Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

    Référence: 2013 COMC 38     

Date de la décision: 2013-02-27

DANS L’AFFAIRE DES OPPOSITIONS par Constellation Brands Québec, Inc. et Constellation Brands Canada, Inc. à l’encontre des demandes d’enregistrement nos 1,454,671 et 1,458,769 pour les marques de commerce AOP et AOP APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE & Dessin au nom de AOP LLC

[1]               Le 8 octobre 2009, Julia Wine inc. (Julia Wine) a produit une demande d'enregistrement concernant la marque de commerce AOP, basée sur l’emploi de la marque au Canada depuis au moins aussi tôt que le 11 mars 2008 en liaison avec les marchandises suivantes : « [v]in autorisé à porter la mention AOP conformément à la réglementation nationale correspondant à l’origine du produit » (ci-après parfois référées les Marchandises).

[2]               Le 12 novembre 2009, Julia Wine a produit une autre demande d'enregistrement concernant la marque de commerce AOP APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE & Dessin (reproduite ci-après), également basée sur l’emploi de la marque au Canada depuis au moins aussi tôt que le 11 mars 2008 en liaison avec les mêmes Marchandises :

AOP APPELLATION D'ORIGINE PROTÉGÉE et dessin

[3]               Les demandes ont été annoncées pour fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce les 7 et 28 avril 2010 respectivement. Il convient de noter à ce stade-ci de ma décision que par cession signée le 15 avril 2011, tous les droits, titres et intérêts dans chacune des marques AOP et AOP APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE & Dessin faisant l’objet de chacune de ces demandes ont été cédés à AOP LLC. Sauf indication contraire, je référerai indistinctement à Julia Wine et AOP LLC en tant que « Requérante ». Je référerai également collectivement aux marques faisant l’objet des présente demandes en tant que « Marques » lorsqu’approprié.

[4]               Vincor (Québec) Inc. et Vincor International Inc. ont produit une déclaration d'opposition à l’encontre de chacune de ces demandes les 4 et 6 mai 2010 respectivement. Il convient de noter à ce stade-ci de ma décision qu’en vertu d’un « Certificat de modification » émis par le Registraire des entreprises du Québec le 31 mai 2012, le nom de l’opposante Vincor (Québec) Inc. a été changé pour Constellation Brands Québec, Inc. Également, en vertu d’un « Certificate of amendment » émis par Industrie Canada le 1er juin 2012, le nom de l’opposante Vincor International Inc. a été changé pour Constellation Brands Canada, Inc. Sauf indication contraire, je référerai indistinctement à Vincor (Québec) Inc., Vincor International Inc., Constellation Brands Québec, Inc., et Constellation Brands Canada, Inc. en tant qu’« Opposante ».

[5]               Dans les paragraphes introductifs de chacune des déclarations d’opposition essentiellement identiques, l’Opposante fait notamment valoir qu’AOP est l’acronyme ou l’abréviation de l’expression APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE, laquelle expression réfère à un régime de protection des indications géographiques, et plus particulièrement à celui compris à l’intérieur du cadre du Protected Geographical Status (PGS) défini en vertu du droit de l’Union européenne et destiné à protéger la dénomination de certains aliments et breuvages régionaux (vins, fromages, jambons, olives) fabriqués dans une aire géographique délimitée. L’Opposante fait également valoir que l’expression APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE et l’acronyme AOP sont très similaires à un autre régime de protection des indications géographiques, nommément celui d’APPELLATION D’ORIGINE CONTRÔLÉE et son acronyme ou abréviation AOC, prévalant en France et régulé par l’Institut national des appellations d’origine. Les motifs d’opposition peuvent se résumer comme suit :

 

