Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de Génération Nouveau Monde Inc. à la demande no 872373 produite par Teddy S.P.A en vue de l’enregistrement de la marque de commerce TERRANOVA & Dessin___________________

 

 

 

 

I Les actes de procédure

 

Le 16 mars 1998, Teddy S.P.A. (la requérante) a présenté la demande d’enregistrement no 872373 visant la marque de commerce TERRANOVA & Dessin, illustrée ci‑dessous (la marque en cause) :

TERRANOVA & DESIGN

 

pour emploi en liaison avec des robes, jupes, pantalons, chemises, vestes, paletots, imperméables, manteaux et pulls, blousons, chapeaux, écharpes, foulards, bonneterie, gants, ceintures pour vêtements (les marchandises en cause). La demande était fondée sur l’emploi projeté de la marque au Canada et sur l’enregistrement de celle-ci en Italie, pays d’origine du prédécesseur en titre de la requérante. Elle a été annoncée pour fin d’opposition dans l’édition du 12 septembre 2001 du Journal des marques de commerce.

 

Le 25 janvier 2002, Génération Nouveau Monde Inc. (l’opposante) a produit une déclaration d’opposition que le registraire a transmise à la requérante le 12 mars 2002, dans laquelle sont invoqués les motifs d’opposition suivants :

1)                  La requérante a faussement déclaré qu’à la date de la production de la demande, elle avait le droit d’employer la marque en cause au Canada en liaison avec les marchandises en cause; elle aurait dû savoir que ladite marque créait de la confusion avec la marque de commerce TERRA NOSTRA de l’opposante, marque que l’opposante avait employée antérieurement au Canada en liaison avec les mêmes marchandises que la requérante et avec des services de vente de vêtements.

2)                  La marque en cause n’est pas enregistrable, aux termes de l’al. 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), car elle crée de la confusion avec la marque déposée TERRA NOSTRA de l’opposante, portant le numéro d’enregistrement LMC476183.

3)                  Suivant l’al. 16(2)a) de la Loi, la requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la marque en cause car, à la date de la production de la demande, cette marque créait de la confusion avec la marque de commerce TERRA NOSTRA de l’opposante que cette dernière avait employée antérieurement au Canada en liaison avec des vêtements et avec des services de vente de vêtements.

4)                  Suivant l’al. 16(3)a) de la Loi, la requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la marque en cause car, à la date de la production de la demande, cette marque créait de la confusion avec la marque de commerce TERRA NOSTRA de l’opposante que cette dernière avait employée antérieurement au Canada en liaison avec des vêtements et avec des services de vente de vêtements.

5)                  La marque en cause n’est pas distinctive au sens de l’art. 2 de la Loi car, à la date de la production de l’opposition, elle n’était pas adaptée à distinguer les marchandises en cause d’autres marchandises et, plus particulièrement, des marchandises et services de l’opposante parce qu’elle créait de la confusion avec la marque déposée TERRA NOSTRA de l’opposante employée antérieurement par cette dernière.

 

Le 10 avril 2002, la requérante a produit une contre-déclaration dans laquelle elle nie chacun des motifs d’opposition.

 

L’opposante a déposé en preuve les affidavits de M. Yvan Gauthier et de M. Robert W. White, tandis que la requérante a produit ceux de M. Micheal Cormier et de Mme Nancy Ready. Bien que la requérante ait obtenu une ordonnance de contre-interrogatoire sur affidavit, elle ne s’en est pas prévalue. Les deux parties ont présenté un plaidoyer écrit, et elles étaient toutes deux représentées à l’audience.

