Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

 

Référence : 2014 COMC 126

Date de la décision : 2014-06-23
TRADUCTION

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par Chanel S. de R.L. à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1,464,417 pour la marque de commerce EDEN ALLURE & dessin d'arbre au nom de Cultural Connections LLC.

Le dossier

[1]        Le 30 décembre 2009, Cultural Connections LLC a produit une demande d'enregistrement pour la marque de commerce EDEN ALLURE & dessin d'arbre, reproduite ci-dessous, pour emploi en liaison avec les marchandises suivantes :


Marchandises
[traduction]

(1)       produits cosmétiques pour les soins du corps et les soins de beauté,

 

(2)        crèmes pour le visage à usage cosmétique; savons pour le corps;

shampooings; baume à lèvres.

 

[2]        La demande est fondée sur l'emploi de la marque au Canada depuis le 18 décembre 2009 en liaison avec les marchandises énumérées en (1) et sur un emploi projeté au Canada en liaison avec les marchandises énumérées en (2).

 

[3]        La demande a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce du 16 juin 2010 et Chanel S. de R.L. s'y est opposée le 16 novembre 2010. Le 23 novembre 2010, le registraire a transmis une copie de la déclaration d'opposition à la requérante, comme l'exige l'article 38(5) de la Loi sur les marques de commerce, LRC, 1985, Ch. T-13. En réponse, la requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie l'ensemble des allégations contenues dans la déclaration d’opposition. L'opposante, avec le consentement de la requérante, a demandé une période de « réflexion » de six mois dans le but de résoudre ses différends avec la requérante; la prolongation demandée a été accordée et a pris fin le 10 février 2012. Les parties ne sont toutefois pas parvenues à s'entendre.

 

[4]        La preuve de l'opposante est constituée des affidavits de Naomi Machado et d'Aleksandar Vukovic, ainsi que de copies certifiées des enregistrements canadiens des marques de commerce ALLURE, ALLURE HOMME SPORT et ROUGE ALLURE de l'opposante. La preuve de la requérante est constituée de la déclaration de Todd Smith (faite sous serment dans l'État de la Floride). Les parties ont toutes deux produit un plaidoyer écrit et étaient également toutes deux représentées à l'audience qui a été tenue le 22 mai 2014.

 

La déclaration d'opposition

Allégations

[5]        L'opposante plaide qu'elle est la propriétaire des marques déposées ALLURE, ALLURE HOMME SPORT et ROUGE ALLURE, ainsi que des marques ALLURE SENSUELLE, ALLURE HOMME, et ALLURE HOMME ÉDITION BLANCHE, lesquelles sont devenues distinctives et bien connues au Canada comme des marques de l'opposante employées en liaison avec des parfums, des rouges à lèvres et divers produits pour les soins du corps.

 

Les motifs d'opposition

[6]        Divers motifs d'opposition sont soulevés et pourraient être caractérisés de façon générale comme (i) des motifs « techniques » fondés sur l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce et liés à la question de savoir si la demande est conforme aux exigences relatives à son contenu, et (ii) des motifs « de fond » liés à la question de savoir si les marques des parties créent de la confusion.

 

    Motifs techniques

    art. 30b) – Conformité

[7]        L'opposante allègue que la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande n'a pas, en réalité, été employée au Canada en liaison avec les marchandises (1), c'est-à-dire les cosmétiques pour les soins du corps et les soins de beauté, depuis la date de premier emploi alléguée dans la demande, soit le 30 décembre 2009.

 

    art. 30i) – Conformité

[8]        L'opposante allègue que la requérante ne pouvait pas être convaincue d'avoir droit d'employer la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande étant donné l'emploi antérieur des marques de l'opposante comprenant le terme ALLURE.

 

    Motifs de fond

    art. 12(1)d) – Enregistrabilité

[9]        L'opposante allègue que la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande n'est pas enregistrable, parce qu'elle crée de la confusion avec les marques déposées ALLURE, ALLURE HOMME SPORT et ROUGE ALLURE de l'opposante.

