Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 159

Date de la décision : 2015-08-24

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION

 

 

Spin Master Ltd.

Opposante

et

 

George & Company, LLC

Requérante

 

 

 



1,455,655 pour la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT

 

Demande

Présentation

[1]               Spin Master Ltd. (l'Opposante) s'oppose à l'enregistrement de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT (la Marque).

[2]                La demande a été produite le 16 octobre 2009 par George & Company, LLC (la Requérante) et elle a subséquemment été modifiée, de sorte qu'elle est désormais fondée sur l'emploi au Canada depuis au moins aussi tôt que le 31 juillet 2008 en liaison avec :

jeux de dés; jeux de fête; et jeux de plateau contenant des dés et des jetons connexes (les Produits).

[3]               L’Opposante a produit une déclaration d’opposition en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi), dans laquelle les motifs d'opposition sont invoqués en vertu des articles suivants : 30, 16(1)a) et 2 (caractère distinctif). Les principales questions à trancher en l'espèce concernent le non-respect des exigences prévues à l'article 30 et la probabilité de confusion avec la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT de l'Opposante.

[4]               Pour les raisons exposées ci-après, la demande est repoussée en partie.

Dossier

[5]               La demande a été annoncée dans le Journal des marques de commerce du 17 novembre 2010. L’Opposante a produit sa déclaration d’opposition le 18 avril 2011. Le 15 juillet 2011, la Requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle conteste chacun des motifs d’opposition invoqués par l'Opposante.

[6]               L'Opposante a produit en preuve les affidavits de Mme D. Jill Roberts, souscrit le 22 novembre 2011 et de M. Chris Harrs, souscrit le 18 novembre 2011.

[7]               La Requérante a produit en preuve les affidavits de M. Peter Smilanich, souscrit le 31 janvier 2013 et de Mme Patti Terry, souscrit le 29 janvier 2013.

[8]               Comme preuve en réponse, l'Opposante a produit un deuxième affidavit de Mme Roberts, daté du 2 avril 2014.

[9]               M. Smilanich, Mme Terry et M. Harrs ont tous été contre-interrogés et les transcriptions de leur contre-interrogatoire ont été versées au dossier.

[10]           Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit et étaient représentées à l'audience.

Le fardeau de preuve incombant à chacune des parties

[11]           C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que sa demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi, tel qu'il est allégué dans la déclaration d'opposition. Cela signifie que si une conclusion déterminante ne peut être tirée une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée à l’encontre de la Requérante. L'Opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu’un fardeau de preuve initial soit imposé à l’Opposante signifie qu’un motif d’opposition ne sera pris en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de ce motif d’opposition [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst); Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al 2002 CAF 291, 20 CPR (4th) 155; et Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company 2005 CF 722, 41 CPR (4th) 223].

Remarques préliminaires

[12]           J’aimerais souligner que, pour prendre ma décision, j’ai pris en considération l’ensemble de la preuve au dossier, mais je ne ferai référence qu’aux éléments pertinents de cette preuve produite par les parties dans les motifs de ma décision.

[13]           Au début de l'audience, j'ai dressé une liste de questions s'adressant principalement à l'Opposante puisque le fardeau de preuve initial lui incombait. Malgré les réponses fournies par l'Opposante, je ne suis pas convaincu que l'Opposante s'est acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait, sauf pour le motif d'opposition invoqué en vertu de l'article 30b) de la Loi, comme on le verra à la lecture de ma décision.

[14]           Dans sa réponse à l'audience, l'Opposante a fait une demande verbale pour modifier sa déclaration d'opposition. Cette demande visait le libellé de son motif d’opposition, lequel est fondé sur l'absence de caractère distinctif de la Marque. J'ai rejeté la demande que l'Opposante a présentée à l'audience, mais j'ai indiqué que je fournirai des motifs plus détaillés dans ma décision. Je présenterai mes motifs lorsque j'évaluerai ce motif d'opposition.

[15]           Cette opposition a été instruite avec trois autres dossiers d'opposition (1395145; 1397736 et 1395147) concernant les mêmes parties et contenant la même preuve. Comme le fondement de chacune de ces autres demandes diffère d'un dossier à l'autre, de même que les listes de produits et de services, les dates pertinentes et les motifs d'opposition, j'ai indiqué aux parties que j'aimerais rendre des décisions distinctes dans chacun des quatre dossiers regroupés.

[16]           À l'audience, l'Opposante a commencé son plaidoyer par une chronologie des événements qui ont eu lieu au Canada ainsi qu'aux États-Unis. L'exercice s'est avéré informatif, mais je dois quand même déterminer si la demande satisfait aux exigences de l'article 30 de la Loi, si la Requérante a droit à l'enregistrement de la Marque et si la Marque est distinctive, au sens de l'article 2 de la Loi.

La preuve de l'Opposante

L'affidavit Roberts

[17]           Mme Roberts est huissière adjointe chez Cease Bailiff Services Inc. Le 22 novembre 2011, elle a consulté le site Web de l'Opposante dont l'adresse est www.spinmaster.com. Depuis ce site, elle s'est rendue sur la page « Games » (jeux), puis a repéré le lien vers le jeu « Left Center Right »; elle a consulté cette page et l'a produite en pièce A. Elle a également ouvert, depuis cette dernière page, le lien « Where to Buy » (où acheter) et l'a produite en pièce B. On indique sur cette page que le jeu « Left Center Right » est vendu chez Kmart, Target, Toys 'R' Us et Walmart.

[18]           À la même date, elle a effectué une recherche du terme « left center right » sur Google. Elle a obtenu plus de 710 000 000 résultats. Le premier résultat était « Left Right Center dice » sur eBay. Elle s'est rendue sur cette page et en a produit l'imprimé en pièce C. Elle affirme que sa recherche a produit 174 résultats pour « left right center » sur eBay, et a affichaient le jeu de l'Opposante appelé « Left Center Right Dice » offert pour la vente.