 

II La preuve de l’opposante

 

M.Gauthier a été vice-président à l’exploitation de l’opposante depuis la constitution de celle-ci en société, au mois de décembre 1992. Il a déposé une copie certifiée conforme de l’enregistrement au nom de l’opposante de la marque de commerce TERRA NOSTRA sous le no LMC476183, pour emploi en liaison avec des vêtements et accessoires, nommément chemises, blouses, chandails, blousons, pantalons, jupes, robes, vestons, vestes, shorts, ceintures, cravates, survêtements, manteaux, foulards, sous-vêtements, bas, chapeaux et gants (les marchandises de l’opposante) et avec des services d’exploitation d'une entreprise de vente au détail de vêtements pour hommes et pour femmes (les services de l’opposante). Il déclare que l’opposante emploie la marque de commerce TERRA NOSTRA en liaison avec ses marchandises et services depuis le 26 août 1993, date à laquelle elle a ouvert son premier magasin de détail aux Galeries D’Anjou à Ville d’Anjou (Québec). À la date de l’affidavit (le 21 octobre 2002), l’opposante exploitait treize autres magasins en liaison avec la marque de commerce TERRA NOSTRA, tous situés dans la province de Québec. Les marchandises de l’opposante sont exclusivement vendues dans ces magasins, sous la marque de commerce TERRA NOSTRA. La clientèle de l’opposante est principalement constituée d’hommes et de femmes d’âge moyen qui recherchent des vêtements chics ou d’allure sportive de prix moyen à élevé. L’auteur de l’affidavit a produit, à l’appui de ses déclarations sur l’emploi de la marque de commerce, de nombreuses pièces qu’on peut présenter brièvement ainsi :

  des photos de panneaux intérieurs ou extérieurs affichant la marque TERRA NOSTRA;

  des étiquettes portant la marque TERRA NOSTRA qui sont apposées sur les vêtements vendus dans les magasins de détail de l’opposante;

  des sacs à vêtements et des cintres portant la marque TERRA NOSTRA;

  des cartes d’affaires, du papier à en‑tête, des sacs, des boîtes, du papier d’emballage, des cartes auto‑collantes, des factures, des formulaires de retouche, des formulaires de retour d’articles défectueux, employés depuis août 1993 dans chacun des magasins de détail de l’opposante et portant tous la marque de commerce TERRA NOSTRA;

  du matériel promotionnel, savoir la propre revue de l’opposante, Terra Nostra, publiée trois fois par année entre l’automne 1993 et l’été 2001, qui était envoyée aux clients de l’opposante et mise à la disposition du public dans les magasins de l’opposante pendant cette période, et qui a également été insérée dans le VMM Vision Mode Magazine à partir de l’été  2001;

  des annonces parues dans divers journaux diffusés dans la province de Québec (La Presse, le Soleil);

  un exemplaire d’un mini-magazine intitulé Terra Nostra publié au printemps 2000 et distribué avec la revue Elle Québec.

  la photocopie d’une photo qui a figuré sur un panneau publicitaire placé près du pont Champlain à Montréal pendant quatre semaines en septembre 2002.

 

M. Gauthier a fourni le montant des dépenses annuelles de l’opposante pour la promotion des magasins de détail et des vêtements TERRA NOSTRA. Entre 1993 et 2002, elle a consacré plus de 1,5 million de dollars à de telles activités promotionnelles, sans compter la publicité à frais partagés avec les propriétaires de centres commerciaux et les coupons de rabais publiés, à l’occasion, dans le VMM Vision Mode Magazine. Des exemples d’annonces et de coupons rabais ont également été produits.

 

M. Gauthier a également fourni le chiffre d’affaires annuel des magasins exploités par l’opposante en liaison avec la marque de commerce TERRA NOSTRA. Ce chiffre, qui était de plus de 3,5 millions de dollars en 1994 était passé à plus de 16,5 millions de dollars en 2001.

 

M. White est premier vice-président, Canada, de l’Audit Bureau of Circulations (ABC), et il travaille pour cette entreprise depuis 1990. Il explique qu’elle a pour mission de mesurer avec exactitude la diffusion de publications au Canada. Son affidavit donne des renseignements sur les chiffres de la diffusion payée de la revue ELLE QUÉBEC pendant les périodes de six mois se terminant le 31 décembre 1999 et le 30 juin 2000.

