Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 20

Date de la décision : 2015-01-30

TRADUCTION

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par Honda Motor Co., Ltd. à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1,514,876 pour la marque de commerce CROSS COUNTRY TOUR au nom de Polaris Industries Inc.

[1]               Le 11 février 2011, Polaris Industries Inc. (la Requérante) a produit la demande d'enregistrement no 1,514,876 (la demande) pour la marque de commerce CROSS COUNTRY TOUR (la Marque). La demande est fondée sur un emploi projeté au Canada en liaison avec des [traduction] « motos et pièces connexes ». Elle revendique la date de priorité de production du 10 février 2011 sur la base de la demande d'enregistrement no 85239258 produite aux États-Unis d'Amérique.

[2]               Honda Motor Co., Ltd. (l'Opposante) est propriétaire de la demande de marque de commerce canadienne no 1,425,380 pour la marque de commerce Crosstour, qui a été produite le 22 janvier 2009 et est fondée sur un emploi projeté au Canada en liaison avec un éventail de [traduction] « véhicules aériens », « véhicules marins » et « véhicules terrestres », dont des « motos ».

[3]               L'Opposante s'est opposée à la demande d'enregistrement de la Marque en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 (la Loi) pour les motifs suivants : (i) la demande n'est pas conforme aux exigences des articles 30e) et 30i) de la Loi; (ii) la Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la Marque aux termes de l'article 16(3)a) de la Loi, compte tenu de l'emploi antérieur par l'Opposante de sa marque de commerce Crosstour depuis au moins décembre 2009; (iii) la Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la Marque aux termes de l'article 16(3)b) de la Loi, compte tenu de la demande produite antérieurement par l'Opposante relativement à sa marque de commerce Crosstour; et (iv) la Marque n'est pas distinctive au sens de l'article 2 de la Loi.

[4]               La Requérante a produit une contre-déclaration le 13 mars 2012.

[5]               Au soutien de son opposition, l'Opposante a produit l'affidavit de M. Jerry Chenkin, souscrit le 30 juillet 2012 (l'affidavit de M. Chenkin). M. Chenkin a été contre-interrogé relativement à son affidavit et la transcription du contre-interrogatoire a été versée au dossier.

[6]               Comme preuve, la Requérante a produit l'affidavit de Karen Thompson, souscrit le 1er août 2013 (l'affidavit de Mme Thompson) et l'affidavit de Rachael Belanger, souscrit le 12 août 2013 (l'affidavit de Mme Belanger). Mme Thompson et Mme Belanger n'ont pas été contre-interrogées. La Requérante a aussi produit une copie certifiée de l'historique du dossier de la demande relative à la Marque.

[7]               Seule la Requérante a produit un plaidoyer écrit.

[8]               Une audience a été tenue et les parties y étaient toutes deux présentes.

Fardeau de preuve

[9]               C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. L'Opposante a toutefois le fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de chacun des motifs d'opposition [voir John Labatt Limited c The Molson Companies Limited (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), p. 298].

Motifs d'opposition sommairement rejetés

Non-conformité – articles 30e) et 30i)

[10]           La demande renfermant une déclaration portant que la Requérante a l'intention d'employer la Marque au Canada elle-même ou par l'entremise d'un licencié et la demande renfermant également une déclaration portant que la Requérante est convaincue d'avoir droit d'employer la Marque, elle est formellement conforme aux articles 30e) et 30i) de la Loi. L'Opposante n'a produit aucune preuve afin de démontrer que la Requérante a fait une fausse déclaration pour répondre aux exigences de l'article 30e), et il a été établi que lorsqu'un requérant a fourni la déclaration exigée par l'article 30i), un motif d'opposition fondé sur cet article ne devrait être accueilli que dans des cas exceptionnels, comme lorsqu'il existe une preuve que le requérant est de mauvaise foi [voir Sapodilla Co Ltd c Bristol-Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), p. 155]. L'Opposante n'a pas démontré qu'il s'agit d'un cas exceptionnel. En conséquence, ces deux motifs d'opposition sont rejetés.