  1. les demandes ne satisfont pas aux exigences de l’article 30(a) de la Loi sur les marques de commerce (LRC 1985, ch T-13) (la Loi) en ce qu’elles ne contiennent pas un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises en liaison avec lesquelles les Marques ont été employées. Il convient de noter que la déclaration d’opposition produite dans le dossier no 1,454,671 réfère à l’état déclaratif des « services » en liaison avec lesquels la marque AOP a été employée tel qu’allégué dans la demande alors que celle-ci concerne uniquement des marchandises. Tel que concédé par la Requérante lors de l’audience, pareille référence isolée peut raisonnablement être qualifiée d’erreur typographique;
  2. les demandes ne satisfont pas aux exigences de l’article 30(b) de la Loi en ce que la Requérante n’a pas employé chacune des Marques en association avec des vins autorisés à porter la mention AOP conformément à la réglementation nationale correspondant à l’origine des produits depuis la date de premier emploi alléguée dans les demandes;
  3. les demandes ne satisfont pas aux exigences de l’article 30(i) de la Loi en ce que la Requérante ne pouvait être convaincue d’avoir le droit d’employer les Marques au Canada en liaison avec les Marchandises eu égard à ce qui est allégué dans chacune des déclarations d’opposition;
  4. eu égard aux dispositions des articles 9(1)(d) et 12(1)(e) de la Loi, les Marques ne sont pas enregistrables en ce qu’elles sont composées de, ou ressemblent d’une façon telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre avec un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les Marchandises en liaison avec lesquelles elles sont employées ont reçu l’approbation royale, vice-royale ou gouvernementale, ou sont produites ou vendues sous le patronage ou sous l’autorité royale, vice-royale ou gouvernementale;
  5. eu égard aux dispositions des articles 9(1)(i.3) et 12(1)(e) de la Loi, les Marques ne sont pas enregistrables en ce qu’elles sont composées de, ou ressemblent d’une façon telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre avec les armoiries, drapeaux ou autres emblèmes d’une organisation intergouvernementale internationale qui figurent sur une liste communiquée conformément à l’article 6ter de la Convention d’Union de Paris ou en vertu des obligations prévues à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce figurant à l’annexe 1C de l’Accord sur l’OMC et découlant de cet article;
  6. eu égard aux dispositions des articles 10 et 12(1)(e) de la Loi, les Marques ne sont pas enregistrables en ce qu’en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, le terme AOP est devenu reconnu au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d’origine ou la date de production de vins;
  7. eu égard aux dispositions de l’article 12(1)(b) de la Loi, les Marques ne sont pas enregistrables en ce qu’elles donnent une description claire, ou fausse et trompeuse, de la nature ou de la qualité des Marchandises en liaison avec lesquelles elles sont employées, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises;
  8. les Marques ne sont pas enregistrables eu égard à l’article 12(1)(e) de la Loi en ce qu’elles consistent en des marques dont les articles 9 ou 10 de la Loi interdisent l’adoption;
  9. eu égard aux dispositions de l’article 12(1)(g) de la Loi, les Marques ne sont pas enregistrables en ce qu’elles sont constituées, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et doivent être enregistrées en liaison avec un vin dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication; et
  10. les Marques ne sont pas distinctives au sens de l’article 2 de la Loi en ce qu’elles ne sont pas adaptées à distinguer et ne distinguent véritablement pas les Marchandises de la Requérante des marchandises de toute autre personne en raison de la nature des termes AOP ou APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE.

[6]               La Requérante a produit une contre-déclaration dans chaque dossier déniant tous les motifs d’opposition.

[7]               Au soutien de chacune de ses oppositions, l’Opposante a produit un affidavit de Marie-Maude Lecours, stagiaire à l’emploi du cabinet d’avocats et d’agents de marques de commerce représentant alors l’Opposante dans les présents dossiers, assermentée le 19 novembre 2010. J’emploierai le singulier pour référer aux deux affidavits essentiellement identiques de Mme Lecours. Au soutien de chacune de ses demandes, la Requérante a produit un affidavit d’Alain Mounir, président de Julia Wine à la date de son affidavit, soit le 23 mars 2011. Sauf indication contraire, j’emploierai également le singulier pour référer aux deux affidavits de M. Mounir, lesquels sont essentiellement identiques sauf pour ce qui est de l’ajout d’un paragraphe numéroté « 5 » dans le dossier de demande no 1,454,671 et de la numérotation des paragraphes subséquents.

[8]               Seule la Requérante a produit un plaidoyer écrit dans chaque dossier. Les deux parties ont participé à une audience.

