Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2013 COMC 163

Date de la décision : 2013-09-30

TRADUCTION

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Levi Strauss & Co. à l’encontre de la demande d’enregistrement n1,304,072 pour la marque de commerce WOMEN’S RUEHL POCKET Dessin au nom d’Abercrombie & Fitch Trading Co.

Introduction

[1]               La présente opposition a trait à une demande produite par Abercrombie & Fitch Trading Co. (la Requérante) le 5 juin 2006, en vue de faire enregistrer la marque de commerce désignée comme WOMEN’S RUEHL POCKET Dessin (la Marque), reproduite ci-après :

Women's Ruehl Pocket Design

et décrite en ces termes :

La marque est constituée de deux dessins de couture symétriques. Les lignes pointillées autour de la marque représentent la forme des poches, qui n’est pas revendiquée comme caractéristique de la marque de commerce.

[2]               La Requérante vise à faire enregistrer la Marque en liaison avec : (1) vêtements, nommément jeans, jupes, shorts, pantalons et vestes (marchandises 1); et (2) jeans (marchandises 2) (les marchandises 1 et les marchandises 2 ci-après appelées les Marchandises). La demande est fondée sur : un emploi projeté au Canada en liaison avec les marchandises 1; une demande d’enregistrement aux États-Unis des marchandises 1; l’emploi aux États-Unis des marchandises 2; et l’enregistrement aux États-Unis des marchandises 2.

[3]               La demande a été annoncée le 1er décembre 2010. Levi Strauss & Co. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition le 31 janvier 2011.

[4]               Les motifs d’opposition soulevés par l’Opposante sont fondés sur les alinéas 30(e), 30(i), 12(1)(d), les paragraphes 16(2) et 16(3), et l’article 2 (caractère distinctif) de la Loi sur les marques de commerce L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi). Les motifs d’opposition sont exposés en détail à l’annexe A de la présente décision.

[5]               La première question consiste à déterminer si l’Opposante a produit une preuve suffisante pour appuyer ses motifs d’opposition. Le cas échéant, je dois déterminer si la demande est conforme aux exigences des alinéas 30(e) et (i); et en fin de compte, si la Marque crée de la confusion à l’une ou l’autre des dates pertinentes avec les marques de commerce de l’Opposante.

[6]               Pour les raisons exposées ci-après, je conclus que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve à l’égard des motifs fondés sur les alinéas 30(e) et (i), 16(2)(b) et 16(3)(b). Je conclus également que la Requérante ne s'est pas acquittée de son fardeau de démontrer que la Marque n’est pas susceptible de créer de la confusion avec le dessin-marque d’ARC DOUBLE de l’Opposante comme défini ci-après. Par conséquent, je maintiens les motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 12(1)(d) et l’article 2 (caractère distinctif).

Fardeau ultime et fardeau de preuve initial

[7]               La Requérante a le fardeau ultime de démontrer que la demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi, contrairement à ce qui est allégué dans la déclaration d’opposition. Cela signifie que, si la Commission n’arrive pas à une conclusion déterminante après clôture de la preuve, la question doit être tranchée à l’encontre de la Requérante. L’Opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau de preuve d’établir les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu’un fardeau de preuve soit imposé à l’Opposante signifie qu’un motif d’opposition ne sera pris en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de ce motif d’opposition [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst.); Joseph E Seagram & Sons Ltd et al c. Seagram Real Estate Ltd (1984), 3 CPR (3d) 325 (COMC); Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, SA et al (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF) et Wrangler Apparel Corp c. The Timberland Company (2005), 41 CPR (4th) 223 (CF)].