 

    art. 16(3)a) – Droit à l'enregistrement

[10]      L'opposante allègue que la requérante n'a pas le droit d'employer la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande en liaison avec les marchandises « crèmes pour le visage à usage cosmétique; savons pour le corps; shampooings; baumes à lèvres » (c.-à-d. les marchandises en liaison avec lesquelles la requérante projette d'employer sa marque) parce qu'un tel emploi créerait de la confusion avec une ou plusieurs des marques de l'opposante.

 

    art. 2 – Caractère distinctif

[11]      L'opposante allègue que la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande ne distingue pas et n'est pas adaptée à distinguer les marchandises de la requérante des marchandises de l'opposante vendues sous les marques ALLURE, ALLURE HOMME SPORT, ROUGE ALLURE, ALLURE SENSUELLE, ALLURE HOMME et ALLURE HOMME ÉDITION BLANCHE.

 

[12]      Avant d'analyser les motifs d'opposition, j'examinerai d'abord la preuve au dossier et expliquerai en quoi consiste le fardeau de preuve de l'opposante et le fardeau ultime de la requérante. Une fois cela fait, j'analyserai les motifs d'opposition selon l'ordre dans lequel ils ont été soulevés, c'est-à-dire les motifs techniques fondés sur l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce en premier lieu, et les motifs de fond fondés sur les articles 12, 16 et 2, en second lieu.

 

La preuve de l'opposante

Naomi Machado

[13]      Mme Machado affirme qu'elle est une technicienne juridique employée par le cabinet qui représente l'opposante. En avril 2012, elle a effectué une recherche dans Internet à l'aide des paramètres « "eden allure" & Canada ». Les trois premières pages de résultats sont jointes à son affidavit comme pièce NM-1. Elle a ensuite cliqué sur les dix premiers liens s'affichant dans la première page et a joint des imprimés tirés des sites correspondants à ces liens comme pièces NM-2 à NM-11.

 

[14]      Le contenu des pièces susmentionnées indique que la marque visée par la demande est employée en liaison avec de l'huile d'argan extraite de l'arganier, un arbre qui pousse au Maroc. L'huile est décrite comme riche en antioxydants, en acides gras et en vitamine D, et il est recommandé de l'appliquer sur la peau, les cheveux et les ongles.

 

[15]      L'information contenue dans la pièce NM-8, qui est en partie corroborée par d'autres documents produits comme pièces, est la suivante :

[traduction]

Eden Allure est la marque de fabrique de cultural connections, LLC, un fabricant américain de produits naturels pour les soins de la peau, des cheveux et du corps à base d'huile d'argan.

          Elle a été créée à Orlando, en Floride, en 2007. Elle compte actuellement des clients partout dans le monde.

          La marque Eden Allure comprend des produits pour les soins de la peau, des cheveux et du corps de première qualité dont les formulations contiennent des ingrédients naturels et biologiques, et de l'huile d'argan marocaine à 100 % pure certifiée équitable.

          Le produit original d'Eden Allure est l'huile d'argan marocaine pure. Bien qu'elle soit aussi offerte mélangée à d'autres produits, l'huile pure demeure le produit qui génère le plus de ventes. . . La gamme de soins pour la peau Eden Allure comprend aussi d'autres produits, tels des savons et des shampooings. 

 

Aleksandar Vukovic

[16]      M. Vukovic atteste qu'il est un recherchiste en marques de commerce employé par le cabinet qui représente l'opposante. En avril 2012, il a effectué une recherche dans le registre des marques de commerce dans le but de repérer les demandes et enregistrements de marques de commerce canadiens contenant l'élément ALLURE, ou une variante de cet élément, dans les catégories internationales 3 et 5 (lesquelles incluent les marchandises des parties). Les résultats de sa recherche sont joints à son affidavit comme pièce AV-1, et résumés au paragraphe 8 de son affidavit :

          [traduction]
La recherche sur l'état du registre a révélé douze (12) enregistrements de marque de commerce et/ou demandes d'enregistrement en instance; de ce nombre seulement quatre (4) concernent une marque de commerce constituée du mot ALLURE, seul ou en conjugaison avec d'autres éléments. Trois (3) de ces marques de commerce ALLURE appartiennent à l'Opposante, tandis que la quatrième est l'objet de la demande de la requérante.