[19]           Enfin, toujours en cette même journée, elle a effectué une autre recherche sur Google pour le terme « left center right imagination » qui a produit 3 570 000 résultats. Dans les dix premiers résultats, figure un article d'iP Frontline, un magazine sur les technologies IP. L'article est intitulé « Bean Kinney Winns Trademark Case for Left Center Right », daté du 29 juin 2009 et elle a produit une copie de l'article en pièce D.

L’affidavit Harrs et son contre-interrogatoire

[20]           M. Harrs est vice-président, conseiller juridique principal de l'Opposante. Il atteste que Imagination Holdings Pty Ltd. (Imagination) est une société d'Australie qui produit et vend des jeux.

[21]           M. Harrs allègue que, depuis 2007, Imagination produit et vend un jeu de dés sous la marque LEFT CENTER RIGHT au moins au Canada, aux États-Unis, dans la communauté européenne et en Australie. Il affirme que Imagination a obtenu des droits afférents à une marque de commerce dans la communauté européenne et aux États-Unis.

[22]           M. Harrs affirme que la Requérante était bien au courant de l'adoption et de l'emploi de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT par Imagination depuis aussi tôt que le 21 mai 2007 lorsque la Requérante a intenté une action en contrefaçon d'une marque de commerce contre Imagination aux États-Unis. Il affirme être d'avis que la Requérante n'a pas obtenu gain de cause dans cette affaire. Il affirme aussi qu'Imagination a continué de produire et de vendre son jeu de dés sous la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT aux États-Unis, au Canada et ailleurs.

[23]           M. Harrs affirme qu'en 2010, l'Opposante a acheté la marque de commerce d'Imagination LEFT CENTER RIGHT et il a produit en pièce A des copies des enregistrements des États-Unis et CTM de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT qui a été cédée à l'Opposante. Il a aussi produit une copie de la demande canadienne de l'Opposante no 1,524,103 pour la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT.

[24]           M. Harrs déclare qu'à la suite de la cession de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT à l'Opposante, il a annoncé et vendu un jeu de dés au Canada arborant la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT. Il affirme que des milliers de jeux du genre ont été vendus par l'Opposante, et il a produit en pièce C un échantillon montrant la manière dont la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT est employée sur l'emballage des jeux de l'Opposante vendus au Canada.

[25]           Pendant son contre-interrogatoire :

         M. Harrs déclare qu'il a commencé à travailler pour l'Opposante en 2004 (p. 7).

         Il a mentionné qu'en août 2010, l'Opposante a acquis les droits pour la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT. Donc, avant 2010, l'Opposante ne vendait pas le jeu de dés LEFT CENTER RIGHT (p. 14). Par conséquent, les ventes de ce jeu avant août 2010 ont été faites par Imagination (p. 14).

         Aux pages 21 et suivantes, il a été interrogé au sujet de la pièce B de l'affidavit de Mme Roberts, laquelle fait référence au site Web de l'Opposante, plus particulièrement la page sur laquelle figure le nom des magasins où le jeu de dés LEFT CENTER RIGHT de l'Opposante est vendu. Cette page fait référence à des magasins aux États-Unis, puisque certains de ces magasins ne se trouvent pas au Canada ou ne vendent pas ce jeu au Canada.

         La pièce C de son affidavit constitue une preuve du style d'emballage arborant la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT vendue au Canada. Toutefois, il semble y avoir des mots en espagnol, et aucun texte en français (p. 29 et 30).

         Lors du réexamen, il a déclaré que la preuve C montre le style d'emballage employé au Canada. Il ne s'agit peut-être pas de l'emballage exact, puisqu'il diffère d'un pays à l'autre, étant donné le contenu des avertissements et de l'âge recommandé qui varie d'un pays à l'autre.

La preuve de la Requérante

L’affidavit Terry et son contre-interrogatoire

[26]           Mme Terry est une enquêtrice au sein d'Integra Investigation Services Ltd. (Integra). Elle déclare que le 14 janvier 2013, elle a consulté les sites Web situés aux adresses www.spinmaster.ca et www.spinmaster.com et a mené une recherche sur leurs produits à l'aide des mots clés « LEFT », « LEFT CENTER », « LEFT CENTER RIGHT » et « LCR » et a produit en pièce A les imprimés des résultats de ces recherches.

[27]           Le 14 janvier 2013, Mme Terry a consulté le site Web situé à l'adresse www.toysrus.ca et a mené une recherche en ligne sur les produits qui y sont vendus; elle a produit un imprimé des résultats en pièce B. Elle a ensuite appelé et parlé à un représentant des relations avec la clientèle de Toys R Us Canada qui a mené une recherche dans la base de données « interne du magasin » pour LEFT CENTER RIGHT et LCR. On lui a dit qu'aucun dossier actuel ou historique lié à un produit de ce nom n'a été repéré dans la base de données « interne du magasin ».

[28]           Cette même journée, elle a consulté le site Web situé à l'adresse www.walmart.ca et a effectué la même recherche que précédemment; elle a produit des imprimés des résultats. Il n'y a aucune indication qu'un jeu de marque LEFT CENTER RIGHT y est vendu. Elle a ensuite appelé et parlé à un représentant des relations avec la clientèle de Walmart qui l'a informée que le site Web walmart.ca contient tous les produits vendus dans les magasins de détail Walmart, en plus de produits offerts en ligne seulement.

[29]           Ensuite, Mme Terry a mené une recherche en ligne pour trouver de l'information concernant l'ouverture des magasins TARGET au Canada. L'information obtenue indiquait qu'une ouverture était possible pour 2013. Elle a produit en pièce D des imprimés des résultats de cette recherche, y compris un article publié dans le Financial Post.

[30]           Mme Terry a produit en pièce G des imprimés de la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation et son Règlement provenant du site Web du gouvernement du Canada; en pièce H un imprimé du Règlement sur les jouets provenant du site Web du gouvernement du Canada; et enfin en pièce I, un imprimé du Guide destiné à l'industrie sur les exigences de Santé Canada en matière de sécurité des jouets pour enfants et des produits connexes, 2012 provenant du site Web de Santé Canada.