Analyse des motifs d'opposition restants

Absence de droit à l'enregistrement – article 16(3)a)

[11]           L'Opposante allègue que la Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la Marque au titre de l'article 16(3)a) de la Loi, compte tenu de l'emploi antérieur par l'Opposante de sa marque de commerce Crosstour au Canada depuis au moins décembre 2009 en liaison avec des « automobiles ».

[12]           Malgré le fardeau de preuve qu'a la Requérante d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce de l'Opposante, l'Opposante a le fardeau initial de démontrer que sa marque de commerce était employée avant la date de priorité de production de la demande relative à la Marque du 10 février 2011 et n'avait pas été abandonnée à la date de l'annonce de la demande relative à la Marque du 7 septembre 2011 [article 16(5) de la Loi].

[13]           Le mot « emploi » est un terme juridique qui est expressément défini à l'article 4 de la Loi; il faut consulter la preuve produite afin de déterminer s'il y a eu, en réalité, emploi d'une marque de commerce en liaison avec des produits au sens de l'article 4.

[14]           À l'audience et dans son plaidoyer écrit, la Requérante a soutenu que l'Opposante n'a pas établi l'« emploi » de sa marque de commerce avant la date de priorité de production de la demande relative à la Marque du 10 février 2011.

[15]           L'affidavit de M. Chenkin nous fournit des renseignements à propos de l'Opposante, de son entreprise et de sa marque de commerce. M. Chenkin est le vice-président directeur de Honda Canada Inc., qui est décrite comme étant une [traduction] « société affiliée » à l'Opposante [affidavit de M. Chenkin, para. 1]. M. Chenkin affirme que Honda Canada Inc. soutient un réseau de 232 concessionnaires d'automobiles Honda et de 50 concessionnaires d'automobiles Acura autorisés au Canada et qu'il y a également plus de 600 concessionnaires de motocyclettes et de produits motorisés Honda au Canada [affidavit de M. Chenkin, para. 5]. Selon M. Chenkin, Honda Canada Inc. est autorisée aux termes d'une licence accordée par l'Opposante à employer sa marque de commerce Crosstour au Canada en liaison avec tous les produits qui sont visés par la demande de l'Opposante relative à sa marque de commerce (demande no 1,425,380) et, en vertu de cette licence, Honda Canada Inc. a vendu des « automobiles » arborant la marque de commerce Crosstour de l'Opposante au Canada depuis au moins décembre 2009 et de façon ininterrompue depuis cette date [affidavit de M. Chenkin, para. 5].

[16]           Au paragraphe 6 de son affidavit, M. Chenkin affirme que les produits de l'Opposante arborent la marque de commerce Crosstour. Au paragraphe 7 de son affidavit, M. Chenkin fournit des chiffres se rapportant au volume et à la valeur des produits identifiés par la marque de commerce Crosstour qui ont été vendus au Canada de novembre 2009 à la date à laquelle M. Chenkin a souscrit son affidavit en juillet 2012. En 2010, l'Opposante a vendu 2 175 unités, pour un total de 81 451 500 $ de ventes. Pour l'année 2012, 437 unités ont été vendues au Canada jusqu'à la date à laquelle M. Chenkin a souscrit son affidavit, pour un total de 16 540 080 $ de ventes.

[17]           Des factures représentatives qui présentent divers codes de modèle Crosstour aux dires de M. Chenkin sont jointes comme Pièce « C » à l'affidavit de M. Chenkin. M. Chenkin affirme que les factures se rapportent à des ventes d'automobiles faites au Canada de 2009 à aujourd'hui. La marque de commerce Crosstour ne figure sur aucune des factures.

[18]           Au paragraphe 9, M. Chenkin affirme que la marque de commerce Crosstour figure directement sur l'extérieur de chaque automobile et sur les tapis. Il affirme également que la vente de chaque automobile s'accompagne généralement de documents écrits qui arborent la marque de commerce. Une photographie de ce que M. Chenkin décrit comme étant une automobile Crosstour de modèle 2012 qui, affirme-t-il, démontre la manière dont la marque de commerce figure directement sur les produits est jointe comme Pièce « D ».

