Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2014 COMC 263

Date de la décision : 2014-11-28

TRADUCTION

DANS L'AFFAIRE DES OPPOSITIONS produites par Loblaws Inc. à l'encontre des demandes d'enregistrement nos 1,521,871 et 1,521,872 pour les marques de commerce EUROPEAN FLAVORS et SAVEURS DEUROPE au nom d'Agri-Mondo Inc.

Introduction

[1]               Agri-mondo Inc. (la Requérante) a produit une demande d'enregistrement des marques de commerce EUROPEAN FLAVORS et SAVEURS D’EUROPE (les Marques) en liaison avec des fruits frais, légumes frais, fruits frais emballés et légumes frais emballés.

[2]               Loblaws Inc. (l'Opposante) s'est opposée aux demandes d'enregistrement principalement sur la base que les Marques donnent une description ou donnent une description fausse et trompeuse aussi bien de la nature et de la qualité des fruits et légumes de la Requérante et sont des termes qui sont largement employés depuis plusieurs années dans l'industrie des aliments et des boissons.

[3]               Pour les raisons exposées ci-dessous, j'estime que l'opposition doit être rejetée.

Contexte

[4]               Le 1er avril 2011, la Requérante a produit les demandes nos 1,521,871 et 1,521,872 pour l'enregistrement des Marques basé sur un emploi projeté en liaison avec des fruits frais et des légumes frais et des fruits frais emballés et des légumes frais emballés.

[5]               Les demandes d'enregistrement ont été annoncées dans le Journal des marques de commerce du 16 novembre 2011 et l'Opposante a produit des déclarations d'opposition le 16 avril 2012, basées sur les motifs dopposition suivants énoncés en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T13 (la Loi) : l'absence de droit à l'enregistrement en vertu des articles 12(1)b) et 12(1)e), la non-conformité aux articles 30e) et 30i), et l'absence de caractère distinctif en vertu des articles 38(2)d) et 2. Tous ces motifs d'opposition sont fondés sur la prémisse que les Marques donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises de la Requérante.

[6]               À l'appui de ses deux oppositions, l'Opposante a produit l'affidavit de Liliana Mulé. Mme Mulé n'a pas été contre-interrogée.

[7]               Comme preuve dans chaque dossier, la Requérante a produit des copies certifiées de 41 enregistrements et demandes d'enregistrement de marques de commerce.

[8]               Seule l'Opposante a produit un plaidoyer écrit dans chaque cause, mais la Requérante et l'Opposante étaient toutes les deux représentées à une audience pour les deux dossiers.

Fardeau de preuve et dates pertinentes

[9]               C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que ses demandes sont conformes aux exigences de la Loi. Toutefois, il incombe à l'Opposante de s'acquitter du fardeau de preuve initial de présenter une preuve admissible suffisante à partir de laquelle on peut raisonnablement conclure que les faits allégués à l'appui de chaque motif d'opposition existent [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la page 298; et Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF)].

[10]           Les dates pertinentes qui s'appliquent aux motifs d'opposition sont les suivantes :

         article 38(2)a)/article 30 – la date de production de la demande [Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC), à la page 475];

         article 38(2)b)/article 12(1)b) – la date de production de la demande [Havana Club Holdings SA c Bacardi & Co (2004), 35 CPR (4th) 541 (COMC); Fiesta Barbeques Ltd c General Housewares Corp (2003), 28 CPR (4th) 60 (CF 1re inst)];

         article 38(2)d)/absence de caractère distinctif – la date de production de l’opposition [Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc (2004), 34 CPR (4th) 317 (CF)].

[11]           En ce qui concerne la date pertinente pour le motif d’opposition fondé sur l'article 10 et l'article 12(1)e), le membre de la Commission Herzig a déclaré ce qui suit dans Lockheed Martin Corp, Re (2013), 114 CPR (4th) 293 (COMC) :

