Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE‑MARKS TRADUCTION

Référence : 2011 COMC 250

Date de la décision : 2011‑12‑12

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Yamaha moteurs du Canada limitée à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1 217 558 pour la marque de commerce et THE WORLD’S TOUGHEST ATVS et Dessin au nom de Polaris Industries Inc.

[1]               Le 17 mai 2004, Polaris Industries Inc. (la Requérante) produisait la demande d’enregistrement no 1 217 558 pour la marque et le dessin THE WORLD’S TOUGHEST ATVS (la Marque). Le 18 mars 2004 y est indiqué comme date de priorité de production fondée sur la demande américaine no 78/386,658. La demande se fonde sur un emploi projeté au Canada, ainsi que sur l’emploi et l’enregistrement aux États‑Unis, en liaison avec des « véhicules tout‑terrain et leurs pièces structurales ». La Requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif du mot ATV en dehors de la Marque dans son ensemble. La Marque, reproduite ci‑dessous, a été annoncée le 22 février 2006 dans le Journal des marques de commerce :

 

[2]               Yamaha moteurs du Canada limitée (l’Opposante) a présenté une déclaration d’opposition le 21 juillet 2006; la Requérante a présenté et signifié sa contre‑déclaration le 14 septembre 2006.

[3]               L’Opposante a produit les affidavits de Tim Chelli, Katherine Duffield (1 et 2), Robert Samuels, Stuart Blakeney, Sheila McEwing et Sharon Elliott. M. Chelli a été contre‑interrogé relativement à son affidavit et la transcription de ce contre‑interrogatoire fait partie du dossier de l’instance.

[4]               La preuve de la Requérante est composée des affidavits de Linda Victoria Thibeault et Jan Rintamaki. M. Rintamaki a été contre‑interrogé relativement à son affidavit et la transcription de ce contre‑interrogatoire fait partie du dossier de l’instance.

[5]               Les deux parties ont déposé des observations écrites et étaient représentées à l’audience.

Motifs d’opposition fondés sur la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13

[6]               Les motifs d’opposition se résument ainsi :

          alinéa 38(2)a) et article 30 : non‑conformité à l’alinéa 30d) de la Loi attendu qu’à la date de production de la demande, la Requérante n’avait employé la Marque nulle part dans le monde. Non‑conformité à l’alinéa 30e) attendu que la Requérante n’a pas l’intention d’employer la Marque au Canada en liaison avec les marchandises spécifiées dans la demande;

          alinéas 38(2)b) et 12(1)b) : la Marque n’est pas enregistrable, car les mots qui en sont l’élément principal donnent une description claire, ou fausse et trompeuse, des marchandises auxquelles elle est associée;

          alinéa 38(2)d) et article 2 : absence de caractère distinctif attendu que la Marque ne distingue pas véritablement, ni n’est adaptée à distinguer, les marchandises visées par la demande des marchandises et services offerts par d’autres, y compris l’Opposante.

Le fardeau de preuve

[7]               La Requérante a le fardeau ultime d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande satisfait aux exigences de la Loi. Il incombe toutefois à l’Opposante de s’acquitter du fardeau initial de preuve en produisant suffisamment de preuves admissibles pour étayer les allégations à l’appui de chaque motif d’opposition [John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), à la page 298].

La principale question en litige

[8]               La principale question débattue par les parties concerne l’enregistrabilité aux termes de l’alinéa 12(1)b) : elle me paraît déterminante; la preuve pertinente est résumée plus loin.

[9]               Comme il est question du caractère descriptif au titre de l’alinéa 12(1)b), la date pertinente est celle du dépôt de la demande, à savoir le 17 mai 2004 [Zorti Investments Inc c. Party City Corp. (2004), 36 C.P.R. (4th) 90 (C.O.M.C.); Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Co. (2004), 35 C.P.R. (4th) 541 (C.O.M.C.); Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst.)]

