Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

 

                                                                                      Référence : 2013 COMC 138

Date de la décision : 2013-08-28

TRADUCTION

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Retail Royalty Company et American Eagle Outfitters Canada Corporation à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1,424,619 pour la marque de commerce AEOU & Dessin au nom d’Annette Desgagne

Dossier

 

[1]        Le 17 mai 2010, Annette Desgagne a produit une demande d’enregistrement à l’égard de la marque de commerce AEOU & Dessin, reproduite ci-dessous, fondée sur l’emploi projeté de la marque en liaison avec les marchandises et services suivants :


[TRADUCTION]
marchandises

(1) publications imprimées, nommément bulletins d'information, cahiers scolaires et livres à colorier.
(2) fournitures scolaires, nommément stylos, crayons, étuis à  crayons, sacs à dos, reliures, autocollants, papier, sacs repas, taille-crayons, gommes à effacer, blocs-notes, règles, reliures et signets.
(3) grandes tasses à café et verres.
(4) vêtements et accessoires pour hommes, femmes et enfants, nommément tee-shirts, pantalons d'entraînement, chandails à capuchon, shorts, sous-vêtements, vestes de laine, chandails, chemises, ensembles d'entraînement, vestes, jerseys, jeans, pyjamas, chapeaux et casquettes;

 

services

offre d'un site Web à l’intention des parents, des enseignants, des éducateurs et des adultes proposant des activités et du matériel pédagogiques à imprimer.

 

[2]        La demande en cause a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 21 juillet 2010; Retail Royalty Company (une société du Nevada, aux États-Unis) et American Eagle Outfitters Canada Corporation s’y sont opposées le 21 décembre 2010. À l’appui de leur cause, les opposantes invoquent l’emploi par la société canadienne de la marque AEO en liaison avec des vêtements et des marchandises connexes.

[3]        Le 18 janvier 2011, le registraire a transmis à la requérante une copie de la déclaration d’opposition, conformément aux dispositions du paragraphe 38(5) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13.

En réponse, la requérante a produit et signifié une contre-déclaration

a) dans laquelle elle nie l’ensemble des allégations contenues dans la déclaration d’opposition; et

            b) fait observer que i) l’enregistrement no LMC449091 de la marque la marque AEON & Dessin, inscrit au nom d’Enrich Corporation, vise divers produits de soins personnels, et ii) l’enregistrement no LMC575845 de la marque AEO, inscrit au nom de Reitmans (Canada) Limited/ Reitmans (Canada) limitée (« Reitmans »), vise divers articles vestimentaires, produits de soins personnels, articles chaussants, montres-bracelets et articles de voyage.

[4]        La preuve des opposantes est constituée des affidavits d’Esta Cohen et de Cornelius Bulman Jr. La preuve de la requérante est constituée d’une déclaration sous serment d’Annette Desgagne, qui n’a cependant était faite ni devant témoin, ni devant un commissaire à l’assermentation. Seules les opposantes ont produit un plaidoyer écrit. Quelque temps après que le plaidoyer écrit ait été transmis à la requérante, les opposantes ont demandé et obtenu l’autorisation de modifier leur déclaration d’opposition et de produire un élément de preuve additionnel, à savoir un affidavit supplémentaire de Cornelius Bulman Jr. : voir la décision de la Commission du 3 juin 2013. Une audience a été tenue le 20 août 2013; seules les opposantes y étaient représentées.

 

Déclaration d’opposition modifiée

Arguments exposés

[5]        Les opposantes allèguent qu’elles sont parties à une entente en vertu de laquelle Retail Royalty Company (« RRC ») a accordé à American Eagle Outfitters Canada Corporation (« AEO Canada »), et à ses prédécesseurs, le droit d’employer la marque de commerce AEO de RRC au Canada. La marque AEO est employée au Canada par AEO Canada, et ses prédécesseurs, en liaison avec divers articles vestimentaires, articles de soins personnels et bijoux, et avec la vente au détail et la distribution de tels produits depuis au moins septembre 2000.

