Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE‑MARKS

 

Référence : 2012 COMC 72

Date de la décision: 2012‑04‑25

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45, engagée à la demande de Cassels Brock & Blackwell LLP, visant l’enregistrement no LMC655896 pour la marque de commerce OTTAWA ROUGH RIDERS au nom de Tystar Inc.

[1]               À la demande de Cassels Brock & Blackwell LLP (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a envoyé un avis en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce LRC 1985, ch. T‑13 (la Loi) le 23 octobre 2009 à Tystar Inc., la propriétaire inscrite (l’Inscrivante) de l’enregistrement no LMC655896 pour la marque de commerce OTTAWA ROUGH RIDERS (la Marque).

[2]               La Marque est enregistrée en liaison avec les services suivants (les Services) :

(1)          Fourniture de divertissements et de jeux électroniques par le biais de parties de football.

(2)          Organisation et administration d’un club de football.

(3)          Promotion de l’intérêt et de l’enthousiasme pour les sports par le parrainage de défilés, de spectacles de variétés et autres du même genre.

(4)          Développement et soutien de l’intérêt dans les sports au moyen de publicité par le biais de la presse, de la radio, de films, de bandes vidéo, de la télévision et de projets semblables.

[3]               L’article 45 de la Loi dispose que le propriétaire inscrit doit indiquer, à l’égard de chacune des marchandises et de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. En l’espèce, la période pertinente pour établir l’emploi va du 23 octobre 2006 au 23 octobre 2009 (la période pertinente).

[4]               L’emploi en liaison avec des services est défini comme suit au paragraphe 4(2) de la Loi :

4. (2)      Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services

[5]               Lorsque l’emploi défini ci‑dessus d’une marque de commerce n’est pas établi, celle‑ci est susceptible de radiation, en vertu du paragraphe 45(3) de la Loi, à moins que le défaut d’emploi ne soit attribuable à des circonstances spéciales.

[6]               Il est indéniable que la marque de commerce OTTAWA ROUGH RIDERS a une longue histoire liée au football professionnel à Ottawa, en Ontario. Cependant, ce n’est pas la question qui se pose en l’espèce. La décision à prendre dans les procédures prévues à l’article 45 concerne plutôt strictement la question de savoir si la marque de commerce en cause a été employée à un moment quelconque au cours de la période précisée et, dans la négative, si le défaut d’emploi est justifiable.

[7]               Dans 88766 Canada Inc c Diamont Elinor Inc (2010), 90 C.P.R. (4th) 428 (C.F.), le juge Shore a souligné et expliqué brièvement la raison d’être et l’importance de l’emploi d’une marque de commerce :

Le concept d’emploi est central en droit des marques canadiennes : il est générateur de la titularitée (sic) de la marque. L’emploi permet d’obtenir et de préserver des droits sur la marque à l’encontre de tiers. Tel que l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772 :

[5] Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable. Ainsi, l’inventeur canadien a droit à un brevet même s’il n’en fait aucune exploitation commerciale. Le dramaturge conserve son droit d’auteur même si sa pièce n’est pas jouée. Mais, en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d’ordre est de l’employer sous peine de la perdre. L’enregistrement d’une marque déposée qui n’a pas été employée est susceptible de radiation (par. 45(3) [...]

[8]               En réponse à l’avis du registraire, l’Inscrivante a fourni l’affidavit de M. Horn Chen, son président. Seule la Partie requérante a produit des observations écrites et présenté des observations verbales à l’audience qui a été tenue.

[9]               Un examen de l’affidavit de M. Chen montre clairement que l’Inscrivante n’a pas employé la Marque au Canada au cours de la période pertinente. La totalité de l’affidavit de M. Chen concerne plutôt l’histoire de l’emploi de la Marque au Canada avant l’acquisition de celle‑ci par l’Inscrivante, les circonstances entourant la cessation de son emploi et les efforts qu’elle a déployés pour recommencer à l’utiliser. En conséquence, la question à trancher en l’espèce est de savoir si l’Inscrivante a démontré l’existence de circonstances spéciales qui justifieraient le défaut d’emploi de la Marque, de façon à permettre le maintien de l’enregistrement.

