Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de 118276 Canada Inc. à la

demande no 1183228 produite par

JSC Trade Company Wimm-Bill-Dann

en vue de l’enregistrement de la marque de commerce RIO GRANDE & DESSIN

 

 

Le 3 juillet 2003, JSC Trade Company Wimm-Bill-Dann (la « Requérante ») a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce RIO GRANDE & DESSIN (la « Marque ») reproduite ci-dessous :

 

RIO GRANDE & Design

 

La demande, telle que révisée le 29 novembre 2005, est fondée sur l’emploi de la Marque au Canada en liaison avec les marchandises suivantes : « Jus, nommément jus de fruits » (les « Marchandises ») depuis à tout le moins le 5 janvier 2001, ainsi que l’emploi et l’enregistrement de la Marque dans la Fédération de Russie depuis le 29 avril 1999 sous le numéro 174670.

 

La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 12 mai 2004.

 

Le 28 juin 2004, Briska Inc. (la prédécesseure en titre de 118276 Canada Inc. (l’« Opposante »)) a produit une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande. Les motifs d’opposition sont, en résumé, les suivants :

 

  1. La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, ch. T-13, modifiée) (la « Loi »), parce que la Requérante n’a pas employé la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises depuis la date du premier emploi revendiqué;
  2. La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30d) de la Loi, parce que la Requérante n’employait pas la Marque dans la Fédération de Russie en liaison avec les Marchandises à la date de la production de la demande au Canada;
  3. La Marque n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce RIO GRANDE de l’Opposante, enregistrée au Canada sous le no55494 en liaison avec la bière;
  4. La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque suivant l’alinéa 16(1)a) de la Loi parce qu’à la date du premier emploi revendiqué au Canada, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce RIO GRANDE qui était antérieurement employée au Canada par l’Opposante en liaison avec la bière;
  5. La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque suivant l’alinéa 16(2)a) de la Loi parce qu’à la date de la production de la demande, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce RIO GRANDE qui était antérieurement employée au Canada par l’Opposante en liaison avec la bière;
  6. La Marque de la Requérante n’est pas distinctive suivant le paragraphe 38(2) de la Loi parce qu’elle ne distingue pas et n’est pas adaptée à distinguer ses Marchandises de celles de l’Opposante.

 

Dans sa contre-déclaration du 25 août 2004, la Requérante a nié toutes les allégations faites dans la déclaration d’opposition.

 

À l’appui de sa déclaration d’opposition, l’Opposante a produit l’affidavit de Guy Jinchereau, souscrit le 24 mars 2005. À l’appui de sa demande, la Requérante a produit l’affidavit de Naum Bespaly, souscrit le 28 novembre 2005.

 

Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit. Seule l’Opposante était présente lors de l’audience.

 

Fardeau de preuve

 

Il incombe à la Requérante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la demande satisfait aux exigences de la Loi. L’Opposante doit toutefois s’acquitter d’un fardeau initial en produisant une preuve admissible suffisante de laquelle on peut raisonnablement inférer les faits étayant chaque motif d’opposition. L’imposition du fardeau de preuve à la Requérante signifie que, s’il est impossible d’arriver à une conclusion définitive une fois l’ensemble de la preuve produite, il faut rendre une décision qui lui est défavorable [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d)

 

Par l’entremise de l’affidavit Jinchereau, l’Opposante a produit une copie certifiée de l’enregistrement no 554942 de la marque de commerce RIO GRANDE. J’estime que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial relativement à ce motif d’opposition puisque son enregistrement est en règle.

 

Compte tenu de la preuve produite par l’Opposante, la Requérante doivent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre sa Marque et celle de l’Opposante. La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corp. c. Wickers/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)].

 

Le test en matière de confusion a trait à la première impression et au souvenir vague. Aux termes du paragraphe 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

Pour appliquer le test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances, dont celles indiquées au paragraphe 6(5) de la Loi soit : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte [voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.), et Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée (2006), 49 C.P.R. (4th) 401, [2006] 1 R.C.S. 824 (C.S.C.) pour un examen approfondi des principes généraux qui régissent le test en matière de confusion].