Analyse

Fardeau de preuve

[9]               Il incombe à la Requérante de démontrer que chacune de ses demandes est conforme aux exigences de la Loi. Il incombe toutefois à l’Opposante de faire en sorte que chacun de ses motifs d’opposition soit dûment plaidé et de s’acquitter du fardeau de preuve initial en établissant les faits sur lesquels elle appuie ses motifs d’opposition. Une fois ce fardeau de preuve initial rencontré, il incombe à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun de ces motifs d’opposition ne fait obstacle à l’enregistrement des Marques [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF); et Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF)].

[10]           Afin de faciliter l’analyse des motifs d’opposition soulevés par l’Opposante, je souhaite dans un premier temps résumer sommairement la preuve produite par chacune des parties.

           Preuve produite par les parties

                       Preuve de l’Opposante – l’affidavit de Mme Lecours

[11]           L’affidavit de Mme Lecours a apparemment pour but d’introduire en preuve différents documents, à savoir :

       Pièce 1 : une copie d’un document intitulé Accord entre la Communauté européenne et le Canada relatif au commerce des vins et boissons spiritueuses. À la revue de ce document, celui-ci semble être extrait du Journal officiel de l’Union européenne daté du « 6.2.2004 »;

       Pièce 2 : une copie d’un document intitulé Règlement (CE) No 479/2008 DU CONSEIL du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole. À la revue de ce document, celui-ci semble être extrait du Journal officiel de l’Union européenne daté du « 6.6.2008 »;

       Pièces 3 à 7 : détails des enregistrements de marques de commerce suivants obtenus par Mme Lecours suite à une recherche effectuée le 19 novembre 2010 auprès de la banque de données en ligne des marques de commerce maintenue par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, afin de repérer les marques de commerce constituées des termes AOC ou APPELLATION D’ORIGINE CONTRÔLÉE en association avec des produits reliés au monde vinicole :

Marque

No d’enr. ou demande / Propriétaire

Marchandises

AOC & DESSIN

Description : La marque consiste en les lettres AOC ainsi qu'en les cercles verts, blancs et dorés. Le carré rouge ne fait pas partie de la marque, il ne sert qu'à bien identifier le début de la marque, soit le cercle blanc.

Désistement : La requérante se désiste du droit à l'usage exclusif des lettres AOC en dehors de la marque de commerce.

TMA616,447

MAISON DES FUTAILLES, S.E.C.

(1) Vins autorisés à porter la mention AOC conformément à la réglementation nationale correspondant à l'origine des produits.

APPELLATION D'ORIGINE CONTRÔLÉE & DESSIN

Description : La marque consiste en le rectangle, les deux lignes horizontales, les termes APPELLATION D'ORIGINE CONTRÔLÉE, le point devant ces termes, les trois séries de lettres AOC ainsi que les trois cercles verts, blancs et dorés.

Désistement : Le droit à l'usage exclusif des mots APPELLATION D'ORIGINE CONTRÔLÉE et des lettres AOC en dehors de la marque de commerce n'est pas accordé.

TMA616,502

MAISON DES FUTAILLES, S.E.C.

(1) Vins autorisé [sic] à porter la mention AOC conformément à la réglementation nationale correspondant à l'origine des produits.

AOC APPELLATION D'ORIGINE CONTRÔLÉE & DESSIN

Désistement: Le droit à l'usage exclusif des mots APPELLATION D'ORIGINE CONTRÔLÉE et des lettres AOC en dehors de la marque de commerce n'est pas accordé.

TMA616,502

MAISON DES FUTAILLES, S.E.C.

(1) Vin autorisé à porter la mention AOC conformément à la réglementation nationale correspondant à l'origine du produit.

AOC & DESSIN

TMA707,388

MAISON DES FUTAILLES, S.E.C.

(1) Vins autorisés à porter la mention AOC conformément à la règlementation nationale correspondant à l'origine des produits.

appellation d'origine contrôlée AOC FRANCE Design

971,322 (demande publiée, marque interdite article 9(1)(i.1) de la Loi)

Republic of France

 

           Preuve de la Requérante – l’affidavit de M. Mounir

[12]           M. Mounir décrit dans un premier temps les activités de la Requérante. Il explique que la Requérante œuvre, depuis sa création en 2008, dans l’industrie du vin de luxe à prix abordable pour les consommateurs, ainsi que dans les domaines des spiritueux et des produits du tabac.

[13]           M. Mounir affirme que la Requérante a un réseau de distribution international dans plus de 13 pays à travers le monde.