Remarque préliminaire

[8]               J’ai tenu compte, aux fins de ma décision, de l’ensemble de la preuve et des observations produites par les parties; cependant, je n’aborderai dans le corps de ma décision que les parties de la preuve et des observations qui sont pertinentes du point de vue de mes conclusions.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30(i) de la Loi

[9]               L’alinéa 30(i) de la Loi exige simplement que la requérante se déclare convaincue d’avoir droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les marchandises et services décrits dans la demande. Une telle déclaration est comprise dans la présente demande. Une opposante ne peut invoquer l’alinéa 30(i) que dans des cas bien précis, comme lorsqu’une fraude de la part de la requérante est alléguée [voir Sapodilla Co Ld c. Bristol Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC)]. Il n’y a aucune allégation de cette nature dans la déclaration d’opposition et aucune preuve en ce sens au dossier.

[10]           L’Opposante fait valoir que, en ne produisant aucune preuve soumise à un contre-interrogatoire de l’auteure de l’affidavit, l’Opposante n’a pas pu vérifier la véracité de la connaissance ou l’absence de connaissance par la Requérante des marques de commerce de l’Opposante. Une telle situation porte préjudice à l’Opposante et, à ce titre, une conclusion négative devrait être tirée du défaut de la Requérante de produire une preuve. En tout respect, je ne suis pas d’accord. Comme susmentionné, le fardeau initial repose sur l’Opposante. La Requérante a le droit de ne pas produire de preuve. Elle peut décider de ne produire aucune preuve si elle considère que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial. Enfin, même si une requérante est au courant des marques de commerce d’une opposante, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle ne peut pas se déclarer convaincue d’avoir droit d’employer la marque de commerce visée par la demande au Canada en liaison avec les marchandises et services décrits dans la demande d’enregistrement.

[11]           Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30(i) de la Loi est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30(e) de la Loi

[12]           L’Opposante fait valoir que la Requérante n’a produit aucune preuve étayant son intention d’employer la Marque au Canada. Dans ces conditions, l’Opposante conclut que la demande d’enregistrement ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30(e) de la Loi. Ce raisonnement est contraire à l’état du droit en ce qui concerne le fardeau de preuve des procédures d’opposition. L’Opposant avait le fardeau initial de produire une preuve à l’appui de ce motif d’opposition.

[13]           J’estime que rien dans la preuve dont je dispose ne pourrait être invoqué à l’appui de ce motif d’opposition et, en conséquence, ce motif est rejeté.

Motifs d’opposition fondés sur les alinéas 16(2)(b) et (3)(b) de la Loi

[14]           Pour étayer ces motifs d’opposition, l’Opposante s’appuie sur cinq marques de commerce déposées, nommément, les certificats d’enregistrement LMC142607, LMC381977, LMC517605, LMC266592 et LMCDF39879. Elle allègue que les demandes menant à ces enregistrements ont été produites antérieurement à la demande d’enregistrement de la Requérante. Or, selon ce qui est prévu au paragraphe 16(4) de la Loi, ces demandes devaient être pendantes à la date d’annonce de la présente demande (1er décembre 2010). Comme il ressort du certificat d’authenticité produit par Mme Patti Johnson, la directrice nationale canadienne de Levi Strauss & Co. (Canada) Inc. (Levi Canada), aucune de ces demandes n’était encore pendante le 1er décembre 2010. Par conséquent, ces motifs d’opposition sont également rejetés [voir Governor and Co of Adventurers of England trading into Hudson's Bay c. Kmart Canada Ltd, (1997), 76 CPR (3d) 526 (COMC)].

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)(d) de la Loi

[15]           La date pertinente pour l’analyse de ce motif d’opposition est la date de la décision du registraire [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 CPR (3d) 413, à 424 (CAF)].

[16]           L’Opposante a produit des copies certifiées des enregistrements suivants :

 

 

 

LMC142607 pour des vêtements, nommément jeans, comme illustré ci-après :

STITCHING DESIGN

LMC381977 comme illustré ci-après en liaison avec des pantalons :

POCKET DESIGN

 

LMC517605 comme illustré ci-après en liaison avec des pantalons, des salopettes, des combinaisons, des shorts, des vestes et des chemises :

ARCUATE DESIGN

LMC266592 comme illustré ci-après en liaison avec des pantalons pour hommes, femmes et enfants :

LEVI STRAUSS DESIGN

et LMCDF39879 comme illustré ci-après en liaison avec des vêtements, nommément des salopettes :

A DOUBLE ARCUATE DESIGN APPLIED... AS OVERALLS.