[traduction]
La Commission a accepté que la date pertinente pour déterminer un « usage commercial ordinaire et authentique » de la marque au Canada aux fins de l’article 10 soit la date de la décision de la Commission : voir, par exemple Sealy Canada Ltd./Ltée c Simmons IP Inc (2005), 47 CPR (4th) 296 (COMC); rendu d’après l’arrêt Canadian Olympic Assn/Assoc Olympique Canadienne c Olympus Optical Co (1991), 38 CPR (3d) 1, 136 NR 231, (CAF); contra, voir ITV Technologies Inc c WIC Television Ltd. (2003), 29 CPR (4th) 182 (FC) dans lequel la date pertinente est la date du premier emploi au Canada, confirmé dans (2005), 38 CPR (4th) 481, 332 NR 1, (CAF), d'après Carling Breweries Ltd c Molson Cos. (1984), 1 CPR (3d) 191, (CF), repoussant (1982), 70 CPR (2d) 154, (COMC), confirmé (1988), 19 CPR (3d) 129, 16 CIPR 157, 93 NR 25, (CAF).

[12]           Aux fins de ces oppositions, il importe peu quelle date j'applique comme date pertinente pour ce motif en particulier.

Questions préliminaires

Admissibilité de la preuve de la Requérante

[13]           L’admissibilité de la preuve de la Requérante a été contestée par l'Opposante dans son plaidoyer écrit et lors de l'audience. À cet égard, la Requérante a produit des copies de 41 enregistrements et demandes d'enregistrement comme preuve auprès de la Commission avant la date limite du 25 février 2013, mais par télécopie plutôt que de manière prescrite (voir l'article 3(9) du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195 (le Règlement)). Les copies certifiées originales des demandes d'enregistrement et des enregistrements ont subséquemment été produites de manière prescrite, mais trois jours après la date limite, soit le 28 février 2013. De plus, l'Opposante a été avisée de manière irrégulière, soit par courriel et par télécopie (le 25 février 2013), mais pas conformément à l'article 38 du Règlement jusqu'au 28 février 2013.

[14]           Dans une décision du 5 avril 2013, la Commission a informé les parties que la preuve produite le 25 février 2013 avait été versée au dossier. La Commission a commis une erreur en versant la preuve du 25 février 2013 au dossier puisqu'elle n'avait pas été produite ou signifiée de manière prescrite. Cependant, l'Opposante ne s'est pas opposée aux irrégularités avant le 30 décembre 2013, au moment de produire son plaidoyer écrit. Dans les circonstances, j'estime qu'aucun préjudice n'est causé à l'Opposante en acceptant, à ce moment, la preuve produite et signifiée le 28 février 2013. Quoi qu'il en soit, au début de l'audience, j'ai exercé mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 47(2) de la Loi pour accorder à la Requérante une prolongation rétroactive du délai et j’ai versé au dossier la preuve produite et signifiée le 28 septembre 2013 pour les deux dossiers une fois le droit réglementaire payé pour les deux dossiers.

Admissibilité de la preuve de l'Opposante

[15]           La Requérante s'est opposée au fait que l'affidavit de Mme Mulé a été produit par une employée de la firme de l'Opposante. Mme Mulé est une assistante judiciaire employée par l'Opposante. L'argument général invoqué est que les employés ne sont pas des témoins indépendants qui présentent une preuve objective lorsqu'ils fournissent un témoignage d'opinion sur des questions contestées [Cross Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd c Hyundai Auto Canada (2006), 53 CPR (4th) 286 (CAF) (Cross-Canada)]. La Requérante soutient qu'en conséquence peu ou pas de poids ne devrait être accordé à cet affidavit.

[16]           Mme Mulé joint à son affidavit des copies de définitions de dictionnaire en ligne des mots « European » [d'Europe] et « flavor » [saveur] et leurs équivalents en français (affidavit de Mme Mulé, para 2 et 3, pièces A et B). Elle a également mené des recherches sur Internet pour trouver des renseignements, des produits et des services qui comprennent les mots « European flavours » [saveurs d'Europe] (affidavit de Mme Mulé, para 4 à 17 et pièces C à O).

[17]           Dans Canadian Jewellers Assn c American Gem Society (2010), 86 CPR (4th) 131 (COMC), l'ancienne membre Bradbury a traité d'une question semblable au para 25 :

[traduction]
Or, je ne crois pas que les préoccupations exprimées par la Cour d’appel fédérale dans Cross-Canada sappliquent légitimement en lespèce. Je ne vois pas comment on pourrait considérer que l’intérêt d’un agent employé par une partie fausse ces résultats. Il est très clair que la recherche avait pour but de voir si une personne ou une autre entreprise que la Requérante employait l’expression [traduction] « gemmologue agréé » sur un site Web canadien. Je ne vois pas comment le fait que cette preuve a été produite par une employée de l’agent de l’Opposante fait en sorte qu’elle est moins appropriée ou qu’elle soulève plus de doutes que si l’Opposante ou son agent avait eu recours à un enquêteur externe pour effectuer ces recherches et signer un affidavit.

