison Ltée (1976), 52 C.P.R. 175, [1968] 1 Ex. C.R. 163, 36 Fox Pat. C. 111, dans laquelle le président Jackett, comme il l’était alors, a déclaré que la preuve sur l’examen d’un expert relative au sens de l’expression « Orange Maison » n’était pas recevable parce que le sens des mots, à l’exception des mots ayant un sens particulier dans un commerce donné, dans le domaine scientifique, dans l’industrie ou dans un autre domaine relève de la Cour qui l’interprète avec les moyens dont elle dispose et non pas de la preuve sur l’examen d’un expert.  Cependant, en l’espèce, ce n’est pas le sens des mots qui est en litige mais plutôt leur prononciation dans l’une des deux langues officielles. À cet égard, Fox (dans Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3rd ed. (1972)), nous dit à la page 172 :

 

 

[TRADUCTION] …La preuve de la prononciation est recevable en français aussi bien qu’en anglais.  Ces règles sont particulièrement appropriées dans le cas des mots polysyllabiques.  On a admis dans un certain nombre d’arrêts publiés qu’il y a une tendance à escamoter la terminaison des mots et que la première syllabe d’une marque à terme unique est en général la plus importante.  Mais il y a une exception à cette règle : cela dépend en grande partie de la nature du mot.  Ainsi, on a souligné dans l’affaire Aristoc Ltd. v. Rysta Ltd. (1945), 62 R.P.C. 65, qu’il est souvent coutume en anglais d’escamoter le mot commençant par la lettre « a ».  Cependant, on ne peut pas porter ce principe trop loin.  Il y a une limite aux lettres qui peuvent être normalement escamotées.  Dans le cas des marques de commerce à terme unique, il faut toujours tenir compte non seulement des préfixes escamotés mais aussi de la mauvaise prononciation et de la prononciation négligée.

 

 

Bien qu’il incombe toujours à la Cour de prendre une décision, et ceci peut se faire sans l’aide de la preuve au cas où la requête serait entendue sur le fond par un juge dont la langue maternelle est le français, il semble que la preuve de la prononciation est recevable.»

 

Par conséquent, il semblerait qu’en l’absence de preuve quant à la prononciation en français de la lettre R et du mot AIR, je peux utiliser mes propres connaissances de ma langue maternelle pour déterminer leur prononciation, surtout dans un cas comme celui qui nous occupe où la comparaison est entre une lettre de l’alphabète et un mot d’une seule syllabe.  Je me réfère à la définition que Sopinka et Lederman donnent de la « connaissance d’office » dans leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1999), à la page 1055 : [TRADUCTION] « Acceptation par le tribunal, tant en matière civile qu’en matière pénale, de la véracité d’un fait ou d’une situation sans avoir besoin d’une preuve formelle ». Les extraits suivants sont instructifs :

« Le tribunal peut admettre d'office et sans qu'il soit besoin qu'une partie en fasse la preuve tout fait a) dont la notoriété en rend l’existence raisonnablement incontestable; b) dont il est possible d’établir facilement l’exactitude en recourant à des sources facilement accessibles dont la fiabilité ne saurait être remise en question (à la page 1055).

Il y a des faits qui, même s’ils n’entrent pas dans la connaissance immédiate du juge, sont incontestables et dont l’existence peut être vérifiée en recourant à des sources que le juge peut légitimement consulter. Parmi ces sources, mentionnons les traités, les dictionnaires, les almanachs et les autres ouvrages de référence, les recueils de jurisprudence, les certificats établis par des fonctionnaires, les déclarations de fonctionnaires et les dépositions des témoins au procès (à la page 1058) ».

 

J’arrive donc à la conclusion que je peux prendre connaissance d’office du fait qu’un francophone prononcerait les mots « RWEAR » et « AIRWEAR » de la même façon.

 

La dernière question à laquelle je doit répondre sur ce sujet est de déterminer quel segment de la population canadienne je devrais prendre en considération?  Dans Smithkline Beecham Corporation v. Pierre Fabre Médicament, (2001) 11 C.P.R. (4th) 1, la Cour d’appel fédérale a décidé que s’il y a un risque de confusion dans l’une ou l’autre des langues officielles du pays, une marque de commerce ne peut pas être enregistrée.  Par conséquent, je conclus que la marque est phonétiquement identique à la marque de commerce de l’opposante.

 

vi         circonstances

 

La preuve de la requérante consiste en extraits de l’état du registre pour faire valoir que le préfixe « AIR » et le suffixe « WEAR » sont communs à un bon nombre de marques de commerce appartenant à différentes entités au Canada et utilisées par celles-ci au Canada en liaison avec des articles de lunetterie.  Au paragraphe 14 de son argumentation écrite, la requérante énumère sept (7) demandes ou enregistrements à titre de références les plus pertinentes où le mot AIR est incorporé comme élément de la marque de commerce et où les articles de lunetterie, en général, font partie de la liste des marchandises couvertes par ces références.  Dans le dossier, il n’y a aucun élément de preuve quant à l’emploi de l’une ou l’autre de ces marques de commerce.  Le nombre de demandes ou d’enregistrement est insuffisant pour me permettre de conclure que le mot AIR est largement employé dans le commerce en liaison avec les articles de lunetterie.  [Voir Scott Paper Co. V. Wyant & Co. (1995), 61 C.P.R. (3d) 546, Welch Foods Inc. v. Del Monte Corp. (1992), 44 C.P.R. (3d) 205 et T. Eaton Co. v. Viking GmbH& Co. (1998), 86 C.P.R. (3d) 382].

 

Dans ses arguments écrits, la requérante énumère treize (13) demandes d’enregistrement de marque de commerce ou d’enregistrements tirés de l’affidavit de Mme Thibeault, comme étant les références les plus pertinentes, qui contiennent le mot WEAR comme suffixe, où les articles de lunetterie sont indiqués dans la liste des marchandises.  Le mot WEAR n’est pas l’élément distinctif de chacune de ces références.  En fait, il est intéressant de remarquer que le préfixe de chacune de ces marques de commerce est leur élément distinctif.


 

Compte tenu de toutes les circonstances susmentionnées, j’arrive à la conclusion que la requérante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la marque ne risque pas de créer de la confusion avec la marque de commerce AIRWEAR de l’opposante lorsqu’elle est employée en liaison avec les marchandises.  Le motif d’opposition de l’opposante b)ii) ci-dessus est accueilli.  Par conséquent, conformément au pouvoir qui m’a été délégué par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3) de la Loi et en application des principes énoncés dans Produits Ménagers Coronet Inc. v. Coronet Werke Heinrich SCH 10 C.P.R. (3d) 482, je rejette la demande d’enregistrement de la marque présentée par la requérante seulement à l’égard des marchandises suivantes :

« articles de lunetterie, nommément aux montures de lunettes d’ordonnance et aux lunettes de soleil »

en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À MONTREAL, QUÉBEC, CE 21e JOUR D’OCTOBRE 2003.

 

Jean Carrière,

Membre,

Commission des oppositions des marques de commerce

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