[31]           Pendant son contre-interrogatoire, elle a affirmé ceci :

         On lui a verbalement demandé de mener une enquête concernant LCR LEFT! CENTER! RIGHT!. Les sites Web consultés ont été visités à la suite d'instructions reçues (p. 9 et 10).

         Elle ne s'est pas rendue dans un magasin Walmart pour voir si les jeux y sont offerts pour la vente (p. 19).

         Elle n'a pas effectué les recherches à des dates différentes. Les résultats obtenus sont valables pour la journée où les recherches ont été effectuées (p. 23).

L’affidavit Smilanich et son contre-interrogatoire

[32]           M. Smilanich est le président de la Requérante. Il travaille auprès de la Requérante depuis 1970 et il est président depuis 1997. Il présente un bref historique de l'origine de la Requérante. Il s'agit d'un fabricant de jeux et de fournitures de jeux exploitant divers sites Web pour la vente de jeux et de fournitures de jeux, y compris le site Web situé à l'adresse www.dicegames.com.

[33]           M. Smilanich allègue que le jeu le plus populaire de la Requérante est le jeu de dés LEFT CENTER RIGHT, qu'elle a créé et mis au point. Il affirme aussi que le jeu LEFT CENTER RIGHT, qui est également mis en marché sous la marque LCR, est bien connu dans la plupart des pays anglophones et l'un des jeux de dés les plus vendus de tous les temps, les ventes mondiales s'élevant à quelques millions d'unités.

[34]           M. Smilanich atteste que, de 1986 à aujourd'hui, et ce, de façon continue, la Requérante a mis sur le marché et vendu le jeu LEFT CENTER RIGHT aux États-Unis et au Canada depuis aussi tôt que 1999, sans interruption jusqu'à aujourd'hui.

[35]           Dans son affidavit, M. Smilanich illustre l'emballage qui montre l'emploi à la fois de la marque LCR et de la Marque. Il allègue que cet emballage est représentatif de l'emballage employé par la Requérante au Canada, depuis au moins aussi tôt que 1999. La pièce A contient d'autres représentations de l'emballage du jeu LEFT CENTER RIGHT qui a été utilisé au Canada. La Marque figure bien en vue sur l'emballage.

[36]           Au paragraphe 11, M. Smilanich dresse la liste des détaillants qui vendent le jeu LEFT CENTER RIGHT au Canada. Il a produit en pièce B des copies de factures pour démontrer que la Requérante a expédié le jeu LEFT CENTER RIGHT à des détaillants canadiens. Certaines factures remontent à 2000.

[37]           M. Smilanich affirme que la Requérante compte plusieurs distributeurs au Canada qui reçoivent des jeux LEFT CENTER RIGHT de la Requérante et les distribuent partout au Canada. Ces distributeurs assistent périodiquement à des salons professionnels partout au Canada et font la promotion du jeu LEFT CENTER RIGHT de la Requérante. Il affirme qu'à ce jour, des dizaines de milliers de jeux LEFT CENTER RIGHT de la Requérante ont été expédiés et vendus au Canada et que plusieurs milliers d'entre eux ont été expédiés et vendus avant le 1er janvier 2007.

[38]           M. Smilanich affirme qu'en juin 2011, un employé de la Requérante s'est rendu sur le site Web de magasins de jeux au détail de l'Ontario et de la Colombie-Britannique pour vérifier si le jeu LEFT CENTER RIGHT de la Requérante était mis en marché et pouvait être acheté, et il a produit les résultats de ces recherches en pièce C.

[39]           M. Smilanich explique que la Requérante est la propriétaire de l'enregistrement LMC692,218 pour la marque de commerce LCR, qui couvre des dés, des jeux, des jeux de fête et des jeux de plateau contenant des dés et des jetons connexes, et qui est fondée sur l'emploi au Canada depuis au moins aussi tôt que le 5 octobre 1999. Il a produit un imprimé du site Web de l'OPIC pour cet enregistrement. Il allègue que la Requérante est propriétaire des noms de domaine Internetdicegames.com et leftcenterright.info et qu'elle exploite les sites Web connexes qui, par voie du commerce électronique, permettent aux utilisateurs canadiens de commander des produits, y compris le jeu LEFT CENTER RIGHT, directement à partir du site Web de la Requérante. Il a produit en pièce E des imprimés du site Web montrant divers emballages du jeu LEFT CENTER RIGHT de la Requérante, lesquels sont représentatifs de la manière dont le jeu est présenté sur le site Web de la Requérante depuis au moins aussi tôt que 2002, et ce, jusqu'à aujourd'hui. Il affirme que les acheteurs canadiens peuvent commander le jeu LEFT CENTER RIGHT à partir du site Web de la Requérante et faire livrer les produits directement au Canada.

[40]           M. Smilanich affirme qu'il surveille régulièrement le marché des jeux pour y repérer des produits concurrents aux États-Unis et au Canada et qu'il n'a jamais vu de référence à l'annonce ou à la vente par l'Opposante, ou le prédécesseur en titre de l’Opposante Imagination, de tout produit LEFT CENTER RIGHT au Canada.

[41]           M. Smilanich conclut son affidavit en déclarant qu'il ne connaît aucun jeu de fête d'un tiers ni de jeu vendu au Canada sous une marque de commerce qui comprend les éléments « Left », « Center » et « Right », encore moins un jeu de dés.

[42]           Au cours de son contre-interrogatoire, il a déclaré que :

       À l'exception d'une application sur iTunes pour téléphone intelligent, la Requérante ne fabrique ni ne vend aucun jeu informatique ou logiciel (p. 11).

       Lorsque la Requérante a commencé à vendre le jeu, elle utilisait les lettres L, C et R en majuscule, mais elle a aussi produit quelques jeux sur lesquels il était indiqué LEFT CENTER RIGHT (p. 21).

       Quatre versions du jeu LEFT CENTER RIGHT sont vendues sur le marché : l'une des versions est présentée dans un tube en plastique, et elle sur le marché depuis 25 ans; une autre est placée dans une boîte en fer blanc, et est sur le marché depuis environ 7 ans, soit depuis 2007. Il existe aussi une version de luxe qui est présentée dans une boîte en fer blanc et qui comprend un gobelet. Enfin, il y a une version vendue sous forme de jeu de cartes où les lettres L, C, R et un point sont imprimés sur la face des cartes (p. 31). Cette version est vendue depuis environ 2008 et les marques de commerce de la Requérante sont imprimées sur l'autre face des cartes, mais il n'a pas précisé laquelle.