[6]        Le 17 septembre 2007, RRC avait produit une demande d’enregistrement (no 1363893) à l’égard de la marque AEO (la « Marque 893 ») fondée sur l’emploi projeté en liaison avec des colliers, des bracelets, des boucles d’oreilles et des bagues. Cette demande a donné lieu à l’enregistrement no LMC807271, qui a été accordé le 22 septembre 2011.

[7]        Reitmans est propriétaire des marques déposées AEO enregistrées sous les nos LMC535229 et LMC575845 pour emploi en liaison avec des vêtements, des accessoires et des produits de soins personnels. L’opposante RRC a été la première à demander l’enregistrement des marques susmentionnées, qui ont par la suite été cédées à Reitmans. Reitmans a octroyé à AEO Canada une licence exclusive en ce qui concerne l’emploi, la promotion et l’annonce de ces marques déposées.

 

Motifs d’opposition

            Alinéa 12(1)d) – la marque de la requérante n’est pas enregistrable

[8]        Les opposantes allèguent que la marque visée par la demande AEOU & Dessin n’est pas enregistrable, car elle crée de la confusion avec marque déposée AEO de l’opposante RRC. 

 

            Alinéas 16(3)a) et b) – la requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la marque

[9]        Les opposantes allèguent qu’à la date de production de la demande en cause, la requérante n’avait pas droit à l’enregistrement de la marque visée par la demande AEOU & Dessin, car cette marque créait de la confusion avec

            i)  la marque AEO antérieurement employée au Canada par AEO Canada,

ii)  les marques AEO visées par les demandes qui ont donné lieu aux enregistrements dont Reitmans est aujourd’hui propriétaire (les marques mentionnées au paragraphe 7 ci-dessus),

iii) la marque AEO visée par la demande produite par RRC qui a donné lieu à l’enregistrement no LMC807271 (la marque mentionnée au paragraphe 6 ci-dessus).  

 

            Article 2 – absence de caractère distinctif

[10]      La marque visée par la demande n’est pas distinctive des marchandises et services de la requérante étant donné les marchandises et services que fournissent Reitmans et les opposantes sous leurs marques AEO.

 

Preuve des opposantes

Cornelius Bulman Jr.

[11]      M. Bulman atteste qu’il est membre de la haute direction d’AEO Canada. L’opposante AEO Canada mène des activités de vente de vêtements et accessoires, d’articles chaussants, d’articles en cuir, de bijoux et d’articles connexes par l’intermédiaire de magasins et de sites Web de vente au détail.

[12]      Le 27 janvier 1999, l’opposante RRC a produit la demande d’enregistrement no 1,003,281 à l’égard de la marque AEO, laquelle a donné lieu à l’enregistrement no LMC575845 (la « Marque 845 ») le 18 février 2003. Cet enregistrement vise des vêtements et accessoires, des articles chaussants, des articles en cuir et des articles connexes. Une copie de l’enregistrement est jointe comme pièce A à l’affidavit de M. Bulman.

[13]      Ni le témoignage de M. Bulman ni la pièce A ne permettent de déterminer clairement à quel moment la marque 845 a été cédée à un prédécesseur de Reitmans. Il ne fait aucun doute, cependant, qu’à la date du 26 mars 2003, l’enregistrement appartenait à un prédécesseur de Reitmans.

[14]      Le 3 novembre 1994, l’opposante RRC a produit la demande d’enregistrement no 767,802 à l’égard de la marque AEO, laquelle a donné lieu à l’enregistrement no LMC535229 (la « Marque 229 ») le 20 octobre 2000. Cet enregistrement vise des vêtements et accessoires, des articles chaussants et des services de détail connexes. Je souligne que, d’après une copie de cet enregistrement jointe comme pièce B à l’affidavit de M. Bulman, RRC a cédé cet enregistrement à un prédécesseur de Reitmans le 26 février 2001. M. Bulman désigne les deux marques susmentionnées comme les « marques AEO ».

