Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION PAR Tradition Fine Foods Ltd. à la demande d’enregistrement No. 844912 pour la marque de commerce BAGEL TRADITION’L et dessin, propriété de 3102-6636 Québec Inc.

 

 

I           Les Procédures

 

 

3102-6636 Québec Inc. (la «Requérante») a déposé le 13 mai 1997 une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce BAGEL TRADITION’L et dessin telle qu’illustrée ci-après, fondée sur un emploi projeté :

 (la «Marque»)

 

en liaison avec des produits de boulangerie nommément: bagel, pizza-bagel, pâte et pâtisserie et autres produits alimentaires nommément: fromage en crème (collectivement désigné ci-après « les Marchandises ») et les services d’exploitation de restaurants et d'autres services connexes, nommément: préparation de mets à apporter et services de traiteurs (ci-après désigné « les Services »). La demande d’enregistrement fut publiée le 28 janvier 1998 dans le journal des marques de commerce.

 

Tradition Fine Foods Ltd (l’«Opposante») déposa le 14 mai 1998 une déclaration d’opposition. Les motifs d’opposition de l’Opposante peuvent se résumer ainsi :

1) La Marque n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)(d) de la Loi sur les marques de commerce (« la Loi ») car elle porte à confusion avec les marques de commerce déposées de l’Opposante à savoir :

-TRADITION, certificat d’enregistrement numéro TMA406696 en liaison avec des produits de boulangerie congelés, nommément de la pâte à muffins, gâteaux et biscuits, des croissants, danoises et autres pâtisseries;

-TRADITION, certificat d’enregistrement numéro TMA487365 en liaison avec des produits de boulangerie, nommément muffins, croissants, biscuits, gâteaux et pâtisseries;

-TRADITION SCOOP’ N BAKE et dessin, certificat d’enregistrement numéro TMA409680 pour des produits de boulangerie, nommément de la pâte à gâteaux et muffins;

2) La requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu des dispositions de l’alinéa 16(3) de la Loi car la Marque porte à confusion avec les marques de commerce de l’Opposante pour lesquelles des demandes d’enregistrement furent préalablement produites, à savoir :

-Demande d’enregistrement numéro 807969 pour la marque de commerce HEALTHY TRADITION en liaison avec des muffins, biscuits et gâteaux congelés, produite le 22 mars 1996. (L’Opposante ne fonde plus ce motif d’opposition sur cette demande d’enregistrement car elle est réputée avoir été abandonnée en vertu de l’article 40(3) de la Loi);

-Demande d’enregistrement numéro 831734 pour la marque de commerce TRADITION & muffins graphisme en liaison avec de la pâte à muffins et des muffins, biscuits et gâteaux, produite le 16 décembre 1996, fondée sur un emploi depuis le 24 mars 1995 (subséquemment enregistrée le 4 novembre 1998 sous le numéro TMA503636);

 

et l’emploi antérieur par l’Opposante de son nom commercial Tradition Fine Foods Ltd.;

3) La Marque n’est pas distinctive des marchandises et services de la Requérante en vertu des dispositions de l’article 2 de la Loi puisque la Marque ne peut servir à distinguer les Marchandises et Services des marchandises et services de tiers, incluant ceux de l’Opposante pas plus qu’elle n’est apte à le faire;

4) La demande d’enregistrement de la Requérante ne respecte pas les exigences de l’alinéa 30(i) de la Loi puisque la Requérante ne pouvait être satisfaite qu’elle avait droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises et les Services décrits dans la demande d’enregistrement en raison de l’emploi par l’Opposante de ses marques de commerce et nom commercial.

 

Le 22 octobre 1998, la Requérante a produit au dossier une contre-déclaration d’opposition dans laquelle elle nie les motifs d’opposition soulevés par l’Opposante. De plus elle allègue dans cette procédure être la propriétaire des marques de commerce BAGEL TRADITION’L, certificats d’enregistrement numéros TMA497624 et TMA497625, et employées depuis le 18 mai 1989 en liaison avec des produits de boulangerie nommément: bagel, pizza-bagel, pâte et pâtisserie et autres produits alimentaires, nommément: fromage en crème. Finalement la Requérante allègue l’emploi des noms commerciaux Bagel Tradition’l et Bagel Tradition’l Café.