[14]           M. Mounir affirme au paragraphe 5 de son affidavit dans le dossier no 1,454,671 que depuis sa création, la Requérante est un négociant international en vins, qu’elle achète et commercialise dans des bouteilles arborant ses marques de commerce, dont notamment la marque AOP.

[15]           S’agissant plus particulièrement des Marques, M. Mounir affirme que la Requérante a débuté l’emploi de celles-ci le 11 mars 2008 par la vente par la Requérante d’une caisse de 12 bouteilles de vin à un distributeur situé à Singapour. M. Mounir explique que la caisse en question était composée de 12 bouteilles du même type de vin, sur lesquelles est apposée une étiquette arborant les Marques. Il affirme que cette caisse fut exportée à partir d’un vignoble fournisseur de la Requérante situé dans la ville de Niagara-on-the-Lake, au Canada, endroit où les étiquettes ont été apposées sur les bouteilles, et livrée à l’adresse du distributeur à Singapour. Au soutien de ses affirmations, M. Mounir produit comme Pièce AM-1, une copie de la facture attestant de la vente en question et, comme Pièce AM-2, une photographie d’une bouteille de vin arborant l’étiquette identique à celle apposée sur les bouteilles contenues dans la caisse envoyée au distributeur de Singapour, et faisant voir les Marques.

[16]           M. Mounir affirme que la Requérante a continué l’emploi des Marques après le 11 mars 2008. Il produit comme Pièce AM-3, une photographie d’une bouteille arborant une étiquette sur laquelle sont apposées les Marques prise le 17 avril 2008 dans un magasin de détail qui commercialise des vins internationaux. Il produit également comme Pièces AM-4 et AM-6 respectivement, copie de deux autres factures datées respectivement des 16 novembre 2009 et 12 avril 2010, attestant chacune de la vente de deux caisses de 12 bouteilles de vin en liaison avec les Marques à un distributeur de Singapour, de même que comme Pièces AM-5 et AM-7 respectivement, des photographies de bouteilles de vin arborant une étiquette identique à celle apposée sur les bouteilles envoyées au distributeur de Singapour dans le cadre des ventes décrites aux Pièces AM-4 et AM-6 respectivement, et faisant voir les Marques.

[17]           Il s’agit-là de l’ensemble de la preuve aux dossiers. Ceci m’amène à considérer les motifs d’opposition à la lumière de celle-ci.

           Motifs d’opposition

                       Motif fondé sur la non-enregistrabilité vertu de l’article 12(1)(b) de la Loi

[18]           Tel qu’indiqué plus haut, l’Opposante allègue qu’eu égard aux dispositions de l’article 12(1)(b) de la Loi, les Marques ne sont pas enregistrables en ce qu’elles donnent une description claire, ou fausse et trompeuse, de la nature ou de la qualité des Marchandises en liaison avec lesquelles elles sont employées, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises. L’Opposante fait notamment valoir dans les paragraphes introductifs numérotés 5 à 10 de chacune des déclarations d’opposition qu’AOP est l’acronyme ou l’abréviation de l’expression APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE, laquelle expression réfère, tel qu’indiqué plus haut, au régime de protection des indications géographiques compris à l’intérieur du cadre du Protected Geographical Status (PGS) défini en vertu du droit de l’Union européenne et destiné à protéger la désignation de certains aliments et breuvages régionaux (vins, fromages, jambons, olives) fabriqués dans une aire géographique délimitée. Toujours dans ces mêmes paragraphes, l’Opposante fait valoir que la Requérante n’est pas l’entité qui a la capacité ou l’autorité légale ou gouvernementale de déclarer si les Marchandises faisant l’objet des présentes demandes font l’objet d’une indication géographique. En cela, l’Opposante allègue que les Marques sont faussement et trompeusement descriptives. Plus particulièrement, l’Opposante a fait valoir lors de l’audience qu’il appert à la face même de l’état déclaratif des Marchandises que la marque AOP correspond à un terme réglementé ou à une norme nationale. Or, pareille notion d’« appellation d’origine protégée » ou « AOP » est au nombre des appellations protégées en vertu des accords internationaux introduits en preuve par le biais de l’affidavit de Mme Lecours. En réponse, la Requérante fait valoir que pareils documents, à leur face même, ne semblent pas faire partie du droit interne canadien. En fait, la Requérante fait valoir que l’Opposante n’a produit aucun élément de preuve au soutien de ses prétentions.