       Aucune de ces versions du jeu n'est offerte en format jeu de plateau (p. 39).

       Il n'y a aucune distinction entre les jeux de fête de la Requérante et les jeux de dés (p. 40).

       Il existe un site Web où il est possible de jouer au jeu en ligne.

       Le menu déroulant utilisé pour inscrire l'adresse du client sur le formulaire de commande ne contient que 50 États (p. 44 et 45).

       Il n'existe aucun moyen de faire le suivi du nombre de visites sur le site Web de la Requérante qui proviennent du Canada. Cependant, dans les réponses aux engagements, il a été mentionné que le formulaire de commande en ligne qui figure sur le site leftcenterright.info peut être rempli et utilisé par des Canadiens pour effectuer des commandes, ce qui a effectivement été fait.

       Sur l'emballage conçu à l'occasion du 25e anniversaire, à savoir la boîte en fer blanc illustrée en pièce E, le mot « original » a été ajouté; il y est depuis au moins 2008 (p. 53).

       Le seul jeu que la Requérante expédie au Canada, c'est le jeu LEFT CENTER RIGHT. La presque totalité (99 %) de ses ventes au Canada concerne ce jeu (p. 58).

       Selon les factures produites, il semble que, dès novembre 2007, les mots « LEFT CENTER RIGHT » sont parfois écrits dans la description, alors qu'avant cette date, la description utilisée était L C R (p. 79 et 80).

       L'emballage utilisé depuis 1999 a été modifié à quelques occasions, comme l'illustrent le paragraphe 9 et la pièce A de son affidavit (p. 86).

       Son affidavit ne contient rien qui permettrait de ventiler les ventes en fonction du nombre d'unités vendues par année (p. 96).

       Il existe aussi une version sous forme d'application pour téléphone intelligent et une version électronique portable du jeu vendues depuis 2011 (p. 101 à 103).

Contre-preuve de l'Opposante

Le deuxième affidavit Roberts

[43]           Le 25 mars 2014, Mme Roberts a effectué des recherches sur Internet à l'aide du site Web Wayback Machine, afin de trouver des preuves du site Web www.dicegames.com pour chacune des années allant de 1999 à 2008. Elle a produit les résultats en pièce A. Elle a également produit en pièce B les résultats pour le 13 septembre 2008.

[44]           Mme Roberts a ensuite produit en pièce C une copie de l'avis daté du 25 juillet 2008, donné par l'United States District Court of Eastern District of Virginia lors de procédures judiciaires entre la Requérante et Imagination. Enfin, elle a produit en pièce D une copie de la décision de l'United States Court of Appeals for the Fourth Circuit dans l'affaire George & Company, LLC c Imagination Entertainment Limited et al. La décision est datée du 27 juillet 2009.

Le « premier » motif d’opposition

[45]           Le paragraphe 3(a) de la déclaration d'opposition se lit comme suit :

[Traduction]
L'Opposante fonde son opposition sur le motif énoncé à l'article 38(2)a), à savoir que la demande n'est pas conforme aux exigences de l'article 30 puisque, étant donné les faits que contiennent le paragraphe 2, la Requérante ne peut pas avoir été convaincue qu'elle avait le droit d'employer ou d'enregistrer sa marque de commerce. L'Opposante fonde aussi ce motif d’opposition sur le fait que la Requérante n'a pas employé la marque de commerce de la manière énoncée dans la demande, ou ne l'a pas employée du tout. L'Opposante ajoute que la Requérante savait très bien que le prédécesseur en titre de l’Opposante, Imagination Holdings Pty Ltd., était le propriétaire légitime de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT au Canada, aux États-Unis et ailleurs et, par conséquent, la Requérante savait qu'elle n'avait pas le droit d'employer ou d'enregistrer cette marque. En outre, l'Opposante fonde ce motif d’opposition sur le fait que la Requérante a admis que la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT est descriptive et non enregistrable et donc, la Requérante ne peut pas avoir été convaincue qu'elle avait le droit d'enregistrer cette marque.

[46]           Pour faciliter la consultation, j'ai reproduit le paragraphe 2 de la déclaration d'opposition, puisqu'on y fait référence dans la première phrase du paragraphe 3(a).

[Traduction]
2. L'Opposante est la propriétaire de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT pour emploi en liaison avec des jeux de dés.

[47]           À l'audience, l'Opposante a admis que le paragraphe 3(a) de sa déclaration d'opposition, tel qu'il a été que rédigé, couvre les motifs d'opposition invoqués en vertu de l'article 30i) (première, troisième et quatrième phrase) et 30b) (deuxième phrase) de la Loi. Je discuterai plus tard de l'interprétation de la quatrième phrase lorsque j'aborderai le motif d’opposition fondée sur le caractère distinctif, ainsi que de ce que l'Opposante considère comme une allégation que la marque de commerce est descriptive.

Motif d'opposition invoqué en vertu de l'article 30i)

[48]           L’article 30i) de la Loi exige uniquement qu’un requérant se déclare convaincu d’avoir le droit d’employer la marque visée par la demande au Canada en liaison avec les produits et services décrits dans la demande d'enregistrement. Une telle déclaration est comprise dans la présente demande d'enregistrement. Un opposant peut invoquer l'article 30i) dans des cas précis, comme lorsqu'on allègue la mauvaise foi du requérant [voir Sapodilla Co Ltd c Bristol Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC)]. La déclaration d'opposition ne contient aucune allégation de cette nature, sauf pour alléguer que la Requérante était au courant du fait que le prédécesseur en titre de l’Opposante, Imagination, était le propriétaire légitime de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT au Canada, aux États-Unis et ailleurs.

[49]           Comme il en sera question plus tard au sujet du motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif de la Marque, l'Opposante n'a pas établi qu'elle avait, à la date pertinente, des droits antérieurs au Canada sur la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT.