 

L’Opposante a produit un affidavit de M. Peter Glowczewski ainsi que des certificats d’authenticité pour les marques déposées numéros TMA406696, TMA487365, TMA409680 et TMA503636 telles que ci-après illustrées, ainsi que de la demande d’enregistrement numéro 807969, qui fut cependant abandonnée par la suite. M. Glowczewski fut contre-interrogé sur son affidavit et les notes sténographiques ont été produites au dossier.

 

La Requérante a produit les affidavits de François Joyet, Johanne Clouet et Doris Dion. M. Joyet fut également contre-interrogé. Les notes sténographiques et les réponses aux engagements furent déposées au dossier.

 

L’Opposante a produit l’affidavit de Patricia MacFarlane en guise de réplique. Les parties ont produit des représentations écrites et une audience fut tenue.

 

II                     La preuve

 

Les certificats d’authenticité produits par l’Opposante sont pour les marques déposées suivantes :

-TRADITION, certificat d’enregistrement TMA487365 en liaison avec des produits de boulangerie à savoir des muffins, croissants, biscuits, gâteaux et pâtisseries;

certificat d’enregistrement TMA409680 en liaison avec des produits congelés de boulangerie nommément de la pâte à gâteaux et muffins; et

certificat d’enregistrement TMA503636 (« TRADITION trois muffins et dessin ») en liaison avec de la pâte à muffin, muffins cuits et biscuits.

 

M. Glowczewski est le président de l’Opposante. Il a produit plus de 55 pièces pour tenter de démontrer l’emploi des marques de commerce TRADITION, TRADITION SCOOP ’N BAKE et dessin, TRADITION trois muffins et dessin et le nom commercial Tradition Fine Foods Ltd. Il est cependant important de résumer l’évolution de l’entreprise de l’Opposante afin de bien cerner l’emploi de ces marques de commerce en liaison avec différents produits de boulangerie. Je tiens à souligner que malgré cette preuve documentaire abondante le contenu de l’affidavit de M. Glowczewski contient peu d’informations quant aux périodes d’usage des différents échantillons d’emballages produits au dossier et il faut s’en remettre au contre-interrogatoire de M. Glowczewski pour tenter d’établir des dates d’emploi de certains de ces emballages ou pamphlets publicitaires. Les informations qui suivent proviennent donc d’un travail de synthèse de l’affidavit, des pièces jointes à l’affidavit, du contre-interrogatoire et des pièces produites lors de ce contre-interrogatoire.

 

En 1983, l’Opposante a débuté ses opérations, sous son nom commercial Tradition Fine Foods Ltd., de production et vente de produits congelés de boulangerie tels que des muffins, pâte à gâteaux et biscuits, croissants, danoises et autres pâtisseries. Des emballages ou des pamphlets publicitaires utilisés depuis aussi tôt que 1984 portant la marque de commerce TRADITION ont été produits au soutien de son affidavit. Selon M. Glowczewski, l’Opposante a débuté en 1986 l’exploitation d’une boulangerie à l’intérieur de son établissement en liaison avec la marque de commerce TRADITION. En 1990, elle a commencé à vendre des produits frais de boulangerie et pâtisserie, nommément muffins, croissants, biscuits et gâteaux à des distributeurs de produits alimentaires et au public par son comptoir de vente. De plus M. Glowczewski a déclaré que certains emballages ont été utilisés exclusivement pour Club Price. Or les relations d’affaires avec cette dernière auraient débuté en 1990. Le certificat d’enregistrement TMA503636 pour la marque TRADITION trois muffins et dessin fait état d’une date de premier emploi du 24 mars 1995. Je présumerai donc que tous les emballages comportant cette marque ont été utilisés postérieurement à cette date.

 

Pour les fins de ce dossier, sans conclure dans ce sens, je considèrerai l’emploi de l’une ou l’autre des marques graphiques de l’Opposante et l’emploi de la portion elliptique desdites marques ci-haut illustrées comme un usage de la marque vocable TRADITION.