(ce dessin est appelé le dessin-marque d’ARC DOUBLE)

[17]           J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire de consulter le registre, et je confirme que les deux enregistrements existent. L’Opposante s’est donc acquittée de son fardeau initial à l’égard de ce motif d’opposition [voir Quaker Oats of Canada Ltd/La Compagnie Quaker Oats du Canada ltée c. Menu Foods Ltd (1986), 11 CPR (3d) 410 (COMC)].

[18]           Le test en matière de confusion est énoncé au paragraphe 6(2) de la Loi. Certaines des circonstances de l’espèce dont il convient de tenir compte aux fins de l’appréciation de la probabilité de confusion entre deux marques de commerce sont décrites au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; la période pendant laquelle les marques de commerce ou les noms commerciaux ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Cette liste de critères n’est pas exhaustive et le poids qu’il convient d’accorder à chacun de ces critères n’est pas nécessairement le même [voir Clorox Co c. Sears Canada Inc (1992), 41 CPR (3d) 483 (CF 1re inst.) et Gainers Inc c. Marchildon (1996), 66 CPR (3d) 308 (CF 1re inst.)].

[19]           Le test, aux termes du paragraphe 6(2), ne porte pas sur la confusion entre les marques elles-mêmes, mais sur la probabilité que des biens ou des services provenant d’une source soient perçus comme provenant d’une autre source. En l’espèce, la question que soulève le paragraphe 6(2) est celle de savoir s’il y aurait probabilité de confusion que les Marchandises de la Requérante, en liaison avec la Marque, passent pour des marchandises provenant de l’Opposante ou étant parrainées ou approuvées par cette dernière.

[20]           Le juge Binnie de la Cour suprême du Canada a formulé des observations sur l’appréciation de ces critères [voir Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée et al (2006), 49 CPR (4th) 401 et Mattel Inc c. 3894207 Canada Inc (2006), 49 CPR (4th) 321]. Le poids qu’il convient d’accorder à chacun de ces facteurs peut différer, mais le plus important d’entre eux est souvent le degré de ressemblance entre les marques [voir Masterpiece Inc c. Alavida Lifestyles Inc et al (2011), 96 CPR (4th) 361 (CSC)].

[21]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve produit par l’Opposante, je considère que l’élément le mieux à même de jouer en faveur de l’Opposante est son dessin-marque d’ARC DOUBLE puisque la majeure partie de la preuve de l’Opposante s’appuie sur cette marque. J’évaluerai donc les critères énumérés au paragraphe 6(5) dans cette optique. Si je conclus qu’il n’y a aucune probabilité de confusion entre la Marque et le dessin-marque d’ARC DOUBLE de l’Opposante, la demande d’opposition de cette dernière ne serait pas accueillie pour aucun autre des enregistrements illustrés précédemment.

 

Alinéa 6(5)(a) – Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[22]           La Marque et les marques de commerce déposées de l’Opposante possèdent un caractère distinctif inhérent puisque chacune d’elles est une interprétation artistique de lignes. De plus, il n’y a aucun lien apparent entre les dessins et les marchandises respectives des parties. Cependant, les deux marques sont décoratives et composées de dessins de ligne simple. Par conséquent, ce ne sont pas des marques intrinsèquement fortes [voir Levi Strauss & Co c. Vivant Holdings Ltd (2003), 34 CPR (4th) 53 (COMC)].

[23]           Le caractère distinctif d’une marque de commerce peut être accru par l’emploi ou la promotion. L’Opposant a produit une preuve relativement à son historique et à l’emploi des marques de commerce de l’Opposante au Canada.  