[15]      Dans une entente datée du 27 novembre 2000, Reitmans a octroyé à AEO Canada une licence d’emploi exclusive à l’égard des marques AEO au Canada, en conformité, semble-t-il, avec les exigences relatives au contrôle de la qualité, énoncées à l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce.

[16]      Je souligne que la preuve des opposantes comporte une ambiguïté.

En effet, rien dans la preuve des opposantes n’indique clairement que RRC a cédé ses marques AEO à Reitmans avant le 27 novembre 2000.

[17]      M. Bulman atteste que l’opposante AEO Canada exploitait plus de 75 magasins de détail répartis dans l’ensemble du Canada et que des produits portant les marques AEO ont commencé à être vendus dans ces magasins bien avant 2008. De 2004 à 2008, les dépenses publicitaires totales engagées en liaison avec les activités d’AEO Canada ont excédé 3 millions de dollars US annuellement. De 2004 à 2010, les ventes annuelles de vêtements, d’articles chaussants et d’accessoires réalisées par AEO Canada ont varié de 100 à 200 millions de dollars US. Les ventes réalisées au cours des six premiers mois de 2011 s’élèvent à plus de 75 millions de dollars US.

[18]      Depuis au moins 2008, tous les vêtements, articles chaussants et accessoires vendus par AEO Canada sont vendus [TRADUCTION] « sous les marques de commerce AEO ». En 2008, 2009 et 2010, AEO Canada a vendu annuellement i) 10 204 000 unités de vêtements en moyenne, ii) 196 200 unités d’articles chaussants en moyenne, iii) 837 000 unités d’accessoires en moyenne, et iv) de 178 000 à 364 000 unités de bijoux. De 2006 à 2009, le site Web d’AEO Canada est apparu plus de 16 millions de fois dans les résultats de requêtes effectuées à partir d’emplacements canadiens.

 

Esta Cohen

[19]      Mme Cohen atteste qu’elle est membre de la haute direction de l’opposante RRC. Une copie de la demande qui a donné lieu à l’enregistrement no LMC807271 (mentionné au paragraphe 6 ci-dessus) est jointe à son affidavit, comme pièce A. RRC a octroyé une licence d’emploi de la marque à AEO Canada. Mme Cohen ne précise pas la date à laquelle ce contrat de licence est intervenu et ne fournit aucun détail quant à la teneur de ce contrat.

 

Preuve de la requérante

Annette Desgagne

[20]      Mme Desgagne atteste qu'elle est [TRADUCTION] « la propriétaire de la marque de commerce AEOU & Dessin ». Sa déclaration sous serment vise à présenter quatre pièces. La pièce A est une copie de la demande en cause extraite de la Base de données sur les marques de commerce du site Web de l’OPIC. La pièce B montre ce qui semble être le site Web de la requérante, dans lequel la requérante est identifiée comme la propriétaire du [TRADUCTION] « logo AEOU ». La pièce C [TRADUCTION] « montre le logo . . . ». La pièce D est formée d’une feuille d’autocollants arborant la marque visée par la demande. Je souligne que les autocollants sont une des marchandises décrites dans la demande en cause. Comme j’y ai fait allusion précédemment, la déclaration de la requérante n’est pas présentée sous la forme convenable d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle et est, par conséquent, inadmissible. Même si elle était admissible, sa valeur probante demeurait insuffisante pour aider la cause de la requérante.   

 

Fardeau ultime et fardeau de preuve initial

[21]      Avant d’entreprendre l’examen des allégations contenues dans la déclaration d’opposition, je rappellerai certaines exigences techniques en ce qui concerne i) le fardeau ultime qui incombe à la requérante d’établir le bien-fondé de sa cause, et ii) le fardeau de preuve initial qui incombe aux opposantes de corroborer les allégations contenues dans la déclaration d’opposition.