 

La preuve de la requérante

 

Todd Smith

[17]      M. Smith atteste qu'il est le propriétaire de l'entreprise de la requérante. Son affidavit vise à présenter en preuve les pièces suivantes :

 

Pièces A entrée du dictionnaire pour le mot « allure »

En tant que verbe, le mot « allure » signifie [traduction] « être attrayant ou tentant »; en tant que nom, il signifie [traduction] « fascination, charme, attrait ».

 

Pièce Bspécimens d'emballage de marchandises vendues sous la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre

La pièce B est constituée d'une photocopie d'une photographie montrant (i) un flacon pulvérisateur contenant de l'huile d'argan et (ii) un [traduction] « pain de beauté » emballé dans ce qui semble être un contenant rectangulaire en carton.

 

Pièces C à Ffactures envoyées au Canada

Chacune de ces pièces est constituée d'une seule facture concernant de l'huile d'argan apparemment expédiée d'Orlando, en Floride, vers deux lieux différents au Canada, à savoir Woodbridge, en Ontario et Camrose, en Alberta. La commande la plus importante concerne 1 080 unités de 2,2 oz liq. (au coût de 6,60 $ l'unité), tandis que la plus petite commande concerne 48 unités de deux capacités différentes, à savoir 1 oz liq. et 2,2 oz liq. L'envoi le plus lointain remonte à novembre 2009 et l'envoi le plus récent à juillet 2012.

 

Fardeau ultime et fardeau de preuve

[18]      Comme je l'ai mentionné précédemment, j'estime nécessaire, avant d'examiner les motifs d'opposition, de passer en revue (i) le fardeau de preuve qui incombe à l'opposante, soit d'étayer les allégations contenues dans sa déclaration d'opposition et (ii) le fardeau ultime dont doit s'acquitter la requérante, soit de prouver sa cause. 

 

 [19]     S'agissant du point (i) ci-dessus, l'opposante doit, conformément aux règles de preuve habituelles, s'acquitter du fardeau de prouver les faits inhérents aux allégations formulées dans sa déclaration d'opposition : voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited, 30 CPR (3d) 293, p. 298 (CF 1re inst.). L’imposition d’un fardeau de preuve à l’opposante relativement à une question donnée signifie que, pour que cette question soit examinée, la preuve doit être suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question. En ce qui concerne le point (ii) ci-dessus, la requérante a le fardeau ultime de démontrer que sa demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce, contrairement à ce qu'allègue l'opposante dans sa déclaration d'opposition (mais uniquement à l'égard des allégations relativement auxquelles l'opposante s'est acquittée de son fardeau de preuve). Le fait que le fardeau ultime incombe à la requérante signifie que, s’il est impossible de parvenir à une conclusion décisive une fois l’ensemble de la preuve produite, la question doit être tranchée à l’encontre de la requérante.

 

Examen des motifs d'opposition

Premier motif d'opposition – art. 30b)

[20]      L'article 30b) exige que la requérante indique, dans le cas d'une marque qui a été employée au Canada, la date à laquelle elle a commencé à employer la marque en liaison avec les marchandises décrites dans la demande. Le fardeau de preuve dont doit s'acquitter l'opposante à l'égard d'un motif d'opposition fondé sur l'article 30b) est relativement léger, car, contrairement à la requérante, l'opposante n'a qu'un accès limité à l'information concernant la date de premier emploi de la marque visée par la demande et les produits qui ont été vendus en liaison avec la marque visée par la demande. En l'espèce, l'opposante s'appuie sur les « ambiguïtés » contenues dans l'affidavit de M. Smith et sur la preuve produite par Mme Machado pour s'acquitter de son fardeau de preuve.

 

[21]      M. Smith ne fait aucune déclaration dans son affidavit à part que de décrire les pièces qui y sont jointes. À mon sens, la preuve de M. Smith est plus laconique qu'elle n'est « ambiguë ». Au mieux, les documents joints comme pièces corroborent l'emploi de la marque visée par la demande en date de novembre 2009, mais il s'agit uniquement d'un emploi en liaison avec de l'huile d'argan.