[50]           Enfin, l'Opposante fait valoir que la production de cette demande constituait un plan stratégique afin d'empêcher un concurrent potentiel d'utiliser un descriptif approprié pour un produit concurrent sur le marché canadien, à la suite de procédures judiciaires et de décisions rendues aux États-Unis en faveur du prédécesseur en titre de l'Opposante.

[51]           Cette allégation n'a pas été précisément plaidée dans la déclaration d'opposition de l'Opposante. Quoi qu'il en soit, ou bien l'Opposante avait des droits antérieurs, ou bien elle n'en avait pas – et si elle en avait, elle devait en faire la preuve, ce qu'elle n'a pas fait, comme on le verra dans mon analyse de l'allégation de l'Opposante concernant ses droits antérieurs au Canada.

[52]           L'autre volet de ce motif d’opposition est l'allégation que la Requérante ne peut pas se déclarer elle-même convaincue qu'elle avait le droit d'employer la Marque au Canada, puisqu'elle a admis que la Marque était descriptive et non enregistrable.

[53]           L'Opposante a admis que la Requérante n'a pas admis formellement que la Marque est descriptive. Toutefois, l'Opposante s'appuie sur le témoignage de M. Smilanich, décrivant la façon de jouer, ainsi que les règles du jeu, telles qu'elles figurent en pièce C de l'affidavit de M. Smilanich (p. 172 et 173). Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous une partie de la pièce C :

[Traduction]
LCR est l'un des jeux de groupe les plus simples et les plus intéressants jamais créés. Les lettres « LCR » signifient « Left, Center Right » (gauche, centre, droite) et font référence aux lettres qui apparaissent sur les trois dés avec lesquels se joue le jeu. Sur trois des six faces de chaque dé se trouve un seul point, alors que les trois autres faces affichent respectivement un L, un C ou un R.

Les joueurs commencent avec trois jetons chacun et, à leur tour, roulent les trois dés simultanément. Pour chaque L obtenu, le joueur passe un jeton au joueur à sa gauche; pour chaque R, le joueur passe un jeton au joueur à sa droite. Pour chaque C obtenu, un jeton est placé au centre, dans le pot commun. Les points sont nuls et n'affectent pas le mouvement des jetons.

[54]           Je ne vois pas comment la Marque constitue une description des règles du jeu. Quoi qu'il en soit, ce que la Loi interdit c'est l'enregistrement d'une marque de commerce clairement descriptive, en anglais ou en français, de la nature ou de la qualité des produits et des services. Au mieux, la Marque est peut-être suggestive de la manière dont le jeu se joue pour une personne qui a déjà joué à ce jeu, mais certainement pas pour un consommateur qui ne connait pas du tout le jeu et qui le voit pour la première fois.

[55]           L'Opposante s'appuie également sur une décision rendue par l'United States District Court for the Eastern District of Virginia, produite (décision américaine) en pièce C du deuxième affidavit de Mme Roberts (preuve en réponse). D'abord et avant tout, je ne considère pas de telles pièces comme une « preuve en réponse », au sens prévu à l'article 43 de la Loi. En outre, la décision américaine a été rendue dans le contexte d'une requête en jugement sommaire en réponse à une poursuite en contrefaçon intentée par la Requérante, sur la base de droits de common law sur la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT. En outre, l'Opposante n'était pas partie à la décision américaine, c'était plutôt Imagination. Enfin, je n'ai aucune preuve des principes applicables en vertu de la loi américaine qui régissent ce type de procédures, ni de la manière dont leur résultat final s'appliquerait à ce motif d'opposition.

[56]           Compte tenu de ce qui précède, je rejette ce motif d'opposition, parce que l'Opposante ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait.

Motif d'opposition invoqué en vertu de l'article 30b)

[57]           La date pertinente pour ce motif d'opposition est la date de production de la demande (16 octobre 2009) [voir Georgia-Pacific Corporation c Scott Paper Ltd (1984), 24 CPR (3d) 469 (COMC)].

[58]           L’Opposante doit s'acquitter du fardeau initial de produire une preuve à l'appui de ce motif d'opposition. Par ailleurs, l'Opposante peut s'appuyer sur la preuve de la Requérante pour s'acquitter de son fardeau de preuve léger [voir York Barbell Holdings Ltd c ICON Health & Fitness, Inc (2001), 13 CPR (4th) 156 (COMC)]. Dans ce cas toutefois, la preuve de la Requérante doit être clairement incompatible avec les déclarations faites par la Requérante dans sa demande [voir Tune Masters c Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 CPR (3d) 84 (COMC), Labatt Brewing Co c Molson Breweries, a Partnership (1996), 68 CPR (3d) 216 (CF 1re inst) et Williams Telecommunications Corp c William Tell Ltd (1999), 4 CPR (4th) 107 (COMC)].

[59]           En ce qui concerne ce motif d'opposition, l'Opposante fait référence au fait que M. Smilanich a admis lors de son contre-interrogatoire qu'il n'existe aucune version du jeu de la Requérante vendue avec un plateau (Q156 et suivantes) et qu'il ne fait aucune distinction entre les jeux de fêtes et les jeux de dés de la Requérante (Q164 et 165).

[60]           Je conclus que l'Opposante s'est acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait, au titre du motif d'opposition invoqué en vertu de l'article 30b), relativement aux « jeux de fêtes » et aux « jeux de plateau ». Quant aux jeux de dés, je fais simplement référence à la preuve de la Requérante résumée ci-dessus, qui établit l'emploi de la Marque en liaison avec ces produits.

[61]           Il a été décidé que, lorsque le propriétaire d'une marque choisit de préciser des différences entre les produits d'une même catégorie générale, il en découle qu'un produit est quelque peu différent de l'autre [voir John Labatt Ltd c Rainier Brewing Co et al (1984), 80 CPR (2d) 228 (CAF)]. Par conséquent, la Requérante devait établir l'emploi en liaison avec des « jeux de fêtes » et des « jeux de plateau ».