 

[18]           Ce raisonnement peut également s'appliquer aux faits en l'espèce. Puisque je n'estime pas que la preuve de Mme Mulé comprend un témoignage d'opinion litigieux du genre présenté dans l'arrêt Cross-Canada, je suis disposée à y accorder une certaine considération. Ce faisant, je remarque que la Requérante n'a soulevé aucune autre objection à la preuve de Mme Mulé.

Absence de droit à l'enregistrement – article 12(1)b)

[19]                 L'Opposante fait valoir que les Marques ne sont pas enregistrables pour les marchandises visées par la demande parce qu'elles donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse, en anglais ou en français, de la nature ou de la qualité des marchandises en liaison avec lesquelles l'emploi est projeté. Je remarque que l'Opposante n'a pas fait valoir que les Marques donnaient une description claire ou donnaient une description fausse et trompeuse du lieu d'origine des marchandises. Par conséquent, la question de savoir si le consommateur moyen croirait ou non, en voyant les Marques, que les marchandises proviennent d'Europe n'est pas en cause.

[20]                 Il faut examiner la question de savoir si les Marques de la Requérante donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse du point de vue de l'acheteur moyen des services connexes. De plus, les Marques ne doivent pas être disséquées en éléments constitutifs et soigneusement examinées. Celles-ci doivent plutôt être considérées dans leur ensemble et sous l'angle de la première impression [Wool Bureau of Canada Ltd c le registraire des marques de commerce, 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst), aux pages 27 et 28; Atlantic Promotions Inc c le registraire des marques de commerce, 2 CPR (3d) 183 (CF 1re inst), à la page 186]. Le mot « nature » s'entend d'une particularité, d'un trait ou d'une caractéristique des services et le mot « claire » signifie « facile à comprendre, évident ou simple » [voir Drackett Co of Canada Ltd c American Home Products Corp (1968), 55 CPR 29, à la page 34]. Dans Canada (Registraire des marques de commerce) c Provenzano (1977), 37 CPR (2d) 189 (CF 1re inst), à la page 189, le juge Addy a déclaré : [traduction] « Pour qu’on puisse soutenir l’objection qu’un mot constitue une description au sens de l’article 12(1)b), ce mot doit constituer une description claire et non seulement suggestive, et pour qu’un mot constitue une description claire, il doit se rapporter à la composition des biens ou du produit ».

[21]                 Comme indiqué, Mme Mulé a obtenu des extraits du Concise Oxford Dictionary pour les mots « European » [d'Europe] et « flavor » [saveur] et des extraits des dictionnaires en ligne wordreference.com et larousse.com pour le mot « saveur ». Les définitions du dictionnaire comprennent [traduction] « de l'Europe ou en Europe » et « originaire de ou caractéristique de l'Europe ». Les définitions du dictionnaire pour « flavour » (ou « flavor » aux États-Unis) [saveur] comprennent [traduction] « une sensation combinée distincte de l'odeur et du goût »et « une caractéristique ou une qualité indéfinissable ». Le terme (en anglais) est considéré comme un nom et un verbe. Les dictionnaires comprennent des définitions et des traductions en anglais de « saveur » qui incluent [traduction] « saveur, goût sucré et salé » [affidavit de Mme Mulé, pièces A et B].

