Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

PROCÉDURE PRÉVUE À L'ARTICLE 45

MARQUE DE COMMERCE : VISIBLE YOUTH

NUMÉRO D'ENREGISTREMENT : LMC393144

 

I La procédure

 

Le 24 octobre 2002, à la demande de Riches, McKenzie et Herbert s.r.l. (« la partie requérante »), le registraire a envoyé un avis en application des dispositions de l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce (« la Loi ») à Jagotec AG (« l'inscrivante »), propriétaire inscrite de la marque de commerce VISIBLE YOUTH (« la marque »), dont le numéro d'enregistrement est LMC393144. L'inscrivante a été mise en demeure de fournir un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services figurant sur l'enregistrement pendant au moins trois ans, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois dernières années (c'est-à-dire du 24 octobre 1999 au 24 octobre 2002, « la période pertinente ») et, dans la négative, la date où elle a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

 

La marque est enregistrée à l'égard des marchandises suivantes : cosmétiques et substances pharmaceutiques, nommément produits de soins cutanés à base de composés comprenant acide hyaluronique, nommément liquide bénéfique pour le traitement des rides lorsque frictionné sur la peau

 (« les marchandises »).

 

En réponse à l'avis envoyé par le registraire, l'inscrivante a déposé l'affidavit de M. Francesco Patalano. Chacune des deux parties a déposé des observations écrites. L'inscrivante a déposé en même temps que ses observations écrites une copie d'un courriel concernant certaines prétentions figurant dans l'affidavit de M. Patalano. Dans une décision qu'elle a rendue le 23 mars 2004, l'agente d'audition supérieure D. Savard a décidé que ce document ne serait pas pris en considération à l'étape de la décision et, par conséquent, je n’en ai pas tenu compte en l’espèce. Il n'y a pas eu d'audience.

 

II La preuve

 

M. Patalano se décrit comme un administrateur de l'inscrivante qui aurait donc connaissance des faits énoncés dans son affidavit. Il déclare qu'une partie de ses fonctions consiste à se familiariser avec tous les emplois que l'inscrivante fait de la marque. Comme l'indique le registre, il reconnaît que Hyal Pharmaceutical Corporation (« Hyal ») a enregistré la marque à l'origine. Le 20 octobre 1999, c'est-à-dire 4 jours avant la date du commencement de la période pertinente, la marque a été cédée à SkyePharma PLC, ladite cession étant inscrite au registre le 15 novembre 2000. Le 15 août 2001, la marque a été cédée par SkyePharma à l'inscrivante, laquelle cession a été inscrite au registre le 29 juillet 2002.

 

Il a déposé comme pièce A jointe à son affidavit un document intitulé [traduction] « registre des ventes de VISIBLE YOUTH ». Il déclare que ce document atteste les ventes mensuelles au Canada des produits Visible Youth pour la période s'étendant du mois de décembre 1999 au mois d'août 2000. Ce tableau fournit les renseignements suivants :

            -           la date de la facture

            -           le numéro de la facture

            -           le nom et l'emplacement du client

            -           la description des produits vendus, les quantités vendues et le prix unitaire de chacun d'eux.

 

Il convient de noter qu'en ce qui concerne les mois de juin, juillet et août 2000, le tableau indique seulement le nom du client et le montant facturé. Aucune mention n’est faite des produits vendus. Toutes les prétendues ventes indiquées sur le document ont été réalisées avant l'acquisition de la marque par l'inscrivante.

 

Il a déposé comme pièce B jointe à son affidavit ce qu'il a qualifié d'encarts publicitaires indiquant le produit et son emballage avec la marque apposée sur celui-ci. Ce dépliant est intitulé [traduction] « Q & R » et porte la mention suivante au bas de la première page :

 

            [traduction] « Visible YouthMC est un produit de Hyal Pharmaceutical Corporation »

 

Au dernier paragraphe de son affidavit, il prétend que depuis le mois d'août 2001, l'inscrivante a réévalué le marché des produits (sans définir ce dernier mot) devant être fournis sous la marque. Il prétend également que les produits [traduction] « à l'égard desquels la marque serait employée avaient besoin d'être retravaillés considérablement avant de devenir des produits commerciaux viables ». Comme l'a prétendu la partie requérante, cette prétention semblerait suggérer que la marque n'a pas été employée depuis au moins la date de son acquisition par l'inscrivante, c'est-à-dire le mois d'août 2001.