Récapitulation de la preuve de l’Opposante 

Affidavit de Tim Chelli

[10]           M. Chelli se présente comme le directeur national de la conformité et de la responsabilité associée aux produits de l’opposante. Il travaille pour cette compagnie depuis vingt ans et occupe ce poste depuis le 4 octobre 1999. Le déposant affirme que l’Opposante emploie fréquemment des mots, des phrases ou des images descriptifs comparables à « world’s toughest » dans ses annonces destinées à promouvoir la vente de VTT au Canada. Les documents promotionnels sont distribués à travers le réseau de détaillants de l’Opposante, et des exemples de ces annonces sont joints à son affidavit comme pièce 1. Quatre annonces y figurent, pour les années 1994, 1998, 2005 et 2006 respectivement. Elles contiennent toutes des photographies de différents modèles de VTT fabriqués par l’Opposante et au moins une phrase comportant le mot « tough » ou « toughest » (le mot « rugged » figure dans l’une d’entre elles) :

         1994 – [traduction] « Kodiak : le VTT le plus solide [toughest] en liberté. »

         1998 – [traduction] « Un VTT solide [tough]. »

         2005 – [traduction] « Le meilleur VTT sur la planète. Un point c’est tout »; « Les VTT intermédiaires les plus solides [toughest] et les meilleurs sur le marché. »

         2006 – [traduction] « […] fabrique les VTT les plus endurants [rugged] sur la planète. » [traduction] « nos ingénieurs sont plus durs [tougher] avec les VTT que vous ne le serez jamais. » [traduction] « La raison de notre succès est que nous fabriquons les véhicules les plus solides [toughest], les plus fiables et les plus durables au monde. »

Affidavits de Stuart Blakeney et de Sheila McEwing

[11]           Stuart Blakeney est analyste au service d’assistance informatique chez Gowling Lafleur Henderson s.r.l., les avocats de l’Opposante. Il a produit deux enregistrements vidéo, téléchargés à partir du site Web de la Requérante le 13 mars 2007, et qui concernent un défi lancé par le PDG de la Requérante aux autres fabricants de VTT. Sheila McEwing, une assistante juridique employée par le même cabinet d’avocats, a transcrit la portion audio des vidéos. Je renvoie à l’extrait suivant de la transcription du défi : [traduction] « [e]n tant que PDG de Polaris, je suis convaincu que nous fabriquons les VTT les plus solides [toughest] au monde. Mais on dirait que presque tous les fabricants de VTT prétendent la même chose » (McEwing : pièce 1). Suite à cette déclaration, le PDG invite ses homologues à faire rivaliser leurs VTT avec ceux de la Requérante. Bien que cet élément de preuve soit postérieur à la date de production de la demande, je suis disposée à reconnaître qu’il atteste que les mots « tough » et « toughest » sont des attributs désirables pour les véhicules tout‑terrain (lesquels sont spécifiquement conçus pour rouler sur des terrains accidentés). J’estime raisonnable de conclure qu’il en était ainsi à la date pertinente.

Affidavit de Robert Samuels

[12]           Robert Samuels est un étudiant qui effectue son stage en droit dans le cabinet qui représente l’Opposante; le 12 mars 2007, il a reçu pour instruction de visiter le site Web de la Requérante, www.polarisindustries.com/PolarisDuel/ et d’en imprimer des extraits, dont on trouvera des copies jointes à son affidavit comme pièce 1. Ces extraits contiennent un résumé du défi lancé par le PDG de la Requérante, qui déclarait : [traduction] « De nombreux fabricants ont récemment prétendu que leurs VTT étaient solides [tough]. En tant que PDG de Polaris, je suis convaincu que nous fabriquons les VTT les plus solides [toughest] au monde et je suis prêt à le prouver. » Ils comportent aussi une section du site intitulée [traduction] « Annonces des concurrents » qui permet aux visiteurs de visionner justement les annonces des concurrents. Celles‑ci emploient des phrases telles que « tough and dependable », « the ATV that is tough enough to … ». On peut lire le texte suivant sous cet onglet : [traduction] « Tom ne plaisantait pas lorsqu’il disait que tous les autres fabricants de VTT prétendaient la même chose. Il vous suffit de parcourir les annonces de concurrents ci‑dessous : ils affirment tous que leur produit est le plus solide [toughest]. » Bien que cette preuve soit postérieure à la date du dépôt de la demande, je suis disposée, pour les raisons qui précèdent, à conclure que les mots « tough » et « toughest » sont des attributs désirables pour les véhicules tout‑terrain (spécifiquement conçus pour rouler sur des terrains accidentés) et qu’il en était ainsi à la date pertinente.