[22]                 Mme Mulé a également mené des recherches sur Internet pour trouver des renseignements, des produits et des services qui comprennent les mots « European flavors » (ou « European flavours ») [saveurs d'Europe] (affidavit de Mme Mulé, para 4 à 7 et pièces C à O). Certains exemples fournis par Mme Mulé (et antérieurs à la date pertinente pour ce motif) sont les suivants :

         un article de 1988 du British Food Journal qui apparaît sur le site Web www.emeraldinsight.com qui emploie la phrase « European flavours » [saveurs d'Europe] pour décrire l'industrie de la saveur en Europe de l'Est;

         un article du 9 octobre 2003, qui apparaît sur le site Web de Food Navigator (www.foodnavigator.com), dans lequel la phrase « European Flavours » [saveurs d'Europe] est employée pour décrire le commerce, le marché et l'industrie de la saveur en Europe;

         un article du 8 mai 2008 du site Web de Food Reference (www.foodreference.com) dans lequel la phrase « European Flavours » [saveurs d'Europe] est employée comme le nom d'une initiative de l'Union européenne pour encourager la consommation de fruits et légumes d'Europe aux États-Unis, au Japon et en Russie;

         une copie du site Web d'un restaurant de Cornwall en Ontario (http://schnitzels.ca) où le nom Schnitzels European Flavours est employé comme nom de restaurant;

         une copie des résultats d'une recherche menée sur le site Web touristique officiel de la Colombie-Britannique où un guide de renseignements décrit où trouver de la nourriture et des boissons dans diverses catégories, dont « European Flavours » [saveurs d'Europe];

         une copie des résultats d'une recherche menée sur le site Web de BC Foodie Blogger où un article intitulé « Street Meet Food Truck – European Flavors » [camion-restaurant - saveurs d'Europe] décrit l'emploi de la phrase « European Flavors » [saveurs d'Europe] par un camion-restaurant à Vancouver.

[23]                 Les arguments de l'Opposante en ce qui concerne les observations à l'égard du motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)b) font tous deux référence aux définitions du dictionnaire des mots « European » [d'Europe] et « flavor » [saveur] (et de leurs équivalents en français) et à la preuve produite en ce qui concerne l'emploi par des tiers de la phrase « European Flavors/Flavours » [saveurs d'Europe]. Je commencerai par résumer les arguments de l'Opposante en ce qui concerne les définitions du dictionnaire.

[24]                 L'Opposante soutient qu'il n'existe aucune autre signification courante ou ordinaire, autre que [traduction] « d'Europe ou en Europe » ou les autres définitions du dictionnaire similaires produites en preuve par l'Opposante, qui puisse être attribuée par le grand public au Canada au mot « European » [d'Europe] (ou son équivalent en français) dans le contexte de la Marque. La signification courante ou ordinaire du mot « flavors » [saveurs] est [traduction] « une sensation combinée distincte de l'odeur et du goût » et « une caractéristique ou une qualité indéfinissable ». S'appuyant sur la décision dans Staffordshire Potteries Ltd c le registraire des marques de commerce (1976), 26 CPR (2d) 134 (CF 1re inst), l'Opposante soutient que, lorsque ces mots sont pris ensemble, ils représentent pour l’observateur ou l'auditeur des marchandises qui proviennent d'Europe ou qui comprennent des saveurs traditionnellement d'origine européenne.

[25]                 En ce qui concerne l'emploi par des tiers de la phrase « European Flavors » [saveurs d'Europe] l'Opposante soutient que la preuve tirée d'Internet qui consiste en un emploi apparemment descriptif d'une marque visée par une demande a été acceptée par la Commission, particulièrement lorsque cela n'a pas été contesté par la Requérante [Pillsbury Co c Alantra Imports Co (1999), 1 CPR (4th) 252 (COMC)]. Je remarque également que comme la question n'est pas de savoir si les mots EUROPEAN FLAVORS [SAVEURS D'EUROPE] ont été employés de manière à donner une description claire au Canada, mais plutôt de savoir si ces mots donnent une description claire dans la langue anglaise, le fait que plusieurs articles fournis par Mme Mulé semblent être tirés de publications non canadiennes ne diminue pas leur pertinence [General Housewares Corp c Fiesta Barbeques Ltd (2001), 13 CPR (4th) 177 (COMC)].

[26]                 S'appuyant sur la décision dans York Barbell Holdings Ltd c ICON Health and Fitness, Inc (2001), 13 CPR (4th) 156 (COMC), l'Opposante soutient qu'il serait inapproprié d'accorder un monopole à la Requérante pour des mots que d'autres de l'industrie ont employés pour décrire une caractéristique de leurs marchandises. À cet égard, l'Opposante soutient que sa preuve démontre que la phrase « European Flavors » [saveurs d'Europe] a été largement employée pendant des années dans les industries des aliments, des boissons, de la saveur et de la production au Canada, y compris par des organismes gouvernementaux. L'Opposante soutient que le terme a été employé pour faire référence à de la nourriture (en particulier la production de fruits et légumes) et des saveurs en provenance d'Europe ou dérivées de la cuisine européenne traditionnelle, pour décrire des catégories d'aliments et pour décrire l'industrie des aliments en général en Europe.

