Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

 

                                                                                                Référence : 2011 COMC 85

                                                                                           Date de la décision: 2011-05-26

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Masterfile Corporation à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1299558 pour la marque de commerce MASTERFILE et Dessin au nom de Mohib S. Ebrahim

Le dossier

[1]        Le 27 avril 2006, Mohib S. Ebrahim a produit une demande d’enregistrement pour la marque MASTERFILE et Dessin, laquelle est illustrée ci‑dessous,

                                   

en liaison avec les marchandises et les services suivants :

marchandises

Logiciels et programmes pour les services juridiques, les litiges, les enquêtes, le journalisme, les recherches et d’autres domaines. Logiciels et programmes pour le contrôle, la transformation, la conversion, le traitement, la manipulation et la gestion de documents. Logiciels et programmes pour permettre la récupération de documents. Logiciels et programmes pour permettre l’accès à l’organisation et l’analyse de faits et de données, y compris ceux ayant trait aux évènements liés à l’heure et à la date. Logiciels et programmes pour le nommage et la gestion de fichiers de données.

 

services

(1) Conseils, maintenance et services techniques liés aux logiciels et aux programmes informatiques, stockage, recherche, gestion et récupération de documents et de dossiers électroniques.

(2) Services d’entreprise, nommément transformation, conversion, traitement et numérisation de documents et de dossiers pour le stockage, la gestion et la récupération électroniques.

 

[2]        La demande est fondée sur l’emploi de la marque depuis aussi tôt que le 30 janvier 2004 en liaison avec les marchandises, sur l’emploi de la marque depuis le 30 mai 2004 en liaison avec les services décrits en (1) et sur l’emploi projeté de la marque en liaison avec les services décrits en (2). La demande prévoit en outre que le droit à l’usage exclusif du mot MasterFile en dehors de la marque de commerce n’est pas accordé.

[3]        La présente demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 19 septembre 2007 et a fait l’objet d’une opposition de la part de Masterfile Corporation le 13 février 2008. Le 28 février 2008, le registraire a fait parvenir une copie de la déclaration d’opposition au requérant, conformément au paragraphe 38(5) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13. En réponse, le requérant a produit et signifié une contre‑déclaration dans laquelle il nie de façon générale les allégations formulées dans la déclaration d’opposition. La preuve présentée par l’opposante est constituée de l’affidavit de Steve Pigeon. La preuve présentée par le requérant est constituée de l’affidavit de Zainul Ebrahim. Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit et étaient représentées à l’audience tenue le 5 mai 2011.

 

La déclaration d’opposition

 

[4]        Selon le premier motif d’opposition, les exigences de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce ne sont pas remplies car la demande en cause en l’espèce ne renferme pas un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises et des services.

[5]        Selon le deuxième motif d’opposition, la demande n’est pas conforme à l’alinéa 30b) de la Loi car le requérant n’a pas employé sa marque depuis les dates qui y sont alléguées.

[6]        Selon le troisième motif d’opposition, la demande n’est pas conforme à l’alinéa 30i) de la Loi car le requérant ne pouvait pas être convaincu de son droit d’employer la marque MASTERFILE et Dessin puisqu’il connaissait la marque MASTERFILE et le nom commercial Masterfile de l’opposante.

[7]        Selon le quatrième motif d’opposition, la marque visée par la demande n’est pas enregistrable car elle crée, contrairement à l’alinéa 12(1)d) de la Loi, de la confusion avec la marque déposée MASTERFILE de l’opposante, laquelle est employée en liaison avec les marchandises et les services suivants :

 

marchandises

(1) Photographies, diapositives. (2) Œuvres d’art. (3) Images créées par technologie numérique. (4) Images enregistrées par technologie numérique.