 [22]      S’agissant du point i) ci-dessus, la requérante a le fardeau ultime de démontrer que sa demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce, contrairement à ce qu’allègue les opposantes dans la déclaration d’opposition. Le fait qu’un fardeau ultime soit imposé à la requérante signifie que, si la Commission n’arrive pas à une conclusion déterminante après clôture de la preuve, la question doit être tranchée à l’encontre de la requérante. S’agissant du point ii) ci-dessous, les opposantes sont pour leur part tenues, conformément aux règles habituelles de présentation de la preuve, de s’acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle fonde les allégations contenues dans leur déclaration d’opposition : voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited, 30 C.P.R. (3d) 293, p. 298 (C.F. 1re inst.). Le fait qu’un fardeau de preuve initial soit imposé aux opposantes signifie qu’une question donnée ne sera prise en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question.

 

Examen des motifs d’opposition

[23]      J’examinerai les motifs d’opposition selon l’ordre dans lequel ils sont plaidés.

 

Premier motif – alinéa 12(1)d)

[24]      Les opposantes s’appuient sur l’enregistrement no LMC807271 de la marque AEO de RRC, qui a été accordé à la suite de la demande no 1363893. Les opposantes ont prouvé l’existence de cette demande, mais pas celle de l’enregistrement. J’ai donc exercé mon pouvoir discrétionnaire afin de confirmer que cet enregistrement existe bel et bien : voir Quaker Oats of Canada Ltd./ La Compagnie Quaker Oats du Canada ltée c. Menu Foods Ltd. (1986), 11 C.P.R. (3d) 410. Ce faisant, j’ai constaté que l’enregistrement est toujours en vigueur et qu’il vise des colliers, des bracelets, des boucles d’oreilles et des bagues, comme l’ont spécifié les opposantes dans la déclaration d’opposition.

[25]      Le premier motif d’opposition a trait à la question de confusion entre la marque visée par la demande AEOU & Dessin et la marque déposée AEO de l’Opposante RRC. La date pertinente pour l’examen de la question de la confusion est la date de ma décision : pour un examen de la jurisprudence concernant les dates pertinentes dans les procédures d’opposition, voir American Retired Persons c. Canadian Retired Persons (1998), 84 C.P.R.(3d) 198, pp. 206 à 209 (C.F. 1re inst.).

[26]      La requérante a le fardeau ultime de démontrer qu’il n’y aurait pas de probabilité raisonnable de confusion entre la marque visée par la demande AEOU & Dessin et la marque AEO de RRC, au sens du paragraphe 6(2) de la Loi sur les marques de commerce, reproduit ci-dessous :

 

L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[27]      Ainsi, le paragraphe 6(2) ne porte pas sur la confusion entre les marques elles-mêmes, mais sur la probabilité que des biens ou des services provenant d’une source soient perçus comme provenant d’une autre source. En l’espèce, la question que soulève le paragraphe 6(2) est celle de savoir si les marchandises et services de la requérante pourraient être perçus comme provenant de l’opposante RRC, ou comme étant parrainés ou approuvés par elle.

 

    Le test en matière de confusion

[28]      Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir. Pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion entre deux marques, il faut tenir compte de « toutes les circonstances de l’espèce y compris », celles expressément énoncées aux alinéas 6(5)a) à 6(5)e) de la Loi, à savoir le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive et il importe de prendre en considération tous les facteurs pertinents. En outre, ces facteurs n’ont pas nécessairement tous le même poids, car l’importance qu’il convient d’accorder à chacun d’eux varie selon les circonstances : voir Gainers Inc. c. Tammy L. Marchildon et le Registraire des marques de commerce (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.). Toutefois, comme l’a souligné le juge Rothstein dans Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc. (2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.), le degré de ressemblance est souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce, même s’il est mentionné en dernier lieu au paragraphe 6(5).