 

Cet exercice de synthèse me permet de conclure que l’Opposante emploie depuis au moins 1984 la marque vocable TRADITION en liaison avec des produits de boulangerie congelés et de la pâte congelée servant à fabriquer des produits de boulangerie. Malgré des photos de publicités illustrant l’emballage de muffins frais (pièces 27 et 39) aucune date de premier emploi de ces emballages n’a été fournie. Il y a également preuve d’emploi de la marque vocable TRADITION depuis au moins 1990 en liaison avec des muffins frais.

 

M. Glowczewski a également admis durant son contre-interrogatoire que la majorité des ventes  de l’Opposante concernent des muffins. La vente de bagels a débuté en octobre 1995. Ils ne portent pas la marque de commerce TRADITION ou les autres marques de commerce de l’Opposante. Ils sont vendus exclusivement à une chaîne hôtelière dans des boîtes portant le nom commercial de l’Opposante. M. Glowczewski a admis que l’Opposante n’a jamais vendu de pizza-bagels ni de fromage en crème. Elle n’a jamais également offert de services de restauration ni de traiteur.

 

L’Opposante vend également ses produits sous des marques privées mais emballés dans des boîtes portant son nom commercial Tradition Fine Foods Ltd.

 

La pièce 1 quant à elle consiste en un tableau des ventes annuelles par marque de commerce de l’Opposante et ce depuis 1983. Les ventes au Canada entre 1983 et 1998 de l’Opposante totalisent plus de $77 millions dont près de $27 millions pour les produits portant les marques de commerce ci-haut mentionnées. Le tableau ne nous indique pas toutefois les ventes par produit. Les ventes de l’Opposante, depuis 1992, à son comptoir de boulangerie n’ont jamais dépassé $50,000 et se situent, en moyenne, à $40,000. Les ventes de bagels, quant à elles, se chiffrent à environ $3,000 par mois.

 

Des chiffres concernant la publicité reliée aux marques de commerce de l’Opposante ont été fournis mais malheureusement nous n’avons pas ces chiffres par marque de commerce et par produit. De plus durant son contre-interrogatoire, l’affiant a admis que les chiffres de publicité mentionnés dans son affidavit couvrent le Canada et les États-Unis.

 

Mme Clouet est à l’emploi des agents de la Requérante. Elle a visité quelques commerces alimentaires de la région de Québec pour y repérer des produits alimentaires dont les emballages comporteraient le mot « tradition ». En éliminant ceux dont l’emploi du mot est purement descriptif à l’intérieur d’un slogan, il nous reste les pièces suivantes :

JC-2: TRADITION MENTHE pour des bonbons

JC-3: TRADITION MAISON pour de la soupe

JC-8 : TRADITION pour de la limonade

JC-9 : TRADITION pour du café

JC-11 : TRADITION ANGLAISE pour du thé

JC-14 : POM’ OR TRADITION pour du cidre

 

Mme Dion est également à l’emploi des agents de la Requérante. Elle a procédé à une recherche du registre, mis à jour en date du 25 avril 2000, afin d’y répertorier toutes les marques de commerce au registre ayant comme composante le mot « tradition ». Elle a trouvé 188 marques de commerce, dont 67 d’entre elles en liaison avec des produits ou services reliés au domaine de la nourriture ou de l’alimentation. Au moins 21 marques de commerce me semblent pertinentes, étant liées à des produits alimentaires. Il faut souligner que par sa contre-preuve l’Opposante a démontré que trois de ces marques font l’objet d’une opposition de sa part.

 

M. Joyet est le président de la Requérante. Il présente un historique des activités de la Requérante. Bien que le tout puisse s’avérer intéressant, les informations fournies sont de peu d’utilité à la cause de la Requérante puisque sa demande d’enregistrement est fondée sur un emploi projeté. De plus M. Joyet allègue que la Requérante est propriétaire des marques de commerce suivantes :

-BAGEL TRADITION’L, certificat d’enregistrement TMA497625 en liaison avec des produits de boulangerie nommément: bagel, pizza-bagel, pâte et pâtisserie et autres produits alimentaires nommément: fromage en crème et les services d’exploitation de restaurants et d'autres services connexes, nommément: préparation de mets à apporter et services de traiteurs;

-BAGEL TRADITION’L CAFÉ & DESSIN, certificat d’enregistrement TMA497624 en liaison avec les mêmes marchandises et services.