 

services

(1) Tenue d’une collection de photographies et de diapositives, location et vente de droits de reproduction connexes, services de publicité et de consultation relatives à l’utilisation de diapositives et d’autre matériel photographique pour les besoins de la publicité, de l’art publicitaire et de la réalisation d’illustrations. (2) Tenue d’une collection de photographies et de diapositives et octroi de droits de reproduction connexes. (3) Tenue d’une collection d’œuvres d’art et octroi de droits de reproduction connexes. (4) Tenue d’une collection d’images créées par technologie numérique et octroi de droits de reproduction connexes. (5) Tenue d’une collection d’images enregistrées par technologie numérique et octroi de droits de reproduction connexes. (6) Publication de collections de photographies et de diapositives. (7) Publication de collections d’œuvres d’art; publication de collections d’images créées par technologie numérique. (8) Publication de collections d’images stockées par technologie numérique. (9) Conseils et consultation sur l’utilisation d’images numériques pour les besoins de la publicité, de l’art publicitaire et de la réalisation d’illustrations.

 

[8]        Selon les cinquième et sixième motifs d’opposition, le requérant n’a pas droit à l’enregistrement car, contrairement aux alinéas 16(1)a) et 16(1)c) de la Loi, sa marque créait, aux dates de premier emploi alléguées [soit le 30 janvier 2004 pour les marchandises et le 30 mai 2004 pour les services décrits en (1)], de la confusion avec la marque MASTERFILE de l’opposante, laquelle a été antérieurement employée ou révélée au Canada par l’opposante.

[9]        Selon le septième et dernier motif d’opposition, la marque visée par la demande, MASTERFILE et Dessin, ne distingue pas, contrairement à l’article 2 de la Loi, les marchandises et les services du requérant compte tenu de l’emploi antérieur, par l’opposante, de sa marque MASTERFILE.

[10]      Je signale en passant que l’opposante n’a pas invoqué le paragraphe 16(3) de la Loi pour contester le droit à l’enregistrement du requérant fondé sur l’emploi projeté en liaison avec les services décrits en (2) au paragraphe [1] plus haut. Je signale en outre que le septième motif se fonde expressément sur l’emploi de sa marque par l’opposante et qu’on n’invoque nullement (i) l’emploi, par un tiers, des mêmes marques ou de marques similaires ni (ii) l’emploi en vertu d’une licence octroyée à l’égard des mêmes marques ou de marques similaires et ne profitant pas au requérant.

 

La preuve de l’opposante

Steve Pigeon

[11]      Monsieur Pigeon atteste qu’il est le président et le fondateur de Masterfile Corporation. L’opposante a été constituée en société en 1981 et elle a son siège à Toronto. Depuis ce temps, l’opposante est devenue l’une des plus grandes agences indépendantes d’archives photographiques au monde, avec un portefeuille de plus de 1,7 million d’images. Elle possède des établissements en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume‑Uni et elle dispose d’un réseau de représentants et de distributeurs dans plus de 90 autres pays. Peu importe où les commandes sont placées, la plupart des services offerts par l’opposante sont fournis par le truchement des serveurs informatiques de la société situés à Toronto. L’opposante emploie sa marque MASTERFILE et son nom commercial Masterfile au Canada depuis au moins 1981 en liaison avec la tenue d’une collection d’images créées par technologie numérique et l’octroi de droits de reproduction connexes. L’opposante publie en outre des collections d’images créées par technologie numérique.

[12]      Depuis 1984, les ventes cumulatives réalisées par l’opposante en liaison avec sa marque MASTERFILE excèdent 300 millions de dollars, tandis que les ventes annuelles réalisées en liaison avec la marque depuis 1995 excèdent 21 millions de dollars. L’opposante a annoncé ses services MASTERFILE dans des publications imprimées et dans du matériel publicitaire varié distribués à des milliers d’exemplaires. Elle a reçu de nombreux prix au Canada et à l’étranger et elle a fait l’objet d’un article dans la revue Financial Post en 1995. Son site Web reçoit environ 60 000 visiteurs différents par mois. L’entreprise de l’opposante est principalement exploitée électroniquement au moyen de son site Web. L’opposante dépense annuellement plus de 3,5 millions de dollars pour annoncer et promouvoir les marchandises et les services qu’elle offre en liaison avec sa marque de commerce et son nom commercial MASTERFILE et elle agit ainsi depuis bien avant 2008. Selon M. Pigeon, le requérant et l’opposante offrent tous deux [traduction] « des services qui donnent aux usagers accès à des documents et/ou des images conservés dans des dépôts numériques ».