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

 

La Marque est formée des mots RIO GRANDE employés ensemble avec des caractéristiques graphiques, notamment un dessin de feuille, le tout dans un encadré, tandis que la marque de l’Opposante est formée des mots RIO GRANDE seulement.

 

Dans son plaidoyer écrit, la Requérante soutient qu’il est de connaissance générale que les mots RIO GRANDE font référence à une rivière du sud-ouest de l’Amérique du Nord. La Requérante cite à cet égard le dictionnaire Webster qui définit RIO GRANDE comme étant une rivière prenant source au Colorado et traversant le centre du Nouveau-Mexique. Comme les marques en cause ne sont pas formées de mots fabriqués ou inventés possédant un caractère distinctif très élevé, la Requérante fait valoir que leur caractère distinctif inhérent est faible. Bien que l’Opposante ne conteste pas le fait que RIO GRANDE fait référence à une région géographique bien connue qui est indiquée dans les dictionnaires d’usage courant et les atlas, elle soutient que RIO GRANDE ne peut constituer une description de sa bière. Je suis d’accord avec l’Opposante et j’estime que le même raisonnement s’applique à la Marque de la Requérante et aux Marchandises liées à celle-ci. Les deux marques possèdent un certain caractère distinctif inhérent. Bien qu’on ne puisse dire qu’elles constituent des marques fortes en soi, on ne peut non plus affirmer qu’elles possèdent un caractère inhérent faible puisqu’à ma connaissance la marque RIO GRANDE n’a pas acquis une réputation en liaison avec les marchandises des parties.

 

Il est possible de renforcer la solidité d’une marque de commerce en la faisant connaître par la publicité et l’emploi. Quant à l’emploi et à la publicité de la marque de commerce RIO GRANDE par l’Opposante, l’affidavit Jinchereau établit ce qui suit.

 

M. Jinchereau affirme être le directeur du développement des produits pour Métro Richelieu Inc. dont il dit que Briska Inc. est une filiale. Comme le nom de l’Opposante est passé de Briska Inc. à 118276 Canada Inc. en raison du changement de propriétaire inscrit pour l’enregistrement no 554942 de la marque de commerce RIO GRANDE, je désignerai Briska Inc. et/ou l’Opposante collectivement comme étant l’« Opposante ».

 

M. Jinchereau est responsable de la commercialisation de la bière RIO GRANDE depuis 2001. Il indique que la bière de l’Opposante est en vente dans la province de Québec depuis août 1998. M. Jinchereau joint à son affidavit des photos de bouteilles de bière RIO GRANDE de l’Opposante et des emballages, de même que des échantillons représentatifs d’étiquettes, de bouchons de bouteilles et d’emballages de carton portant la marque RIO GRANDE de l’Opposante. Ces échantillons indiquent clairement que la bière RIO GRANDE est embouteillée pour l’Opposante.

 

Depuis son introduction sur le marché, la bière RIO GRANDE a été vendue dans plus de 150 épiceries de la province de Québec, notamment dans les épiceries MÉTRO, MÉTRO PLUS, SUPER C et MARCHÉ RICHELIEU. M. Jinchereau joint à son affidavit une liste d’épiceries ayant fait une commande de bière RIO GRANDE de l’Opposante en 2004 aux fins de revente au public ainsi que les quantités commandées. Il a également joint à son affidavit un imprimé fourni par les épiceries SUPER C faisant état des ventes de bière RIO GRANDE entre le 25 mai 2003 et le 13 mars 2005. M. Jinchereau explique qu’il a été possible d’obtenir ces renseignements puisque les épiceries SUPER C appartiennent à Métro Richelieu Inc.

 

M. Jinchereau affirme que, depuis août 1998, les ventes annuelles de bière RIO GRANDE ont varié entre 7 000 et 9 000 caisses de 24 bouteilles de 341 ml au prix moyen de 21 $ la caisse. Il ajoute que la bière de l’Opposante n’a pas été commercialisée entre janvier 2002 et juin 2003 car l’ Opposante était alors à la recherche d’un nouveau fabriquant pour son produit.