[19]           La question de savoir si une marque de commerce donne une description claire ou fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou services doit être examinée du point de vue de l’acheteur moyen des marchandises ou services liés à la marque. En outre, il ne faut pas décomposer la marque en ses différents éléments et l’analyser minutieusement, mais la considérer dans son ensemble sous l’angle de la première impression qui s’en dégage [Wool Bureau of Canada Ltd c Registraire des marques de commerce (1978), 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst); et Atlantic Promotions Inc c Registraire des marques de commerce (1984), 2 CPR (3d) 183 (CF 1re inst)]. Le mot « nature » s'entend d'une particularité, d'un trait ou d'une caractéristique du produit et le mot « claire » signifie [traduction] « facile à comprendre, évident ou simple » [Drackett Co of Canada Ltd c American Home Products Corp (1968), 55 CPR 29 (C de l’É)].

[20]           Pour être considérée clairement descriptive, une marque de commerce ne doit pas être seulement suggestive. L’interdiction vise à empêcher un commerçant de monopoliser un mot qui donne une description claire ou qui est habituellement employé dans le commerce, et de placer ainsi des commerçants légitimes dans une position désavantageuse [Canadian Parking Equipment Ltd c Canada (Registrar of Trade-marks) (1990), 34 CPR (3d) 154 (CF 1re inst)]. Pour être considérée faussement et trompeusement descriptive, une marque de commerce doit tromper le public quant à la nature ou la qualité des marchandises ou services. La marque doit dabord donner une description qui suggère que les marchandises ou services sont ce quils ne sont pas. L’interdiction vise à empêcher le public d’être induit en erreur [Atlantic Promotions, supra].

[21]           De plus, tel que rappelé par le juge Martineau dans Neptune SA c Canada (Attorney General) (2003), 29 CPR (4th) 497 (CF 1re inst), au paragraphe 11 :

Afin de déterminer si une marque de commerce tombe sous [l’exclusion prévue à l’article 12(1)(b)], le registraire doit non seulement tenir compte des éléments de preuve dont il dispose, mais également appliquer son sens commun à l’évaluation des faits. La décision concluant au caractère de description claire, ou encore de description fausse et trompeuse, est fondée sur sa première impression. Il ne doit pas considérer celle-ci isolément, mais à la lumière du produit ou du service visé.

[Au même effet : Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général) (2010), 89 CPR (4th) 301 (CF), au paragraphe 48; conf. par (2012), 99 CPR (4th) 213 (CAF)]

[22]           La date pertinente pour examiner cette question est la date de production des demandes [Fiesta Barbecues Ltd c General Housewares Corp (2003), 28 CPR (4th) 60 (CF 1re inst)].

[23]           Appliquant ces principes aux présents dossiers, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur la question de savoir si les documents produits comme Pièces 1 et 2 au soutien de l’affidavit de Mme Lecours font partie du droit interne canadien ou pas. En vertu du pouvoir discrétionnaire dont jouit le registraire, j’ai consulté le dictionnaire pour élucider le sens de l’acronyme AOP et j’ai trouvé les définitions suivantes au nombre des exemples fournis sous le mot « appellation »:

Appellation d’origine : désignation d’un produit par le nom du lieu où il a été récolté ou fabriqué. Vin d’appellation d’origine contrôlée (AOC). Appellation d’origine protégée (AOP), protégée par l’Union européenne. - Le Petit Robert Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française

Appellation d’origine : dénomination garantissant l’origine d’un produit. – Appellation d’origine contrôlée (AOC) : détermination légale de certains produits agricoles (vins, fromages), s’appliquant à un milieu géographique délimité et garantissant les caractéristiques et qualités des produits. – Appellation d’origine protégée (AOP) : certification européenne destinée à protéger la dénomination de certains produits agricoles fabriqués dans une aire géographique délimitée, selon un savoir-faire traditionnel spécifique. – Le Petit Larousse Illustré