 

III Analyse des questions juridiques

 

C'est ainsi que la portée de la procédure prévue à l'article 45 a été décrite dans l'arrêt Phillip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd (1987), 13 C.P.R. (3d) 289 :

 

Il est bien établi que le but et l'objet de l'article 44 sont d'assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort » . L'article 44 ne prévoit pas de décision sur la question de l'abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l'emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d'emploi. La décision du registraire ne se prononce pas définitivement sur les droits substantifs, mais uniquement sur la question de savoir si l'enregistrement de la marque de commerce est susceptible de radiation conformément à l'article 44. Si l'usager est fiable, la preuve déposée en réponse à l'avis doit « indiquer » que la marque est employée ou, du moins, se rapporter à des faits dont on peut déduire un tel emploi. Une simple démarche statutaire, sous forme de stricte déclaration stipulant que l'inscrivant employait couramment la marque de commerce, dans la pratique normale du commerce, en liaison avec les marchandises, ne suffit pas pour en établir l'usage, à moins qu'elle soit accompagnée de faits qui la corroborent d'une manière descriptive. La preuve d'une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire, dans la mesure où il s'agit d'une véritable transaction commerciale et qu'elle n'est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l'enregistrement de la marque de commerce. La preuve qui donne suite à l'avis de l'article 44 doit se fonder sur la qualité, non la quantité, et une preuve surabondante serait inutile et injustifiable : voir Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62,  [1981] 1 C.F. 679, 34 N.R. 39 (C.A.F.); Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. et al. (1982), 69 C.P.R. (2d) 136, 142 D.L.R. (3d) 548, [1983] 2 C.F. 71 (C.A.F); American Distilling Co. c. Canadian Schenley Distillers Ltd. (1977), 38 C.P.R. (2d) 60; John Labatt Ltd. c. Rainier Brewing Co. et al. (1984), 80 C.P.R. (2d) 228, 2 C.I.P.R. 22, 54 N.R. 296 (C.A.F.); Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. et al. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.); Keepsake, Inc. c. Prestons Ltd. (1983), 69 C.P.R. (2d) 50, [1983] 2 C.F. 489 (C.F. 1re inst.); et Union Electric Supply Co. Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1982), 63 C.P.R. (2d) 56, [1982] 2 C.F. 263 (C.F.1re inst.).

 

Les questions litigieuses à trancher en l'espèce sont les suivantes :

 

A)        L'inscrivante a-t-elle démontré l'emploi de la marque au Canada en liaison avec les marchandises au cours de la période pertinente?

B)        Si tel n'est pas le cas, l'inscrivante a-t-elle déposé suffisamment de preuves pour permettre de conclure qu'il existe des circonstances spéciales au sens de l'article 45 de la Loi pour justifier le défaut d'emploi de la marque?

 

La preuve déposée par l'inscrivante ne constitue pas une preuve convenable de l'emploi de la marque en liaison avec les marchandises au sens du paragraphe 4(1) de la Loi. Il n'existe aucune preuve, par le dépôt d'au moins une facture de nature commerciale, du transfert de la propriété des marchandises au Canada par le propriétaire de la marque à un moment quelconque au cours de la période pertinente. Nous ne disposons d'aucun renseignement sur la source du registre des ventes déposé comme pièce A. Celui-ci ne peut venir des livres ou des archives de l'inscrivante, étant donné qu'il porte sur une période au cours de laquelle celle-ci n'était pas propriétaire de la marque. Rien n’indique que l'inscrivante était titulaire d'une licence de SkyePharma PLC au cours de cette période. Même à supposer que le registre provienne de SkyePharma PLC, propriétaire de la marque lorsque les ventes auraient été réalisées, il constituerait une preuve de ouï-dire inadmissible.

 

Nous ne disposons d'aucun renseignement concernant la source du dépliant publicitaire sur lequel figure un emballage portant la marque. Il s'agit très probablement d'un dépliant employé par Hyal, soit le propriétaire de la marque avant la période pertinente, étant donné que le nom de celui-ci apparaît sur la dernière page du document. Même si une simple publicité de la marque constituerait un emploi en liaison avec les marchandises, ce qui n'est pas ce que prévoit le paragraphe 4(1) de la Loi, cette publicité ne démontrerait pas l'emploi de la marque par un propriétaire de celle-ci au cours de la période pertinente. Je ne dispose d'aucun renseignement qui me permettrait de conclure qu'un tel dépliant a été distribué au cours de la période pertinente.

 

Après avoir conclu que l'inscrivante n'a pas déposé de preuve convenable de l'emploi de la marque au Canada au cours de la période pertinente, il m'incombe de décider si l'inscrivante a fourni suffisamment de renseignements pour qu'il soit possible de conclure que le défaut d'emploi de la marque au cours de cette période s’explique par des circonstances exceptionnelles et que l'inscrivante a toujours l'intention d'employer la marque au Canada. Le juge Lemieux a déclaré ce qui suit dans l'arrêt Ridout & Maybee c. Sealy Canada Ltd. (1999), 87 C.P.R. (3d) 307 (1re inst.) :

 

[36]      Il est utile de rappeler les faits saillants des motifs du jugement du juge d’appel Pratte dans Harris Knitting Mills, (précitée). À mon avis, le juge d’appel Pratte a établi les éléments suivants :

     a)      il est impossible de définir précisément les circonstances qui peuvent, selon le

paragraphe 44(3) [actuellement 45(3)], justifier le défaut d’emploi;

 

     b)      les circonstances justifiant le défaut d’emploi doivent être spéciales;

c’est-à-dire des circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des affaires

relatives au défaut d’emploi;

 

     c)      la raison du défaut d’emploi ne peut être volontaire de la part du propriétaire

inscrit; le défaut d’emploi doit être indépendant de la volonté du propriétaire; le

propriétaire inscrit doit manifester qu’au moins un inconvénient sérieux justifie

l’interruption d’emploi de la marque;

 

     d)      la durée de l’emploi et la probabilité d’un défaut d’emploi continu constituent

un facteur à considérer;

 

     e)      les circonstances spéciales forment une exception à la règle générale en vertu de

 laquelle une marque de commerce qui n’est pas employée doit être radiée.