 

III La preuve de la requérante

 

M. Cormier a été agent de marques de commerce pour le cabinet représentant la requérante. Il a reçu instruction de se procurer des extraits du registre des marques de commerce. Dans la liste qui lui a été remise, figuraient cinq marques déposées TERRA NOVA ou TERRA NOVA et dessin, huit marques de commerce comportant le préfixe TERA, huit marques de commerce comportant le suffixe NOVA, deux marques de commerce ayant NOVA comme préfixe et huit marques de commerce comportant le mot TERRE.

 

Mme Ready a également été agente de marques de commerce pour le cabinet représentant la requérante. Elle devait consulter certains sites Web afin de trouver des renseignements au sujet de produits mis en vente sous une marque de commerce comportant notamment TERRA ou TERA comme élément. Elle a relevé des pages Web mentionnant les marques de commerce suivantes :

TERRA FIRMA : t-shirts,

TERRAMAR : pantalons et chandails molletonnés, caleçons boxeurs et gants,

MOVING COMFORT TERRA BRA : soutiens-gorges,

TERRA BOOTS : bottes,

TERRA FORCE : articles chaussants

TERRA NOVA : chaussures.

 

Elle a également produit la copie d’une circulaire de Loblaw publiée à la fin du mois de septembre 2003, qui annonçait notamment une paire de bottes de randonnée de marque TERA GEAR. Elle a en outre eu recours à des sites Web de traduction pour obtenir la traduction de l’italien à l’anglais des mots « nova » et « nostra ». Lorsqu’on ne dispose pas de renseignements sur le sens des pages Web déposées, le moins qu’on puisse dire est que leur contenu paraît ambigu. Il en appert que « nostra » se rend par « our » en anglais, mais il n’est pas clair que « nova » puisse se traduire par « new ».

 

Enfin, elle a déposé la copie d’un affidavit souscrit par M. Gauthier et produit en preuve par l’opposante dans le cadre d’une opposition élevée contre la demande d’enregistrement de la marque TERRA NOSTRA (demande no 724419) de l’opposante, qui a donné lieu à l’enregistrement no LMC476183, fondement du deuxième motif d’opposition.

 

IV Questions préliminaires

 

L’opposante soutient que les affidavits de M. Ready et de Mme Cormier sont irrecevables parce que leur teneur découle d’instructions précises données par un membre du cabinet d’agents de la requérante, lequel a indiqué les pages du registre ainsi que les sites Web que les déposants devaient consulter. Elle prétend, par conséquent, qu’il lui est impossible de contre-interroger ces derniers puisqu’ils n’ont pas effectué leur propre recherche et que les renseignements qu’ils pourraient fournir constitueraient du ouï-dire. Selon elle, les pièces déposées à l’appui des affidavits prouvent uniquement l’existence des pages Web, mais ne peuvent constituer la preuve de leur contenu.

 

Je ne suis pas prêt à dire que les réponses des déposants à toute question posée en contre-interrogatoire seraient irrecevables pour cause de ouï-dire. Sans disposer du genre de questions que l’opposante aurait pu formuler il est difficile de conclure que les réponses constitueraient du ouï-dire. La remise d’une liste de sites Web et de marques de commerce à consulter ne rend pas automatiquement irrecevable le contenu des affidavits. Bien sûr, il subsiste des incertitudes du fait que nous ignorons les paramètres de la constitution de ces listes, mais en décidant de ne pas contre-interroger les déposants, l’opposante n’a pas contredit la preuve au dossier. Toutefois, tout doute ou toute ambigüité dans la teneur de cette preuve sera interprété contre la requérante.