 

La preuve du requérant

Zainul Ebrahim

[13]      Monsieur Ebrahim atteste qu’il est un administrateur de Masterfile Software North America Inc. (« Masterfile Software »), société « bénéficiaire d’une licence » relative à la marque MASTERFILE et Dessin visée par la demande. Monsieur Ebrahim affirme qu’il est plus juste de décrire le site Web (et l’entreprise) de l’opposante comme une boutique virtuelle qui gère et offre en vente des images et des photographies réalisées par des artistes et des photographes ainsi que les droits de licence connexes, tout comme le font les ateliers ou les galeries d’art ayant pignon sur rue qui fournissent ce genre de marchandises et de services. À l’inverse, la marque visée par la demande est employée en liaison avec des marchandises et des services touchant un logiciel de recherche et de gestion de données dans le domaine juridique.

[14]      Le site Web (et l’entreprise) de Masterfile Software ne propose pas une banque d’images et ne vend pas de tels produits. La pièce A jointe à l’affidavit de M. Ebrahim est une copie de la page d’accueil du site Web de Masterfile Software, où le requérant propose les marchandises et les services suivants :

[traduction] [...] un nouveau genre de logiciel conçu spécialement pour les avocats, les enquêteurs et les chercheurs. Il offre un dépôt innovateur pour les éléments de preuve et les documents [...] qui vous permet de planifier, de rédiger et d’étayer point par point vos arguments ou votre thèse.

 

[15]      La marque visée par la demande n’a pas de lien avec des images ou des droits de reproduction; elle est principalement liée à la vente d’un logiciel. La marque du requérant est employée en liaison avec des services qui permettent au client de transformer, de convertir, de traiter, de numériser et de balayer ses propres documents et dossiers, lesquels sont remis au client dès que le traitement est terminé. Le client procède au stockage, à la gestion et à l’extraction à l’aide de ses propres ordinateurs grâce au logiciel acheté à Masterfile Software. Masterfile Software n’offre aucun dépôt numérique. Le logiciel utilisé par le client est autonome, c’est‑à‑dire non connecté au site Web de Masterfile Software.

[16]      La marque faisant l’objet de la demande est employée au Canada depuis le 30 janvier 2004. Depuis cette date, la marque a été mentionnée dans de nombreuses publications en ligne et imprimées de même que dans le cadre de colloques au Canada et à l’étranger.

[17]      Monsieur Ebrahim a également produit des éléments de preuve établissant un emploi par des tiers sur Internet des marques PUBLIC DOCUMENTS MASTERFILE (pour l’extraction de documents publics des États-Unis), 19th CENTURY MASTERFILE (pour des recherches historiques antérieures à 1925), AMA PHYSICIAN MASTERFILE (pour des renseignements sur les médecins), SEDOL MASTERFILE (pour de l’aide aux entreprises commerciales) et MASTERFILE (pour l’édition scolaire).

 

Le fardeau de preuve

[18]      Il incombe au requérant d’établir que sa demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce, contrairement à ce qu’affirme l’opposante dans sa déclaration d’opposition. Il incombe toutefois d’abord à l’opposante, conformément aux règles de preuve habituelles, de prouver les faits invoqués au soutien des allégations formulées dans sa déclaration d’opposition : voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited, 30 C.P.R. (3d) 293, à la page 298. L’existence d’un fardeau de la preuve incombant à l’opposante au sujet d’une question en particulier signifie que cette question ne pourra être prise en considération que s’il existe des éléments de preuve suffisants à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question.