 

M. Jinchereau indique que, compte tenu du caractère saisonnier de la bière RIO GRANDE, elle n’est principalement commercialisée que du mois d’avril au mois de septembre. Habituellement, elle fait l’objet d’une publicité une fois par mois. Cette publicité paraît, pour l’essentiel, dans les circulaires des bannières MÉTRO, MÉTRO PLUS, SUPER C et MARCHÉ RICHELIEU. Chaque semaine, environ 2 500 000 circulaires sont distribuées dans la province de Québec. M. Jinchereau joint à son affidavit des spécimens représentatifs de circulaires pour les mois d’avril à juillet 2004, faisant la promotion, entre autres produits, de la bière RIO GRANDE vendue en paquet de six. Comme l’a souligné l’Opposante, la bière RIO GRANDE est annoncée dans certains de ces circulaires à côté d’autres bières et boissons tels que jus et cocktails de fruits, thés glacés, boissons gazeuses, boissons désaltérantes, eaux de source et eaux minérales, vins, etc.

 

M. Jinchereau conclut son affidavit en affirmant qu’il est connu que les épiceries qui vendent de la bière dans la province de Québec et dans les autres provinces vendent, de façon générale, également des jus de fruits.

 

Quant à la publicité et à l’emploi de la Marque par la Requérante, l’affidavit de Bespaly établit ce qui suit.

 

M. Bespaly indique qu’il est le directeur de Wonder Berry Inc. (« Wonder ») et que Wonder est le distributeur canadien exclusif de la Requérante depuis octobre 2000.

 

M. Bespaly affirme être très familier avec toute la gamme des jus et produits laitiers de la Requérante et joint à son affidavit des imprimés du site Web de celle-ci en date du 17 novembre 2005 indiquant ces produits et les marques sous lesquelles ils sont vendus et affirmant que la Requérante constitue, en Russie, une meneuse dans le secteur de la transformation du lait et un nom commercial de produits laitiers et de jus de fruits bien connu. Wonder importe de la Requérante divers produits de jus pour revente au Canada. M. Bespaly indique que, grâce aux efforts de Wonder en matière de promotion et de commercialisation et grâce à sa participation à divers salons de l’alimentation et à ses dégustations dans les points de vente, les produits de la Requérante [traduction] « sont de plus en plus acceptés par les consommateurs canadiens ».

 

M. Bespaly affirme que la Requérante produit sept sortes de jus commercialisés sous la Marque et joint à son affidavit une brochure les identifiant. Il indique que les jus RIO GRANDE & DESSIN sont des jus de très grande qualité, des produits de première qualité qui imposent des prix supérieurs. Par ailleurs, il fait valoir que, bien que tous les jus de la Requérante soient disponibles pour la vente au Canada, seul le jus de grenade RIO GRANDE & DESSIN est vendu au Canada à ce jour en raison des coûts et autres considérations commerciales. Ce jus de grenade est vendu environ 6,99 $ l’unité. Un contenant vide de jus de grenade tel que vendu au Canada est joint à l’affidavit de M. Bespaly. Les deux échantillons, soit la brochure et le contenant, identifient Wonder à titre de « personne ressource » ou d’« importateur et distributeur exclusif ». Toutefois, comme l’a souligné l’Opposante, le dessin de marque reproduit sur ces échantillons ne correspond pas exactement au dessin de la Marque en ce que le dessin de feuille a été remplacé par une image de pierre précieuse. J’examinerai cette question plus loin dans ma décision.

 

M. Bespaly poursuit en indiquant que Wonder fait appel aux principaux distributeurs en alimentation et [traduction] « vend directement aux magasins de spécialité ethnique », ce qui lui a permis de faire entrer ses produits en Ontario, au Québec, dans les Maritimes et en Colombie-Britannique. Wonder dessert plus de 500 commerces du Canada, y compris de grandes chaînes alimentaires de l’Ontario, telles que National Grocers, No-Frills, Fortino’s et Highland Farms. M. Bespaly joint à son affidavit une liste des commerces auxquels Wonder vend directement ses jus RIO GRANDE & DESSIN.

 

M. Bespaly affirme que Wonder vend le jus RIO GRANDE & DESSIN au Canada depuis décembre 2000 et il fournit le montant approximatif des ventes annuelles de ce jus pour les années 2001 à 2005. Ce montant varie entre 10 000 $ (pour un nombre d’unités estimé à 2 200) et 50 000 $ (pour un nombre d’unités estimé à 10 000). De plus, il joint à son affidavit des exemples de factures indiquant des ventes de jus RIO GRANDE & DESSIN par Wonder entre le 10 septembre 2001 et le 5 septembre 2002.