 

L’affiant allègue également que la Requérante emploie le nom commercial « Bagel Tradition’l » depuis au moins 1993. Puisqu’il s’agit de déterminer si la Marque est enregistrable ou si la Requérante a droit à cet enregistrement ou si la Marque est distinctive, l’usage d’un nom commercial aussi proche soit-il de la portion vocable de la Marque ne pourra être d’une grande pertinence au présent débat. La seule preuve pertinente à l’affidavit de M. Joyet concerne l’emploi de la Marque telle qu’illustrée ci-haut.

Différentes pièces ont été produites au soutien de l’affidavit de M. Joyet afin de prouver l’emploi de la Marque par la Requérante. Je ne considérerai que celles dont une période d’emploi a été fournie lors du contre-interrogatoire de ce dernier, à savoir :

FJ-15 : dépliant publicitaire employé en 1997

FJ-16 et FJ-17 : feuillets d’instruction de manipulation des bagels employés depuis 1996

FJ-32 et FJ-33 : photographies prises au Food & Beverages Show de Toronto en 1997

FJ-42 emballage pour bagels, employé depuis 1997 ou 1998

FJ-50 : emballage pour bagels exclusif à Costco, employé depuis 1998

FJ-54, FJ-55 et FJ-56 : emballages de bagels employés depuis 1998.

 

Aucun chiffre de ventes n’a été fourni par la Requérante concernant l’emploi de la Marque exclusivement. Les chiffres d’affaires de la Requérante ne sont d’aucune utilité puisque la Requérante n’a pas divisé ces chiffres par produit ou service et par marque de commerce employée depuis, à tout le moins, 1995.

 

 

III  Le droit

 

Dans le cadre de procédures en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, l’Opposante doit présenter suffisamment de preuve concernant les motifs d’opposition sur lesquels elle se fonde de telle sorte qu’il est apparent qu’il existe des faits qui supportent les motifs d’opposition. Si cette tâche est accomplie, le fardeau de preuve se déplace vers la Requérante qui devra convaincre le registraire que les motifs d’opposition ne devraient pas empêcher l’enregistrement de sa marque de commerce (Joseph Seagram & Sons Ltd. v. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325).

 

La date pertinente pour analyser les différents motifs d’opposition varie selon le motif d’opposition soulevé. Ainsi en ce qui concerne les motifs d’opposition fondés sur l’article 30 de la Loi, la date pertinente est celle du dépôt de la demande (13 mai 1997) [voir Dic Dac Holdings (Canada) Ltd v.Yao Tsai Co. (1999), 1 C.P.R. (4th) 263]. Concernant le motif d’opposition fondé sur le sous-alinéa 12(1)(d) de la Loi, la date pertinente est celle de la décision du registraire [voir Park Avenue Furniture Corp. c Wickes/Simmons Bedding Ltd.(1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (CAF)]. Lorsque le motif d’opposition est fondé sur l’alinéa 16(3) de la Loi, la date de production de la demande d’enregistrement de la Requérante est la date de référence tel que stipulé audit alinéa. Finalement, la date de dépôt de la déclaration d’opposition (14 mai 1998) est généralement reconnue comme étant la date pertinente pour analyser le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque [voir Andres Wines Ltd. and E&J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (CAF) à la page 130 et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., op.cit].

 

Le quatrième motif d’opposition a été abandonné par l’Opposante lors de l’audition.

 

Le sort des trois autres motifs d’opposition dépendra de la réponse à la question de savoir s’il existe, selon la balance des probabilités, un risque raisonnable de confusion entre la Marque et les marques de commerces ou le nom commercial de l’Opposante. Le fardeau de preuve repose sur la Requérante qui doit convaincre le registraire qu’il n’y a pas de risque raisonnable de confusion au sens de l’article 2 de la Loi entre les marques de commerce des parties aux dates pertinentes ci-haut identifiées [voir Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53].