 

Dans le meilleur des cas, les pages Web jointes à l’affidavit de Mme Ready établissent qu’elles existaient à la date de la recherche et que des produits étaient offerts en vente. Elles ne prouvent toutefois pas que l’un quelconque de ces produits a été vendu au Canada. Pour faire la preuve de la vente de produits de tiers, par exemple, les déposants auraient pu commander les produits annoncés ou la requérante aurait pu produire des affidavits souscrits par des représentants des entreprises de vente électronique et attestant de la vente au Canada des produits annoncés pendant une période pertinente. L’opposante n’était pas en mesure de contre-interroger les déposants sur le contenu des pages Web ou sur le nombre de fois qu’elles avaient été consultées par des Canadiens, puisque les réponses à de telles questions auraient constitué du ouï-dire. Les déposants pouvaient uniquement déclarer qu’ils avaient repéré ces pages, mais cela n’établit pas que les marchandises étaient vendues au Canada pendant une période pertinente ni que ces pages aient jamais été consultées par d’autres Canadiens que les déposants.

 

Dans Envirodrive Inc. c. 836442 Alberta Inc,. 2005 ABQB 446, le juge Slatter de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta s’est exprimé ainsi sur la recevabilité de la preuve obtenue à la suite d’une recherche sur Internet :

[traduction] Le fait que ces renseignements proviennent de l’Internet n’influe pas directement sur leur recevabilité. Il n’y a aucune magie particulière dans l’obtention de renseignements sur Internet. Si une autre règle de preuve en permet la présentation, le fait qu’ils ont été obtenus sur Internet ne porte pas à conséquence. Par exemple, les tribunaux prennent connaissance d’office d’encyclopédies et de dictionnaires, sources qu’on trouve fréquemment en format électronique maintenant. La source de ces renseignements n’en altère pas la recevabilité. D’un autre côté, le simple fait qu’une chose soit à la disposition du public et facilement accessible par Internet ne la rend pas recevable. Ces éléments de preuve doivent toujours satisfaire aux règles usuelles de preuve, y compris les règles applicables au ouï-dire et au témoignage d’opinion. Naturellement, si les renseignements ne sont présentés en preuve que pour démontrer qu’ils étaient connus du public ou pour une autre fin que la preuve de leur contenu (par exemple, dans une affaire de diffamation), ils seront alors recevables : ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., [2003] C.F. 1056, 239 F.T.R. 203, par. 23.

 

Ce qu’il faut se demander c’est si les renseignements auraient été recevables s’ils avaient été obtenus d’une autre source. Par exemple, si les actionnaires minoritaires avaient présenté en preuve le rapport annuel de ce concurrent, le document aurait-il été recevable? La réponse est clairement négative. Le rapport annuel lui-même aurait constitué du ouï-dire, et il n’aurait pu être admis en preuve que si un témoin représentant l’entreprise avait attesté la véracité de son contenu. Il en va de même pour les états financiers. En outre, on peut voir dans le recours à la rémunération versée par la concurrence comme point de référence pour le salaire qu’il convient d’accorder au PDG d’Envirodrive Inc. la tentative de présenter une preuve de faits similaires, genre de preuve qu’il convient de soumettre à l’épreuve du contre-interrogatoire pour que la valeur probante en soit établie ou, subsidiairement, comme une tentative de présenter indirectement un témoignage d’opinion. Les éléments de preuve obtenus par Internet ont donc été écartés.

 

Je ne tiendrai pas compte de ces éléments de preuve en ce qui concerne le contenu des pages Web.

 

L’opposante conteste aussi la recevabilité de l’affidavit de M. Gauthier présenté à titre de pièce jointe à l’affidavit de Mme Ready. Des décisions ont établi que l’affidavit déposé par une partie dans une opposition antérieure était recevable à l’encontre de cette partie pourvu que les parties à l’opposition antérieure et les questions en litige soient les mêmes que dans la nouvelle opposition. [Voir Moosehead Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 342.] Ça n’est pas le cas en l’espèce. Premièrement, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant la nature de l’opposition à la demande d’enregistrement no 724419 au cours de laquelle l’affidavit de M. Gauthier a été déposé. Par conséquent, je ne puis déterminer si les questions en litige sont les mêmes. Deuxièmement, les parties ne sont pas les mêmes. Je fais miens les commentaires formulés par ma collègue Bradbury dans une décision en date du 4 novembre 2005, relativement à une situation analogue (demande d’enregistrement no 1027831concernant la marque de commerce GOODLIFE & Dessin) :