 

M. Bespaly mentionne également que la commercialisation et la promotion du jus RIO GRANDE & DESSIN se fait par des dégustations gratuites en magasin et par la participation à tous les grands salons de l’alimentation au Canada et aux États-Unis. Wonder tient 3 à 5 dégustations par semaine dans des points de vente du Canada et chacune de ces dégustations lui coûte environ 200 $. Il joint à son affidavit une liste des salons de l’alimentation au Canada et aux États-Unis auxquels il a pris part au cours des dernières années. Plus précisément, Wonder a participé à 8 salons de l’alimentation au Canada et deux salons aux États-Unis. Il indique que, lors de la Kosher World Conference & Expo tenue en mai 2005 à Los Angeles, le jus RIO GRANDE & DESSIN a gagné le prix « Best of Show » pour les jus. Il manque toutefois des pages dans la copie du certificat « Best of Show » accordé au jus RIO GRANDE & DESSIN qui est jointe à l’affidavit de M. Bespaly. Ce dernier conclut son affidavit en affirmant que, selon les estimations, Wonder aurait dépensé plus de 20 000 $ sur une période de 5 ans pour la promotion et la commercialisation des jus RIO GRANDE & DESSIN au Canada.

 

L’Opposante a soutenu dans son plaidoyer écrit et lors de l’audience que l’affidavit Bespaly devait être écarté de la preuve produite par la Requérante dans la présente affaire parce qu’il n’avait pas été produit par la Requérante, mais par son distributeur et que cette preuve ne démontre pas que les ventes de Marchandises ont été faites par la Requérante au distributeur. Je ne suis pas d’accord. Non seulement l’affidavit de M. Bespaly portant que Wonder est le distributeur canadien exclusif de la Requérante n’est ni contredit ni contesté, mais il est également étayé par la preuve d’emploi de la Marque qui identifie Wonder à titre d’importateur et de distributeur exclusif des Marchandises.

 

Compte tenu de ce qui précède, et pour conclure l’examen de ce premier facteur, je suis convaincue que les deux marques sont employées presque dans la même mesure au Canada. L’examen global de ce premier facteur ne favorise aucune partie.

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

 

Compte tenu des conclusions auxquelles je suis parvenue ci-dessus et compte tenu du fait que les deux marques ont été employées au Canada pendant la même période de temps à toutes fins pratiques, ce facteur ne favorise aucune partie.

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises et d) la nature du commerce

 

Compte tenu du genre de marchandises et de la nature du commerce, je dois comparer l’état déclaratif des marchandises de la Requérante à celui de l’enregistrement invoqué par l’Opposante [voir Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c. Super Dragon Import Export Inc. (1986), 12 C.P.R. (3d) 110 (C.A.F.); Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.)].

 

Tel qu’indiqué plus haut, l’enregistrement de l’Opposante porte sur de la bière tandis que la demande de la Requérante a trait à des jus de fruits. La Requérante soutient dans son plaidoyer écrit que les marchandises des parties ne sont pas liées simplement parce qu’elles sont toutes deux vendues dans des épiceries et que, de toute façon, les jus de fruits et la bière sont aussi éloignés que le sont la viande et les biscuits, si ce n’est davantage.

 

Plus précisément, la Requérante fait valoir que, bien que l’on retrouve, dans certaines des circulaires jointes à l’affidavit Jinchereau, les produits de bière RIO GRANDE à la même page que diverses boissons aux fruits, on y retrouve également toutes sortes d’autres produits imaginables, allant des friandises glacées au fudge aux nettoyants domestiques, en passant par le beurre d’arachides, etc., que l’on retrouve habituellement dans des sections complètement opposées de l’épicerie. Elle soutient que rien ne démontre que les marchandises des parties sont vendues côte à côte ou non loin les unes des autres et que, habituellement, une allée spécifique de l’épicerie est réservée aux boissons alcoolisées dans les épiceries.