[24]           Il ressort de ces définitions que les termes APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE et l’acronyme AOP correspondent à des expressions consacrées protégées par l’Union européenne et définies comme telles dans des dictionnaires de langue courante, rejoignant en cela les prétentions de l’Opposante. Partant, j’estime raisonnable de conclure que la marque AOP, dans le contexte des Marchandises de la Requérante, sera perçue, suivant la première impression du consommateur moyen, comme référant à la notion d’« appellation d’origine protégée » et décrivant des vins qui sont produits en conformité avec la législation applicable à la production de vins sur le territoire de l’Union européenne. Or, il ressort de l’affidavit de M. Mounir que les vins commercialisés par la Requérante en liaison avec les Marques proviendraient d’un « vignoble fournisseur » situé dans la région de Niagara-on-the-Lake au Canada. Dans les circonstances, je conclus que la marque AOP était faussement et trompeusement descriptive du lieu d’origine des Marchandises à la date de production de la demande la concernant. Comme la preuve de la Requérante ne démontre pas que pareille marque a été employée de façon à être devenue distinctive à la date pertinente en vertu de l’article 12(2) de la Loi, je conclus que celle-ci est non-enregistrable en vertu de l’article 12(1)(b) de la Loi.

[25]           Mes conclusions précédentes s’appliquent également à la marque AOP APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE & Dessin. En effet, bien que celle-ci soit constituée à la fois d’une portion nominale et d’une portion graphique, il n’en demeure pas moins que la marque est faussement et trompeusement descriptive sous forme sonore. De par la disposition des mots constituant l’expression APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE, lesquels occupent plus de la moitié supérieure de l’élément graphique constitué de deux cercles l’un dans l’autre, et du rappel de cette expression retrouvé tout au bas dans l’acronyme AOP, j’estime que la portion nominale de la marque, laquelle apparaît au surplus en caractères gras, domine tout autant sinon plus la marque que la portion graphique. D’ailleurs, cette portion graphique n’est pas sans rappeler le drapeau de l’Union européenne constitué de 12 étoiles dorées en cercle sur un fond bleu azur. J’estime en effet qu’il convient de prendre connaissance d’office du drapeau européen. Pour toutes ces raisons, je conclus que la portion graphique de la marque ne peut à elle seule rendre la marque AOP APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE & Dessin enregistrable.

[26]           Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, je suis d’avis d’accueillir le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(b) de la Loi dans chaque dossier.

                       Motif fondé sur la non-conformité à l’article 30(b) de la Loi

[27]           Tel qu’indiqué plus haut, l’Opposante allègue que les demandes ne satisfont pas aux exigences de l’article 30(b) de la Loi en ce que la Requérante n’a pas employé chacune des Marques en association avec des vins autorisés à porter la mention AOP conformément à la réglementation nationale correspondant à l’origine des produits depuis la date de premier emploi alléguée dans les demandes. Plus particulièrement, l’Opposante a fait valoir lors de l’audience qu’elle avait satisfait son fardeau de preuve initial en ayant recours à la preuve de la Requérante, laquelle preuve s’avère clairement incompatible avec les déclarations d’emploi faites dans chacune des demandes en ce que cette preuve n’établit pas d’une part, que c’est la Requérante plutôt que son (ou ses) vignoble(s) fournisseur(s) de Niagara-on-the-Lake qui a employé les Marques en liaison avec les bouteilles de vin décrites aux Pièces AM-1 à AM-7 discutées plus haut et, d’autre part, que les vins en question consistent en des vins « autorisés à porter la mention AOP ».

[28]           En réponse, la Requérante a fait valoir lors de l’audience que l’affidavit de M. Mounir n’est pas à proprement parler clairement incompatible avec pareilles déclarations, établissant au surplus la vente par la Requérante d’une caisse de 12 bouteilles de vin précisément à la date de premier emploi revendiquée dans les demandes (Pièce AM-1 discutée plus haut). Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis de conclure en faveur de l’Opposante.

[29]           Le fardeau de preuve initial qui incombe à l’Opposante en vertu de l’article 30(b) de la Loi est léger. L’Opposante peut à cet égard s’acquitter de son fardeau en s’appuyant sur la preuve produite par la Requérante dans la mesure où pareille preuve s’avère clairement incompatible avec les prétentions contenues dans la demande de la Requérante [Labatt Brewing Company Limited c Molson Breweries, a Partnership (1996), 68 CPR (3d) 216 (CF 1re inst), à la p. 230]. La date pertinente pour apprécier pareil motif d’opposition est la date de la demande [Georgia-Pacific Corporation c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC), à la p. 475; et John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la p. 296].

