Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de Molson Canada 2005 (anciennement Molson Canada) à la demande no 1091807 produite par Anheuser-Busch Incorporated en vue de l’enregistrement de la marque de commerce BUDWEISER en script sur le dessin de l’étiquette                                         

 

Le 6 février 2001, Anheuser-Busch Incorporated (la « Requérante ») a produit une demande d’enregistrement pour la marque BUDWEISER en script sur le dessin de l’étiquette (la « Marque »), reproduite ci-dessous, fondée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada. L’état déclaratif des marchandises est libellé comme suit : bière, vêtements, nommément tee-shirts et chapeaux, et récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes. La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 11 décembre 2002.

 

 

 

Le 12 mai 2003, Molson Canada (l’« Opposante ») a produit une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande. Le 15 octobre 2003, la Requérante a demandé qu’une décision interlocutoire soit rendue au sujet du caractère suffisant de divers paragraphes de la déclaration d’opposition. Une décision interlocutoire a été rendue le 24 juin 2004, laquelle a rejeté la demande de la Requérante. Le 28 juillet 2004, la Requérante a produit et signifié une contre-déclaration, dans laquelle elle a généralement nié les allégations de l’Opposante. La déclaration d’opposition a été modifiée le 30 mai 2005 afin de refléter le changement de nom de l’Opposante, Molson Canada, pour celui de Molson Canada 2005. Le 29 mars 2006, la Requérante a modifié sa contre-déclaration afin d’empêcher l’Opposante de faire obstacle à l’enregistrement de la Marque [traduction] « en faisant valoir à l’encontre de la requérante les droits découlant de l’emploi ou de l’enregistrement de la marque STANDARD LAGER & Dessin, laquelle est visée par l’enregistrement no LMCDF 40809 et tous les dérivés de ce dessin ». La Requérante explique que c’est parce que l’enregistrement no LMCDF 40809 a été obtenu sans droit, tel que l’a statué la Cour d’appel.

 

La preuve de l’Opposante se compose de l’affidavit de Lori Ball, chef du service d’administration juridique de l’Opposante, ainsi que d’une copie certifiée de l’enregistrement no LMCDF 40809 pour la marque de commerce STANDARD LAGER & Dessin (l’« étiquette STANDARD LAGER »), reproduite ci-dessous. La preuve de la Requérante est constituée des affidavits d’Andrew Day, vice-président responsable des opérations internationales d’Anheuser-Busch International, Inc., et de Mary Mutchler, technicienne juridique au service de l’agent de la Requérante. La Requérante a également produit des copies certifiées des enregistrements nos 168703; 172014; 274060; 415990; 429787; 429784; 434353; 445757; 495717; 593073; 608871, ainsi que de la présente demande. Mme Ball a été contre-interrogée au sujet de son affidavit. La transcription de ce contre-interrogatoire et les réponses aux engagements font également partie du dossier.

 

 

La Requérante et l’Opposante ont toutes deux produit un plaidoyer écrit. Une audience a été tenue à laquelle les deux parties ont été représentées de manière compétente.

 

 

Avant d’énumérer les motifs d’opposition, l’Opposante a établi les faits suivants dans sa déclaration d’opposition modifiée :

 

1.      Molson Canada 2005 est propriétaire de la marque de commerce STANDARD LAGER & Dessin visée par l’enregistrement no LMCDF 40809, enregistrée en vue de son emploi en liaison avec de la lager ordinaire. Cette marque de commerce, enregistrée le 16 novembre 1926, a depuis lors été employée au Canada de façon continue par Molson Canada 2005 ou ses prédécesseurs en titre, seules quelques modifications mineures ayant été apportées à l’étiquette, principalement pour s’assurer qu’elle arbore toujours le nom actuel du brasseur.

 

2.      La marque de commerce de Molson Canada 2005 n’a pas été abandonnée à la date de l’annonce de la demande de la Requérante.