 

Par ailleurs, la Requérante fait valoir que ses Marchandises sont des jus haut de gamme, puisque ce sont des jus de très grande qualité, susceptibles d’attirer [traduction] « la clientèle sophistiquée du marché haut de gamme des spécialités qui est disposée à payer un prix supérieur pour un produit supérieur ». Se fondant sur l’affidavit de M. Bestaly selon lequel les produits de la Requérante [traduction] « sont de plus en plus acceptés par les consommateurs canadiens », elle présume que ceci signifie que le consommateur canadien est de plus en plus disposé à payer un prix supérieur pour un produit de grande qualité. La Requérante, comparant les prix de vente des marchandises des parties, soutient que la bière de l’Opposante vise [traduction] « davantage une clientèle de gens bénéficiant de l’aide sociale ou ayant un faible revenu de tous âges qui sont intéressés à acheter de la bière à faible prix ».

 

L’Opposante allègue au contraire que les marchandises des parties appartiennent à une même catégorie générale, soit les boissons, et sont de nature similaire. Elle soutient également que les voies de commercialisation se chevauchent en ce que les marchandises des parties peuvent être vendues dans le même genre de points de vente au Canada.

 

Bien que j’estime que les boissons non alcoolisées de la Requérante et les boissons alcoolisées de l’Opposante ne relèvent pas de la même industrie, les marchandises des parties sont quelque peu liées en ce qu’on peut affirmer qu’elles appartiennent toutes deux à la même catégorie générale, soit les boissons.

 

De plus, bien que je sois d’accord avec la Requérante pour affirmer qu’aucun élément de preuve ne démontre que les marchandises des parties sont vendues côte à côte ou non loin les unes des autres, la preuve établit toutefois que les voies de commercialisation des parties se chevauchent. Wonder ne fait pas que vendre [traduction] « directement aux magasins de spécialité ethnique », elle vend également par l’entremise d’importants distributeurs en alimentation, ce qui comprend les grandes chaînes alimentaires similaires à celles employées par l’Opposante. Par ailleurs, même si j’admets qu’habituellement une allée spécifique est réservée exclusivement aux boissons alcoolisées dans les épiceries, il est possible que ce ne soit pas toujours le cas. Différents genres de boissons pourraient bien être vendus dans la même allée réservée aux « boissons », tout comme il se peut qu’ils soient vendus dans des sections différentes de l’épicerie. De plus, il importe de se rappeler que le paragraphe 6(2) de la Loi n’exige ni que les marchandises des parties soient vendues côte-à-côte ni qu’elles appartiennent à la même catégorie générale.

 

La qualité supérieure alléguée des Marchandises de la Requérante combinée à l’écart de prix entre les marchandises des parties, ainsi que l’écart de prix par rapport à d’autres jus similaires vendus en épicerie, n’ont pas d’incidence significative sur l’examen ci-dessus puisque l’écart de prix n’est que de quelques dollars.

 

Pour conclure sur les troisième et quatrième facteurs, je suis d’avis que, bien que la différence quant à la nature des marchandises des parties tende à favoriser la Requérante, l’examen global des voies de commercialisation des parties favorise l’Opposante.

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

 

« À toutes fins pratiques, le facteur le plus important dans la plupart des cas, et celui qui est décisif, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent, les autres facteurs jouant un rôle secondaire. » [Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1reinst.), à la page 149, confirmé par (1982), 60 C.P.R. (2d) 70 (C.A.F.)]

 

Par ailleurs, il est bien établi en jurisprudence que la probabilité de confusion est une question de première impression et de souvenir vague. Ce principe a été repris par la Cour suprême dans l’arrêt Veuve Clicquot [précité] :

20        Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.  Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202 :

[traduction] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement.  Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu'il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion.

 

...les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d'empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque. (Citant Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

 

Les marques en cause sont quasi identiques, les seules différences étant les particularités graphiques ajoutées à la Marque de la Requérante, lesquelles n’ont pas d’incidence significative sur l’élément dominant de la marque que constituent les mots RIO GRANDE.