Circonstances spéciales

[10]           Pour décider s’il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque de commerce, il est nécessaire d’examiner les trois critères suivants :

i.                    la durée pendant laquelle la marque n’a pas été employée;

ii.                  la question de savoir si le défaut d’emploi était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit;

iii.                la question de savoir s’il existe une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l’emploi de la marque [voir Canada (Registraire des marques de commerce) c Harris Knitting Mills Ltd (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.)].

[11]           Dans Smart & Biggar c Scott Paper Ltd (2008), 65 C.P.R. (4th) 303 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a quelque peu clarifié l’interprétation du critère des circonstances spéciales faite dans l’arrêt Harris Knitting, précité. Plus précisément, la Cour a conclu qu’il doit être satisfait au deuxième critère du test énoncé dans Harris Knitting pour qu’il soit possible de conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi. Les deux autres critères sont des facteurs pertinents à prendre en compte, mais ne peuvent constituer des circonstances spéciales à eux seuls.

[12]           D’ailleurs, la pertinence du premier critère est manifeste, car les raisons pouvant justifier une brève période de non‑emploi pourraient ne pas justifier une période de non‑emploi qui se prolonge [Harris Knitting, précité; Re : Goldwell (1974), 29 C.P.R. (2d) 110 (R.M.C.)]. De plus, les circonstances du défaut d’emploi doivent être celles qui n’existent pas dans la majorité des cas concernant le défaut d’emploi [Scott Paper, précité; Spirits International NV c Canada (Registrar of Trade‑Marks) (2006), 49 C.P.R. (4th) 196 (C.F.), conf. (2007), 60 C.P.R. (4th) 31 (C.A.F.)]. Dans tous les cas, l’intention de reprendre l’emploi doit être étayée par la preuve [Arrowhead Spring Water Ltd c Arrowhead Water Corp (1993), 47 C.P.R. (3d) 217 (C.F. 1re inst.); NTD Apparel Inc c Ryan (2003), 27 C.P.R. (4th) 73 (C.F. 1re inst.)].

[13]           J’examinerai maintenant la preuve et j’appliquerai le test des circonstances spéciales décrit ci‑dessus pour savoir si l’Inscrivante a satisfait aux critères applicables.

La durée pendant laquelle la Marque n’a pas été employée

[14]           Dans son affidavit, M. Chen fournit des renseignements généraux et explique le contexte historique entourant la pratique normale du commerce en ce qui concerne les Services. Ainsi, il mentionne qu’au cours des dernières décennies, la pratique en question résidait dans l’exécution de services de football professionnel par le prédécesseur en titre de l’Inscrivante, en qualité de membre de la Ligue canadienne de football (la LCF). Il déclare que la Marque a été employée en liaison avec la LCF depuis que la ligue a été créée en 1958. Il ajoute que les Services dépendent de l’adhésion et de la participation à une ligue de football et que la LCF est actuellement la seule ligue nationale de football au Canada.

[15]           En ce qui a trait à la façon dont l’Inscrivante a acquis la Marque, M. Chen explique que l’Inscrivante est une société d’investissement financier qui était le principal créancier garanti de l’Ottawa Rough Riders Football Club, Inc. (l’ORRFC), le propriétaire précédent de la Marque. Toutefois, il ajoute que, le 6 novembre 1996, la LCF a révoqué la franchise de football de l’ORRFC et que, par la suite, l’Inscrivante actuelle a fait l’acquisition de la Marque le 5 mars 1998, en réalisant la garantie générale qu’elle détenait sur l’actif de l’ORRFC. Même s’il semble que la Marque a été employée pour la dernière fois en liaison avec les Services en 1996 par l’ORRFC, c’est la date de cession qui est considérée comme la date de dernier emploi pour l’application des procédures prévues à l’article 45 [Baker & McKenzie c Garfield’s Fashions Ltd (1993), 52 C.P.R. (3d) 274 (C.O.M.C.); Sim & McBurney c Anheuser‑Busch, Inc (2007), 61 C.P.R. (4th) 450 (C.O.M.C.); GPS (UK) Ltd c Rainbow Jean Co (1994), 58 C.P.R. (3d) 535 (C.O.M.C.)].