[19]            Des copies d'un manuel du propriétaire et d'un manuel du système de navigation qui, affirme M. Chenkin, se rapportent à l'automobile Crosstour 2012 vendue au Canada et démontrent des manières dont la marque de commerce est employée sont jointes comme Pièce « E » [affidavit de M. Chenkin, para. 9]. CROSSTOUR figure sur ces documents de 2012. La Pièce « F » se compose de spécimens de brochures de produits qui sont offertes aux consommateurs canadiens chez les divers concessionnaires automobiles qui sont autorisés à vendre les automobiles de marque Crosstour au Canada. Ces documents semblent également dater de 2012.

[20]           Bien que M. Chenkin ne l'ait pas mentionné dans son affidavit, la Pièce « E » renferme aussi des manuels du propriétaire de 2010 et de 2011, et ces documents ne présentent pas la marque CROSSTOUR en tant que telle. Ils présentent plutôt les éléments ACCORD CROSSTOUR ou Accord Crosstour.

[21]           Pendant le contre-interrogatoire, M. Chenkin a admis que, lorsqu'ils ont à l'origine été lancés en 2009, les véhicules Crosstour étaient commercialisés sous le nom de ACCORD CROSSTOUR [transcription du contre-interrogatoire de M. Chenkin, Q. 177-181]. Il a été incapable de se rappeler à quel moment l'élément ACCORD a été abandonné. Le fait que les documents de la Pièce « E » datés de 2012 présentent CROSSTOUR tandis que les documents datés de 2010 et de 2011 présentent ACCORD CROSSTOUR laisse croire que l'élément ACCORD peut avoir été abandonné quelque part en 2012.

[22]           En cours d'audience, l'Opposante a laissé entendre que je pouvais déduire des déclarations faites dans l'affidavit de M. Chenkin que CROSSTOUR a été employé seul (c.-à-d. sans l'élément ACCORD) au cours des années antérieures à 2012, de même qu'en 2012. En particulier, l'Opposante m'a renvoyée aux paragraphes 5 et 9 de l'affidavit de M. Chenkin, dans lesquels M. Chenkin a affirmé que la marque de commerce Crosstour est employée depuis au moins décembre 2009 et de façon ininterrompue depuis cette date (para. 5) et qu'elle figure directement sur l'extérieur de chaque automobile et sur les tapis (para. 9). L'Opposante a soutenu que si la Requérante voulait voir des exemples d'emploi de CROSSTOUR employé seul antérieurement à 2012, elle aurait pu demander à M. Chenkin de fournir de tels exemples par la voie d'un engagement pendant le contre-interrogatoire. L'Opposante a également soutenu que ACCORD et CROSSTOUR sont tous deux des marques de commerce et que rien n'empêche l'emploi simultané de deux marques de commerce. L'Opposante a cité des précédents à l'appui de ses observations présentées à l'audience [A.W. Allen Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce) (1985), 6 CPR (3d) 270 (CF 1re inst); Aurora Limited c Acuity Brands, Inc (2009) 78 CPR (4th) 139 (COMC)].

[23]           D'entrée de jeu, j'aimerais souligner que j'estime que l'emploi de ACCORD CROSSTOUR ne constitue pas un emploi de la marque de commerce Crosstour de l'Opposante [Nightingale Interloc Ltd c Prodesign Ltd (1984), 2 CPR (3d) 535 (COMC) et Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie internationale pour l'informatique CII Honeywell Bull, SA (1985), 4 CPR (3d) 523 (CAF)]. De plus, les observations de l'Opposante ne me convainquent pas que l'emploi de ACCORD CROSSTOUR constitue un emploi de deux marques de commerce distinctes, à savoir ACCORD et Crosstour. M. Chenkin a affirmé en contre-interrogatoire qu'il s'agit de marques de commerce distinctes. Cependant, il a aussi bien précisé qu'il n'a aucune expertise en matière de marques de commerce, et aucune preuve ne laisse croire que les consommateurs reconnaîtraient les mots ACCORD CROSSTOUR, tels qu'ils figurent dans les documents de la Pièce « E » autrement que comme étant une marque de commerce unique [transcription du contre-interrogatoire de M. Chenkin, Q. 229-232]. Dans les documents qui font partie de la Pièce « E », les mots ACCORD et CROSSTOUR ou Accord et Crosstour figurent côte à côte, et ils sont présentés dans un style et une taille de police identiques. Rien ne les distingue l'un de l'autre ni n'indique qu'il s'agit de marques de commerce distinctes.