 

3.      La Cour d’appel fédérale, dans Anheuser-Busch c. Carling O’Keefe (1986), 10 C.P.R. (3d) 433, a déjà jugé que les marques de commerce des parties, employées en liaison avec des boissons alcoolisées brassées, créent de la confusion.

 

4.      Molson Canada 2005 a employé et révélé sa marque de commerce susmentionnée en liaison avec les marchandises énumérées ci-dessus avant la date de production de la demande de la Requérante, et pendant de nombreuses années.

 

 

Les motifs d’opposition invoqués, chacun d’eux reposant sur les faits susmentionnés, sont les suivants :

 

1.                  La marque de commerce de la Requérante n’est pas enregistrable au sens de l’al. 12(1)d) de la Loi;

2.                  La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce au sens de l’al. 16(3)a) de la Loi;

3.                  La marque de commerce de la Requérante n’est pas distinctive au sens de l’al. 38(2)d) de la Loi, car elle ne permet pas de distinguer les marchandises de la Requérante de celles offertes et vendues par l’Opposante en liaison avec sa marque de commerce (enregistrement no LMCDF 40809 de la marque de commerce STANDARD LAGER & Dessin) et qu’elle n’est pas adaptée à les distinguer ainsi.

 

C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la « Loi »). Il incombe toutefois à l’Opposante de s’acquitter du fardeau de preuve initial de produire suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on peut raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition (voir John Labatt Ltd c. Les Compagnies Molson Ltée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), p. 298; Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)).

 

Contexte

 

Les étiquettes de bière qu’employaient les parties ou leurs prédécesseurs en titre dans les années 1980 (et toutes les versions antérieures de ces étiquettes) furent jugées semblables au point de créer de la confusion par la Cour d’appel fédérale dans Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 433 (C.A.F.) (« l’arrêt de la Cour d’appel fédérale »). En particulier, la Cour a jugé que l’étiquette STANDARD LAGER de l’Opposante enregistrée en liaison avec de la lager ordinaire créait de la confusion avec l’étiquette RECTANGLE & Dessin de la Requérante, enregistrement no 168703 (l’« étiquette RECTANGLE et Dessin ») et l’étiquette BUDWEISER & Dessin, enregistrement no 172014 (l’« étiquette BUDWEISER et Dessin »), toutes deux enregistrées en vue de leur emploi en liaison avec de la « bière ». Ces deux marques sont reproduites ci-dessous.

 

                    

 

L’arrêt de la Cour d’appel fédérale est la décision invoquée par l’Opposante dans sa déclaration d’opposition; il a été déposé en preuve comme pièce M en annexe à l’affidavit de Mme Ball. Une copie certifiée de la décision fut également déposée comme pièces A et B en annexe à l’affidavit de Mme Mutchler, produit par la Requérante. Deux copies de la décision sont jointes en annexe, car l’arrêt de la Cour d’appel fédérale a réglé trois appels, dont deux (A-80-83 et A-81-83) concernaient les marques et enregistrements relatifs à l’étiquette Budweiser et à l’étiquette Standard Lager.

 

Je suis d’accord avec la Requérante que la Marque, en l’espèce, est une version actualisée de l’étiquette BUDWEISER et Dessin de la Requérante (enregistrement no LMC 172014) examinée dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale.

 

L’arrêt de la Cour d’appel fédérale

 

L’étiquette STANDARD LAGER, enregistrée le 16 novembre 1926, alors propriété du prédécesseur en titre de l’Opposante, Carling O’Keefe (« Carling »), consistait en une étiquette constituée de mots et d’éléments graphiques. Anheuser-Busch (l’« Appelante ») avait commencé à vendre de la bière en Ontario en employant une étiquette composée de mots et d’éléments graphiques semblables, et enregistrée le 16 octobre 1970 (l’« étiquette BUDWEISER et Dessin ») et le 23 avril 1970 (l’« étiquette RECTANGLE et Dessin »). Carling a intenté une action en contrefaçon et en radiation contre l’Appelante parce qu’elle voulait faire radier les marques de commerce de l’Appelante et interdire à l’Appelante de contrefaire sa marque de commerce en vendant de la bière au Canada portant une étiquette dont la similitude est susceptible de créer de la confusion.