[62]           La Requérante n'a produit aucune preuve d'emploi de la Marque en liaison avec des jeux de fête. Quant aux jeux de plateau, M. Smilanich a admis que la Requérante ne fabrique pas de plateau de jeu. Lors de son contre-interrogatoire sur ce sujet, il a mentionné que certaines personnes emploient la boîte en fer blanc, qui est une composante du jeu de dés de la Requérante, comme plateau pour y placer les jetons (voir Q158). Mais la boîte en fer blanc n'est certainement pas un plateau de jeu, au sens propre de cette expression, dans le contexte des « jeux de plateau ». Cette expression laisse entendre qu'il doit y avoir un plateau de jeu qui fait partie intégrante du jeu. M. Smilanich n'a pas indiqué que la surface de jeu des jeux de plateau proviendrait de fournisseurs. Je conclus qu'il n'y a aucune preuve d'emploi de la Marque en liaison avec des « jeux de plateau ».

[63]           Dans de telles circonstances, je maintiens ce motif d'opposition pour les « jeux de fêtes; et jeux de plateau contenant des dés et des jetons connexes ».

Le « deuxième » motif d’opposition

[64]           Le paragraphe 3(b) de la déclaration d'opposition se lit comme suit :

[Traduction]
L'Opposante fonde son opposition sur le motif invoqué en vertu de l'article 38(2)d), à savoir que la [Marque] n'est pas distinctive étant donné les faits allégués dans cette déclaration d'opposition et aussi parce qu'elle n'est pas adaptée à distinguer les [Produits] avec lesquels son emploi est allégué par la Requérante des produits et services de tiers, y compris ceux de l'Opposante, et la marque de commerce de la Requérante n'est pas non plus adaptée à les distinguer. À l'appui de ce motif, l'Opposante se fonde aussi sur le fait que l'Opposante, et son prédécesseur en titre [Imagination], vendent un nombre considérable de jeux de dés au Canada et aux États-Unis arborant la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT depuis bien avant la date de premier emploi alléguée par la Requérante et depuis bien avant la date de dépôt de la présente demande. Cet emploi se poursuit à ce jour et l'Opposante n'a jamais abandonné sa marque de commerce.

[65]           À l'audience, l'Opposante a reconnu qu'un tel motif d'opposition est généralement appelé motif d’opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif, ce qui fait référence à la définition de « distinctif » énoncée à l'article 2 de la Loi.

[66]           À l'audience, les parties ne s'entendaient pas sur la portée de ce motif d'opposition. L'Opposante fait valoir que l'un des fondements de ce motif d'opposition est le fait que la Marque est descriptive, comme il est allégué au paragraphe 3(a) de la déclaration d'opposition, reproduite ci-dessus. La Requérante affirme que l'Opposante est limitée par les allégations qu'elle a plaidées, à savoir que la Requérante a admis que la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT est descriptive et non enregistrable. Comme il n'y a aucun aveu au dossier, ce volet du motif d’opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif doit donc être rejeté.

Demande d'autorisation de modifier la déclaration d'opposition

[67]           À l'audience, en conclusion de sa réponse aux représentations verbales de la Requérante, l'Opposante a demandé l'autorisation de modifier sa déclaration d'opposition afin d'invoquer que la Marque n'est pas distinctive parce qu'elle est descriptive. À l'audience, j'ai mentionné que j'avais l'intention de refuser cette requête, au motif qu'elle a été produite trop tard; aucune explication raisonnable n'a été fournie pour expliquer la soumission tardive de cette requête; et j'ai indiqué que j'expliquerais mon raisonnement dans la présente décision.

[68]           Je sais très bien que des modifications peuvent être apportées à toute étape d'une procédure d'opposition, y compris pendant l'audience. Cependant, certains critères ont été établis dans la jurisprudence et il faut en tenir compte. Je fais référence à la décision de M. Troicuk dans Alcantara SpA c Carsilco International Ltd (1986), 10 CIPR 27 (COMC), où il dit :

[Traduction]
La politique de la Commission des oppositions des marques de commerce est d'accorder l'autorisation de modifier une déclaration d'opposition lorsque la Commission est convaincue qu'il y va de l'intérêt de la justice de le faire en tenant compte de toutes les circonstances, y compris i) l'étape à laquelle est rendue la procédure d'opposition, ii) le fait que la demande d'autorisation de modifier aurait pu être présentée plus tôt, iii) l'importance de la modification proposée pour l'opposante, et iv) la mesure dans laquelle la requérante subirait un préjudice si la demande d'autorisation était accordée.

 

[69]           La preuve de la Requérante a été produite il y a plus de deux ans; il en est de même pour le contre-interrogatoire de M. Smilanich. L'Opposante a produit son plaidoyer écrit en octobre 2014, alors qu'il était clair que l'Opposante avait l'intention de discuter de la nature descriptive de la Marque au-delà des limites du présumé aveu de la Requérante, tel qu'il est plaidé dans sa déclaration d'opposition (voir les paragraphes 38, 40, 43 et 69 à 74 du plaidoyer écrit de l'Opposante). Aucune explication n'a été fournie par l'Opposante pour expliquer un tel retard; elle a simplement dit qu'il s'agissait d'une réponse à l'argument de la Requérante formulé à l'audience, selon lequel ce motif d’opposition se limite à l'allégation que la Requérante a admis que la Marque est descriptive. Je ne peux pas accepter une telle explication.

[70]           Lorsqu'elle a produit son plaidoyer écrit, l'Opposante savait très bien ce qu'elle avait l'intention de soutenir. Une telle argumentation va bien au-delà de la simple allégation d'aveu de la nature descriptive de la Marque. Si l'Opposante avait plaidé que la Marque est descriptive, la Requérante aurait peut-être produit une preuve pour soutenir le contraire.

[71]           Le fait d'accepter la modification demandée causerait préjudice à la Requérante, l'empêchant de produire une preuve à cet égard; à moins qu'une remise d'audience soit accordée, ce qui causerait également préjudice à la Requérante. Je n'ai donc autre choix que de refuser la requête de l'Opposante.