Autres affidavits

[13]           Sharon Elliot, une étudiante qui effectue son stage en droit dans le cabinet qui représente l’Opposante, a fourni des copies certifiées d’historiques d’enregistrement de différentes marques de commerce américaines contenant la phrase « THE WORLD’S TOUGHEST ». Je ne crois pas que la preuve de l’état du registre américain des marques de commerce soit d’une grande pertinence dans une instance d’opposition où il s’agit d’évaluer le caractère descriptif sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, puisque les dispositions de la Lanham Act qui concernent cette question diffèrent de celles qui figurent dans la loi canadienne. La déposante a également fourni l’historique du  numéro d’enregistrement américain 78/386,658 de la Marque. Je note que celle‑ci a d’abord été refusée en vertu du sous‑alinéa 2e)(1) de la Lanham Act parce qu’elle était [traduction] « simplement descriptive et élogieuse ». La Requérante a ensuite fourni la preuve d’emploi requise, après quoi la Marque a été enregistrée dans le registre supplémentaire.

[14]           Katherine Duffield est une étudiante qui effectue son stage en droit dans le cabinet qui représente l’Opposante. Elle a effectué des recherches dans la base de données du United States Patent and Trademark Office (USPTO), et a produit une liste des marques de commerce qui comportent l’expression « world’s toughest ». Comme je l’ai déjà indiqué, l’état du registre américain des marques de commerce ne me paraît pas pertinent dans les circonstances de l’espèce. Dans son second affidavit, Mme Duffield affirme avoir obtenu des copies imprimées d’articles parus sur Internet le 2 août 2007. Elle joint à son affidavit plus de 80 pièces, constituées d’articles faisant mention de diverses marchandises vendues par de tierces parties et décrites comme « world’s toughest », « world’s most rugged » et « world’s most durable ». Encore une fois, cet élément de preuve est postérieur à la date déterminante; cependant, il reste pertinent dans la mesure où il confirme que l’adjectif « tough » (et ses synonymes) convient pour décrire certaines marchandises. Encore une fois, je suis disposée à conclure qu’il en était de même lorsque la demande a été produite.

Récapitulation de la preuve de la Requérante

Affidavit de Jan Rintamaki

[15]            M. Rintamaki est le directeur marketing de la division VTT de la Requérante depuis mars 2008. Il déclare qu’en cette qualité, tous les aspects du marketing, de la vente, de la distribution et de la publicité des VTT de la Requérante et de leurs pièces structurales lui sont familiers; il est également responsable de tout ce qui a trait au marketing, à la promotion et aux communications liés aux VTT.

[16]           M. Rintamaki affirme que la Requérante se spécialise dans la fabrication de motoneiges, de VTT, de véhicules utilitaires et de motos. Il a fourni comme pièce B des extraits du site Web de la Requérante, www.polarisindustries.com, montrant différents modèles et types de véhicules. On y trouve la photo d’un VTT à proximité de la phrase suivante : « MAKE THE WORLD’S TOUGHEST EVEN TOUGHER ».

[17]           M. Rintamaki soutient que la Requérante a abondamment employé la Marque en liaison avec ses VTT depuis au moins le 29 avril 2004 aux États‑Unis. Au Canada, l’emploi remonte à juillet 2004. La Requérante a enregistré la Marque auprès de l’USPTO, et des copies de cet enregistrement sont jointes comme pièce C. Il a aussi fourni comme pièce Q une copie de la demande d’enregistrement de la Marque produite au Canada, qui est actuellement pendante.