[24]           La question qui se pose est donc celle de savoir si je suis disposée à conclure à l'emploi de Crosstour en tant que tel avant la date pertinente en m'appuyant sur les déclarations faites aux paragraphes 5 et 9 de l'affidavit de M. Chenkin. La réponse est non.

[25]           Le motif d'opposition fondé sur l'article 16(3)a) de l'Opposante repose sur une revendication de droits antérieurs, et pour que ce motif d'opposition soit accueilli, l'Opposante doit établir l'existence de ces droits. En particulier, l'Opposante doit s'acquitter du fardeau initial de démontrer l'« emploi » de sa marque de commerce avant la date de priorité de production de la demande relative à la Marque. Comme je l'ai indiqué précédemment, la question de savoir s'il y a eu « emploi » au sens de l'article 4 de la Loi consiste à tirer une conclusion de droit qui doit reposer sur une évaluation des éléments de preuve.

[26]           Si M. Chenkin affirme que la marque de commerce Crosstour de l'Opposante est employée depuis une date antérieure à la date pertinente, les pièces qui ont été jointes à son affidavit et les déclarations qu'il a faites en contre-interrogatoire laissent croire le contraire. En particulier, les documents de 2010 et de 2011 qui sont joints comme Pièce « E » à l'affidavit de M. Chenkin présentent ACCORD CROSSTOUR ou Accord Crosstour, et M. Chenkin a admis en contre-interrogatoire que ses voitures ont à l'origine été lancées comme les « Accord Crosstour ». Bien qu'il n'ait pas dit à quel moment, il a aussi admis que l'élément ACCORD a, par la suite, été abandonné. À la lumière de ces circonstances, j'estime qu'il n'est pas raisonnable de conclure que Crosstour a été employé seul avant la date pertinente du 10 février 2011 d'après les déclarations qui ont été faites aux paragraphes 5 et 9 de l'affidavit de M. Chenkin.

[27]           En ce qui concerne la prétention de l'Opposante selon laquelle la Requérante aurait pu, pendant le contre-interrogatoire, demander à M. Chenkin un engagement à fournir des exemples d'emploi par l'Opposante de l'élément Crosstour seulement avant la date pertinente si elle voulait les voir, je souligne qu'il appartient à l'Opposante de s'acquitter de son fardeau de preuve initial et que la Requérante n'est pas tenue de l'aider à le faire.

[28]           À l'audience et dans son plaidoyer écrit, la Requérante a aussi mis en doute la question même de savoir si l'Opposante avait dûment autorisé sous licence Honda Canada Inc. à employer sa marque de commerce Crosstour de sorte que l'emploi par Honda Canada Inc. puisse être attribué à l'Opposante. Compte tenu des conclusions que j'ai tirées ci-dessus quant à l'emploi, j'estime qu'il n'est pas nécessaire que j'aborde cette question.

[29]           Comme je ne suis pas en mesure de conclure que l'Opposante a établi l'emploi de sa marque de commerce avant la date pertinente, je conclus donc que l'Opposante ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve initial à l'égard de son motif d'opposition fondé sur l'article 16(3)a).

[30]           Par conséquent, le motif d'opposition fondé sur l'article 16(3)a) est rejeté.

Absence de droit à l'enregistrement – article 16(3)b)

[31]           Pour son motif d'opposition fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement invoqué en vertu de l'article 16(3)b) de la Loi, l'Opposante s'appuie sur sa demande no 1,425,380 relative à sa marque de commerce Crosstour, qui vise une vaste gamme de véhicules, dont des [traduction] « motos ». La demande d'enregistrement a été produite le 22 janvier 2009.

[32]           La date pertinente pour évaluer ce motif d'opposition est la date de priorité de production de la demande relative à la Marque, à savoir le 10 février 2011.