[72]           Je pourrais ajouter que, même si je devais accorder la modification de la déclaration d'opposition comme l'a demandé l'Opposante, à la lumière de mon analyse de la nature descriptive de la Marque au paragraphe 54 ci-dessus, le motif d'opposition tel que modifié aurait été rejeté.

Absence de caractère distinctif de la Marque, sur la base de l'aveu de la Requérante disant que la Marque est descriptive

[73]           L'Opposante fait valoir que la Marque n'est pas distinctive, puisque la Requérante a admis qu'elle est descriptive. Cette allégation est indirectement incluse dans le paragraphe 3(b) de la déclaration d'opposition, puisque l'on y trouve une référence aux faits allégués dans la déclaration d'opposition en général. Il y a allégation d'un aveu fait par la Requérante au paragraphe 3(a) de la déclaration d'opposition, reproduite au paragraphe 45 ci-dessus.

[74]           Comme il a été mentionné précédemment, l'Opposante a admis que la Requérante n'a pas admis formellement que la Marque est descriptive. J'ai déjà déterminé qu'il n'y a aucun aveu au dossier indiquant que la Marque est descriptive. J'ai aussi déterminé que la question relative à la nature descriptive de la Marque se limite à l'allégation d'un aveu fait par la Requérante.

[75]           Par conséquent, ce volet du motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif est rejeté.

                                                    L'absence de caractère distinctif de la Marque, sur la base des ventes au Canada et aux États-Unis du jeu LEFT CENTER RIGHT de l'Opposante

[76]           Ce motif d’opposition doit être évalué à la date de production de la déclaration d’opposition (18 avril 2011) [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc 2004 CF 1185, 34 CPR (4th) 317 (CF)].

[77]           Dans Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657, 48 CPR (4th) 427, la Cour fédérale a procédé à une analyse exhaustive de Motel 6 Inc c No 6 Motel Limited, [1982]1 CF 638 et E & J Gallo Winery c Andres Wines Ltd [1976] 2 CF 3 et a conclu que [Traduction] :

         Une marque devrait être connue au Canada au moins jusqu'à un certain point pour annuler le caractère distinctif d'une autre marque;

         Subsidiairement, une marque pourrait annuler le caractère distinctif d’une autre marque si elle est bien connue dans une région précise du Canada.

[78]           L'Opposante a donc le fardeau de preuve initial de démontrer qu'elle, ou son prédécesseur en titre, a vendu des jeux au Canada en liaison avec la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT avant le 18 avril 2011, de telle manière que sa marque de commerce LEFT CENTER RIGHT était connue au Canada dans une certaine mesure, ou qu'elle était bien connue dans une région précise du Canada. Pour les raisons détaillées ci-après, je conclus que l'Opposante n'a démontré aucune de ces situations.

[79]           Les seules allégations d'emploi de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT par l'Opposante ou son prédécesseur en titre Imagination figurent aux paragraphes 3 et 8 de l'affidavit de M. Harrs. Ces allégations peuvent être résumées comme suit :

         Depuis 2007 Imagination produit et vend des jeux de dés sous la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT au moins au Canada, aux États-Unis, dans la communauté européenne et en Australie.

         Après la cession de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT d'Imagination à l'Opposante en août 2010, cette dernière a annoncé et vendu des milliers de jeux de dés arborant la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT.

[80]           Comme l'a fait valoir la Requérante, M. Harrs s'est décrit comme étant le conseiller juridique principal de l'Opposante. Il n'est pas un agent, un directeur, ni un représentant dûment autorisé d'Imagination. Par conséquent, toute allégation de sa part indiquant qu'Imagination a vendu des jeux de dés au Canada sous la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT constitue une preuve par ouï-dire inadmissible. Il n'y a aucune preuve d'une seule vente de jeux faite par Imagination au Canada en liaison avec la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT avant la date pertinente.

[81]           Quant à l'allégation selon laquelle des milliers d'unités auraient été vendus par l'Opposante, ce que prétend M. Harrs, il a admis lors de son contre-interrogatoire que ce nombre ne se limitait pas au Canada (Q110). Par conséquent, nous ne disposons d'aucun renseignement sur le nombre d'unités vendues au Canada par l'Opposante entre août 2010 et le 18 avril 2011.

[82]           Lors de son contre-interrogatoire, M. Harrs a mentionné que l'Opposante disposait d'un service des « ventes et du marketing » ainsi que d'un service de comptabilité. Aucun affidavit n'a été produit par des personnes travaillant dans ces services pour détailler les ventes faites au Canada par l'Opposante au cours de la période susmentionnée, ni les efforts marketing déployés au Canada pendant cette même période pour mousser la vente de son jeu LEFT CENTER RIGHT.

[83]           Quant à l'illustration du jeu qui aurait été vendu au Canada par l'Opposante, certaines inscriptions sur l'emballage sont écrites dans des langues autres que le français et l'anglais, ce qui soulève d'importants doutes quant à l'emploi de cet emballage au Canada. L'Opposante soutient que M. Harrs a mentionné qu'il s'agissait d'une illustration du type de jeu vendu au Canada, sans indiquer catégoriquement que c'est dans cet emballage particulier que le jeu était vendu au Canada. Il n'en demeure pas moins que nous ne disposons d'aucune preuve de transfert de propriété des jeux en liaison avec la marque de commerce LEFT CENTER LEFT au sens de l'article 4(1) de la Loi, ni de la part de l'Opposante, ni de la part d'Imagination.

[84]           En ce qui concerne la preuve d'annonce contenue dans le premier affidavit de Mme Roberts, l'Opposante a admis à l'audience qu'une telle preuve est ultérieure à la date pertinente et ne peut donc pas servir pour étayer le fait que les jeux de l'Opposante ont été annoncés au Canada avant la date pertinente en liaison avec la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT. L'Opposante s'appuie sur cette preuve pour démontrer le non-abandon de sa marque de commerce, comme l'exige l'article 16(5) de la Loi. Par conséquent, j'examinerai, au besoin, cette preuve dans le contexte du motif d’opposition fondé sur l'absence de droit à l’enregistrement.