[18]           M. Rintamaki indique que la Requérante vend des VTT sous divers noms de modèle tels que SPORTSMAN ou TRAILBLAZER. Ces modèles sont tous associés à la Marque, et il a produit à titre d’exemple ce qu’il décrit comme des manuels d’utilisation des VTT pour les années 2006, 2007 et 2008 (pièces D, E et F). Il a toutefois précisé pendant le contre‑interrogatoire que ces pièces correspondaient en fait aux catalogues publiés par la Requérante pour les années susmentionnées. Notons que M. Rintamaki a déclaré sans détour pendant le contre‑interrogatoire (page 33, ligne 7) que la Marque figurait également dans les manuels d’utilisation, et qu’ils étaient distribués tant aux clients américains que canadiens. Cela dit, la question de savoir si les catalogues produits sous les cotes D, E et F sont aussi proposés aux clients canadiens n’est pas claire. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne la façon habituelle dont la Requérante emploie aussi les termes « tough » et « toughest », je constate que les catalogues contiennent le mot « tough ». Par exemple, le titre « THE ANATOMY OF TOUGH » figure dans le catalogue du VTT SPORTSMAN, suivi de la description suivante : [traduction] « De l’avant à l’arrière, de haut en bas, Sportsman a le cran de tenir tête aux conditions les plus redoutables [toughest]. »

[19]           M. Rintamaki déclare que la Requérante possède une filiale en propriété exclusive au Canada, Polaris Industries Ltd., qui comprend environ 250 détaillants autorisés au pays. La Requérante fournit des outils de marketing, comme les bannières sur lesquelles la Marque figure et que les détaillants sont invités à utiliser dans leurs magasins. M. Rintamaki a joint sous la cote O un exemple représentatif de la bannière affichée en 2004 chez les détaillants autorisés. Celle‑ci montre clairement un VTT tout près des mots THE WORLD’S TOUGHEST ATVs. La Requérante a diffusé beaucoup d’annonces au Canada, dans des magazines de plein air et par le biais d’émissions de télévisions locales et nationales diffusées par câble. Les dépenses annuelles de publicité et de promotion sur Internet, dans la presse écrite et à la télévision au Canada en ce qui concerne les VTT, depuis leur arrivée sur le marché canadien en 2004 (juillet), dépassent 1 000 000 $.

[20]           M. Rintamaki soutient que la Requérante a réussi ces cinq dernières années à générer d’excellents revenus annuels au Canada pour la vente de VTT sur lesquels la Marque est apposée. Entre 2004 et mars 2008, la Requérante a vendu plus de 60 000 unités sur le marché canadien; pendant cette période, les revenus bruts ont atteint plus de 80 000 000 $ par an.

[21]           Le reste de l’affidavit de M. Rintamaki concerne la vente et l’annonce des VTT aux États‑Unis, et s’avère donc moins pertinent eu égard aux questions en litige.

Affidavit de Linda Victoria Thibeault

[22]           Linda Victoria Thibeault travaille comme chercheuse en marques de commerce pour l’entreprise Trade Mark Reflections Ltd., dont le cabinet, qui représente la Requérante, a retenu les services pour effectuer des recherches dans les dossiers du Bureau des marques de commerce du Canada. Mme Thibeault a été chargée d’y trouver des marques de commerce contenant les termes « WORLD’S TOUGHEST », « TOUGH », « TUFF » et « RUGGED »; les résultats de ses recherches sont joints à son affidavit sous les cotes A à J.

[23]           La pièce F en particulier fournit des renseignements sur les marques de commerce les plus ressemblantes, à savoir « WORLD’S TOUGHEST OFF‑ROAD TIRES ». Je note que lorsque la demande a été annoncée, la Requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif des termes « toughest off‑road tires », et que la demande a ensuite été repoussée dans le cadre d’une procédure d’opposition, au motif que la marque était manifestement descriptive, ce qui contrevient à l’alinéa 12(1)b) [BFS Brands LLC c. Michelin Recherche & Techique S.A., 2010 COMC 152].