Le premier motif d’opposition

[19]      En ce qui concerne le premier motif d’opposition, rien dans la preuve n’étaye l’allégation selon laquelle la demande visée en l’espèce ne renferme pas un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises et des services en cause. Le premier motif est donc rejeté parce que l’opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver que le premier motif devait être examiné.

Le deuxième motif d’opposition

[20]      Quant au deuxième motif d’opposition, l’opposante fait valoir au paragraphe 2(a) de son plaidoyer écrit que la demande est déficiente en raison de ce qui suit :

[traduction] La première date à l’égard de laquelle le requérant a présenté des éléments de preuve établissant l’emploi remonte à septembre 2005, soit plus d’un an après la date de premier emploi alléguée […] En outre, la preuve ne démontre pas qu’un quelconque emploi, par Masterfile Software North America Inc., de la marque visée par l’opposition profite au requérant. Ce dernier n’a produit aucun élément de preuve établissant l’existence d’un contrat de licence conclu entre les parties ou voulant qu’il ait exercé un contrôle sur les caractéristiques ou la qualité des marchandises et des services vendus en liaison avec la marque de commerce Masterfile et Dessin.

 

[21]     L’opposante soutient que, comme la preuve produite par M. Ebrahim n’est pas suffisante pour établir l’existence d’un contrat de licence au sens du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce, les activités de Masterfile Software ne permettent pas de prouver un quelconque emploi de la marque visée par la demande qui profiterait au requérant. Je conviens que la preuve présentée par M. Ebrahim n’établit pas l’existence d’un contrat de licence au sens du paragraphe 50(1), mais cette conclusion ne porte pas un coup fatal à la cause du requérant. À la lumière d’une interprétation objective de l’ensemble de l’affidavit de M. Ebrahim, et en l’absence de contre‑interrogatoire, il me semble que la relation à titre d’usager licencié dont M. Ebrahim fait mention dans son affidavit s’apparente davantage à une concession ou à une entente de commissionnaire à la vente qu’à un contrat dans le cadre duquel Masterfile Software vend ses propres marchandises et services, qu’elle produit ou offre d’une manière indépendante, sous la marque du requérant. Il semble que Masterfile Software vend simplement les marchandises et services du requérant.

[22]      De plus, même si l’opposante peut s’appuyer sur la preuve du requérant pour s’acquitter de son fardeau de preuve, le requérant n’est nullement tenu d’établir les dates de premier emploi qu’il revendique si l’opposante ne saisit pas d’abord le tribunal de cette question au moment de satisfaire à son propre fardeau de preuve. Dans la présente affaire, la preuve produite par M. Ebrahim ne comporte aucun élément incompatible ou en contradiction avec les dates de premier emploi revendiquées dans la demande. La preuve en l’espèce ne permet donc pas à l’opposante de s’acquitter de son fardeau de preuve. La simple absence ou l’insuffisance de preuve relative aux dates de premier emploi revendiquées dans la demande ne peut, en soi, permettre à l’opposante de s’acquitter de ce fardeau.

[23]      L’opposante aurait pu améliorer sa situation en contre‑interrogeant M. Ebrahim puisqu’il est alors possible de tirer des inférences défavorables du refus du déposant de répondre à des questions ou de fournir des engagements concernant des faits pertinents. De telles inférences défavorables auraient été suffisantes pour permettre à l’opposante de s’acquitter de son fardeau de preuve relativement peu exigeant qui lui incombe lorsqu’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) est soulevé. Cependant, je ne crois pas en l’espèce que la simple absence de preuve de l’emploi de la marque aux dates de premier emploi revendiquées dans la demande ou l’absence de preuve précisant la nature de la relation existant entre le requérant et Masterfile Software soit suffisante pour permettre à l’opposante de s’acquitter de son fardeau de preuve. En droit, comme en archéologie, l’absence de preuve ne constitue pas nécessairement une preuve d’absence. Le deuxième motif est donc rejeté.