 

L'opposante a envisagé la possibilité que la requérante soulève qu'elle a fait valoir, à l'encontre de l'opposition de Hong Rock Trading Co., Ltd. (ici la requérante) à la demande no 1,045,773 - présentée par Direct Plus Food Group Ltd. (ici l'opposante) en ce qui concerne la marque GOODLIFE -, que les marques en litige ne prêtaient pas à confusion. Les observations soumises à ce sujet ont été versées au dossier par la requérante et en font donc partie. L'opposante n'a pas à craindre que je considère qu'il s'agit d'un aveu fait contre son intérêt, et ce, pour deux raisons. Premièrement, comme il ressort de la décision California Fashion Industries, Inc. c. Reitmans (Canada) Ltd. (1991), 38 C.P.R. (3d) 439 (C.F. 1re inst.) sur laquelle l'opposante s'est appuyée, pour déterminer si une marque de commerce crée de la confusion au sens de l'article 6 de la Loi, il faut soumettre à l'examen judiciaire une question de fait concrète et, les faits de la présente affaire ne sont pas identiques à ceux de l'instance en opposition relative à la demande no 1,045,773. Certes, les deux affaires concernent les mêmes marques, mais elles diffèrent toutefois sur plusieurs plans, notamment en ce qui concerne les dates pertinentes. Voici ce que dit la Cour dans Molson Breweries c. Labatt Brewing Co. (1996), 68 C.P.R. (3d) 202 (C.F. 1re inst.), où l’une des parties faisait valoir que le fait que l’autre partie ait antérieurement adopté une position incompatible avec celle qu’elle avançait dans l’instance en cours constituait une circonstance dont il fallait tenir compte pour déterminer s’il y a risque de confusion : « À mon avis, cette circonstance est sans importance pour ce qui est de déterminer si les deux marques de commerce en question créent de la confusion. Indépendamment des points de vue antérieurement adoptés par Labatt, je dois rendre une décision sur la confusion qui est compatible avec le droit et la jurisprudence pertinente ».

 

Par conséquent, je ne tiendrai pas compte non plus de l’affidavit de M. Gauthier daté du 19 mai 1995 présenté comme pièce jointe à l’affidavit de Mme Ready.

 

V Analyse des motifs d’opposition

 

Il est généralement accepté qu’il incombe à la requérante de démontrer que la demande d’enregistrement est conforme à l’article 30 de la Loi, mais l’opposante a le fardeau initial d’établir les faits étayant les motifs d’opposition. Lorsque l’opposante s’est acquittée de ce fardeau, il revient alors à la requérante de prouver suivant la prépondérance de la preuve que les motifs d’opposition invoqués n’empêchent pas l’enregistrement de la marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al. c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, p. 329 et 330, John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., [2002] 3 C.F. 405.] Dans l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, le juge Binnie a déclaré :

 

Comme je l’ai déjà dit, dans le cadre d’une procédure d’opposition, c’est au requérant (en l’occurrence l’intimée) qu’incombe le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir.

 

La date pertinente varie en fonction des motifs d’opposition. La date pertinente applicable au motif fondé sur la non-conformité aux exigences de l’art. 30 de la Loi est la date de la production de la demande d’enregistrement. [Voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (COMC).] Lorsque la demande d’enregistrement est fondée sur l’emploi projeté, la question du droit à l’enregistrement sera également examinée en fonction de la date de la production de la demande. [Voir le par. 16(3) de la Loi.] L’enregistrabilité de la marque est évaluée à la date de la décision du registraire. [Voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, p. 424 (C.A.F.).] Enfin, il est généralement accepté que la date à prendre en considération dans l’examen du caractère distinctif de la marque en cause est la date de la déclaration d’opposition. [Voir les arrêts E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130; [1976] 2 C.F. 3 (C.A.F.), et Park Avenue Furniture Corporation, précité, et la décision Metro‑Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.).]