[24]           Je note également que de nombreuses autres marques recensées par Mme Thibeault contiennent des termes tels que « rugged », « tough » ou « tuff ». Dans la plupart des cas, ces termes sont joints à des mots inventés, ou forment des expressions fantaisistes de deux mots, par exemple « TUFF STUFF ». Dans certains cas, le terme « tough » n’est pas employé en lien direct avec les marchandises, comme c’est le cas, par exemple, de TOUGH DUCK OUTBOARD COVER et Dessin. À mon avis, il n’y a que deux marques réellement pertinentes consistant en des phrases sans doute descriptives de plusieurs mots, comme c’est le cas de la Marque demandée, à savoir THE WORLD’S TOUGHEST ACTIVEWEAR & CCC LOGO et THE WORLD’S TOUGHEST SHREDDERS. Nous y reviendrons plus loin.

Analyse

Alinéas 38(2)b)/12(1)b) de la Loi

[25]           L’alinéa 12(1)b) de la Loi prévoit :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

 

 

[26]           La question de savoir si THE WORLD’S TOUGHEST ATVs donne une description claire, ou fausse et trompeuse, de tous les « véhicules tout‑terrain et leurs pièces structurales » doit être analysée du point de vue du consommateur moyen de ces marchandises. Par ailleurs, pour déterminer si la Marque fournit une description claire, il faut, non pas en disséquer minutieusement les composantes, mais plutôt l’envisager dans son ensemble sous l’angle de la première impression [Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce, (1984) 2 C.P.R. (3d) 183, à la page 186 (C.F. 1re inst.)]. La « nature » des marchandises ou services, évoquée à l’alinéa 12(1)b), désigne une particularité, un trait ou une caractéristique des marchandises ou des services, et le mot « clairement » signifie qu’elle est [traduction] « facile à comprendre, évidente ou simple » [Drackett Co. of Canada Ltd. v. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29, à la page 34 (C. Échiq.)]. Par ailleurs, il est bien établi que les mots ou les phrases ayant une connotation élogieuse sont a priori descriptifs [Mitel Corp. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1984), 79 C.P.R. (2d) 202 (C.F. 1re inst.); Imperial Tobacco Ltd. c. Benson & Hedges (Canada) Inc. (1983), 75 C.P.R. (2d) 115 (C.F. 1re inst.)].

[27]           L’Opposante soutient que la Marque n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)b) car elle donne une description claire, ou fausse et trompeuse, de la nature ou de la qualité des marchandises. J’aimerais faire observer à ce stade que la preuve montre bien que le nom courant des « véhicules tout‑terrain » comme ceux de la Requérante est ATV en anglais. Par ailleurs, l’Opposante allègue que les mots « tough » ou « toughest » et autres termes du même genre signalent clairement que les VTT de la Requérante sont conçus pour résister aux bris et être à l’épreuve des terrains accidentés. L’Opposante fait valoir que la Marque décrit les marchandises comme répondant au plus haut degré d’excellence. Elle s’est acquittée du fardeau initial de preuve eu égard au sens ordinaire des mots courants « tough », « toughest », « world’s » et « ATVs ».

[28]           Comme je peux admettre d’office les définitions du dictionnaire, j’ai pris la liberté de reproduire des définitions pertinentes du mot « tough » :

          [traductionCanadian Oxford Dictionary (éd. de 1998) : [tough] : adj. : difficile à casser, couper, déchirer ou mâcher; durable; solide: et

          [traductionOxford Dictionary of English en ligne : [tough] : (se dit d’une substance ou d’un objet) assez solide pour résister à des conditions défavorables ou à une manipulation brusque

[29]           Par conséquent, il incombe à présent à la Requérante de démontrer que la Marque est enregistrable.

[30]           La Requérante soumet que la Marque ne donne pas une description claire, et qu’elle est à peine suggestive. Pendant le contre‑interrogatoire, M. Rintamaki a déclaré que les annonces télédiffusées au Canada mentionnaient le terme « toughest » pour décrire l’expérience associée à la Marque, l’expérience de conduite et la confiance du conducteur, et qu’elles ne se servaient que très brièvement de ce mot pour décrire les attributs du véhicule (contre‑interrogatoire : page 23, ligne 2; page 26, ligne 3). Cela dit, les descriptions contenues dans les catalogues (Rintamaki : pièces D, E et F), dont il est question plus haut, utilisent manifestement le terme « tough » pour signaler la durabilité et l’endurance des VTT de la Requérante.