 

   Examen des facteurs énoncés au paragraphe 6(5)

   Le caractère distinctif inhérent et acquis

[29]      La marque visée par la demande AEOU & Dessin ne possède pas un caractère distinctif inhérent très marqué, car elle est formée de lettres de l’alphabet et d’éléments graphiques peu distinctifs. De plus, l’emploi de caractères fantaisistes pour représenter les lettres elles-mêmes ne contribue guère à accroître le caractère distinctif inhérent de la marque, qui se lit clairement comme AEOU. En d’autres termes, les caractéristiques graphiques des lettres font partie intégrante des lettres et ce sont les lettres qui forment la partie dominante de la marque de commerce : voir Canadian Jewish Review Ltd c. le Registraire des marques de commerce (1961), 37 C.P.R. 89 (C. de l’É.). La marque visée par la demande est donc une marque relativement faible. La marque AEO de l’opposante RRC est, elle aussi, une marque relativement faible, car elle est formée de lettres de l’alphabet.

[30]      La requérante n’ayant produit aucun élément de preuve concernant l’emploi et la promotion de la marque visée par la demande, j’en conclus que la marque AEOU & Dessin n'a pas acquis de notoriété significative au Canada. Étant donné la nature imprécise de la preuve des opposantes en ce qui concerne la mesure dans laquelle la marque AEO de RRC a été employée (par l’entremise de sa licenciée AEO Canada), il est difficile d’en arriver à une conclusion formelle quant à la notoriété acquise par la marque. Néanmoins, en l’absence de tout contre-interrogatoire de M. Bulman, je suis disposé à inférer que la marque AEO de RRC a acquis au moins une certaine notoriété en raison des ventes de bijoux qui ont été réalisées en liaison avec la marque au cours de la période de trois ans s’étendant de 2008 à 2010 : voir le paragraphe 18 ci-dessus.

[31]      Le premier facteur énoncé au paragraphe 6(5), qui concerne aussi bien le caractère distinctif inhérent que le caractère distinctif acquis, favorise donc les opposantes, mais seulement légèrement.

 

     La période pendant laquelle les marques ont été en usage

[32]      Étant donné la nature générale et imprécise de la preuve des opposantes, je suis uniquement disposé à inférer que RRC a commencé à employer sa marque AEO dans une mesure significative en 2008. La requérante n’a produit aucune preuve admissible démontrant qu’elle aurait commencé à employer la marque AEOU & Dessin à un moment quelconque après la date de production de la demande, soit le 17 mai 2010. Par conséquent, le deuxième facteur énoncé au paragraphe 6(5) favorise les opposantes, mais seulement légèrement.

 

    Le genre de marchandises et entreprises, et la nature du commerce

[33]      Les marchandises, les entreprises et les commerces des parties sont assez différents; l’unique chevauchement constaté étant lié aux marchandises « vêtements ». Par conséquent, les troisième et quatrième motifs énoncés au paragraphe 6(5) favorisent la requérante, car les opposantes s’appuient sur leur marque AEO qui est employée en liaison avec des bijoux, et non des vêtements.

 

     Le degré de ressemblance

[34]      Il existe un degré de ressemblance considérable entre les marques des parties dans le son et dans les idées suggérées, car la partie dominante de la marque visée par la demande, c’est-à-dire les lettres AEOU, incorpore la totalité de la marque déposée AEO de RRC. Toutefois, les éléments graphiques et les caractères fantaisistes de la marque visée par la demande, de même que la présence de la lettre U, tendent à rendre la marque visée par la demande visuellement distincte de la marque de RRC. Dans l’ensemble, le dernier facteur énoncé au paragraphe 6(5) favorise les opposantes.