 

L’Appelante a présenté une demande reconventionnelle contre Carling, en vue de faire radier la marque de commerce de Carling au motif qu’elle est invalide puisque les éléments de la marque de Carling ont été employés au Canada par l’Appelante et ses prédécesseurs en titre depuis 1883, bien des années avant le premier emploi de l’étiquette STANDARD LAGER par l’Opposante ou ses prédécesseurs en titre.

 

La Cour d’appel fédérale a jugé que les étiquettes des parties créaient de la confusion. À cet égard, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit à la p. 443 :

 

« Carling O'Keefe a plaidé et les appelantes ont reconnu que l'étiquette actuellement utilisée et prévue pour la Budweiser au Canada ressemblait au point de créer de la confusion à l'étiquette utilisée pour la Standard Lager au Canada. Le procès, en ce qui a trait à cette question, s'est déroulé sur cette base. Aucune preuve contraire n'a été présentée. Le juge de première instance a néanmoins décidé que les étiquettes ne créaient aucune confusion.

 

Cette conclusion ne peut subsister. De plus, la ressemblance entre les marques de commerce, reconnues dans les procédures écrites comme semblables au point de créer de la confusion, et toutes les autres étiquettes en cause, y compris celles qui figurent dans les documents mêmes d'enregistrement des marques de commerce visées, est si frappante et si forte qu'elle écarte, dans chacun des cas, une conclusion contraire. » (Italiques ajoutés.)

 

Malgré cette conclusion de confusion, les enregistrements de l’Appelante n’ont pas été radiés en raison de l’inertie et de l’acquiescement de Carling. Carling connaissait l’étiquette BUDWEISER depuis de nombreuses années, mais n’avait jusqu’alors jamais pris de mesures relativement à l’emploi par l’Appelante de sa marque de commerce au Canada.

 

La Cour d’appel a conclu en outre que la contestation par l’Opposante de l’étiquette STANDARD LAGER de Carling faite en temps utile aurait certainement réussi. À cet égard, elle a déclaré qu’il ne pouvait être conclu que l’inscrivant initial de la marque, Drewrys, était propriétaire d'une marque de commerce qui, à défaut d'être copiée, était inspirée de l'étiquette BUDWEISER et conçue par des personnes connaissant cette dernière en plus d'être effectivement semblable à cette étiquette au point de créer de la confusion. Toutefois, la Cour a refusé de radier l’enregistrement de l’étiquette STANDARD LAGER de Carling en raison de l’acquiescement et de l’inertie de l’Appelante. Le juge de première instance avait souligné que la marque de Carling était employée depuis de nombreuses années et que sa radiation entraînerait une grave injustice. La Cour d’appel fédérale a également souligné que, quelles qu'aient pu être les irrégularités entachant son enregistrement initial, l'étiquette STANDARD LAGER a été utilisée depuis 1950 comme marque de commerce par Carling ainsi que par ses prédécesseurs et que la radiation de cet enregistrement annihilerait leur investissement dans cette marque ainsi que l'achalandage qui y est relié.

 

Motifs d’opposition

Chacun des motifs d’opposition repose essentiellement sur la probabilité de confusion entre la Marque et la marque de l’Opposante. Il s’agit d’une affaire quelque peu inusitée puisque les deux parties reconnaissent qu’il y a une probabilité de confusion entre les marques dans la mesure où elles sont employées en liaison avec de la bière. J’ai donc décidé de diviser la présente décision en deux parties. La première partie porte sur la Marque employée en liaison avec de la bière et la seconde partie porte sur la Marque employée en liaison avec les autres marchandises visées par la demande.