[24]           Les allégations pertinentes comprises dans l’affidavit de Mme Johnson et les pièces qui y sont jointes peuvent être résumées comme suit :

 

         Levi Canada est licenciée par l’Opposante pour employer les marques de commerce de l’Opposante et l’Opposante a, aux termes de la licence, le contrôle des caractéristiques et de la qualité des marchandises en liaison avec lesquelles les marques de commerce sont employées par Levi Canada [paragraphe 5].

         Pratiquement tous les pantalons de marque LEVI’S (y compris les jeans) vendus au Canada par Levi Canada portent le dessin-marque d’ARC DOUBLE [paragraphe 7, pièce C].

         Le dessin-marque d’ARC DOUBLE est illustré sur des étiquettes volantes et des étiquettes de poche fixées sur les vêtements de marque LEVI’S vendus au Canada par Levi Canada [paragraphe 7, pièces D1 à D11].

         Entre 1996 et 2010, Levi Canada a vendu plus de 50 millions de vêtements affichant le dessin-marque d’ARC DOUBLE, ce qui représente une valeur en gros de plus de 1,4 G$ [paragraphe 9].

         Des copies de factures de vente représentatives entre 2008 et 2011 sont produites en pièce E [paragraphe 9].

         Depuis 1972, Levi Canada a mené une campagne publicitaire intensive de ses produits de marque LEVI’S dans la presse écrite et électronique de même que par diverses promotions; ces publicités présentent fréquemment le dessin-marque d’ARC DOUBLE. Les dépenses totales en publicité depuis 1972 dépassent les 200 M$ [paragraphe 11].

         Les échantillons de publicités représentatives joints comme pièces à l’affidavit de Mme Johnson comprennent, notamment, des scénarimages et des bandes-vidéo de publicités télévisées, des affiches, des affiches extérieures et des publicités d’abribus, des publicités de magazines et de journaux, des catalogues distribués aux détaillants de vêtements de marque LEVI’S, des épreuves de publicités grand public, des publicités au point de vente [paragraphes 12 à 17].

         L’Opposante et Levi Canada ont informé les participants de l’industrie de leurs droits afférents aux marques de commerce au moyen de la publicité [paragraphe 19, pièces N1 et N2].

         Dans un texte intitulé LEVI’S: The “Shrink-to-fit” business that stretched to cover the world, publié en 1978, l’auteur a fait référence au dessin-marque d’ARC DOUBLE comme une marque [traduction] « qui est apparemment la plus ancienne marque de commerce employée de façon continue dans le domaine du vêtement » [paragraphe 20, pièce O1].

[25]           La Requérante n’a produit aucune preuve de son emploi de la Marque au Canada. Bien que l’affidavit de Mme Johnson ne ventile pas les ventes et les frais de publicité par sorte de vêtements, il présente des ventes et des frais de publicité importants en liaison avec le dessin-marque d’ARC DOUBLE. Ainsi, il est facile de conclure que le dessin-marque d’ARC DOUBLE est bien connu au Canada [voir Levi Strauss & Co, plus haut].

[26]           Compte tenu de ce qui précède, l’analyse globale du caractère distinctif inhérent des marques de commerce et de la mesure dans laquelle elles sont devenues connues favorisent clairement l’Opposante.

Alinéa 6(5)(b) – la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[27]           Compte tenu de la preuve décrite ci-haut, ce facteur favorise clairement l’Opposante.

Alinéas 6(5)(c) et (d) – le genre de marchandises, services ou entreprise et la nature du commerce

[28]           En ce qui a trait au genre de marchandises et à la nature du commerce, le risque de confusion, au sens de l’alinéa 12(1)(d) de la Loi, est déterminé en fonction de l’état déclaratif des marchandises qui figure dans la demande et de celui qui apparaît dans les enregistrements [voir Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd (1987), 19 CPR (3d) 3 (CAF); Miss Universe, Inc. c. Bohna (1994), 58 CPR (3d) 381 (CAF)].