[33]           J'ai exercé mon pouvoir discrétionnaire de consulter les dossiers du Bureau des marques de commerce pour confirmer l'existence de la demande de l'Opposante [voir Royal Appliance Mfg Co c Iona Appliances Inc (1990), 32 CPR (3d) 525 (COMC), p. 529]. Je confirme que la demande de l'Opposante a été produite avant la demande de la Requérante et qu'elle était toujours en instance à la date de l'annonce de la demande de la Requérante. L'Opposante s'est donc acquittée de son fardeau de preuve initial à l'égard de ce motif d'opposition. En conséquence, il incombe alors à la Requérante de démontrer qu'il n'existe pas de probabilité de confusion entre les marques en cause.

[34]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. L'article 6(2) de la Loi porte que l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[35]           Lorsqu'il applique le test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris celles expressément énoncées à l'article 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Le poids qu'il convient d'accorder à chacun de ces facteurs n'est pas nécessairement le même. [Voir, de manière générale, Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc (2006), 49 CPR (4th) 321 (CSC) et Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc (2011), 92 CPR (4th) 361 (CSC).]

Article 6(5)a) – le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[36]           Les marques des parties sont toutes deux formées de termes ordinaires du dictionnaire. En particulier, la marque de commerce Crosstour de l'Opposante se compose d'une combinaison des mots « cross » (hybride) et « tour » (promenade) et la Marque est formée d'une combinaison des mots « cross », « country » (campagne) et « tour ».

[37]           Des copies de plusieurs définitions du dictionnaire pour chacun de ces mots sont jointes à l'affidavit de Mme Belanger. Je ne les reproduirai pas toutes ici, mais je soulignerai que, dans le Canadian Oxford Dictionary, « cross » a été défini comme [traduction] « un hybride » ou « un mélange de deux choses », « tour » est défini comme [traduction] « un déplacement d'un lieu à un autre comme loisir », « une excursion, randonnée ou promenade » ou un « voyage, excursion ou visite organisée et guidée » et « cross-country » a été défini comme [traduction] « à travers les champs ou la campagne, plutôt que sur les routes ou sur piste » et « à travers la campagne » [affidavit de Mme Belanger, Pièces A-1-A-3, B-1-B-3 et C-1-C-3].

[38]           La Requérante soutient que la marque de commerce Crosstour de l'Opposante évoque un sens, comme « cross » est défini comme [traduction] « un hybride » ou « un mélange de deux choses » et comme M. Chenkin a confirmé en contre-interrogatoire que les véhicules Crosstour de l'Opposante font partie d'une nouvelle catégorie de véhicules appelée véhicule « crossover » (multisegment) qui, explique-t-il, n'est ni une voiture ni un camion, mais combine plutôt les deux [transcription du contre-interrogatoire de M. Chenkin, Q. 40 et 49]. J'estime que la Marque évoque aussi un sens, du fait que le terme « cross country » dénote un déplacement hors route ou un déplacement à travers la campagne. De plus, le terme « tour » qui figure dans les deux marques évoque un certain voyage ou une excursion quelconque.

[39]           En conséquence, j'estime qu'aucune des marques de commerce des parties ne possède un caractère distinctif inhérent très marqué.

Article 6(5)b) – la période pendant laquelle chaque marque a été en usage

[40]           La demande relative à la Marque est fondée sur un emploi projeté et la Requérante n'a produit aucune preuve d'emploi. Bien que l'Opposante ait produit une certaine preuve d'emploi, comme je l'ai indiqué précédemment, celle-ci est postérieure à la date pertinente pour évaluer ce motif d'opposition.

Articles 6(5)c) et d) – le genre de produits, services ou entreprises et la nature du commerce

[41]           La demande de l'Opposante et la demande relative à la Marque visent toutes deux des [traduction] « motos ». Par conséquent, il y a un recoupement direct entre les produits des parties. Compte tenu de ce recoupement, il est juste de présumer qu'il y aurait également un recoupement entre les voies de commercialisation des parties.

Article 6(5)e) – le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent

[42]           Dans la plupart des cas, le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son ou dans les idées qu'elles suggèrent est le facteur qui revêt le plus d'importance; les autres facteurs jouent un rôle secondaire dans l'ensemble des circonstances de l'espèce [voir Beverly Bedding & Upholstery Co c Regal Bedding & Upholstering Ltd (1980), 47 CPR (2) 145, conf. par 60 CPR (2d) 70 (CF 1re inst)]. Ce principe a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans Masterpiece, et la Cour a en outre souligné qu'il est préférable, au moment de comparer des marques de commerce, de se demander d'abord si les marques présentent un aspect particulièrement frappant ou unique [voir Masterpiece, para. 64].