 

La Marque employée en liaison avec de la bière

Étant donné que les parties conviennent qu’il y a une probabilité de confusion entre les marques employées en liaison avec de la bière, il n’est pas nécessaire d’examiner les diverses circonstances de l’espèce mentionnées au par. 6(5) de la Loi. Par conséquent, il me suffit de me concentrer sur la question de savoir si l’Opposante doit être autorisée à invoquer son étiquette STANDARD LAGER devant la Commission.

 

L’Opposante affirme qu’elle peut invoquer la propriété et l’emploi de sa marque. À cet égard, elle soutient que l’inertie et l’acquiescement de la Requérante ont annihilé tout recours fondé sur l’equity qu’elle aurait pu exercer à l’encontre de la marque de l’Opposante. Elle affirme également que, quoi qu’il en soit, la Commission n’a pas compétence pour empêcher l’Opposante d’invoquer son enregistrement et les droits qui en découlent. Elle soutient que la présente affaire est différente de la décision McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc. (1989), 23 C.P.R. (3d) 498 (C.F. 1re inst.), car la Cour fédérale n’a pas conclu en l’espèce que l’emploi par l’Opposante de l’étiquette STANDARD LAGER constituait une atteinte aux droits de la Requérante.

 

Je reconnais que le registraire n’a pas compétence pour remettre en question la propriété d’un enregistrement et qu’il n’a pas le pouvoir de modifier le registre dans le cadre d’une procédure d’opposition (voir Bacardi & Co. c. Havana Club Holding S.A. (2004), 32 C.P.R. (4th) 306 (C.A.F.)). De plus, selon la jurisprudence, l’emploi d’une marque de commerce déposée constitue une défense absolue à l’encontre d’une action en commercialisation trompeuse (voir Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd. (2007), 60 C.P.R. (4th) 130 (C.A.F.)). Je reconnais également que la validité de l'enregistrement de l'opposant n'est pas en cause dans une procédure d'opposition (voir Cognos Inc. c. Cognisys Consultants Inc. (1994), 53 C.P.R. (3d) 552 (C.O.M.C.)).

 

Cependant, la présente affaire est différente de chacune des décisions susmentionnées, car elle ne porte pas sur une modification du registre, une action en commercialisation trompeuse ou la validité de l’enregistrement de l’Opposante. Étant donné que la Cour d’appel fédérale a ordonné la coexistence des étiquettes de bière des parties même si leur similitude est susceptible de créer de la confusion, la Requérante demande à la Commission, si je comprends bien, de suivre cet arrêt et de l’autoriser à enregistrer une version actualisée de cette même étiquette. Pour ce faire, cependant, je dois déterminer si j’ai compétence pour limiter la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante en l’espèce.

 

Il est clair qu’un opposant ne devrait pas être autorisé à invoquer des activités de contrefaçon pour constituer le fondement d’une opposition à une demande. Il est également clair que le registraire a la compétence nécessaire pour conclure que l’emploi d’une marque de commerce est illégal dans le cadre d’une procédure d’opposition (voir Lunettes Cartier Ltée c. Cartier, Inc. (1991), 36 C.P.R. (3d) 391 (C.O.M.C.)). Le juge Kelen a décrit les circonstances dans lesquelles il peut être raisonnable pour le registraire d’agir ainsi dans Sunbeam Products Inc. c. Mister Coffee & Services Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 53 (C.O.M.C.) (« Mister Coffee »), aux p. 58-59 :