[30]           Appliquant ces principes aux présents dossiers, je conviens avec l’Opposante que la preuve de la Requérante présentée par le biais de l’affidavit de M. Mounir est clairement incompatible avec les revendications d’emploi contenues dans chacune de ses demandes.

[31]           La Requérante a choisi de définir l’état déclaratif des Marchandises en tant que « [v]in autorisé à porter la mention AOP conformément à la réglementation nationale correspondant à l’origine du produit » alors que la preuve produite par celle-ci permet tout au plus de conclure à l’emploi des Marques en liaison avec du vin, abstraction faite de toute forme d’autorisation quelconque délivrée par la Requérante ou une tierce partie relativement à l’emploi de la mention AOP en tant que norme nationale correspondant à l’origine du produit. Je dis « tout au plus » car l’origine du vin commercialisé en liaison avec les Marques en tant que produit de la Requérante plutôt que de son (ou ses) vignoble(s) fournisseur(s) de Niagara-on-the-Lake est pour le moins incertaine tel qu’expliqué ci-après.

[32]           L’état déclaratif des marchandises de la Requérante laisse en effet entendre que l’emploi de la marque AOP ou encore la portion AOP constituant la marque AOP APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE & Dessin est régi par la réglementation nationale correspondant à l’origine des vins en question. Il convient de rappeler sur ce point mes conclusions précédentes en regard du motif d’opposition sous l’article 12(1)(b) à l’effet que les termes APPELLATION D’ORIGINE PROTÉGÉE et l’acronyme AOP correspondent à des expressions consacrées protégées par l’Union européenne et définies comme telles dans des dictionnaires de langue courante. Or, l’affidavit de M. Mounir passe totalement sous silence pareille certification ou réglementation nationale.

[33]           De plus, l’affidavit de M. Mounir dans le dossier no 1,454,671 présente la Requérante comme « un négociant international en vins, qu’elle achète et commercialise dans des bouteilles arborant ses marques de commerce », alors que la preuve dans le dossier no 1,458,769 ne décrit pas précisément la nature du commerce de la Requérante, autrement qu’en indiquant que celle-ci « œuvre dans l’industrie du vin de luxe à prix abordable pour les consommateurs ». La nature exacte de la relation commerciale existant entre la Requérante et son (ou ses) « vignoble(s) fournisseur(s) » n’est pas expliquée par M. Mounir. Les photographies de bouteilles de vin produites comme Pièces AM-2, AM-3, AM-5 et AM-7 ne fournissent pas plus de précision sur la nature de cette relation ou encore sur le nom du producteur ou du vendeur, l’identité de l’embouteilleur, etc., autrement qu’arborant les mentions « Domaine de Montaran » et « Product of Canada », cette dernière mention étant d’ailleurs clairement incompatible avec la notion même d’appellation d’origine protégée ou « AOP » protégée par l’Union européenne.

[34]           En somme, je conviens avec l’Opposante que l’affidavit de M. Mounir soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses quant au contexte d’emploi des Marques et à la nature exacte des Marchandises en liaison avec lesquelles les Marques ont été employées depuis la date de premier emploi revendiquée dans les demandes. En cela, j’estime que la preuve de la Requérante concernant l’emploi fait des Marques tel que décrit par M. Mounir est clairement incompatible avec les déclarations d’emploi contenues dans chacune des demandes d’enregistrement de la Requérante faisant état de l’emploi des Marques en liaison avec du « vin autorisé à porter la mention AOP… » [mon soulignement] depuis le 11 mars 2008. Partant, je conclus que l’Opposante s’est acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait.

[35]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le motif d’opposition fondé sur l’article 30(b) de la Loi doit être retenu dans chaque dossier au motif que la Requérante n’a pas satisfait le fardeau de preuve ultime lui incombant.

                      Autres motifs d’opposition

[36]           Comme j’ai déjà repoussé chacune des demandes pour deux motifs, je n’examinerai pas les autres motifs d’opposition.


Décision

[37]           Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse les demandes en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

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Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

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