[16]           En conséquence, la période de non‑emploi de la Marque depuis la date de la cession jusqu’à la date de l’envoi de l’avis prévu à l’article 45 dépasse onze ans. Cette longue période de non‑emploi sera examinée en même temps que les raisons du défaut d’emploi [Harris Knitting, précité; Re: Goldwell, précité].

Les raisons du défaut d’emploi

[17]           Dans son affidavit, M. Chen explique qu’avant et après avoir acquis la Marque, l’Inscrivante a eu de nombreuses discussions avec la LCF au sujet de la possibilité qu’un acheteur achète la franchise à celle‑ci et la Marque à l’Inscrivante. Il ajoute que l’Inscrivante continue à participer activement à des discussions concernant la vente de la Marque et qu’elle est toujours disposée à accorder une licence à l’égard de celle‑ci ou à la céder à un acheteur afin de permettre la poursuite des Services, soit le maintien d’une équipe de football professionnel à Ottawa. Je souligne toutefois que M. Chen ne fournit aucun autre détail au sujet des discussions qui auraient été tenues avec la LCF ou d’éventuels investisseurs. Ainsi, aucun détail n’est fourni au sujet des efforts que l’Inscrivante a déployés ou des obstacles auxquels elle a fait face dans le cadre de l’emploi de la Marque ou de l’octroi d’une licence à son égard depuis qu’elle en a fait l’acquisition en 1998, soit jusqu’à dix ans plus tard.

[18]           À ce sujet, M. Chen explique que, le 25 mars 2008, la LCF a accordé une franchise conditionnelle dans la ville d’Ottawa. Il atteste que des négociations sont en cours au sujet de l’endroit où la nouvelle équipe jouerait. En raison des délais découlant de nombreuses audiences publiques sur l’avenir de l’emplacement, M. Chen souligne qu’aucune nouvelle franchise de football ne jouera vraisemblablement à Ottawa avant la saison 2013 de la LCF.

[19]           Les raisons du défaut d’emploi semblent donc être liées à l’absence de franchise d’exploitation de la LCF à Ottawa, de sorte que l’Inscrivante est incapable de céder la Marque à cette franchise ou de lui accorder une licence à son égard.

[20]           Cependant, comme je l’ai souligné plus haut, M. Chen ne donne que peu de détails et ne fournit aucun élément de preuve documentaire visant à expliquer et à étayer les efforts que l’Inscrivante a déployés ou les obstacles auxquels elle s’est heurtée dans le cadre de l’utilisation ou de la vente de la Marque ou de l’octroi d’une licence à son égard en ce qui a trait à la période de dix ans allant de la date de l’acquisition de ladite Marque jusqu’à la date de l’octroi de la franchise conditionnelle en 2008. En fait, il est difficile de savoir à la lumière de l’affidavit de M. Chen s’il est possible qu’une franchise ait existé dans la ville d’Ottawa ou non pendant cette période. En conséquence, je ne puis conclure que les raisons que l’Inscrivante a invoquées pour justifier le défaut d’emploi de la Marque couvrent toute la durée de cette période. Or, il incombe à l’Inscrivante de fournir suffisamment de détails au sujet des raisons du défaut d’emploi. En conséquence, eu égard à l’absence de détails de cette nature, je ne puis décider si cette absence d’emploi au cours de cette longue période découlait d’une décision commerciale délibérée prise au nom de l’Inscrivante, ou si elle était imputable à des circonstances indépendantes de sa volonté.