[17] La demanderesse soutient que le registraire avait la compétence nécessaire pour conclure que l'emploi par la défenderesse du nom commercial MISTER COFFEE était illégal. Elle invoque à cette fin les décisions McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc. (1989), 23 C.P.R. (3d) 498 (C.F. 1re inst.) et Lunettes Cartier Ltée c. Cartier, Inc. (1991), 36 C.P.R. (3d) 391 (C.O.M.C.) dans lesquelles le registraire a jugé illégal l'emploi d'une marque de commerce par l'opposante. Dans l'affaire McCabe, la Cour fédérale avait été saisie de la preuve qu'un tribunal américain avait conclu que l'emploi de la marque de commerce par l'intimée constituait une atteinte aux droits de l'appelante. Dans l'affaire Lunettes Cartier, la Commission des oppositions avait été saisie d'éléments de preuve indiquant que l'intimée était visée par une injonction de la Cour fédérale lui interdisant d'employer les marques de commerce, les mêmes marques de commerce qu'invoquait l'intimée au soutien de son opposition.

[18] En l'espèce, la preuve n'indique pas clairement que l'emploi de la marque de commerce MISTER COFFEE par la défenderesse est illégal. Cette question nécessite la tenue d'une audience. Le fait que la demanderesse n'ait pas sollicité d'injonction interlocutoire ni engagé de procédures judiciaires avant 1995 soulève des questions qui doivent être tranchées par un tribunal compétent. Dans le cadre d'une opposition faite en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce, le registraire n'a pas compétence pour procéder à une audience complète avec présentation de preuves orales pour déterminer la légalité de l'emploi par la défenderesse de sa marque de commerce. Si la question de la légalité est claire, le registraire a alors compétence pour statuer que la défenderesse ne peut pas invoquer son emploi de la marque de commerce parce que cet emploi n'est pas légal. En l'espèce, le registraire ne peut pas en arriver à cette conclusion claire dans la procédure d'opposition.

À la page 60, le juge Kelen poursuit en ces termes :

[23] La défenderesse a commencé à employer le nom MISTER COFFEE en liaison avec des services, puis elle l'a fait relativement à des marchandises associées au café. La demanderesse a toujours employé le nom MR. COFFEE en liaison avec des marchandises, savoir des cafetières et des carafes à café, mais elle cherche maintenant à étendre sa marque de commerce à d'autres marchandises, savoir du café et des nettoyeurs. Les activités de la demanderesse et de la défenderesse ont tellement évolué qu'elles entrent maintenant en conflit. Par conséquent, leur emploi respectif de la marque de commerce MR. COFFEE et du nom commercial MISTER COFFEE nécessite une audience complète ainsi que la détermination des droits respectifs des parties. (Italiques ajoutés.)

 

Bien qu’en l’espèce la Requérante ne me demande pas de conclure que l’emploi de la marque de l’Opposante est illégal, je considère pertinent le fait que le registraire a compétence pour statuer qu’un opposant ne peut pas invoquer l’emploi illégal de sa marque si la question de la légalité est claire. Je suis consciente que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale est différent de la décision dans Mr. Coffee, précitée, compte tenu qu’il ne comportait aucune conclusion de contrefaçon de la marque de la Requérante par celle de l’Opposante, mais cela s’explique par le fait que l’Appelante n’a pas intenté d’action en contrefaçon en raison des faits particuliers de cette affaire. Par ailleurs, dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, une « audience complète » a été tenue avec les mêmes parties qu’en l’espèce et a porté sur des marques de commerce, employées en liaison avec de la bière, qui étaient sensiblement les mêmes. Bien que la contrefaçon n’ait pas été alléguée dans cette affaire, les marques des parties furent jugées susceptibles de créer de la confusion. De plus, lors de cette « audience complète », la Cour d’appel a clairement dit que si ce n’était de l’inertie et de l’acquiescement de l’appelante (la Requérante en l’espèce), la contestation de l’étiquette STANDARD LAGER aurait certainement réussi. Par conséquent, bien que la Cour d’appel fédérale ne se soit pas expressément prononcée sur la légalité de la marque de Carling dans cette affaire, à mon avis il ressort clairement de cette décision que l’enregistrement de l’étiquette STANDARD LAGER de l’Opposante a été obtenu sans droit.