Il est bon de souligner, avant d’analyser la question de la confusion, le passage suivant tiré de l’arrêt Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd [2002] 3 C.F.405 où l’honorable juge Décary écrit :

« Le registraire doit donc être raisonnablement convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l'enregistrement n'est pas susceptible de créer de la confusion. Il n'est pas nécessaire qu'il soit convaincu hors de tout doute qu'il n'y a aucun risque de confusion. Si la norme de preuve « hors de tout doute » s'appliquait, les requérants seraient, dans la plupart des cas, confrontés à un fardeau insurmontable parce qu'en matière de risque de confusion, la certitude est une denrée rare. Dans le meilleur des scénarios, ce n'est que lorsque les probabilités sont égales qu'on peut dire qu'il existe une sorte de doute, lequel doute doit être résolu en faveur de l'opposant. Mais la notion de doute est un concept trompeur et déroutant en matière civile et le registraire devrait éviter d'y recourir. »

 

Pour procéder à cette analyse il y a lieu de se référer aux critères énoncés à l’article 6(5) de la Loi :

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

 

Pour les fins du présent dossier je comparerai la Marque avec la marque de commerce vocable TRADITION de l’Opposante car je suis d’opinion qu’il s’agit du cas où les chances de succès de l’Opposante sont les meilleures car les portions graphiques des autres marques de l’Opposante sont totalement différentes de la Marque; d’autant plus que je considérerai, pour les fins de cette analyse, l’emploi de l’une ou l’autre des marques graphiques de l’Opposante comme preuve d’usage de la marque vocable TRADITION.

 

a)      le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus

 

La Marque possède un degré de caractère distinctif inhérent très faible en raison de sa partie vocable hautement suggestive à savoir des bagels traditionnels. L’élément graphique de la Marque confère à cette dernière un faible degré de caractère distinctif inhérent. La marque de commerce TRADITION de l’Opposante possède également un très faible degré de caractère distinctif. À ce sujet, je me réfère au passage suivant de l’arrêt Tradition Fine Foods Ltd. c. The Oshawa Group Ltd. et al, 2004 C.F. 1011, le 20 juillet 2004, où Monsieur le juge O’Reilly conclut :

“The defendants contend that the plaintiff's trade-mark is an ordinary, commonplace dictionary word that is used by many other food producers and vendors, lacks distinctiveness and is entitled to little protection. In the context of a claim of confusion, the question is not whether the plaintiff's trade-mark is entitled to protection but whether the distinctiveness of the trade-mark makes it likely that the average consumer would associate the plaintiff's goods with the defendants' stores.

On this point, I must agree with the defendants. The plaintiff's trade-mark is a common word, suggestive of qualities worthy of respect and preservation, naturally associated with good food. This kind of trade-mark is less distinctive and generally merits less protection than unique trade-marks: Toys "R" Us (Canada) v. Manjel Inc., above; ITV Technologies, Inc. v. WIC Television Ltd., 2003 FC 1056, [2003] F.C.J. No. 1335 (T.D.) (QL). The evidence shows that the name "Tradition", or some close variation of it, is used by many other food producers who co-exist in the marketplace seemingly without confusion.”

 

Le caractère distinctif d’une marque de commerce peut être rehaussé par son usage. Or tel qu’en fait foi le sommaire de la preuve déposée dans ce dossier, l’Opposante a démontré un usage de sa marque TRADITION depuis au moins 1984 en liaison avec des produits congelés de boulangerie et depuis 1990 en liaison avec des muffins frais. De son côté la Requérante a produit des emballages, portant la Marque, employés depuis 1997 ou 1998. Aucun chiffre de ventes de produits portant la Marque n’a été fourni et il m’est donc difficile de déterminer dans quelle mesure la Marque est connue du public. Il semble donc que la marque de commerce TRADITION de l’Opposante est plus connue que la Marque de la Requérante.

 

b)      la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage

 

Pour les motifs exprimés sous la rubrique précédente ce facteur favorise également l’Opposante.

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises

 

Les marchandises de la Requérante regroupées sous la catégorie « produits de boulangerie » tombent sous la même rubrique générale « baked goods » mentionnée dans le certificat d’enregistrement TMA487365 de l’Opposante pour la marque de commerce TRADITION. Toutefois il existe une différence entre un bagel et un muffin. Quant autres marchandises et services énumérés dans la demande d’enregistrement de la Requérante, ils ne sont pas du même genre que les marchandises énumérées aux certificats d’enregistrement numéros TMA487365, TMA409680 et TMA 503636 de l’Opposante.