[31]           Le langage employé dans les défis lancés par vidéo sur le site Web de la Requérante le confirme également, par exemple : [traduction] « En tant que PDG de Polaris, je suis convaincu que nous fabriquons les VTT les plus solides [toughest] au monde. Mais on dirait que presque tous les fabricants de VTT prétendent la même chose. » Le fait que le site Web de la Requérante permettait de visionner des annonces de concurrents dans lesquelles le mot « tough » ou d’autres termes analogues étaient utilisés pour décrire leurs produits est d’ailleurs déterminant. Je suis d’avis que la preuve produite par la Requérante comme par l’Opposante établit que les fabricants de VTT se servent du mot « tough » pour désigner une caractéristique de leurs produits. Bien que je sois consciente qu’une grande partie des éléments de preuve sont postérieurs à la date pertinente pour l’examen du caractère descriptif au titre de l’alinéa 12(1)b), j’estime qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu du sens ordinaire des termes « tough » et « toughest », qu’ils convenaient à la description des véhicules tout‑terrain à la date de production de la demande. Les deux exemples d’annonces de l’Opposante que M. Chelli a fournis dans son affidavit (pièce 1) et qui sont antérieurs à la date pertinente le confirment.

[32]           Par ailleurs, pour ce qui est du sens ordinaire des mots dans le contexte de la phrase « the world’s toughest ATVs », j’estime que le superlatif « toughest » a une connotation élogieuse qui fait non seulement de la solidité une caractéristique désirable, mais qui suggère aussi qu’en étant le plus solide, le VTT en question est le meilleur.

[33]           Quoi qu’il en soit, la Requérante soutient que la Marque est enregistrable et s’appuie sur des exemples de marques enregistrées contenant la phrase « WORLD’S TOUGHEST » (à savoir, THE WORLD’S TOUGHEST ACTIVEWARE & CCC LOGO, THE WORLD’S TOUGHEST SHREDDERS). J’aimerais néanmoins souligner que chaque affaire doit être tranchée au cas par cas. Certaines marques, comme WORLD’S TOUGHEST ACTIVEWARE & CCC LOGO, peuvent comporter du texte et/ou d’un dessin additionnels. Il convient également d’établir si la marque de commerce a fait ou non l’objet d’une opposition, attendu que la décision du registraire d’annoncer, au stade de l’examen, la marque aux fins d’opposition en vertu de l’article 37 ne signifie pas qu’elle est enregistrable; elle signale plutôt que le registraire n’est pas convaincu qu’elle ne l’est pas. Cependant, lors d’une instance d’opposition, il incombe à la Partie requérante, conformément au régime de la Loi, de montrer que sa marque est enregistrable. Il importe donc de relever à cet égard que la marque THE WORLD’S TOUGHEST SHREDDERS n’a pas fait l’objet d’une opposition.

[34]           Je constate par ailleurs que la demande concernant la marque WORLD TOUGHEST OFF‑ROAD TIRES, invoquée avec d’autres par la Requérante, a été repoussée dans le cadre d’une procédure d’opposition en décembre 2010 [BFS Brands, précitée], un an après que la Requérante et l’Opposante aient fourni leurs observations écrites.