 

Compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale et de la jurisprudence examinée plus tôt, j’estime avoir le pouvoir de limiter la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante en l’espèce et d’autoriser la coexistence des marques des parties, comme la Cour d’appel fédérale l’a fait. Par conséquent, je rejette chacun des motifs d’opposition relatifs à la bière.

 

Je tiens à ajouter qu’en limitant la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante en raison des faits particuliers de la présente affaire, j’estime ne pas causer de « grave injustice » ou l’« annihilation de l’achalandage de l’Opposante », comme cela aurait pu être le cas si j’avais été un juge de la Cour fédérale appelé à décider si la marque de l’Opposante doit être radiée. Je suis consciente que la Loi vise notamment à accorder une protection aux propriétaires de marques, déposées ou non, mais, étant donné que la Cour d’appel fédérale a déjà limité la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante, il semble raisonnable et logique que j’en fasse autant en l’espèce puisque sont concernées les mêmes parties et presque les mêmes marques.

 

Il convient de souligner que ce n’est pas la première fois qu’une variante de l’étiquette de bière de l’une des parties fait l’objet d’une procédure d’opposition depuis l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. Dans Molson Breweries, A Partnership c. Anheuser-Busch, Inc. (1995), 66 C.P.R. (3d) 92 (C.O.M.C.) (« la décision de la Commission de 1995 »), M. Herzig, membre de la Commission, a conclu que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale était différent parce que, dans cette affaire, la marque visée par la demande n’englobait pas les boissons alcoolisées brassées. Dans Anheuser-Busch, Inc. c. Molson Breweries, a Partnership (successeur en titre de Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd. – Les Brasseries Carling O’Keefe du Canada Ltée), (1993), 49 C.P.R. (3d) 402 (C.O.M.C.) (« la décision de la Commission de 1993 »), M. Herzig s’estimait lié par l’arrêt de la Cour d’appel fédérale et a conclu que la marque STANDARD LAGER & Dessin visée par la demande créait de la confusion avec l’enregistrement no 168703 d’Anheuser étant donné que les deux marques se ressemblent beaucoup sur le plan visuel.

 

Ces deux décisions se distinguent de la présente affaire. La présente affaire est différente de la décision de la Commission de 1995, car en l’espèce les marques des deux parties englobent les boissons alcoolisées brassées et, par conséquent, visent les mêmes marchandises que les marques dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. La présente affaire est également différente de la décision de la Commission de 1993, car les parties sont inversées, la requérante n’a pas produit d’éléments de preuve admissibles pertinents dans cette affaire et, finalement, la requérante dans cette affaire n’a pas allégué que la portée de la protection accordée à l’étiquette RECTANGLE et Dessin de l’opposante devrait être limitée compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. Comme la question de savoir si l’enregistrement de l’Opposante devrait bénéficier d’une protection limitée compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale n’a pas été soulevée par la Requérante ni examinée par le membre de la Commission dans cette affaire, je ne suis pas d’accord avec l’Opposante quand elle soutient qu’il faudrait appliquer le même raisonnement en l’espèce.

 

La Marque employée en liaison avec les autres marchandises visées par la demande

 

Les autres marchandises visées par la demande comprennent des vêtements, nommément tee-shirts et chapeaux, et récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes. Chacun des motifs d’opposition repose essentiellement sur la probabilité de confusion entre la Marque employée en liaison avec ces marchandises et la marque de l’Opposante.

Les parties ne reconnaissent pas qu’il y a probabilité de confusion entre les marques employées en liaison avec de la bière. En outre, j’estime que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale diffère de la présente partie de la décision, car les autres marchandises visées par la demande sont différentes des marchandises examinées dans cet arrêt.