Le troisième motif d’opposition

[24]      Quant au troisième motif d’opposition, l’alinéa 30i) s’applique si on allègue que le demandeur a commis une fraude ou si des dispositions législatives fédérales précises empêchent l’enregistrement de la marque visée par la demande : voir Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol‑Myers Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152 (C.O.M.C.), à la page 155, et Canada Post Corporation c. Registraire des marques de commerce (1991), 40 C.P.R. (3d) 221. Dans la présente affaire, les actes de procédure n’étayent pas l’existence d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i). Le troisième motif d’opposition est donc rejeté.

 

La question principale et les dates pertinentes

[25]      La principale question en litige concernant les autres motifs d’opposition est celle de savoir si la marque visée par la demande, MASTERFILE et Dessin, crée de la confusion avec la marque MASTERFILE de l’opposante. Le requérant a le fardeau ultime de démontrer qu’il n’y aurait, entre la marque visée par la demande et la marque de l’opposante, aucune probabilité raisonnable de confusion au sens du paragraphe 6(2) de la Loi, lequel est reproduit ci‑dessous :

L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées […] ou que les services liés à ces marques sont […] exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[26]      Ainsi, le paragraphe 6(2) ne concerne pas la confusion entre les marques elles‑mêmes, mais plutôt celle entre les marchandises ou les services d’une source avec les marchandises ou les services d’une autre source. En l’espèce, le tribunal doit se demander, suivant le paragraphe 6(2), s’il y aurait confusion entre les marchandises et les services informatiques en matière de traitement et d’organisation de données que propose le requérant, d’une part, et les produits et services offerts, parrainés ou approuvés par l’opposante, d’autre part.

[27]      Les dates pertinentes pour apprécier la question de la confusion sont les suivantes : (i) la date de la décision pour ce qui est du motif d’opposition selon lequel la marque n’est pas enregistrable; (ii) les dates de premier emploi alléguées de la marque pour ce qui est des motifs d’opposition fondés sur l’absence de droit à l’enregistrement, soit les 30 janvier et 30 mai 2004 en l’espèce; (iii) la date de production de la déclaration d’opposition pour ce qui est du motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif, soit le 13 février 2008 en l’espèce. Pour un examen de la jurisprudence relative aux dates pertinentes dans les affaires d’opposition, voir American Retired Persons c. Canadian Retired Persons (1998), 84 C.P.R. (3d) 198 (C.F. 1re inst.), aux pages 206 à 209. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, l’examen de la question de la confusion à une date pertinente particulière n’a aucune incidence sur l’issue de l’affaire.

 

Le test en matière de confusion

[28]      Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir. Les facteurs dont il faut tenir compte pour décider si deux marques créent de la confusion sont « toutes les circonstances de l’espèce, y compris » celles expressément mentionnées au paragraphe 6(5) de la Loi : le caractère distinctif inhérent des marques et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle chacune des marques a été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive. Tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération, mais ils n’ont pas tous nécessairement le même poids. Le poids qu’il convient d’accorder à chacun dépend des circonstances : voir Gainers Inc. c. Tammy L. Marchildon et le Registraire des marques de commerce (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.).

 

L’examen des facteurs énoncés au paragraphe 6(5)

[29]      La marque visée par la demande, MASTERFILE et Dessin, n’a pas un caractère distinctif inhérent prononcé puisque la marque dans son ensemble suggère, voire décrit, lorsqu’elle est employée en liaison avec les marchandises et services du requérant, le résultat final obtenu par suite de l’utilisation de ces marchandises et services, c’est‑à‑dire un ensemble principal ou complet de documents ou une organisation fiable de données. À cet égard, la partie dessin de la marque, qui consiste en l’image d’une personne tenant une feuille de papier, renforce la connotation suggestive du mot MASTERFILE faisant partie de la marque. De même, la marque MASTERFILE de l’opposante n’a pas non plus un caractère distinctif inhérent prononcé puisqu’elle suggère, voire décrit, une compilation complète d’images lorsqu’elle est employée en liaison avec les marchandises et les services de l’opposante.