[27]                 Comme preuve, l'Opposante a produit des copies certifiées de 41 enregistrements et demandes d'enregistrement de marques de commerce de divers marchandises et services qui comprennent les mots EUROPEAN [d'Europe] ou FLAVOUR [saveur] (ou leurs équivalents en français) au nom de plusieurs propriétaires différents. L'Opposante a remarqué que plusieurs de ces enregistrements ont été radiés, ne sont pas pour des marchandises ou services liés aux aliments, ou comprennent un élément de dessin suffisant pour les distinguer des autres marques.

[28]                 Lors de l'audience, la Requérante a reconnu que le fait que ces marques ont été déposées ne signifie pas que les Marques sont également enregistrables. L'argument de la Requérante, comme je le comprends, est qu'il existe environ 41 marques de commerce au registre qui comprennent l'élément « flavor » [saveur] ou l'élément « European » [d'Europe] (ou leurs équivalents en français), y compris l'enregistrement no LMC445,189 ZIGGY’S EUROPEAN MARKET où l'élément EUROPEAN n'est pas démenti. La Requérante soutient que l'inférence est que le Bureau des marques de commerce, l'Opposante et les autres tiers ne considèrent pas les mots « European » [d'Europe] ou « flavor » [saveur] comme donnant une description claire ou donnant une description fausse et trompeuse. Autrement dit, puisqu'il est possible d'inférer du nombre d'enregistrements que des marques comprenant ces éléments sont employées sur le marché, il s'ensuit que les consommateurs ont l'habitude de voir ces mots dans le cadre de marques de commerce plutôt que comme des termes qui donnent simplement une description.

[29]                 Quoique cet argument ne soit pas nécessairement non fondé, la question en vertu de l'article 12(1)b) est de savoir si, sous l'angle de la première impression, les Marques donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse des marchandises du point de vue d'un utilisateur quotidien des marchandises. Le fait qu'elles puissent comprendre des éléments qui sont employés par d'autres commerçants, dans le cadre de leurs marques de commerce, ne signifie pas, en soi, que les Marques ne donnent pas de description des marchandises de la Requérante. De plus, quoique la Cour ait reconnu que le registraire doit tenir compte des enregistrements antérieurs dans l'examen de l’aspect de la description [Reed Stenhouse Co Ltd c le registraire des marques de commerce (1992), 45 CPR (3d) 79 (CF 1re inst)], la Commission a déjà conclu qu'il ne lui revenait pas d’expliquer pourquoi l’enregistrement d’une marque en particulier a été autorisé par la section d’examen du Bureau des marques de commerce [Mitel Corp c le registraire des marques de commerce (1984), 79 CPR (2d) 202 à 206; Wool Bureeau, précité, à la page 28; Thomas J Lipton Inc c Boyd Coffee Co (1991), 40 CPR (3d) 272 (COMC), à la page 277; UL Canada Inc c High Liner Foods Inc (2001), 20 CPR (4th) 578; Procter & Gamble Inc c Morlee Corp (1993), 48 CPR (3d) 377, à la page 386 et Benson & Hedges Inc c Imperial Tobacco Ltd (1995), 60 CPR (3d) 567 (COMC)].

[30]           Je suis d'accord avec l'Opposante que le terme European (ou d’Europe) suggère que les marchandises possèdent certaines caractéristiques européennes [Belvedere International Inc c Dena Corporation, 1998 CanLII 18507 (COMC)]. Le mot flavors (ou saveurs) peut également avoir une signification précise en lui-même (c.-à-d. une certaine odeur ou un certain goût). Je n'estime pas que les mots ensemble (en anglais ou en français), cependant, donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse des marchandises visées par la demande pour les raisons qui suivent :