[29]           J’aimerais souligner, selon la preuve comprise dans l’affidavit de Mme Johnson, que le terme « salopettes » au moment de l’enregistrement LMCDF39879 faisait référence à diverses sortes de vêtements, y compris des jeans, des pantalons, des combinaisons et ce qui est actuellement connu comme des salopettes [voir paragraphe 6 de l’affidavit de Mme Johnson et les pièces B1 à B3 qui y sont jointes].

[30]           On voit clairement qu’il y a chevauchement en ce qui concerne les jeans et les pantalons. Pour ce qui est des autres Marchandises, il s’agit également de vêtements.

[31]           En ce qui concerne la nature du commerce, aucune preuve n’a été produite par la Requérante à ce sujet, alors que l’Opposante a clairement démontré que les vêtements arborant le dessin-marque d’ARC DOUBLE sont vendus dans l’ensemble du Canada par l’entremise de ses magasins de détail, dont les magasins LEVI’S qui vendent principalement des produits de marque LEVI’S; et les grands magasins, comme La Baie et Sears [paragraphe 10 de l’affidavit de Mme Johnson]. Je dois présumer, en fonction du genre des Marchandises de la Requérante, qu’elles seraient en fin de compte vendues aux consommateurs au détail dans les magasins de détail. Ces facteurs favorisent l’Opposante.

Alinéa 6(5)(e) – le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[32]           Comme susmentionné, il s’agit du facteur décisif. Étant donné que les marques en litige sont des dessins-marques, je suis d’avis qu’il n’y a aucun degré de ressemblance entre elles dans le « son ». Quant aux « idées » suggérées, il n’y a rien dans les observations écrites des parties à ce sujet.

[33]           L’Opposante fait référence à trois cas où ses demandes d’opposition ont été accueillies à l’encontre de demandes d’enregistrement de dessins de couture sur le fondement d’un risque de confusion avec ses marques de commerce, dont son dessin-marque d’ARC DOUBLE [voir Levi Strauss & Co c. Bennetton Group (1997), 77 CPR (3d) 223 (COMC); Vivant Holdings Limited c. Levi Strauss & Co (2003), 34 CPR (4th) 53 (COMC) confirmé (2005), 41 CPR (4th) 8 (CF 1re inst.); et Levi Strauss & Co c. 167081 Canada Inc (2009), 7 CPR (4th) 228 (COMC)]. Cependant, chaque cas doit être déterminé selon les faits présentés.

[34]           Afin de distinguer les marques, la Requérante fait valoir que la Marque consiste en un dessin de couture en image-miroir alors que le dessin-marque d’ARC DOUBLE n’est pas une image-miroir. Les marques doivent être considérées dans leur ensemble. Cependant, compte tenu du genre de Marchandises, il est possible que les vêtements soient présentés de façon à ce que le consommateur ne voie qu’une poche. Par conséquent, je ne considère pas cet argument comme convaincant.

[35]           La Requérante a produit une liste détaillée des différences entre les marques. Sept sont décrites au paragraphe 25 de son plaidoyer écrit, dont le nombre de lignes qui forment la Marque; la position du dessin d’un côté à l’autre de la poche; et l’épaisseur de la ligne composant le dessin. De son côté, l’Opposant fait valoir que, en ce qui concerne son dessin-marque d’ARC DOUBLE, la partie dominante de la Marque est le dessin « d’arc double », c’est-à-dire les deux arcs qui se rejoignent au centre de la poche.

[36]           Visuellement, je considère qu’il existe une grande ressemblance en comparant les marques en question. Le dessin-marque d’ARC DOUBLE est composé d’une partie d’arc double et d’une partie d’intersection au milieu du dessin. La Marque est composée d’une ligne dessinant deux arcs avec une boucle dans la partie du milieu.  

État du registre

[37]           La Requérante a produit douze certificats d’authenticité de marques de commerce déposées ou de demandes d’enregistrement pour des dessins de couture, tous en liaison avec des vêtements. L’annexe B de cette décision est une énumération de ces marques de commerce. Je remarque que l’enregistrement LMC472647 a été radié le 25 octobre 2012 pour non-renouvellement. Par conséquent, à cette date, il n’est plus au registre.