[35]           Dans BFS Brands, précitée, la membre a estimé que le terme « toughest » combiné aux mots « off‑road tires » décrivait clairement la nature et la qualité des marchandises, car ces mots usuels indiquaient aux consommateurs anglophones moyens de pneus et de produits connexes qu’il s’agissait des pneus tout‑terrain les plus solides. Suivant le même raisonnement, je suis d’avis que pour le consommateur canadien anglophone moyen de VTT, le terme « toughest » décrit clairement la durabilité de ces véhicules. La preuve appuie certainement cette conclusion puisque les mots « tough » et « toughest », ou autres termes du même genre, sont employés par la Requérante, l’Opposante et d’autres concurrents pour décrire leurs produits. À mon avis, et conformément à la décision BFS Brands, l’ajout du mot « world » n’enlève rien au fait que la Marque est clairement descriptive dans son ensemble. En fait, je souscris à la conclusion de la membre Pelletier dans BFS Brands selon laquelle les termes « world’s » employés avec le superlatif « toughest », forment une épithète élogieuse signalant l’excellence des produits. J’ajouterai que dans la présente affaire, le fond ombragé de la Marque ne possède qu’un caractère distinctif négligeable ou inexistant, ce qui n’a aucune incidence sur la conclusion touchant le caractère descriptif.

[36]           La présente espèce se distingue de la décision Canadian Parking Equipment Ltd. c. Registraire (1990), 34 C.P.R. (3d) 154 (C.F. 1re inst.), invoquée par la Requérante, dans laquelle le juge d’appel Jérôme indiquait à la page 160 que la combinaison des mots en cause (AUTOMATIC PARKING DEVICES OF CANADA) formait un ensemble [traduction] « à tout le moins inhabituel et constitu[ait] une particularité distinctive de la marque globale ». La marque AUTOMATIC PARKING DEVICES OF CANADA comportait le mot « devices » alors qu’elle se rapportait à des services (entretien de parcs de stationnement et matériel de contrôle d’accès, services de consultation, d’ingénierie et de conception liés à l’installation de matériel de contrôle d’accès pour parcs de stationnement). Je soutiendrais, du reste,  que « automatic parking device » n’est pas une phrase ordinaire ni usuelle et que son rapport avec les services est plutôt déconcertant. Cependant, en l’espèce, la Marque est une phrase descriptive grammaticalement correcte et fait directement référence aux marchandises en liaison avec lesquelles elle est appelée à être utilisée; chaque mot a un sens ordinaire courant et il est facile d’établir un lien entre l’ensemble de la phrase et les marchandises.

[37]           Je conviens avec l’Opposante que la présente espèce se distingue également de la décision KIDFITTERS [GWG Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1981), 55 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.)]. Je note que le juge Cattanach se réfère au principe, souvent invoqué, qui a été énoncé dans la décision Standard Ideal Co. v. Standard Sanitary Mfg. Co [1911] A.C. 78, à savoir qu’un [traduction] « mot commun [...] qui se rapporte à la nature et à la qualité des biens en liaison avec lesquels il est utilisé et à rien d’autre ne peut servir utilement ou efficacement à distinguer les marchandises d’un commerçant de celles d’un autre. » À cet égard, j’estime que la Marque véhicule un seul message, à savoir que les marchandises sont les plus solides (et donc les meilleures) sur le marché.

[38]           Je comprends la déclaration de M. Rintamaki selon laquelle la Marque est employée pour traduire une idée de solidité (« tough »), mais à mon avis toute autre expérience associée à la Marque découlerait de la publicité et de la promotion postérieure à la date de production de la demande (sachant que celle‑ci elle repose sur un emploi projeté). J’estime que chacun des mots est d’usage courant et, que dans son ensemble et suivant son sens ordinaire la Marque est de nature à susciter chez le consommateur moyen de véhicules tout‑terrain comme première impression qu’il s’agit des VTT les plus solides, et donc des meilleurs sur le marché. J’estime qu’à la date à laquelle la demande a été produite, qu’on ne pouvait attribuer aucune autre signification à la Marque au Canada.

[39]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau eu égard à ce motif d’opposition. Je conclus que la première impression suscitée par la Marque THE WORLD’S THOUGHEST ATVs et Dessin est qu’elle décrit clairement la nature et la qualité des VTT, en contravention de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

[40]           Par conséquent, ce motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi est retenu.

Autres motifs d’opposition

[41]           Ayant donné gain de cause à l’Opposante relativement au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b), la demande doit être repoussée. Il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs d’opposition.

Décision

[42]           En vertu du pouvoir qui m’est conféré aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi.

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P. Heidi Sprung

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

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