[43]           En l'espèce, les marques de commerce des deux parties sont formées de termes ordinaires du dictionnaire, qui évoquent un certain sens dans le contexte des produits qui leur sont liés. Compte tenu de ceci, j'estime qu'aucun des aspects des marques de commerce des parties n'est particulièrement frappant ou unique.

[44]           Comme je l'ai déjà souligné dans l'analyse du caractère distinctif inhérent des marques de commerce, les marques des parties ont une connotation quelque peu différente, la marque de commerce de l'Opposante évoquant possiblement un véhicule de type multisegment et la Marque dénotant un type de véhicule qui conviendrait à une balade à travers la campagne ou sur un terrain hors route. Cependant, dans la mesure où les marques de commerce des parties comportent toutes deux les mots « cross » (hybride) et « tour » (promenade), il y a tout de même un degré de ressemblance assez élevé entre elles dans la présentation et le son, surtout parce que ces mots figurent au tout début et à la toute fin des marques.

Autres circonstances de l'espèce

Preuve de l'état du registre et de l'état du marché

[45]           La Requérante a produit une preuve de l'état du registre au Canada par la voie de l'affidavit de Mme Thompson, qui démontrait que 37 demandes ou enregistrements figurent au registre pour des marques comportant l'élément « cross » (hybride) et 53 demandes ou enregistrements figurent au registre pour des marques renfermant l'élément « tour » (promenade), tous dans la catégorie 12, qui visent, aux dires de Mme Thompson, des [traduction] « véhicules; systèmes de transport par voies terrestre, aérienne ou maritime » [affidavit de Mme Thompson, para. 3-8]. La liste des 37 marques comportant l'élément « cross » est jointe à son affidavit comme Pièce « A » et des copies des détails de ces demandes et enregistrements sont jointes comme Pièce « B ». La liste des 53 marques renfermant l'élément « tour » est jointe à son affidavit comme Pièce « C » et des copies des détails de ces demandes et enregistrements sont jointes comme Pièce « D ».

[46]           Mme Belanger a ensuite cherché sur Internet toutes les marques de commerce qui sont énumérées dans les Pièces « A » et « C » jointes à l'affidavit de Mme Thompson. Mme Belanger ne fournit pas beaucoup de détails quant à la manière dont elle a effectué ses recherches, mais elle affirme qu'elle [traduction] « cherchait une quelconque indication que le site Web était un site Web canadien ou présentait ce qui semblait être des prix canadiens ou du contenu canadien » et elle a imprimé les pages Web ou « copies d'écran » pertinentes [affidavit de Mme Belanger, para. 3-5]. Elle a également employé le site Web d'archives Internet « Wayback Machine » pour tenter d'accéder à des pages Web archivées antérieures à février 2011 [affidavit de Mme Belanger, para. 6]. Des copies des pages Web et des pages Web archivées sous forme d'imprimés ou de copies d'écran sont jointes comme Pièces « E-1 » à « E-35 » à l'affidavit de Mme Belanger.

[47]           L'Opposante soutient que le contenu de l'affidavit de Mme Belanger constitue du ouï-dire et, citant à l'appui la décision rendue dans l'affaire Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd c Hyundai Auto Canada (2005) 43 CPR 4th 21, l'Opposante conteste également la provenance de l'affidavit, comme Mme Belanger était une étudiante employée par l'agent de la Requérante au moment de souscrire son affidavit.

[48]           Outre ces questions, j'estime que la preuve de l'état du registre de Mme Thompson et que la preuve de l'état du marché de Mme Belanger sont très peu utiles à la Requérante. Bon nombre des marques qui ont été repérées visent des produits qui, s'il en est, ne se rapportent que très peu à des [traduction] « motos », et bon nombre des marques qui ont été repérées ressemblent très peu aux marques de commerce des parties (par exemple, BLUE BIRD LTC 40 LUXURY TOURING COACH & DESSIN, TERRA TRAC CROSS-V, AVID TOURING-S & Dessin, etc.). Plus important encore, aucune des marques (mises à part celles des parties) ne comporte à la fois l'élément « cross » et l'élément « tour » employés ensemble, et ce sont ces deux éléments que les marques de commerce des parties ont en commun.