[38]           La preuve afférente à l’état du registre n’est pertinente que dans la mesure où elle permet de déduire l’état du marché [voir Ports International Ltd c. Dunlopo Ltd (1992), 41 CPR (3d) 432 (COMC); Del Monte Corporation c. Welch Foods Inc (1992), 44 CPR (3d) 205 (CF 1re inst.)]. Par ailleurs, les conclusions au sujet de l’état du marché ne peuvent être tirées des preuves afférentes à l’état du registre que dans les cas où un grand nombre d’enregistrements pertinents ont été relevés [Maximum Nutrition Ltd c. Kellogg Salada Canada Inc (1992), 43 CPR (3d) 349 (CAF)].

[39]           Comme mentionné par l’Opposante, la demande d’enregistrement 1498091 a été produite en fonction d’un emploi projeté. Aucune déclaration d’emploi n’a été produite. Par conséquent, je ne peux présumer que ce dessin de couture a été employé sur le marché. Il y a par conséquent dix mentions. Cependant, comme il ressort des dessins reproduits à l’annexe B de cette décision, la plupart d’entre eux n’ont pas de partie centrale créée par l’intersection de lignes courbes.

[40]            En l’espèce, je considère que le nombre de mentions est insuffisant pour me permettre de conclure que les consommateurs sont habitués à voir des dessins de couture sur les poches des vêtements comme des marques de commerce en liaison avec les vêtements de façon à pouvoir les distinguer.

Conclusion

[41]           Le test ultime est celui de la première impression dans l’esprit d’un consommateur qui a un souvenir imparfait du dessin-marque d’ARC DOUBLE, qui voit des vêtements avec la Marque sur ses poches. Ce consommateur pensera-t-il que l’Opposante est la source de ces vêtements?

[42]           En tirant mes conclusions, j’ai tenu compte du fait que la preuve de l’Opposante démontre que son dessin-marque d’ARC DOUBLE est devenu bien connu au Canada en liaison avec les jeans, que le genre des marchandises des parties est identique ou semblable. Je suis également d’avis que les ressemblances entre le dessin de la Marque de la Requérante et le dessin-marque d’ARC DOUBLE de l’Opposante l’emportent sur leurs différences lorsque les marques de commerce sont considérées dans leur ensemble. Je ne suis pas convaincu que le consommateur moyen, en ce qui a trait à la première impression et avec un souvenir imparfait de la marque susmentionnée de l’Opposante, se souviendrait des dessins de couture dans chaque cas, et ne serait pas, par conséquent, perplexe quant à la source des vêtements arborant la Marque de la Requérante.

[43]           Par conséquent, je considère qu’à toutes les dates pertinentes, la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau légal de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et le dessin-marque d’ARC DOUBLE de l’Opposante. Ce motif d’opposition est maintenu.

Motifs d’opposition fondés sur les alinéas 16(2)(a) et 16(3)(a) et l’article 2 de la Loi

[44]           Il est généralement reconnu que la date pertinente à laquelle le caractère distinctif d’une marque de commerce est examiné est la date de production de la déclaration d’opposition (31 janvier 2011) [voir Andres Wines Ltd. and E & J Gallo Winery (1975), 25 CPR (2d) 126, (CAF), et Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 CPR (4th) 317 (CF 1re inst.)].

[45]           L’Opposante a établi que son dessin-marque d’ARC DOUBLE était connu au Canada à la date pertinente. Par conséquent, l’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial de preuve. La Requérante avait le fardeau de démontrer que la Marque était adaptée à distinguer les Marchandises des marchandises de l’Opposante.

[46]           La date pertinente plus rapprochée n’aurait pas eu un effet important sur mon analyse des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) en ce qui concerne la probabilité de confusion à cette date. Par conséquent, je maintiens ce motif d’opposition pour les raisons invoquées ci-haut.

[47]           Pour ce qui est des motifs d’opposition fondés sur les alinéas 16(2)(a) et (3)(a), la demande de l’Opposante a été accueillie pour deux motifs d’opposition, il n’est pas nécessaire que je les évalue.