 

Dans son plaidoyer écrit, la Requérante soutient que RIO GRANDE évoquera probablement les paysages tropicaux et la géographie du Mexique et du Brésil pour les acheteurs éventuels et que cette perception est certainement renforcée par l’image d’un homme semblant d’origine et de culture mexicaines et portant une moustache fournie qu’on trouve sur les étiquettes du produit de l’Opposante. La Requérante fait valoir que la Marque comporte des particularités graphiques, plus précisément un dessin de feuille, un élément qui établit une distinction entre les marques et qui évoque la nature. Elle soutient donc que l’idée suggérée par sa Marque est complètement différente des impressions laissées par la marque de l’Opposante et est renforcée par les caractéristiques de l’emballage puisque, contrairement à l’évocation du sud-ouest du Mexique, la Marque de la Requérante suggère davantage les tropiques ou la nature. L’Opposante allègue pour sa part que l’enregistrement de sa marque de commerce porte sur les mots RIO GRANDE et que rien ne l’empêche de modifier ses emballages de bière RIO GRANDE. Je suis d’accord avec l’Opposante. Aussi, tel que mentionné précédemment, le dessin de feuille sur lequel la Requérante fonde son argument a été remplacé par l’image d’une pierre précieuse dans le dessin de la Marque sur les emballages et les brochures qui sont joints à l’affidavit Bespaly, ce qui diminue l’importance du dessin de feuille de la Marque de la Requérante contrairement à ce que celle-ci fait valoir.

 

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que ce cinquième facteur favorise l’Opposante.

 

Conclusion concernant la probabilité de confusion

 

Pour appliquer le test en matière de confusion, j’ai envisagé l’affaire sous l’angle de la première impression et du souvenir vague. Bien qu’il y ait des différences dans la nature des marchandises des parties, le fait demeure que ces marchandises sont toutes deux des boissons, que leurs voies de commercialisation se chevauchent et que les marques en cause sont quasi identiques. En conséquence, je conclus que l’Opposante a soulevé suffisamment de doutes quant à la probabilité de confusion et que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’il était peu probable qu’une personne ayant un souvenir imparfait de la marque RIO GRANDE de l’Opposante en liaison avec la bière n’ait pas tout de suite l’impression que les Marchandises de la Requérante proviennent d’une source commune.

 

Ceci dit, et bien que cet argument n’ait pas été soulevé par les parties, je suis consciente que, à titre de circonstances de l’espèce, aucune preuve de confusion entre les marques en cause n’a été produite malgré le fait que les marques coexistent en quelque sorte dans la province de Québec depuis environ quatre ans. Cependant, comme l’Opposante ne fait affaire que dans les magasins des grandes chaînes d’alimentation du Québec, tandis que l’emploi de la Marque de la Requérante au Québec semble se limiter pour le moment aux magasins d’importation de spécialités et aux boutiques gastronomiques (par opposition aux magasins des grandes chaînes d’alimentation comme elle le fait en Ontario), je ne suis pas disposée à conclure qu’une telle coexistence a une incidence négative importante sur la probabilité de confusion entre les marques en cause. À mon avis, cette circonstance de l’espèce ne fait, tout au plus, que rendre la probabilité de confusion tout aussi probable qu’improbable. Cependant, comme il incombait à la Requérante de démontrer l’absence de probabilité raisonnable de confusion, je dois tout de même conclure à l’encontre de celle-ci. Le motif d’opposition relatif à l’alinéa 12(1)d) est donc accueilli.

 

Motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif

 

En ce qui a trait à l’opposition fondée sur le caractère distinctif d’une marque, l’opposante s’acquitte de son fardeau de preuve si elle démontre que, à la date de la production de l’opposition, sa marque de commerce était devenue connue jusqu’à un certain point, soit suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque attaquée [voir Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.]. L’Opposante s’est acquittée de son fardeau.

 

Comme l’analyse de la probabilité de confusion suivant ce motif diffère peu du motif d’opposition suivant l’alinéa 12(1)d), ma conclusion est donc la même, à savoir que le motif d’opposition lié au caractère distinctif est également accueilli.

 

Autres motifs d’opposition

 

Étant donné ma conclusion en faveur de l’Opposante relativement à plus d’un motif, je n’examinerai pas les autres motifs d’opposition.

 

Décision

 

En vertu des pouvoirs qui me sont délégués par le registraire des marques de commerce au paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande en application du paragraphe 38(8).

 

FAIT À Montréal (Québec), le 21 octobre 2008.

 

Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.

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