 

    Jurisprudence

[35]      Il existe cependant, en droit des marques de commerce, un principe qui, dans les circonstances de l’espèce, atténue l’avantage des opposantes relativement au dernier facteur énoncé au paragraphe 6(5), examiné au paragraphe 34 ci-dessus. Ce principe veut que de petites différences suffisent à distinguer entre elles des marques « faibles », c’est-à-dire des marques ayant un caractère distinctif relativement faible : voir GSW Ltd. c. Great West Steel Industries Ltd. (1975), 22 C.P.R. (2d) 154 (C.F. 1re inst.). Ce principe a été appliqué dans Coventry Inc. c. Abrahamian (1984), 1 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6, reproduit ci-dessous. Dans GSW, l’opposante fondait son opposition sur sa marque SARAH, une marque qui n’était pas intrinsèquement forte et qui n’avait pas acquis un caractère distinctif accru par l’emploi, la publicité ou d’autres moyens :

 

[TRADUCTION]
« La marque de commerce SARAH est un prénom féminin très répandu dans la chrétienté et, pour cette raison, son caractère distinctif inhérent est faible [voir Bestform Foundations Inc. c. Exquisite Form Brassiere (Canada) Ltd. (1972), 34 C.P.R. (2d) 163]. De telles marques sont considérées comme intrinsèquement faibles et ne peuvent bénéficier d’une protection étendue. [voir American Cyanamid Co. c. Record Chemical Co. Inc. (1972), 7 C.P.R. (2d) 1, [1972] C.F. 1271; et GSW Ltd. c. Great West Steel Industries Ltd. et al. (1975), 22 C.P.R. (2d) 154]. Lorsque la marque en cause est intrinsèquement faible, de petites différences suffisent à la distinguer d’une autre marque [voir American Cyanamid Co., précitée, à la p. 5]. Zaréh, qui est également un prénom chrétien, mais qu’on rencontre chez les hommes libanais, n’est pas répandu dans ce pays. À l’évidence, il existe au moins de petites différences qui distinguent ces deux prénoms. Le caractère distinctif d’une marque intrinsèquement faible peut toutefois être accru par un emploi à grande échelle [voir GSW Ltd. c. Great West Steel, précitée]. Il appert de la preuve produite par l’appelante que cette dernière a fait un emploi et une promotion considérables des noms Sarah, Sarah Coventry, Sarah Fashion Show, etc., mais un emploi très limité de la marque de commerce SARAH. Or, il est bien établi qu’il ne suffit pas pour le propriétaire d’une marque de commerce de simplement déclarer qu’il a employé sa marque; il doit en faire la preuve [voir Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62, [1981] 1 C.F. 679, 34 N.R. 39. »

                                  (non souligné dans l’original)

 

[36]      De même, la marque AEO sur laquelle les opposantes fondent leur opposition en l’espèce est intrinsèquement faible. La présence de la lettre U, les éléments graphiques et les caractères fantaisistes permettent de distinguer les marques des parties sur le plan visuel. L’avantage des opposantes à l’égard du dernier, et du plus important, des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) s’en trouve donc considérablement atténué. Il m’est, en outre, impossible de conclure que la marque AEO de RRC a acquis, par la promotion et l’emploi antérieurs, un caractère distinctif suffisamment important, en liaison avec des bijoux, pour lui valoir une protection étendue, c’est-à-dire dans le contexte de marchandises autres que des bijoux.

[37]      Compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 6(5), examinés ci-dessus, et considérant également le fait que la marque AEO sur laquelle se fondent les opposantes est une marque faible qui ne peut bénéficier d’une protection étendue, je conclus que la prépondérance des probabilités entre la conclusion qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion et la conclusion qu’il existe une probabilité raisonnable de confusion penche légèrement en faveur de la requérante. Le premier motif d’opposition est, par conséquent, rejeté.

 

Deuxième motif d’opposition – Alinéas 16(3)a) et b)

[38]      Le deuxième motif d’opposition comporte trois volets distincts. Chacun de ces volets requiert d’examiner certaines questions techniques. J’estime qu’il est préférable, par souci de clarté, d’examiner ces trois volets dans l’ordre inverse de celui dans lequel ils figurent dans la déclaration d’opposition. 