[30]      La preuve de l’opposante relative aux ventes réalisées en liaison avec sa marque (et son nom commercial) et aux dépenses engagées pour la publicité et la promotion où figure sa marque (et son nom commercial) ne vise pas spécifiquement le Canada, et je ne suis donc pas disposé à inférer que la marque de l’opposante jouissait davantage que d’une réputation générale limitée au Canada à une quelconque date pertinente. Je suis toutefois prêt à déduire que la marque de l’opposante a une réputation plus étendue auprès de groupes d’entreprises spécialisées, c’est‑à‑dire celles qui ont besoin d’images visuelles. De même, les minces éléments de preuve présentés par le requérant en ce qui touche le volume des ventes et la publicité concernant sa marque m’autorisent à déduire, au mieux, que sa marque a joui d’une réputation générale minime au Canada après le 30 janvier 2004. Je signale en outre que, même si, dans son témoignage, M. Ebrahim fait état de la marque MASTERFILE et Dessin à titre de marque visée par la demande, les pièces relatives aux ventes et à la promotion jointes à son affidavit désignent souvent la marque faisant l’objet de la demande simplement par le seul mot MASTERFILE. Je suis néanmoins disposé à conclure que la marque du requérant jouit d’une réputation plus grande auprès de groupes d’entreprises spécialisées, soit celles qui ont des besoins complexes en matière de gestion documentaire. En conséquence, le premier facteur, qui réunit les caractères distinctifs inhérent et acquis, joue en faveur de l’opposante, mais uniquement dans une certaine mesure. La période pendant laquelle les marques en cause ont été employées joue en faveur de l’opposante puisque l’emploi que fait cette dernière de sa marque a débuté environ 23 ans avant que le requérant ne commence à utiliser la sienne. Cependant, comme l’étendue de l’emploi de sa marque au Canada par l’opposante n’est pas claire, le deuxième facteur favorise cette dernière dans une certaine mesure seulement.

[31]      Quant au genre des marchandises, des services et des entreprises des parties, je conviens avec le requérant, comme il le mentionne aux pages 14 et 15 de son plaidoyer écrit, que la preuve au dossier révèle ce qui suit :

[traduction] […] les marchandises et les services visés par les marques de commerce respectives sont dissemblables sur le plan fonctionnel; ils sont dissemblables quant aux voies de commercialisation; ils sont dissemblables quant aux objets et aux usages ultimes; ils intéressent des clientèles fort différentes […] le requérant ne gère aucun « droit » lié aux documents retournés, ne vend aucun exemplaire de ceux‑ci et n’en donne pas l’accès […] puisqu’il n’a aucun document ou image (de quelque type que ce soit) auquel il pourrait donner « accès » […] les entreprises ne se font pas concurrence pour attirer les mêmes clients.

 

[32]      L’opposante a attiré mon attention sur plusieurs décisions dans lesquelles on se penche sur l’importance de la réflexion dont feraient preuve les éventuels acheteurs des marchandises et services des parties. Par exemple, dans B. Elliot (Canada) Ltd. c. Elliot‑Lucas Ltd. (1979), 59 C.P.R. (2d) 264 (C.O.M.C.), l’opposante se fondait sur sa marque ELLIOT, employée en liaison avec des machines‑outils à travailler les métaux, comme des fraiseuses, des étaux‑limeurs et des foreuses, pour s’opposer à une demande d’enregistrement de la marque ELLIOT LUCAS employée en liaison avec des pinces, des pinces coupantes et des tenailles. L’opposition a été rejetée, en partie pour les motifs formulés à la page 270 de la décision publiée :

[traduction] […] les marchandises respectives des parties qui sont associées aux marques de commerce en cause sont très différentes quant à leur genre, quant à l’usage qui en est fait et quant à leur fourchette de prix. En effet, les marchandises de l’opposante sont d’un genre qu’un acheteur n’achèterait pas de façon précipitée ou sans réflexion sérieuse, et les acheteurs de cette sorte de marchandises seraient, à mon avis, des acheteurs relativement avertis comparativement au consommateur moyen qui achèterait vraisemblablement les marchandises de la requérante.