[31]           Quoique j'accepte que certains pays ou régions d'Europe puissent produire des fruits ou des légumes qui ont des saveurs distinctes, la preuve ne démontre pas que la phrase « European Flavors » [saveurs d'Europe] a une signification particulière en ce qui concerne les fruits ou les légumes. La propre preuve de l'Opposante, par exemple, comprend un rapport qui démontre que [traduction] « l'industrie des saveurs demeure particulière à chaque pays » (affidavit de Mme Mulé, pièce G). Le projet d'European Flavours [saveurs d'Europe] décrit dans l'article joint en pièce M de l'affidavit de Mme Mulé fait également référence à des saveurs de régions particulières comme l'Italie. À cet égard, je remarque les extraits suivants de la preuve de l'Opposante :

[traduction]
« …les consommateurs canadiens seront à même d'apprécier les caractéristiques sensorielles extraordinaires et le goût des fruits et légumes de l'Italie par l'entremise de séances et d'événements de dégustation qui seront organisés dans diverses villes à travers le Canada...

... la qualification des produits est également un thème central d'une activité organisée par Oranfrizer au Canada dans le but d'augmenter les ventes d'oranges sanguines siciliennes, en se concentrant sur les fruits frais et le jus de fruits fraîchement pressés. »

Si des fruits et légumes de pays en particulier ont certaines saveurs, en gardant à l'esprit que le terme « European » [d'Europe] peut désigner un ou plusieurs pays différents en Europe, alors je ne vois pas comment EUROPEAN FLAVORS [saveurs d'Europe] (ou son équivalent en français) peut donner une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises.

[32]                 J'ai également tenu compte du fait que si des commerçants de l'industrie des fruits et légumes souhaitaient ou non employer les mots « Euopean Flavors » [saveurs d'Europe] (ou son équivalent en français) pour décrire leurs marchandises. L'Opposante a démontré l'apparence de termes semblables sur Internet en liaison avec des services de restaurant, un service de restaurant ambulant et une initiative de marketing conçue pour encourager la consommation de fruits et légumes en provenance d'Europe aux États-Unis, au Japon, en Russie et en Chine. La preuve ne démontre pas que, à la date pertinente, d'autres de l'industrie des fruits et légumes avaient employé ces mots ou risquaient d'employer ces mots ensemble pour décrire leurs fruits et légumes.

[33]                 À mon avis, le consommateur canadien moyen ne connaîtrait pas la valeur descriptive du mot « flavors » [saveurs] en liaison avec le mot « European » [d'Europe] en liaison avec les fruits et légumes. C'est-à-dire qu'ils ne sauraient pas quelle qualité ou nature en particulier un fruit ou un légume EUROPEAN FLAVOURS [saveurs d'Europe] aurait. Autrement dit, la Marque n'est pas facile à comprendre, évidente ou simple.

[34]           Dans 1055779 Ontario Inc c Aliments Carrière Inc (2001), 11 CPR (4th) 404 le membre de la Commission Herzig a examiné la question de savoir si la marque MARKET FRESH donnait une description claire ou donnait une description fausse et trompeuse de fruits et de légumes congelés. Il a déclaré ce qui suit aux pages 409 et 410 :

[traduction]
À mon avis, le terme combiné « market fresh » [fraîcheur du marché] n'a pas de signification précise. Le terme « market fresh » [fraîcheur du marché], lorsque considéré séparément de toute marchandise, suggère plutôt tout au plus que le produit est relativement frais. La marque MARKET FRESH, lorsqu’elle est employée en liaison avec les marchandises de la requérante, est un oxymoron, car des produits congelés ne peuvent être frais. Le consommateur moyen ne serait nullement trompé, mais considérerait la marque comme un genre de réclame louangeuse conçue en vue d’attirer l’attention. Tout au plus, la marque MARKET FRESH visée par la demande, lorsqu’elle est employée en liaison avec les marchandises de la requérante, suggère simplement que ces produits auront un goût relativement frais. Évidemment, une marque peut être suggestive sans pour autant donner une description claire ou donner une description fausse et trompeuse.

[35]           Dans le même ordre d'idée, la marque EUROPEAN FLAVORS (ou son équivalent en français), lorsque considérée séparément des marchandises, est tout au plus suggestive d'aliments au goût d'Europe. La signification de la Marque EUROPEAN FLAVORS, lorsqu'elle est employée en liaison avec les marchandises de la Requérante, n'est pas claire puisque les fruits et légumes frais, à mon avis, ne peuvent pas avoir un goût [traduction] « d'Europe ». Le consommateur moyen ne serait nullement trompé, mais considérerait les Marques comme un genre de réclame louangeuse conçue en vue d’attirer l’attention.