 

 Dans l'arrêt NTD Apparel Inc. c. Ryan (2003), 27 C.P.R. (4th) 73, la juge Layden-Stevenson a formulé les commentaires suivants :

 

Selon moi, l'appelante a à cet égard aussi omis de présenter un fondement factuel suffisant pour étayer son intention alléguée d'employer la marque. NTD soutient que le fait d'avoir renouvelé les enregistrements, tenté de trouver des licenciés et préparé du travail artistique relativement à des étiquettes et des affiches montre une intention d'employer la marque. Même si elles constituent un point de départ, ces assertions, sans autres détails et précisions, demeurent des allégations vagues et non étayées.

 

[27]            NTD s'appuie sur l'arrêt Oyen Wiggs Green, précité, pour affirmer que des mesures prises avant l'avis prévu à l'article 45 peuvent suffire à concrétiser l'intention de recommencer à faire usage de la marque. Je ne suis pas en désaccord avec cette assertion. Toutefois, dans l'arrêt Oyen Wiggs Green, la Cour fait explicitement mention de mesures « concrètes » . Je signale que, dans cette affaire, des mesures avaient été prises en vue de revoir la conception de l'emballage des produits visés par la marque de commerce et une commande d'étiquettes portant la marque avait été placée. De plus, peu après la délivrance de l'avis prévu à l'article 45, le produit portant la marque de commerce avait été emballé et expédié dans le cours normal des affaires. Or, en l'espèce, aucune mesure concrète de ce genre ne vient étayer les assertions de l'appelante.

 

[28]            NTD invoque en outre la décision Baker & MacKenzie, précitée, au soutien de son allégation voulant qu'il soit raisonnable de supposer qu'un nouveau propriétaire a besoin d'un certain temps pour prendre des dispositions en vue d'employer la marque. À nouveau, je ne puis contester cette affirmation. Cependant, la durée du défaut d'emploi en l'espèce est longue et les éléments de preuve relatifs aux efforts déployés par l'appelante pour prendre des mesures afin d'employer les marques sont insuffisants et donc pas dignes de foi. Je me trouve dans la même situation que le juge Rouleau lorsqu'il mentionnait que l'appelante « n'a donné à notre Cour aucun renseignement au sujet de la durée du défaut d'emploi » . Dans la décision Baker & MacKenzie, il existait des éléments de preuve convaincants permettant de conclure à l'existence d'une intention de faire usage de la marque.

 

Curieusement, l'affidavit de M. Patalano ne comporte pas de date précise. Il semble avoir été souscrit soit à un moment quelconque en avril 2003 -- étant donné que le constat d'assermentation indiquant [traduction] « le ______ avril 2003 » n'a pas été rempli --, soit le 15 mai 2003 étant donné que les pièces ont été notariées le jour même. Par conséquent, il y a une durée de presque deux ans entre l'acquisition de la marque (le 15 août 2001) par l'inscrivante et la signature de l'affidavit.

 

Il est nécessaire que les circonstances spéciales échappent au contrôle de l'inscrivante et que le défaut d'emploi de la marque ne résulte pas d'une décision délibérée de cette dernière. En l'absence de détails, le fait que [traduction] « l'inscrivante a perçu clairement que les produits à l'égard desquels la marque serait employée avaient besoin d'être retravaillés considérablement avant de devenir des produits commerciaux viables » ne peut être interprété que comme une décision délibérée de sa part.

 

Enfin, il doit exister une intention sérieuse de reprendre l'emploi dans un bref délai (voir Lander c. Alex E. MacRae (1993), 46 C.P.R. (3d) 417). En l'espèce, l'inscrivante n'a fourni aucun détail sur les mesures qu'elle a prises pour rendre les marchandises disponibles sur le marché canadien, quand pense-t-elle -- de manière réaliste – trouver un licencié et, enfin, quand s’attend-elle à mettre en vente les marchandises et à les vendre sur le marché canadien.

 

En résumé, l'inscrivante n'a pas démontré que le défaut d'emploi de la marque s’explique par des circonstances spéciales qui justifieraient la décision de maintenir l'enregistrement de la marque.

 

III Conclusion

 

L'inscrivante ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver l'emploi de la marque au Canada en liaison avec les marchandises, au sens de l'article 4 de la Loi, ou de prouver que le défaut d'emploi de la marque s’explique par des circonstances spéciales. Par conséquent, en application des pouvoirs qui m'ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je décide que l'enregistrement de la marque de commerce numéro LMC393144 doit être radié du registre en conformité avec les dispositions du paragraphe 45(5) de la Loi.

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), LE 22 NOVEMBRE 2005.

 

Jean Carrière

Membre de la Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.