[85]           L'Opposante n'a donc pas démontré l'emploi, au sens de l'article 4(1) de la Loi, de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT au Canada avant le 18 avril 2011, pour elle-même ou pour Imagination.

[86]           Même si l'Opposante n'a pas précisément allégué que sa marque LEFT CENTER RIGHT était connue au Canada, je supposerai qu'elle l'était au moment où l'Opposante a plaidé qu'elle et son prédécesseur en titre avaient vendu un nombre considérable de jeux de dés aux États-Unis en liaison avec la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT. Je ferai référence à la définition de « faire connaître au Canada » énoncée à l'article 5 de la Loi.

[Traduction]
5. Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada seulement si elle l’emploie dans un pays de l’Union, autre que le Canada, en liaison avec des produits ou services, si, selon le cas :

*         a) ces produits sont distribués en liaison avec cette marque au Canada;

*         b) ces produits ou services sont annoncés en liaison avec cette marque :

o     (i) soit dans toute publication imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce parmi les marchands ou usagers éventuels de ces produits ou services,

o     (ii) soit dans des émissions de radio ordinairement captées au Canada par des marchands ou usagers éventuels de ces produits ou services,

et si la marque est bien connue au Canada par suite de cette distribution ou annonce.

[87]           Ainsi, afin de correspondre à cette définition juridique de l'expression « faire connaître au Canada », l’Opposante devait établir ce qui suit :

1)      Ses produits ont été distribués au Canada en liaison avec sa marque de commerce LEFT CENTER RIGHT (ce qui n'a pas été fait, comme il en a été question précédemment).

2)      Ses produits ou services ont été annoncés en liaison avec sa marque de commerce LEFT CENTER RIGHT dans :

a)    toute publication imprimée mise en circulation au Canada (aucune preuve au dossier);

b)   des émissions de radio ordinairement captées au Canada (aucune preuve au dossier);

3)      Elle est devenue bien connue au Canada par suite d'une telle distribution ou annonce (ce qui n’est pas le cas).

[88]           Aucune de ces conditions n'a été respectée. En fait, l'Opposante a admis à l'audience qu'elle n'avait pas beaucoup de preuve au dossier pour corroborer une allégation selon laquelle la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT de l'Opposante était connue au Canada.

[89]           Dans l’ensemble, je conclus que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial d’établir qu’au 18 avril 2011, l’Opposante avait employé au Canada la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT’ ou qu’elle était connue des Canadiens à cette date, de sorte qu'elle faisait perdre à la Marque son caractère distinctif.

[90]           Par conséquent, je rejette ce motif d'opposition.

Le « troisième » motif d’opposition

[91]           Le troisième « motif » d'opposition défini dans la déclaration d'opposition de l'Opposante se lit comme suit :
[Traduction]

L'Opposante fonde son opposition sur le motif énoncé à l'article 38(2)c), à savoir que la Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la marque de commerce revendiquée dans la demande, au vu des dispositions de l'article 16(1)a), étant donné les faits que contient la déclaration d'opposition. Plus particulièrement, l'Opposante s'appuie sur un emploi antérieur de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT, comme énoncé dans sa déclaration d'opposition. En outre, la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT, qui est visée par l'enregistrement américain de l'Opposante no 3,555,630, a été révélée au Canada bien avant la date de premier emploi alléguée dans la demande, et bien avant la date de production de la demande.

[92]           La date pertinente pour ce motif d'opposition est la date de premier emploi alléguée dans la demande (31 juillet 2008), en ce qui a trait aux jeux de dés [voir l'article 16(1) de la Loi]. Quant aux autres produits, comme le motif d’opposition invoqué en vertu de l'article 30b) a été maintenu à leur égard, la date pertinente devient la date de production de la demande (16 octobre 2009) [voir Americain Cyanamid Co c Record Chemical Co Inc (1972), 6 CPR 278 (COMC)]. Cependant, cette date ultérieure n'a aucun effet sur ma conclusion, à savoir que l'Opposante ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait au titre de ce motif d'opposition.

Absence de droit à l'enregistrement en vertu de l'alinéa 16(1)a) de la Loi

[93]           J'interprète le « troisième » motif d'opposition plaidé par l'Opposante comme signifiant que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque puisque, à la date de premier emploi de la Marque alléguée dans la demande (31 juillet 2008) ou à la date de production de cette demande (16 octobre 2009), la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT de l’Opposante employée ou révélée antérieurement au Canada par l’Opposante.

[94]           J'ai déjà conclu, au titre du motif d’opposition fondée sur l'absence de caractère distinctif, que l'Opposante n'avait pas établi d'emploi antérieur de sa marque de commerce LEFT CENTER RIGHT au Canada ou que celle-ci était connue au Canada au 18 avril 2011. Les plus anciennes dates pertinentes, soit le 31 juillet 2008 et le 16 octobre 2009, n'ont aucune incidence sur ces conclusions. En effet, ces dates pertinentes antérieures remontent à l'emploi allégué de la marque de commerce LEFT CENTER RIGHT par Imagination. Encore ici, comme il en a été question précédemment, je n'ai aucune preuve d'emploi de cette marque de commerce par Imagination au Canada avant ces dates pertinentes.

[95]           Par conséquent, je rejette également ce motif d'opposition, puisque l'Opposante ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve initial.

La décision

[96]           Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement en ce qui a trait aux « jeux de fête; et jeux de plateau contenant des dés et des jetons connexes » et je rejette l’opposition en ce qui a trait aux « jeux de dés » en vertu de l’article 38(8) de la Loi [voir Produits Ménagers Coronet Inc c Coronet-Werke Heinrich Schlerf Gmbh (1986), 10 CPR (3d) 482 (CF 1re inst) en tant qu’autorité en matière de décision partagée].

_____________________________

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sophie Ouellet, trad.a.

Date de l’audience : 2015-07-23

 

Comparutions

 

Susan Beaubien                                                                                               Pour l'Opposante

 

Jonathan Columbo                                                                                         Pour la Requérante

 

Agents au dossier

 

Moffat & Co.                                                                                                   Pour l'Opposante

 

Bereskin & Parr LLP                                                                                    Pour la Requérante

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