 

J’analyserai maintenant la probabilité de confusion entre la marque de la requérante employée en liaison avec ces marchandises et l’étiquette STANDARD LAGER de l’Opposante. J’estime que les arguments de l’Opposante sont les plus convaincants relativement au motif portant que la Marque n’est pas enregistrable au sens de l’al. 12(1)d) de la Loi en raison de la probabilité de confusion avec l’étiquette STANDARD LAGER de l’Opposante. Une conclusion relativement à ce motif réglera, dans les faits, tous les motifs d’opposition puisque la date pertinente pour l’examen de la question est la date de ma décision (voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et Registraire des marques de commerce (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)), soit la date la plus éloignée pour examiner la question.

 

 

Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale. Lorsqu’il applique le test en matière de confusion, le registraire tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles expressément énumérées au par. 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive et il n’est pas nécessaire d’accorder le même poids à ces facteurs (voir Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.)).

 

Bien que les marques des deux parties possèdent un caractère distinctif inhérent assez grand en raison de la combinaison des éléments graphiques qui les composent, j’estime que la marque de l’Opposante est moins distinctive, car les mots STANDARD LAGER donnent une description des marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée. En ce qui concerne la mesure dans laquelle les marques sont devenues connues, l’Opposante n’a démontré l’emploi de sa marque en liaison avec la bière qu’au Manitoba. Les ventes sous l’étiquette STANDARD LAGER ont totalisé entre 350 000 litres (soit environ un million de bouteilles) et 440 000 litres par année entre 1999 et 2004. Mme Ball, auteure d’un affidavit produit par l’Opposante, a reconnu, lors de son contre-interrogatoire, que la marque STANDARD LAGER de l’Opposante n’est appuyée d’aucun budget de marketing et qu’aucun budget de publicité ou de promotion n’a été alloué à cette marque depuis 1989. Par conséquent, je conclus que la marque de l’Opposante n’est devenue connue dans une certaine mesure qu’au Manitoba.

 

En ce qui concerne l’al. 6(5)b) de la Loi, la période pendant laquelle les marques ont été en usage milite en faveur de l’Opposante étant donné que la marque de la Requérante est fondée sur un emploi projeté.

 

En ce qui concerne l’al. 6(5)c), le genre de marchandises des parties est différent étant donné que l’enregistrement de l’Opposante vise les boissons alcoolisées brassées alors que les autres marchandises visées par la demande d’enregistrement de la Marque englobent les vêtements, nommément tee-shirts et chapeaux, et récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes. L’Opposante n’a pas démontré l’emploi de son étiquette STANDARD LAGER en liaison avec l’une des autres marchandises visées par la demande de la Requérante. En ce qui concerne l’al. 6(5)d), étant donné que les produits dérivés de la Requérante pourraient être vendus dans les mêmes magasins de bières que la bière de l’Opposante, les voies de commercialisation des parties pourraient se chevaucher. Enfin, en ce qui concerne l’al. 6(5)e), les marques sont semblables compte tenu des éléments graphiques communs aux deux marques.

 

À titre de circonstance de l’espèce, j’ai également pris en considération la mesure dans laquelle sont devenus connus la marque BUDWEISER de la Requérante et ses principaux éléments constitutifs, ainsi que leur solide réputation. Comme M. Day l’a déclaré, le dessin de base de l’étiquette BUDWEISER et ses principaux éléments constitutifs n’ont pas changé depuis le lancement du produit au Canada à la fin des années 1880. Les ventes de bière BUDWEISER de 1996 à 2004 atteignaient en moyenne 380 millions de dollars canadiens par année et, à la date de l’affidavit de M. Day, BUDWEISER était la bière la plus vendue au Canada. De plus, la Requérante a dépensé des centaines de millions de dollars en publicité pour sa bière BUDWEISER au Canada au cours des dix ans ayant précédé la date de l’affidavit de M. Day. Enfin, entre 1997 et 2005, la Requérante a vendu au Canada pour plus de 9 millions de dollars américains de produits dérivés portant la marque BUDWEISER. Des détails et des illustrations d’échantillons représentatifs de ces produits dérivés figurent aux paragraphes 16 à 23 et dans les pièces AD16 à AD17 annexées à l’affidavit de M. Day. Compte tenu de la probabilité de confusion, j’estime que l’importante réputation de la marque BUDWEISER de la Requérante en liaison avec de la bière et d’autres marchandises est une circonstance additionnelle qui milite en faveur de la Requérante.