 

[22]      La preuve de Mme Machado indique que la requérante possède deux gammes de produits, à savoir (1) une gamme de produits pour les soins de la peau comprenant des savons et des shampooings qui contiennent de l'huile d'argan, et (2) de l'huile d'argan (tel qu'il appert également des pièces C à F de l'affidavit de M. Smith). Ainsi, il est loin d'être clair que l'huile d'argan est un « produit cosmétique pour les soins du corps et les soins de beauté » et non simplement un produit distinct différent de la gamme de produits pour les soins de la peau de la requérante. Par conséquent, il est impossible de déterminer avec certitude si la requérante a réellement employé sa marque au Canada en liaison avec un quelconque « produit cosmétique pour les soins du corps et les soins de beauté ». Conjuguées à la preuve de Mme Machado, les lacunes que comporte la preuve de M. Smith en ce qui concerne les produits autres que l'huile d'argan, sont suffisantes pour mettre en doute la conformité à l'article 30b) : voir Corporativo de Marcas GJB, SA de CV c. Bacardi & Company Ltd., 2014 CF 323, para. 30 à 38 (CanLII).

 

[23]      Par conséquent, il revient à la requérante de s'acquitter du fardeau ultime de démontrer, selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités qui s'applique en matière civile, qu'elle a réellement employé sa marque en liaison avec les marchandises décrites dans la demande à compter de la date de premier emploi revendiquée, à savoir le 30 décembre 2009. À cet égard, toute la preuve pertinente au dossier doit être évaluée selon le critère habituel, c'est-à-dire en prenant en considération [traduction] « sa provenance (y compris sa qualité et sa fiabilité), l’absence de preuve qu’il faudrait raisonnablement s’attendre à observer et la question de savoir si l'élément de preuve a été mis à l’épreuve en contre-interrogatoire et, si tel est le cas, comment il a réussi cette épreuve. De nombreux facteurs variés guident l’évaluation des éléments de preuve » : voir Corporativo de Marcas GJB, précitée.

 

[24]      Étant donné que la preuve de Mme Machado possède au moins une certaine valeur probante, et qu'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la requérante fournisse au moins certains éléments de preuve concernant l'emploi au Canada de la marque visée par la demande en liaison avec des produits cosmétiques pour les soins du corps et les soins de beauté (particulièrement en réponse à la preuve de Mme Machado soumise en vertu de l'article 43 du Règlement sur les marques de commerce), j'estime que la requérante ne s'est pas acquittée de son fardeau ultime d'établir la conformité à l'article 30b). En conséquence, la demande est repoussée en ce qui concerne les « produits cosmétiques pour les soins du corps et les soins de beauté ».

 

Deuxième motif d'opposition – art. 30i)

[25]      L'article 30i) exige que la demande renferme une déclaration portant que le requérant est convaincu d'avoir droit d'employer la marque visée par la demande au Canada.

 

[26]      J'ai examiné le deuxième motif d'opposition et j'estime, au regard de la déclaration d'opposition dans son ensemble, qu'il n'est pas fondé sur des allégations suffisamment détaillées. À cet égard, l'allégation selon laquelle les marques des parties créent de la confusion n'est pas suffisante en soi pour appuyer un motif d'opposition fondé sur l'article 30i). L'article 30i) n'est pas une « clause fourre-tout », mais peut être invoqué à titre de motif d'opposition, par exemple, si une fraude de la part du requérant est alléguée ou si des dispositions législatives fédérales empêchent l'enregistrement de la marque : voir Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), p. 155 et Canada Post Corporation c. le Registraire des marques de commerce (1991), 40 CPR (3d) 221.

 

[27]      Étant donné qu'aucun fait substantiel n'a été plaidé, et encore moins prouvé, à l'appui du motif d'opposition fondé sur l'article 30i), je rejette le deuxième motif d'opposition.