 

  Volet (iii) – fondé sur la demande d’enregistrement no 1,363,893

[39]      Je souligne que les opposantes ont le droit d’invoquer la demande d’enregistrement pour la marque 893 de RRC, car cette demande était pendante à la date du 21 juillet 2010, c’est-à-dire à la date d’annonce de la demande d’enregistrement pour la marque en cause AEOU & Dessin : voir le paragraphe 16(4) de la Loi sur les marques de commerce, reproduit ci-dessous :

Le droit, pour un requérant, d’obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce enregistrable n’est pas atteint par la production antérieure d’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce créant de la confusion, par une autre personne, à moins que la demande d’enregistrement de la marque de commerce créant de la confusion n’ait été pendante à la date de l’annonce de la demande du requérant selon l’article 37.

 

[40]      La question déterminante est celle de savoir si la marque visée par la demande crée de la confusion avec la marque AEO de RRC qui était visée par la demande d’enregistrement no 1,363,893 (qui a donné lieu à l’enregistrement no LMC807271 dont il est question dans l’examen du premier motif d’opposition). Il s’agit, bien sûr, de la même question de la confusion que celle examinée à l’égard du premier motif, à la différence cependant que, dans ce cas-ci, la date pertinente est la date de production de la demande d’enregistrement pour la marque en cause AEOU & Dessin, c’est-à-dire le 17 mai 2010. Les circonstances de l’espèce à prendre en considération pour évaluer la question de la confusion sont essentiellement les mêmes que celles examinées relativement au premier motif. Et, comme les faits pertinents ne sont pas substantiellement différents à la date antérieure du 17 mai 2010, le résultat est le même, c’est-à-dire que la prépondérance des probabilités entre la conclusion qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion et la conclusion qu’il existe une probabilité raisonnable de confusion penche légèrement en faveur de la requérante. Le troisième volet du deuxième motif d’opposition est, par conséquent, rejeté.

 

  Volet (ii) – fondé sur les demandes d’enregistrement nos 0767802 et 1003281

[41]      À l’audience, l’avocat des opposantes a abandonné le volet (ii) du deuxième motif d’opposition parce que ni l’une ni l’autre des demandes d’enregistrement que les opposantes entendaient invoquer n’était pendante à la date du 21 juillet 2010, c’est-à-dire à la date d’annonce de la demande d’enregistrement pour la marque en cause AEOU & Dessin et que le volet (ii) n’aurait donc pas pu être accueilli compte tenu des dispositions du paragraphe 16(4) de la Loi sur les marques de commerce.

 

  Volet (i)

[42]      Tel qu’il est indiqué dans la déclaration d’opposition, les opposantes invoquent l’emploi par AEO Canada de a) la marque AEO de RRC, sous licence, et b) les marques AEO de Reitmans, également sous licence. Or, comme Reitmans n’est pas partie à la présente procédure, les opposantes ne peuvent pas invoquer l’emploi des marques AEO qui bénéficie à Reitmans à l’appui d’un motif d’opposition portant que la requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la marque visée par la demande. Le paragraphe 17(1) de la Loi sur les marques de commerce, reproduit ci-dessous, prévoit, en effet, qu’un opposant ne peut s’appuyer que sur l’emploi qu’il a lui-même fait de la marque lorsqu’il allègue que le requérant n’a pas droit à l’enregistrement :

Aucune demande d’enregistrement d’une marque de commerce qui a été annoncée […] ne peut être refusée […] du fait qu’une personne autre que l’auteur de la demande d’enregistrement […] a antérieurement employé […] une marque de commerce […] créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre […]

 

[43]      La question du droit à l’enregistrement est donc liée à celle de savoir si la marque visée par la demande AEOU & Dessin créé de la confusion avec la marque AEO de RRC. Cette question de la confusion soulève essentiellement les mêmes considérations que celles examinées relativement au volet (iii), ci-dessus. Le résultat est donc le même et, par conséquent, le volet (i) est rejeté.

 

Troisième motif – Absence de caractère distinctif

[44]      La date pertinente pour l’examen des circonstances se rapportant à la question du caractère distinctif est la date de production de la déclaration d’opposition, en l’espèce le 21 décembre 2010 : voir Re Andres Wines Ltd. et E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130 (C.A.F.); Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, p. 424 (C.A.F.).