 

À titre de circonstance additionnelle, j’ai pris en considération la preuve de l’Opposante relativement à ses ventes de marchandises en liaison avec ses autres marques de bière. Mme Ball affirme qu’il est fréquent que les boissons alcoolisées brassées fassent l’objet d’une promotion et soient mises en marché à l’aide de marchandises comme celles de la Requérante. Elle affirme également que de nombreux brasseurs, y compris Molson, se servent de ces marchandises comme cadeaux publicitaires ou comme primes. De plus, Mme Ball explique que l’Opposante a un programme d’octroi de licences par lequel elle permet aux titulaires de licence autorisés d’employer certaines marques de commerce déposées de Molson en liaison avec diverses marchandises offertes en vente dans divers magasins de vente au détail y compris le Beer Store, des magasins de vente au détail appartenant à Molson à Montréal et à Toronto, des grands magasins comme Sears Canada, Wal-Mart et Zellers, ainsi que d’autres réseaux de vente au détail partout au Canada. Les ventes de ces marchandises au Canada au cours des trois ans ayant précédé la date de son affidavit dépassaient les trois millions de dollars par année.

 

Même s’il ressort de la preuve de l’Opposante que les membres du public se sont habitués à voir diverses marchandises, notamment des tee-shirts, chapeaux, grosses tasses, chopes, verres et tasses, portant d’autres marques de bière de l’Opposante, celle-ci n’a pas démontré pourquoi la protection accordée à son étiquette STANDARD LAGER devrait s’étendre à des marchandises n’ayant aucun lien avec les boissons alcoolisées brassées. Je renvoie aux commentaires suivants tirés de la décision de la Commission de 1995, à la p. 98 :

[traduction]

« afin qu’un enregistrement visant de la lager ordinaire bénéficie d’une protection d’une grande portée qui s’étendrait aux marchandises autres que la bière et les boissons, il faut que l’opposante démontre que la marque déposée est à ce point connue que l’emploi de la même marque pourrait amener les consommateurs à penser que les marchandises associées à ces marques de commerce sont fabriquées ou vendues par la même personne […] rien ne permet de conclure que l’opposante a même le droit d’empêcher l’emploi ou l’enregistrement de [la marque visée par l’enregistrement no LMCDF 40809] en liaison avec des marchandises sans lien avec elle ». (Italiques ajoutés.)

 

En l’espèce, l’Opposante n’a pas établi que son étiquette STANDARD LAGER est « à ce point connue » que l’emploi par la Requérante d’une marque dont la similitude est susceptible de créer de la confusion sur des vêtements et récipients à boire donnerait l’impression que ces articles proviennent de l’Opposante ou ont été autorisés par elle. Par ailleurs, la Requérante a démontré la solide réputation de sa marque BUDWEISER en liaison avec de la bière et d’autres marchandises. Par conséquent, j’estime que le consommateur moyen est davantage susceptible d’associer les autres marchandises visées par la demande aux marques actuelles de la Requérante plutôt qu’à la marque de l’Opposante.

 

Ayant examiné toutes les circonstances de l’espèce, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, il n’existe aucune probabilité raisonnable de confusion entre l’enregistrement no LMCDF 40809 de l’Opposante et la marque de la Requérante employée en liaison avec des vêtements, nommément tee-shirts et chapeaux, et récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes. Par conséquent, je rejette chacun des motifs d’opposition qui concernent les autres marchandises visées par la demande.

 

Dispositif

 

En vertu des pouvoirs qui me sont délégués par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition conformément aux dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 28 NOVEMBRE 2008.

 

Cindy R. Folz

Membre,

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

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