 

L’opposante s’est acquittée du fardeau initial relativement au troisième, quatrième et cinquième motifs d’opposition, puisqu’elle a établi qu’elle employait sa marque TERRA NOSTRA avant la date pertinente applicable à chacun de ces motifs. De plus, elle a prouvé, à l’égard des troisième et quatrième motifs, qu’elle n’avait pas abandonné l’emploi de sa marque à la date à laquelle la marque en cause a été annoncée [par.16(5) de la Loi]. L’opposante s’est également acquittée du fardeau initial de preuve relatif au deuxième motif puisqu’elle a déposé une copie certifiée conforme de l’enregistrement no LMC476183 visant la marque de commerce TERRA NOSTRA.

 

Tous les motifs d’opposition font intervenir la question du risque de confusion entre la marque en cause et la marque TERRA NOSTRA de l’opposante. La date qui servira à l’examen de ce risque est la date de la décision. On verra clairement à la lecture de ma décision que celle‑ci aurait été la même peu importe la date retenue (date de production de la demande ou date de production de la déclaration d’opposition).

 

Dans l’arrêt Mattel, Inc. précité, le juge Binnie s’est exprimé ainsi au sujet de l’application des critères d’évaluation du risque de confusion prévus au par. 6(5) de la Loi :

 

Pour l’application du critère de « toutes les circonstances de l’espèce », le par. 6(5) de la Loi énumère cinq facteurs à prendre en compte pour décider si une marque de commerce crée ou non de la confusion.  Ce sont : « a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent ».  La liste des circonstances n’est pas exhaustive et un poids différent sera attribué à différents facteurs selon le contexte.  Voir Gainers Inc. c. Marchildon, [1996] A.C.F. no 297 (QL) (1re inst.).  Comme je l’ai déjà dit, dans le cadre d’une procédure d’opposition, c’est au requérant (en l’occurrence l’intimée) qu’incombe le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir.

[…]

Quel point de vue faut‑il alors adopter pour apprécier la probabilité d’une « conclusion erronée »?  Ce n’est pas celui de l’acheteur prudent et diligent.  Ni, par ailleurs, celui du « crétin pressé », si cher à certains avocats qui plaident en matière de commercialisation trompeuse : Morning Star Co‑Operative Society Ltd. c. Express Newspapers Ltd., [1979] F.S.R. 113 (Ch. D.), p. 117.  C’est plutôt celui du consommateur mythique se situant quelque part entre ces deux extrêmes, surnommé « l’acheteur ordinaire pressé » par le juge en chef Meredith dans une décision ontarienne de 1927 : Klotz c. Corson (1927), 33 O.W.N. 12 (C.S.), p. 13.  Voir aussi Barsalou c. Darling (1882), 9 R.C.S. 677, p. 693.  Dans Aliments Delisle Ltée c. Anna Beth Holdings Ltd. reflex, (1992), 45 C.P.R. (3d) 535 (C.O.M.C.), le registraire a dit, à la p. 538 :

Pour évaluer la question de la confusion, il faut examiner les marques de commerce du point de vue du consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque de l'opposante, qui pourrait tomber sur la marque de commerce de la requérante utilisée sur le marché en liaison avec ses marchandises.

 

(a)    Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou nom commerciaux et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus

 

La marque TERRA NOSTRA de l’opposante possède un caractère distinctif inhérent du fait que ses composantes ne sont pas des mots anglais ou français et qu’elles ne suggèrent pas la nature ou la qualité des marchandises ou services associés à la marque. Il en va de même pour la marque en cause, et l’opposante l’admet dans son plaidoyer écrit. Toutefois, la preuve soumise par l’opposante au sujet de son emploi de la marque TERRA NOSTRA, décrite précédemment, établit clairement que cette marque est connue au Québec. Par conséquent, ce facteur favorise l’opposante.