Conclusion

[49]           Après examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, j'estime que la prépondérance des probabilités est également partagée entre la conclusion qu'il existe une probabilité de confusion entre les marques de commerce des parties et la conclusion qu'il n'existe pas de probabilité de confusion.

[50]           Ni l'une ni l'autre des marques de commerce des parties ne possède un caractère distinctif inhérent particulier et la preuve n'établit pas que l'une ou l'autre des marques de commerce des parties avait acquis un caractère distinctif ou avait été employée à la date pertinente. La conclusion que j'ai tirée repose par conséquent principalement sur le degré de ressemblance entre les marques et sur le fait que les produits des parties sont identiques et emprunteraient vraisemblablement les mêmes voies de commercialisation. Lorsque j'ai appliqué le test en matière de confusion, j'ai considéré que ce dernier tenait de la première impression et du souvenir imparfait. Malgré la connotation différente des marques de commerce des parties, il existe tout de même une ressemblance considérable entre elles. La marque de commerce de l'Opposante est formée de deux mots seulement, à savoir « cross » (hybride) et « tour » (promenade), et ces deux mots sont intégrés à la Marque exactement au même endroit où ils figurent dans la marque de commerce de l'Opposante (c.-à-d. au début et à la fin). Compte tenu de ces similitudes, et étant donné que les marques de commerce des parties sont destinées à être apposées sur des produits identiques, j'estime que la prépondérance des probabilités est également partagée entre la conclusion qu'il existe une probabilité de confusion entre les marques de commerce des parties et la conclusion qu'il n'existe pas de probabilité de confusion. Comme j'ai tiré cette conclusion, je ne peux conclure que la Requérante s'est acquittée de son fardeau de preuve à l'égard de ce motif.

[51]           En conséquence, le motif d'opposition fondé sur l'article 16(3)b) est accueilli.

Absence de caractère distinctif – article 2

[52]           L'Opposante allègue que la Marque n'est pas distinctive du fait qu'elle ne distingue pas ni n'est adaptée à distinguer les produits de la Requérante des produits de l'Opposante en liaison avec lesquels elle emploie ou a l'intention d'employer sa marque de commerce Crosstour au Canada.

[53]           La date pertinente pour l'examen de ce motif d'opposition est la date de production de la déclaration d'opposition, soit le 7 février 2012 [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc (2004), 34 CPR (4th) 317 (CF)]. Pour s'acquitter de son fardeau de preuve initial à l'égard de ce motif, l'Opposante doit établir que sa marque de commerce était devenue suffisamment connue au Canada à cette date pour faire perdre à la Marque son caractère distinctif [voir Motel 6, Inc c No 6 Motel Ltd (1981), 56 CPR (2d) 44 (CF 1re inst); Bojangles’ International, LLC et Bojangles Restaurants, Inc c Bojangles Café Ltd (2006), 48 CPR (4th) 427 (CF)]. En l'espèce, l'Opposante ne l'a pas démontré.

[54]           Comme je l'ai mentionné à l'égard du motif d'opposition fondé sur l'article 16(3)a), tous les documents montrant l'emploi de Crosstour en tant que tel étaient datés de 2012. Par conséquent, au mieux, seule une période d'emploi d'une durée d'environ un mois peut être considérée relativement à ce motif d'opposition. Si M. Chenkin a fourni des renseignements se rapportant à la valeur et au volume des ventes qui ont été faites en 2012, ces renseignements ne sont pas répartis sur une base mensuelle. Je dois, par conséquent, conclure que l'Opposante ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait à l'égard de son motif d'opposition.

[55]           En conséquence, ce motif d'opposition est rejeté.

Décision

[56]           Compte tenu de ce qui précède, et dans l'exercice des pouvoirs qui me sont délégués en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 38(8) de la Loi.

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Lisa Reynolds

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Pierre Hétu, trad.

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