[36]                 Compte tenu de ce qui précède, le motif d’opposition fondé sur l'article 12(1)b) est rejeté.

Absence de droit à l'enregistrement – article 12(1)e) et article 10

[37]                 L'Opposante a également fait valoir que les Marques ne sont pas enregistrables parce que le terme European Flavors [saveurs d'Europe] (ou son équivalent en français) est, par un usage commercial ordinaire et authentique, devenu reconnu au Canada comme désignant le genre ou la qualité des marchandises de façon telle que personne ne pourrait l'adopter comme marque de commerce comme énoncé à l'article 10 de la Loi.

[38]           Le test pertinent pour l'article 10 est traité au paragraphe 88 de ITV Technologies, susmentionné :

[traduction]
Aux termes de l’article 10, l’adoption ou l’emploi d’une marque peuvent être interdits si, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, elle devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d’origine ou la date de production de marchandises ou services. L’interdiction de la Loi a pour conditions que l’usage de la marque en question se fasse au Canada et que celle-ci ait été couramment employée au Canada à l’époque considérée comme désignant un aspect des marchandises ou services qui en forment l’objet...

[39]                 Aucune preuve n'a été produite pour démontrer l'emploi commercial du terme EUROPEAN FLAVORS [saveurs d'Europe] (ou son équivalent en français) en liaison avec des fruits et légumes au Canada. Comme susmentionné, l'Opposante a démontré l'apparence de termes semblables sur Internet en liaison avec des services de restaurant, un service de restaurant ambulant et une initiative de marketing conçue pour encourager la consommation de fruits et légumes en provenance d'Europe aux États-Unis, au Japon, en Russie, en Chine et au Canada.

[40]                 Par conséquent, j'estime que la preuve de l'Opposante est insuffisante pour remettre en question l'article 10 à l'une ou l'autre des dates pertinentes. Ce motif d'opposition n'est donc pas accueilli.

Non-conformité – articles 30e) et 30i)

[41]                 Les deux motifs d'opposition fondés sur les articles 30e) et 30i) de l'Opposante portent sur la question à savoir si les Marques donnent une description claire ou non. À cet égard, l'Opposante fait valoir que les demandes d'enregistrement ne sont pas conformes à l'article 30e) parce que les Marques ne sont pas destinées à être employées comme marques de commerce, mais serviront plutôt à donner une description claire d’une caractéristique intrinsèque des produits de la Requérante. En vertu de l'article 30i), l'Opposante soutient que la Requérante ne pouvait pas avoir été convaincue qu'elle avait le droit d'employer les Marques comme marques de commerce en raison de leur nature descriptive.

[42]                 Considérant que j'ai déjà conclu que les Marques ne donnent pas une description claire des marchandises visées par les demandes, je rejette ces deux motifs d'opposition.

Motif d'opposition fondé sur le caractère distinctif

[43]           Ce motif d'opposition a été plaidé comme suit :

[traduction]
« …la marque de commerce annoncée EUROPEAN FLAVORS [saveurs d'Europe] (ou son équivalent en français) n'est pas distinctive, parce qu'elle ne distingue pas ni n'est adaptée à distinguer les marchandises de la Requérante de celles d'autres marchands, négociants, importateurs, producteurs et associations commerciales au Canada des mêmes marchandises ou de marchandises semblables. La marque de commerce annoncée n'est pas, et ne peut pas être, distinctive de la Requérante. La marque de commerce invoquée est un terme descriptif et/ou générique largement employé, et depuis de nombreuses années, dans les industries des aliments et des boissons. »

[44]           Tenant d'abord compte de la deuxième partie du motif de l'Opposante, il a déjà été soutenu que bien qu’il puisse être vrai qu'une marque de commerce qui donne une description claire ou qui donne une description fausse et trompeuse est nécessairement sans caractère distinctif, il n’est pas exact de soutenir que, du simple fait qu’une marque de commerce est considérée comme ne donnant pas une description simple ou ne donnant pas une description fausse et trompeuse, elle est donc distinctive [Conseil canadien des ingénieurs professionnels c APA The Engineered Wood Association (2000), 7 CPR (4th) 239 (COMC)]. En l'espèce, j'estime que le terme « European » [d'Europe] par lui-même suggère que les marchandises ont une caractéristique européenne. Lorsque ce mot est employé en liaison avec le mot « flavours » [saveurs], toutefois, sa signification pour le consommateur moyen n'est pas claire. Plus particulièrement, la façon dont un fruit ou un légume frais peut goûter l'Europe n'est pas claire.