 

(b)   La période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage

 

Il n’y a aucun élément de preuve de l’emploi de la marque en cause. L’opposante, elle, emploie sa marque TERRA NOSTRA au Canada depuis le mois d’août 1993 au moins, en liaison avec des vêtements et avec l’exploitation de magasins de vente au détail de vêtements pour hommes et pour femmes. Ce facteur favorise également l’opposante.

 

(c)    Le genre de marchandises et services et (d) la nature du commerce

 

Les marchandises de la requérante sont de même nature que celles que l’opposante vend sous la marque de commerce TERRA NOSTRA. La requérante soutient qu’une distinction s’impose entre les réseaux de vente puisque les marchandises de l’opposante sont vendues exclusivement dans ses propres magasins de détail. Toutefois, l’examen du présent facteur s’effectue essentiellement en fonction de la description des marchandises figurant au certificat d’enregistrement. [Voir Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3, p. 10‑11 (C.A.F.); Henkel Kommadnitgellschaft c. Super Dragon (1986), 12 C.P.R. (3d) 110, 112 (C.A.F.); Miss Universe Inc. c. Dale Bohna (1994), 58 C.P.R. (3d) 381, p. 390‑392 (C.A.F.).] L’opposante pourrait bien décider d’offrir ses articles en vente dans des magasins de détail exploités par des tiers où les marchandises de la requérante pourraient se trouver. L’enregistrement de la marque de l’opposante ne comporte aucune restriction limitant la vente des marchandises à ses propres magasins. Ces facteurs favorisent également l’opposante.

 

 

(e)    Le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent

 

Ce facteur a suscité le commentaire suivant du juge Cattanach dans la décision Beverly Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstery Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145, conf. par 60 C.P.R. (2d) 70 :

À toutes fins pratiques, le facteur le plus important dans la plupart des cas, et celui qui est décisif, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent, les autres facteurs jouant un rôle secondaire.

 

Il est établi que le premier mot d’une marque de commerce est important lorsqu’il s’agit de comparer les marques de commerce dans l’analyse du caractère distinctif. [Voir Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183.] Le premier élément de la partie sonore de la marque en cause est identique à la marque de commerce TERRA NOSTRA de la requérante. De plus, au plan phonétique, les marques ne diffèrent que par la dernière syllabe. La marque en cause comporte un élément graphique, mais il ne peut être considéré comme l’élément dominant de celle-ci. Après avoir appliqué le critère décrit dans l’extrait précité de Mattel Inc., je conclus que le consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque TERRA NOSTRA de l'opposante, pourrait penser que les marchandises en cause ont l’opposante pour source. Je suis d’avis que, globalement, ce facteur favorise l’opposante.

 

(f) Autres circonstances

 

Selon la requérante, la preuve de l’état du registre démontre que beaucoup de marques de commerce comprennent le terme TERRA ou TERA et que, de toute façon, il existe déjà d’autres marques déposées TERRA NOVA. L’opposante invoque la distinction faite par la requérante à propos de ces marques dans sa réponse au rapport de l’examinateur en date de 30 juin 1999, où elle indiquait que les vêtements visés par les enregistrements LMC552799 et LMC552800, détenus par Petro-Canada, sont des accessoires du produit final décrit dans la demande d’enregistrement de cette dernière, qui servent à la promotion de ce produit. Cette correspondance entre le registraire et la requérante n’a pas été produite en preuve et, bien que des décisions aient indiqué que le registraire jouit du pouvoir discrétionnaire de consulter le registre dans certains cas, je ne crois pas que le traitement de la demande d’enregistrement fasse partie de ces cas. [Voir Loblaw’s Inc. c. Telecombo Inc., non publiée, demande no 857320, 15 décembre 2004, (COMC).] La requérante doit être au courant des allégations auxquelles elle devra répondre à l’étape des plaidoiries, lesquelles doivent se limiter à la preuve fournie. Autrement, il pourrait y avoir « procès par embuscade », une situation qui n’est absolument pas encouragée de nos jours. Je ne prendrai pas cette correspondance en considération.