 

d) la nature du commerce

 

Il existe un chevauchement entre les activités commerciales de la Requérante liées à la vente de ses produits de boulangerie et celles de l’Opposante liées à la vente des produits énumérés au certificat d’enregistrement TMA487365. Quant aux autres activités commerciales décrites dans la présente demande d’enregistrement (services de préparation de mets à apporter et de traiteur), elles sont distinctes de celles énumérées audit certificat d’enregistrement de l’Opposante.

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent

 

Les marques doivent être considérées dans leur ensemble et non pas comparer chacune de leurs composantes. [Voir Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. (1994), 58 C.P.R. (3d) 527 (CAF)]. De plus le premier élément d’une marque de commerce peut être considéré comme un élément important dans cette analyse. [Voir Conde Nast Publications Inc. v. Union des Editions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183]

En appliquant ces critères au présent dossier, il m’apparaît que le degré de ressemblance entre la Marque et la marque de commerce TRADITION est plutôt faible. En effet la Marque comporte un graphisme, l’addition du mot « bagel » et des symboles « ’l », de sorte qu’elle se distingue de la marque de commerce TRADITION de l’Opposante.

 

f) autres circonstances additionnelles

 

La Requérante argumente qu’elle a déjà obtenu des certificats d’enregistrement pour des marques de commerce comportant la partie vocable de la Marque et ce sans opposition de l’Opposante. Toutefois, l’enregistrement d’une marque de commerce ne confère pas à son propriétaire un droit automatique à l’enregistrement d’une marque de commerce similaire. [Voir Coronet-Werke Heinrich Schlerf GmbH v. Produits Menagers Coronet Inc. (1984), 4 C.P.R. (3d) 108 (COMC)]

La Requérante soulève l’existence au registre de plusieurs marques de commerce comportant le mot « tradition » ainsi que plusieurs dénominations sociales. Il y a également eu preuve de l’emploi dans le commerce de marques comportant le mot « tradition » (pièces JC-2, JC-3, JC-8, JC-9, JC-11 et JC-14). L’Opposante réplique en argumentant  qu’elle est la seule possédant des marques de commerce enregistrées couvrant des produits de boulangerie et qu’il n’y a eu aucune preuve d’emploi d’une marque de commerce comportant le mot « tradition » en liaison avec des produits de boulangerie. Accepter un tel argument de la part de l’Opposante signifierait de lui accorder un monopole sur un mot du dictionnaire et couramment employé dans le domaine de l’alimentation. La preuve de l’emploi du mot « tradition » comme composante d’une marque de commerce en liaison avec des produits alimentaires dénote que le consommateur moyen est en mesure de distinguer chacune de ces marques de commerce. Ainsi, le consommateur moyen sera en mesure de distinguer l’origine d’un muffin portant la marque TRADITION d’un bagel vendu en liaison avec la Marque.

 

Je cite, pour conclure sur ce sujet, les propos de M. le juge Joyal dans Clorox Co. v. Sears Canada Inc.(1992),41 C.P.R. (3d) 483, à la page 490 :

“Fourthly, I should observe that in my view, the "narrow protection" doctrine applies equally when dealing with the similarity of the wares test. It is quite true that fruit-cake and barbecue sauce may be said to belong to the general category of foodstuffs, but the test cannot be applied on a black or white basis. One only needs to look at the thousands of different foods, meats, condiments, confectioneries, cereals and what-not, found in some supermarket to be wary of giving too much weight in some circumstances to the "same general class" test. Otherwise, in the case of a weak mark like MASTERPIECE, the effect of the test standing alone would be to grant a monopoly over a particular dictionary word, a status which the courts have historically challenged.”

 

L’Opposante allègue également détenir une famille de marques de commerce comportant le mot « tradition ». Cependant la preuve versée au dossier (l’état du registre des marques de commerce et le contenu de l’affidavit de Mme. Clouet) me permet de conclure que le mot « tradition » est couramment employé par de tierces parties dans le domaine de l’industrie alimentaire. Il faut se rappeler les enseignements de la cour d’appel fédérale à ce sujet dans Park Avenue, op.cit. :

“The word "beauty" is a common characteristic found in all these marks. The fact that they are registered to different owners and shown on the evidence to have been used by such owners indicates, in my view, that the common characteristic is common to the trade (open to the trade to use).  No family of marks can exist in the circumstances.”