[45]      Le troisième motif d’opposition est fondé sur l’emploi de la marque AEO qui bénéficie à l’opposante RRC et à la tierce partie Reitmans. Rien n’interdit aux opposantes d’invoquer l’emploi de la marque AEO par une tierce partie à l’appui d’un motif d’opposition portant que la marque visée par la demande est dépourvue de caractère distinctif. Au vu de la preuve de M. Bulman, je conclus que la majeure partie du caractère distinctif que la marque AEO a pu acquérir par l’emploi et la promotion peut être attribué à Reitmans. La question déterminante est, par conséquent, celle de savoir si l’emploi de la marque AEO par AEO Canada en vertu d’une licence octroyée par Reitmans rend la marque visée par la demande AEOU & Dessin non distinctive. Même en tenant compte des ambiguïtés que comporte la preuve des opposantes en ce qui concerne la date d’entrée en vigueur du contrat de licence avec Reitmans, je suis disposé à conclure qu’à la date pertinente du 21 décembre 2010, la marque AEO de Reitmans avait acquis une notoriété considérable au Canada en liaison avec des vêtements et des articles chaussants.

[46]      Pour trancher la question du caractère distinctif, je me suis inspiré des remarques incidentes du juge Addy dans Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.), à la page 58 :

[TRADUCTION]
Quant à la question de l’absence de caractère distinctif d’une marque, bien qu’il doive être établi que la marque rivale ou adverse [la marque invoquée par l’opposante] est connue au moins jusqu’à un certain point, il n’est pas nécessaire de prouver qu’elle est bien connue […] Il suffit d’établir que l’autre marque [la marque invoquée par l’opposante] est devenue suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque attaquée [la marque de la requérante].

 

[47]      Compte tenu de la ressemblance entre la marque visée par la demande AEOU & Dessin et la marque AEO, et considérant le fait que la marque visée par la demande n’a pas acquis de notoriété significative et que la marque AOE a acquis une notoriété considérable en liaison avec des vêtements et des marchandises connexes, j’estime que les opposantes se sont acquittées du fardeau de preuve initial qui leur incombait de mettre doute la question de savoir si le public croirait que les vêtements de la requérante, s’ils étaient vendus sous la marque AEOU & Dessin, sont approuvés ou parrainés par une tierce partie, c’est-à-dire Reitmans. La requérante, pour sa part, n’a pas fait grand-chose pour s’acquitter du fardeau ultime qui lui incombait de démontrer que la marque visée par la demande est réellement adaptée à distinguer les vêtements de la requérante. En conséquence, je conclus que la marque AEO de Reitmans avait acquis au Canada, à la date pertinente du 21 décembre 2010, une notoriété suffisante pour faire perdre à la marque visée par la demande son caractère distinctif en liaison avec les marchandises « vêtements ». Les opposantes obtiennent donc en partie gain de cause relativement au motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif.

 

Décision

[48]      Compte tenu de ce qui précède,

            (a)        la demande d’enregistrement est repoussée en ce qui concerne les marchandises de la catégorie (4) (voir le paragraphe 1 ci-dessus), à savoir :   

 

vêtements et accessoires pour hommes, femmes et enfants, nommément tee-shirts, pantalons d'entraînement, chandails à capuchon, shorts, sous-vêtements, vestes de laine, chandails, chemises, ensembles d'entraînement, vestes, jerseys, jeans, pyjamas, chapeaux et casquettes;

 

            (b)        autrement, l’opposition est rejetée.

 

[49]      Le pouvoir de rendre une décision partagée a été reconnu dans la décision Produits Ménagers Coronet Inc. c. Coronet-Werke Heinrich Schlerf GmbH (1986), 10 C.P.R. (3d) 482 (C.F. 1re inst.). La présente décision a été rendue en vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués conformément au paragraphe 63(3) de la Loi sur les marques de commerce.

 

 

 

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Myer Herzig, membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme
Judith Lemire

 

 

 

 

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