 

Les enregistrements no LMC552799 et LMC552800 visent les marchandises suivantes :

Produits de condensation du  brut et du gaz naturel et fournitures diverses, nommément chandails, parkas d’hiver, formulaires papier, bloc‑notes, cartes, nommément cartes d’affaires et de souhaits, livres et autocollants, enveloppes, drapeaux, balles et tees de golf, insignes d’identité, sacs à provision, trousses de survie et de premiers soins, disques à lancer en plastique, ballons, aimants pour réfrigérateur, sous‑verres, grosses tasses.

 

Il appert de cette description et, plus particulièrement, des mots « diverses fournitures » placés à la suite d’un énoncé de marchandises comme du pétrole brut et du gaz naturel que les vêtements doivent servir à la promotion de la vente du pétrole brut et du gaz naturel. Par conséquent, les marques de commerce citées en exemple ne sont pas d’un grand secours pour la requérante.

 

La demande no 1031742 visant la marque de commerce TERA GEAR & Dessin fait l’objet d’une opposition. Pour ce qui est des enregistrements nLMC230890 et LMC505698 relatifs à la marque TERRA NOVA de Terra Nova Shoes Limited, ils se rapportent à des chaussures. L’enregistrement no NFLD0150, relatif à la marque TERRANOVA & Dessin, vise les marchandises suivantes :

[traduction] Tissu de lin et de chanvre à la pièce; lignes de pêche; cordages et ficelles; câbles d’entraînement, lignes de loch et lignes de sonde, couvertures et bâches imperméables de toute sorte; matériel de campement imperméable, vêtements imperméables; tissu de coton et de jute à la pièce; vêtements pour chevaux; tentes; poches et sacs.

 

Il ressort de ces descriptions que les réseaux de vente de l’opposante différeraient de ceux des propriétaires de ces marques de commerce.

 

Même si les réseaux de vente étaient identiques pour toutes les marques de commerce TERRA NOVA ou TERRANOVA susmentionnées, on ne parle que de cinq enregistrements, un nombre qui est loin d’être suffisant pour fonder une conclusion favorable à la requérante en ce qui concerne l’état du marché. [Voir Welch Foods Inc. c. Del Monte Corp. (1993), 44 C.P.R. (3d) 205.]

 

Enfin, huit marques déposées, en plus des marques TERRA NOVA ou TERRANOVA, comportent le préfixe TERRA ou TERA. Toutefois, cinq d’entre elles sont la propriété de la même entité. Encore une fois, la preuve relative à l’état du registre ne permet pas de conclure que l’introduction d’une autre marque de commerce comportant le préfixe TERRA ne risquerait pas de créer de la confusion avec la marque TERRA NOSTRA de l’opposante.

 

 

VI Conclusion

 

Je conclus que la requérante n’a pas prouvé suivant la prépondérance des probabilités, comme il le lui incombait, qu’il n’existe pas de risque de confusion entre la marque en cause et la marque TERRA NOSTRA de l’opposante. Cette conclusion découle du fait que la marque en cause ressemble à la marque TERRA NOSTRA de l’opposante, laquelle est connue au Québec, et que la nature des marchandises et leurs réseaux de vente sont similaires.

 

J’accueille donc les deuxième, troisième, quatrième et cinquième motifs d’opposition. Vu ma conclusion au sujet de ces motifs, il n’est pas nécessaire de déterminer si le premier motif, tel qu’il est rédigé, est un motif d’opposition valide et s’il doit être accueilli.

 

En conséquence, en vertu de la délégation des pouvoirs du registraire des marques de commerce faite sous le régime du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la demande d’enregistrement en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

 

FAIT À MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 28 JUIN 2006

 

 

 

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

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