 

Troisième, quatrième et cinquième motifs d'opposition – art. 12(1)d); art. 16(3)a); et art. 2

    Principale question à trancher

[28]      La question sous-jacente et déterminante que soulèvent les motifs d'opposition de fond est de savoir si la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande crée de la confusion avec la marque ALLURE de l'opposante.

 

[29]      La date pertinente la plus lointaine pour évaluer la question de la confusion est la date de production de la demande, soit le 17 juin 2009, eu égard au motif fondé sur l'article 16(3)a), tandis que la date pertinente la plus rapprochée est la date de ma décision, eu égard au motif fondé sur l'article 12(1)d) : pour un examen de la jurisprudence concernant les dates pertinentes dans les procédures d’opposition voir American Retired Persons c. Canadian Retired Persons (1998), 84 CPR (3d) 198, pp. 206 à 209 (CF 1re inst.). En l'espèce, cependant, la date pertinente en fonction de laquelle la question de la confusion est évaluée n'a pas d'incidence sur l'issue de l'affaire.

 

    Quand des marques de commerce créent-elles de la confusion?

[30]      Des marques de commerce créent de la confusion lorsqu’il existe une probabilité raisonnable de confusion au sens de l'article 6(2) de la Loi sur les marques de commerce, lequel est libellé comme suit :  

L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[31]      Ainsi, l'article 6(2) ne porte pas sur la confusion entre les marques elles-mêmes, mais sur la confusion portant à croire que des biens et services provenant d’une source proviennent d’une autre source. En l'espèce, la question que soulève l'article 6(2) est celle de savoir si des acheteurs des marchandises de la requérante vendues sous la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre croiraient que ces marchandises ont été produites ou autorisées par l'opposante, ou font l'objet d'une licence concédée par cette dernière, qui vend des produits similaires sous la marque ALLURE. C’est à la requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités qui s’applique en matière civile, qu’il n’y aurait pas de probabilité raisonnable de confusion.  

 

    Le test en matière de confusion

[32]      Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Les facteurs à prendre en considération pour déterminer si deux marques créent de la confusion sont « toutes les circonstances de l’espèce, y compris » celles expressément énoncées aux articles 6(5)a) à 6(5)e) de la Loi, à savoir, le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle chaque marque a été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive, et tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération. En outre, ces facteurs n’ont pas nécessairement tous le même poids, car le poids qu’il convient d’accorder à chacun varie selon les circonstances : voir Gainers Inc. c. Tammy L. Marchildon et le Registraire des marques de commerce (1996), 66 CPR (3d) 308 (CF 1re inst.). Toutefois, comme l'a souligné le juge Rothstein dans Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc. (2011), 92 CPR(4th) 361 (CSC), le degré de ressemblance est souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce, même s’il est mentionné en dernier lieu à l’article 6(5).

 

     Examen des facteurs énoncés à l'art. 6(5)

     Premier facteur – le caractère distinctif inhérent et acquis

[33]      À mon sens, la marque ALLURE de l'opposante possède un caractère distinctif inhérent considérable. Il s'agit, certes, d'un mot du dictionnaire, mais ce mot n'est généralement pas employé dans le langage courant. En outre, la preuve de l'état du registre présentée par M. Vukovic indique que peu de commerçants, si ce n'est aucun, autres que l'opposante ont adopté le terme ALLURE comme marque de commerce pour des cosmétiques et des produits pour les soins du corps. Je reconnais toutefois que le terme ALLURE possède une connotation laudative dans le contexte des parfums, des rouges à lèvres et des produits pour les soins du corps de l'opposante et que cette connotation atténue son caractère distinctif. De même, la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande possède un caractère distinctif inhérent considérable du fait de la présence de l'élément ALLURE. À cet égard, le dessin d'arbre n'est pas particulièrement distinctif et l'élément EDEN serait perçu comme une allusion à la Bible. Conjugué à l'élément EDEN, le dessin d'arbre pourrait être perçu comme une référence au célèbre arbre du jardin d'Éden. Considérée dans son ensemble, la marque visée par la demande possède une certaine connotation laudative dans le contexte des produits de la requérante, en raison des éléments EDEN (qui évoque la « pureté » ou l'« enchantement ») et ALLURE, laquelle connotation atténue son caractères distinctif inhérent.