Dans l’affaire de Man and His Home Ltd. c. Mansoor Electronic Ltd. (1999), 87 C.P.R. (3d) 218 (CFPI) Monsieur le juge Deneault a fait la mise en garde suivante relativement aux droits conférés à une marque de commerce déposée comportant un mot suggestif des qualités ou caractéristiques des marchandises couvertes par ce certificat d’enregistrement:

“It is well established that trade-marks containing words which are suggestive of the wares or services offered by the owner are considered to be weak marks and consequently, are afforded a minimal level of protection. In such cases, even a small difference between the marks will be sufficient to diminish the likelihood of confusion. Furthermore, where a person adopts a word in common use and seeks to prevent competitors from doing the same, the trade-marks will have less inherent distinctiveness and the range of protection granted by the Court will be limited. Finally, where a party chooses to use a suggestive non-distinctive name, regardless of any acquired distinctiveness, it must accept a certain amount of confusion without sanction.”

Il apparaît donc que la notion de famille de marques ne saurait être utile à l’Opposante dans les circonstances.

J’aimerais ajouter finalement que malgré la co-existence depuis au moins 1997 des marques de commerce en litige, il n’y a eu aucun cas de confusion de rapporter par l’Opposante.

Conclusion

 

À la lumière des faits et principes de droit ci-haut décrits je conclus que la Requérante s’est déchargé de son fardeau de prouver, selon la balance des probabilités, qu’il n’y a pas de risque probable de confusion entre la Marque et la marque de commerce TRADITION de l’Opposante.

J’arrive à cette conclusion, malgré le fait que la demande d’enregistrement couvre des produits de boulangerie, et ce pour les raisons suivantes :

a)      La marque TRADITION de l’Opposante possède un degré de caractère distinctif inhérent très faible lorsqu’elle est employée en liaison avec des produits alimentaires;

b)      La Marque prise dans son ensemble se distingue de la marque TRADITION de l’Opposante;

c)      Malgré la co-existence des marques, il n’y a eu aucune preuve de cas de confusion;

d)     L’emploi par des tiers de marques de commerce comportant le mot « tradition » et la présence au registre de plusieurs marques de commerce comportant ce mot en liaison avec des produits alimentaires permettent de conclure que le consommateur moyen est en mesure de distinguer ces marques de commerce.

 

J’arriverais à la même conclusion si j’avais comparé la Marque à l’une ou l’autre des marques déposées de l’Opposante comportant une portion graphique. En effet la différence marquée des portions graphiques des marques de commerce en cause ajouterait à la distinction entre la Marque et les autres marques de commerce de l’Opposante.

Je rejette donc le premier motif d’opposition ci-haut décrit. Le risque de confusion entre la Marque et les marques de commerce de l’Opposante est également au centre du débat concernant les deuxième et troisième motifs d’opposition de l’Opposante. La différence entre les dates pertinentes pour chacun des motifs d’opposition soulevés par l’Opposante n’aurait aucune incidence importante sur l’analyse des critères pertinents pour déterminer s’il y a risque de confusion entre la Marque et les marques de commerce ou le nom commercial de l’Opposante. Il est vrai qu’il y a une preuve d’emploi, entre octobre 1995 et mai 1997, du nom commercial Tradition Fine Foods de l’Opposante en liaison avec des bagels, mais ce nom est totalement différent de la Marque de la Requérante et au surplus est descriptif de la qualité des marchandises. Finalement, les créneaux de distribution sont différents puisque l’Opposante ne vend ses bagels en liaison avec son nom commercial qu’à une chaîne d’hôtels. Je rejette donc pour les mêmes raisons que celles décrites ci-haut ces autres motifs d’opposition.

 

En raison des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition de l’Opposante, le tout selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

DATÉ À MONTRÉAL, QUÉBEC, CE 16 DÉCEMBRE 2004.

 

 

 

Jean Carrière

Membre,

Commission aux oppositions des marques de commerce.

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