[21]           Même si l’absence de franchise de la LCF a été acceptée comme une circonstance indépendante de la volonté de l’Inscrivante qui justifie le défaut d’emploi d’une marque de commerce dans Donahue, Ernst & Young c. Tystar Inc. (2005), 50 C.P.R. (4th) 51 (C.O.M.C.), je signale qu’il existe plusieurs différences de taille entre l’affaire Donahue et la présente affaire. D’abord, la durée de l’absence d’emploi de la marque de commerce était beaucoup plus courte dans Donahue et les raisons invoquées au sujet de ce défaut d’emploi couvraient la totalité de la période en question. De plus, il a été décidé dans Donahue que le propriétaire inscrit avait démontré l’existence d’une intention sérieuse de reprendre l’emploi de sa Marque; cependant, pour les raisons exposées ci‑dessous, dans la présente affaire, l’Inscrivante n’a pas réussi non plus à satisfaire à ce critère du test des circonstances spéciales.

Intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque de commerce

[22]           En ce qui a trait à la question de savoir si l’Inscrivante a établi l’existence d’une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque de commerce dans un bref délai, M. Chen mentionne à nouveau simplement que, depuis l’octroi de la franchise conditionnelle dans la ville d’Ottawa, l’Inscrivante participe à des discussions continues au sujet de la vente de la Marque. Il ne donne aucun autre détail au sujet des dates auxquelles des discussions ont eu lieu et des personnes avec lesquelles elles ont été tenues, mais il est permis de supposer que ces discussions ont eu lieu avec le groupe de propriétaires qui a obtenu la franchise conditionnelle en 2008. Cependant, M. Chen s’exprime comme suit au paragraphe 16 de son affidavit :

[traduction]

Tystar a en main une lettre d’intention (LI) finale faisant état d’un engagement verbal selon lequel, si une franchise est accordée à Ottawa et que la franchise devient opérationnelle en ce qui a trait au football, la marque de commerce OTTAWA ROUGH RIDERS et les autres éléments d’actif seront vendus dans l’expectative que l’emploi de la marque de commerce OTTAWA ROUGH RIDERS en liaison avec les Services reprendra.

[23]           Ce qui ressort de cette déclaration, c’est que l’Inscrivante n’a pas l’intention de reprendre l’emploi de la Marque elle‑même, mais plutôt de la vendre. La preuve d’une intention de vendre une marque ne permet pas de savoir à quel moment l’emploi de celle‑ci est susceptible de reprendre; seules des mesures prises par un propriétaire nouveau ou éventuel pour reprendre l’emploi de la Marque en pareil cas pourraient fournir ce renseignement. De plus, le texte de la déclaration concernant la LI est incertain et ambigu, notamment quant à « l’expectative » que le nouveau propriétaire utilisera la Marque une fois que la franchise de football redeviendra opérationnelle, le cas échéant. Ainsi, non seulement y a‑t‑il une incertitude entourant la date à laquelle une franchise deviendra opérationnelle dans la ville d’Ottawa, le cas échéant, mais l’Inscrivante n’a nullement l’intention de recommencer à employer la Marque elle‑même et il n’y a aucune garantie du fait que le nouveau propriétaire utiliserait nécessairement celle‑ci en liaison avec la franchise. En conséquence, comme l’a souligné le juge Rouleau dans Arrowhead Water Corp c Arrowhead Spring Water Ltd. (1993), 47 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.), nous n’avons « aucun renseignement au sujet de la durée du défaut d’emploi ».

[24]           En conclusion, je ne suis pas convaincue que l’Inscrivante a établi l’existence de circonstances spéciales qui justifieraient le défaut d’emploi de la Marque. Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la longue période d’absence d’emploi, du fait que je ne puis affirmer que le défaut d’emploi au cours de cette longue période était imputable à des circonstances indépendantes de la volonté de l’Inscrivante et du fait que celle‑ci n’a pas démontré qu’elle avait sérieusement l’intention de reprendre l’emploi de la Marque dans un bref délai.

Décision

[25]           Compte tenu de ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions du paragraphe 63(3) de la Loi, l’enregistrement sera radié conformément aux dispositions de l’article 45 de la Loi.

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Kathryn Barnett

Agente d’audience

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

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