 

[33]      Dans la présente affaire, les marchandises et les services des parties sont également dissemblables, et il me semble que la clientèle de chacune des parties serait constituée d’acheteurs plutôt avertis, soit un groupe à la recherche d’images de haute qualité et un autre groupe intéressé par une gestion documentaire complexe. Je suppose qu’une telle clientèle n’achèterait pas de façon précipitée ou sans réflexion sérieuse; il s’agit d’une circonstance de l’espèce qui diminue la probabilité de confusion quant à la source des marchandises.

[34]      En ce qui concerne le dernier facteur énuméré au paragraphe 6(5), la marque MASTERFILE et Dessin qui est visée par la demande et la marque MASTERFILE de l’opposante comportent inévitablement un haut degré de ressemblance à tous les égards, c’est‑à‑dire dans la présentation et le son, et dans les idées qu’elles suggèrent puisque le mot dominant de la marque faisant l’objet de la demande incorpore l’intégralité de la marque de l’opposante.

[35]      L’opposante a en outre attiré mon attention sur Clorox Co. c. Sears Canada, Inc., 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.), confirmée par 49 C.P.R. (3d) 217 (C.A.F.). La Commission avait repoussé la demande de Clorox visant la marque K.C. MASTERPIECE et Dessin, en liaison avec une sauce pour barbecue, dans le cadre d’une opposition dans laquelle l’opposante Sears invoquait sa propre marque MASTERPIECE, employée en liaison avec des gâteaux et des chocolats. Le juge Joyal a formulé les observations suivantes lorsqu’il a infirmé la conclusion de la Commission portant qu’il y avait confusion :

à la page 489

[…] il me semble qu’une décision, rendue en application du paragraphe 6(5), sur la question de la confusion ne saurait être la somme des épreuves respectivement prévues aux alinéas subséquents. Le premier alinéa de ce paragraphe parle de « toutes les circonstances de l’espèce ». Les circonstances de l’espèce sont prépondérantes. C’est au regard de ces circonstances qui ne sont pas didactiquement énumérées dans ces alinéas que l’affaire en instance appelle certaines conclusions, lesquelles ne sont pas expressément analysées dans la décision entreprise.

 

à la page 491

[…] le paragraphe 6(2) parle de probabilité de confusion, et que cette probabilité doit être déterminée non pas dans l’abstrait, mais à la lumière des circonstances de l’espèce. Autrement, une application mécanique ou littérale de la règle signifierait un critère de possibilité de confusion et non pas de probabilité de confusion […]

 

[…] je préférerais pondérer l’importance à accorder aux facteurs individuels prévus aux différents alinéas du paragraphe 6(5) de la loi par la considération plus générale de toutes les circonstances de l’espèce. En conclusion, on pourrait dire, pour appliquer un aphorisme bien connu, qu’en matière de confusion, la disposition générale du paragraphe 6(5) est plus grande que la somme de ses parties.

 

La décision

[36]      Compte tenu de ce qui précède et, en particulier, du caractère distinctif inhérent peu prononcé des marques en cause, du défaut de l’opposante de prouver que sa marque (et son nom commercial) avait une importante réputation au Canada, des différences dans les marchandises et les services que les parties offraient en liaison avec leur marque respective et du fait que la clientèle des parties consiste en des clients avertis qui ne feraient pas d’achats de façon précipitée, je conclus que le requérant a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe à aucun moment pertinent de probabilité raisonnable de confusion.

[37]      L’opposition est donc rejetée. Cette décision est rendue en vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués en application du paragraphe 63(3) de la Loi sur les marques de commerce.

 

 

 

___________________

Myer Herzig                             

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

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