 

[34]      Aucune des parties n'a démontré que sa ou ses marques avaient acquis un quelconque caractère distinctif au Canada. Par conséquent, le premier facteur, qui concerne à la fois le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis, ne favorise aucune des parties de façon significative.

 

      Deuxième facteur – la période pendant laquelle les marques ont été en usage

[35]      Aucune des parties n'a fait la preuve d'un emploi significatif de sa ou ses marques au Canada. Par conséquent, le deuxième facteur ne favorise aucune des parties.

 

     Troisième et quatrième facteurs – le genre de marchandises et la nature des commerces des parties

[36]      D'après ce qu'il m'est possible de déterminer au vu de la preuve au dossier, les marchandises des parties sont similaires et seraient employées à des fins similaires. On peut donc supposer que les marchandises des parties seraient offertes en vente à proximité relative les unes des autres dans le même genre de points de vente au détail. Par conséquent, les troisième et quatrième facteurs favorisent la requérante.

 

      Cinquième facteur – le degré de ressemblance

[37]      À mon sens, les marques des parties se ressemblent dans une mesure considérable. À cet égard, la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre de la requérante incorpore la totalité de la marque ALLURE de l'opposante. Bien que l'élément ALLURE ne soit pas l'élément le plus dominant de la marque EDEN ALLURE & dessin d'arbre visée par la demande, il n'en demeure pas moins un élément dominant.

 

[38]      Les marques en cause se ressemblent surtout dans les idées qu'elles suggèrent, à savoir l'idée de quelque chose « d'attirant ou de tentant ». Il existe également une ressemblance considérable entre les marques sur le plan sonore, car la marque visée par la demande serait prononcée comme « eden allure ». Sur le plan visuel, les marques sont plus différentes que semblables, mais l'élément ALLURE n'est demeure pas moins un élément visuel dominant de la marque visée par la demande. Par conséquent, le dernier facteur énoncé à l'article 6(5) favorise l'opposante dans une certaine mesure.

 

[39]      Comme je l'ai mentionné précédemment, le degré de ressemblance entre les marques est souvent le facteur susceptible d'avoir le plus d'importance dans l'analyse relative à la confusion. Cela est particulièrement vrai lorsque les marchandises (ou services) et les voies de commercialisation des parties sont identiques : voir Reynolds Consumer Products Inc. c. P.R.S. Mediterranean Ltd. (2013)111 CPR (4th) 155 (CAF), para. 26 à 30.  

 

    Autres circonstances de l'espèce

[40]      J'ajouterai qu'à l'audience, le procureur de l'opposante a insisté sur le fait que l'opposante possède une [traduction] « famille de marques », constituée des marques de commerce déposées de l'opposante, et qu'il s'agirait là d'une circonstance qui favorise l'opposante. Je n'ai pas tenu compte de ces observations, car il n'y a aucune preuve établissant que l'opposante a réellement employé sa « famille de marques » sur le marché. En l'absence d'une preuve d'un emploi sur le marché, l'opposante n'est pas en position de revendiquer quelque avantage que ce soit.

 

 Décision

[41]      Compte tenu de ce qui précède, je conclus que, à toutes les dates pertinentes, la prépondérance des probabilités entre la conclusion qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion et la conclusion qu’il existe une probabilité raisonnable de confusion penche légèrement en faveur de l'opposante. Dans l'éventualité où cette conclusion serait erronée, je conclus subsidiairement que la prépondérance des probabilités est également partagée. Mais, comme c'est à la requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer qu'il n'y aurait pas de probabilité raisonnable de confusion, je dois, dans un cas comme dans l'autre, trancher à l'encontre de la requérante. En conséquence, la présente demande d'enregistrement est repoussée.

 

[42]      La présente décision est rendue dans l'exercice des pouvoirs qui m'ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi sur les marques de commerce.

 

 

 

___________________

Myer Herzig, membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada


 

 

 

 

 


Traduction certifiée conforme
Judith Lemire

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