Décision

[48]           En vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués en application du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

_____________________________

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Nathalie Tremblay


Annexe A

 

 

 

Les motifs d’opposition pertinents peuvent être résumés comme suit :

 

1.      La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30(e) de la Loi sur les marques de commerce L.R.C. 1985, ch. T-13, (la Loi), car la Requérante n’avait pas et n’a pas l’intention d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises;

2.      La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30(i) de la Loi, car la Requérante ne pouvait être convaincue d’avoir droit d’employer la Marque au Canada compte tenu de sa connaissance préalable des marques de commerce ci-après et de la confusion créée;

3.      La Marque n’est pas enregistrable suivant l’alinéa 12(1)(d) de la Loi, car la Marque crée de la confusion avec les marques de commerce déposées de l’Opposante :

LMC142607 comme illustrée ci-après pour des vêtements, nommément des jeans :

STITCHING DESIGN

LMC381977 comme illustrée ci-après en liaison avec des pantalons :

POCKET DESIGN

 

LMC517605 comme illustrée ci-après en liaison avec des pantalons, des salopettes, des combinaisons, des shorts, des jupes, des vestes et des chemises :

ARCUATE DESIGN

 

 

 

 

 

 

LMC266592 comme illustrée ci-après en liaison avec des pantalons pour hommes, femmes et enfants :

LEVI STRAUSS DESIGN

et LMCDF39879 comme illustrée ci-après en liaison avec des vêtements, nommément des salopettes :

A DOUBLE ARCUATE DESIGN APPLIED... AS OVERALLS.

4.      La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque aux termes de l’alinéa 16(2) de la Loi parce que, à la date de production de la demande, la Marque créait de la confusion avec les marques de commerce de l’Opposante susmentionnées et déjà employées au Canada par l’Opposante ou devenues connues au Canada en liaison avec les marchandises de l’Opposante, et pour lesquelles des demandes d’enregistrement ont déjà été produites et des enregistrements existaient;

5.      La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque aux termes de l’alinéa 16(3) de la Loi parce que, à la date de production de la demande, la Marque créait de la confusion avec les marques de commerce de l’Opposante susmentionnées et déjà employées au Canada par l’Opposante ou devenues connues au Canada en liaison avec les marchandises de l’Opposante, et pour lesquelles des demandes d’enregistrement ont déjà été produites et des enregistrements existaient;

6.      Aux termes de l’alinéa 38(2)(d) de la Loi, la Marque n’est pas distinctive de la Requérante compte tenu de l’emploi au Canada par l’Opposante de toutes les marques de commerce susmentionnées de l’Opposante, et de la publicité et de la promotion faites au Canada de toutes ces marques de commerce de l’Opposante. La Marque ne distingue pas et n’est pas adaptée à distinguer les marchandises de la Requérante en liaison avec lesquelles son emploi est projeté des marchandises de l’Opposante.



Annexe B

No d’enregistrement ou de demande                 

 

LMC788163

 

 

 

 

 

LMC695101

 

 

 

 

 

Demande 1498091

 

 

 

 

 

LMC661212

 

 

 

 

 

LMC688638

 

 

 

 

 

LMC497909

 

 

 

 

 

LMC472647

 

 

 

 

 

Marque de commerce

 

Pocket Stitch Design

 

 

Pocket Design

 

 

POCKET Design

 

 

POCKET STITCH DESIGN #1

 

Men's Pocket Stitch Design

 

POCKET STITCHING DESIGN

 

 

POCKET DESIGN

 

 

No d’enregistrement ou de demande                 

                  

 

 

LMC517787

 

 

 

 

 

LMC684591

 

 

 

 

 

LMC786495

 

 

 

 

 

LMC732750

 

 

 

 

 

LMC675710

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marque de commerce

 

 

S DESIGN

 

 

POCKET Design

 

 

Pocket Stitch Design

 

POCKET STITCH DESIGN

 

 

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