[45]           Compte tenu ensuite de la première partie de l'allégation de l'Opposante en vertu de ce motif, l’Opposante doit soumettre une preuve de la réputation au Canada d'une marque ou de marques qui remettent soi-disant en question le caractère distinctif de la marque [Lockheed, précité].

[46]           L'Opposante fait valoir que sa preuve tirée d'Internet démontre que des tiers emploient le terme exact European Flavors [saveurs d'Europe] et que les mots sont employés par plusieurs pour décrire des catégories d'aliments, y compris des fruits et légumes, en provenance d'Europe ou dont les saveurs sont dérivées de la cuisine ou des produits européens traditionnels. Une partie de la preuve de l'Opposante a été décrite précédemment sous le motif fondé sur l'article 12(1)b). D'autres exemples fournis par l'Opposante qui sont antérieurs à la date pertinente pour ce motif comprennent les suivants :

         Une copie des résultats d'une recherche menée sur le site Web Food Navigator (www.foodnavigator-usa.com) où un article du 19 septembre 2011 décrit la hausse de la consommation et de la découverte de certains aliments et saveurs aux États-Unis utilise la phrase « Northern European Foods and Flavours » [aliments et saveurs d'Europe du Nord];

         Des copies de résultats de recherches menées sur le site Web Food Processing (www.foodprocessing.com) où un article du 22 décembre 2011 fait référence à European Flavour [saveur d'Europe] en liaison avec du beurre;

         Des copies de résultats de recherches menées sur le site Web www.europeanflavours.eu où le site Web décrit l'initiative « European Flavours » [saveurs d'Europe] de l'Union européenne et du gouvernement italien pour encourager la consommation de fruits et légumes d'Europe aux États-Unis, au Japon, en Russie et au Canada;

         Des copies des résultats de la recherche sur le site Web Fruit Today (www.fruittoday.com) où il est fait référence aux articles suivants : « European Flavours a positive balance for 2011/2012 » [saveurs d'Europe, un équilibre favorable pour 2011-2012] et « European Flavours ‘the World Tour’ of European Fruit and Vegetables Begins Again from Canada » [Saveurs d'Europe : la « tournée mondiale » des fruits et légumes d'Europe commence de nouveau au Canada].

[47]           Les articles tirés d'Internet de l'Opposante démontrent que, à la date des recherches menées par Mme Mulé, les pages imprimées apparaissaient sur Internet et étaient, au moment des recherches, accessibles du Canada. Quoique cette preuve puisse être utile pour savoir si d'autres personnes emploient l'expression European Flavors [saveurs d'Europe] dans divers articles en ligne et autres publications en référence aux aliments et saveurs dérivés de la cuisine européenne traditionnelle, elle n'est pas suffisante, en elle-même, pour remettre en question si les Marques de la Requérante sont adaptées à distinguer ses fruits et légumes de ceux d'autrui au Canada. À cet égard, de tous les sites Web produits en preuve, seuls quelques-uns semblent provenir du Canada et il n'y a aucune preuve concernant le nombre de Canadiens ayant accédé à ces pages. Même s'il avait été démontré que des Canadiens avaient accédé à ces sites Web, la preuve ne démontre pas que la phrase « European Flavors » [saveurs d'Europe] a été employée par d'autres dans l'industrie des aliments et des boissons au Canada pour décrire des fruits et légumes ou des fruits et légumes emballés.

[48]           Comme je ne suis pas convaincue que l'Opposante s'est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait en vertu de ce motif d'opposition, il n'est pas accueilli.

Décision

[49]           Compte tenu de ce qui précède et conformément aux pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu de l'article 63(3) de la Loi, je rejette l'opposition au titre de l'article 38(8) de la Loi.

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Cindy R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada


 

 

 


Traduction certifiée conforme
Nathalie Tremblay, trad.

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