Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 204

Date de la décision : 2011-10-25

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION du Congrès juif canadien à la demande n861142 produite par Chosen People Ministries, Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce THE MENORAH DESIGN.

[1]               Le 12 novembre 1997, Chosen People Ministries, Inc. (la Requérante ou CPM) a produit une demande d’enregistrement de marque de commerce (la demande) pour le dessin de la menorah apparaissant ci‑dessous, en liaison avec les marchandises et services suivants :

 

 (La Marque)


MARCHANDISES :

(1) Articles promotionnels, nommément pulls molletonnés, polos de golf, casquettes de base‑ball, chopes à café, stylos, calendriers, autocollants pour pare‑chocs, cartes de souhaits.
(2) Bibles, documents religieux, nommément livres, prospectus, brochures, bulletins traitant de ministère et de missions pour atteindre les Juifs et les non‑Juifs avec l’Évangile de Jésus le Messie; cassettes audio et vidée préenregistrées; articles de papeterie, nommément papier, blocs de papier à lettre, enveloppes; articles promotionnels, nommément pulls molletonnés.

SERVICES:
(1) Fourniture d’information et de documents religieux sous forme électronique par l’intermédiaire d’un réseau informatique mondial.
(2) Ministère et missions pour atteindre les Juifs et les non‑Juifs avec l’Évangile de Jésus le Messie; organisation et tenue de programmes d’étude de la Bible; évangélisation dans la rue; organisation et tenue de programmes d’approche des jeunes; organisation et tenue de conférences et de séminaires pour atteindre les Juifs et les non‑Juifs avec l’Évangile de Jésus le Messie; organisation et tenue de programmes d’approche des aînés; organisation et administration de congrégations religieuses; services de consultation fournis aux pasteurs ainsi qu’aux établissements d’enseignement secondaires et post-secondaires; organisation et tenue de retraites pour l’étude de la Bible; organisation et tenue d’événements de collecte de fonds; services de traduction.

[2]               La demande est fondée sur un emploi projeté en liaison avec les marchandises (1) et les services (1) et sur un emploi depuis le 1er juin 1998 en liaison avec les marchandises (2) et les services (2). La date de priorité de production est le 21 mai 1997.

[3]               La demande a été annoncée le 4 novembre 1998 et le Congrès juif canadien (l’Opposante ou le CJC) a déposé sa déclaration d’opposition le 8 janvier 1999; une déclaration d’opposition modifiée a été produite le 31 octobre 2003, et une autre, le 2 novembre 2009. CPM a produit sa contre-déclaration, modifiée deux fois, le 2 novembre 2009.

[4]               Les motifs d’opposition fondés sur la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi) peuvent se résumer comme suit :

Alinéa 38(2)a)/article 30

          En contravention à l’alinéa 30a), les services en liaison avec lesquels la Marque aurait été employée et à l’égard desquels on projette de l’employer n’ont pas été décrits dans les termes ordinaires du commerce.

          En contravention à l’alinéa 30i), la Requérante ne pouvait pas être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la Marque au Canada à la date de production de la demande, étant donné que la menorah est couramment utilisée comme symbole de la religion juive et qu’un certain nombre d’organisations juives ont déjà utilisé la Marque et les dessins de la menorah en liaison avec des marchandises et des services ayant trait à des activités religieuses.

          En contravention à l’alinéa 30i), la Requérante ne peut pas avoir été convaincue qu’elle avait le droit d’employer la Marque au Canada à la date de production de la demande, ou à tout autre moment depuis cette date, en liaison avec les marchandises et les services décrits dans la demande, car la ressemblance de la Marque avec la marque interdite – demande no 970005, annoncée le 24 septembre 1975 au nom du gouvernement d’Israël – est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre.

          En contravention à l’alinéa 30i), la Requérante ne peut pas avoir été convaincue qu’elle avait le droit d’employer la Marque au Canada en raison de la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de la préclusion en général, et en particulier, parce que la Requérante est précluse de faire enregistrer la Marque au Canada par suite de la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale, qui a conclu que la menorah était un symbole juif distinctif et ne pouvait pas être le bien exclusif d’un seul organisme [voir Congrès juif canadien c Chosen People Ministries, Inc. (2002) 19 C.P.R. (4th) 186 (C.F. 1er inst.); confirmé par (2003) 27 C.P.R. (4th) 193 (C.A.F.)].

Alinéa 38(2)b)/alinéa 12(1)b)

          La Marque n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)b), parce que lorsqu’elle est sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises et des services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l’égard desquels on projette de l’employer; en particulier, les marchandises et les services de la Requérante sont liés à la religion et aux activités chrétiennes, alors que la menorah est largement connue et utilisée dans le monde (y compris au Canada) comme un symbole de la religion juive.

          La Marque n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)e), car il s’agit d’une marque dont l’adoption est interdite par l’alinéa 9(1)j) du fait que l’adoption de la menorah, un symbole de la religion juive, par une entité dont le but principal est de promouvoir et de servir la religion chrétienne et, particulièrement, de convertir des Juifs à la religion chrétienne est scandaleuse et immorale.

          La Marque n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)e), car il s’agit d’une marque dont l’adoption est interdite par l’alinéa 9(1)i) du fait que sa ressemblance avec une marque officielle du gouvernement d’Israël (demande no 970005, annoncée le 24 septembre 1975) est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre.

Alinéa 38(2)d)/article 2

          La Marque n’est pas distinctive de la Requérante au sens de l’article 2; la Marque ne distingue pas véritablement les marchandises et services de la Requérante des marchandises et services en liaison avec lesquels d’autres propriétaires emploient et annoncent les marques et noms commerciaux Menorah et/ou Menorah Dessin, et les marques et noms connexes incorporant un dessin de la « menorah »; et elle n’est pas adaptée à les distinguer ainsi; elle n’est pas non plus distinctive étant donné que le public sait généralement que la menorah est associée à des marchandises et services qui ont trait à la religion juive. L’Opposante fait valoir en outre que la Cour fédérale a conclu que la Marque n’était pas distinctive de la Requérante et a interdit la publication de ladite marque en application de l’article 9 [Congrès juif canadien c Chosen People Ministries, Inc. (2002) 19 C.P.R. (4th) 186 (C.F. 1er inst.); confirmé par (2003) 27 C.P.R. (4th) 193 (C.A.F.)] [CJC c CPM].

[5]               L’Opposante a déposé l’affidavit de Manuel Prutschi, qui a par la suite été contre‑interrogé; la transcription du contre-interrogatoire ainsi que les réponses et les engagements y afférents ont aussi été déposés. La Requérante a déposé l’affidavit de Mitch Glaser ainsi que des copies certifiées de quelques‑unes des marques commerciales auxquelles celui‑ci renvoie dans son affidavit. L’Opposante a déposé l’affidavit de Dane Penney en réponse.

[6]               Les deux parties ont présenté des observations écrites et étaient représentées à l’audience.

Le fardeau de la preuve

[7]               La Requérante a le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Cependant, dans la mesure où les faits allégués par l’Opposante ne sont pas évidents ou admis, le fardeau initial d’étayer les faits allégués dans les motifs d’opposition incombe à l’Opposante, conformément aux règles habituelles de la preuve. L’imposition d’un fardeau de preuve relativement à une question donnée signifie que la question ne sera examinée que s’il existe une preuve suffisante pour conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 (C.O.M.C.) à la page 329; John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.O.M.C.), p. 298]. 

[8]               Chaque partie a déposé une preuve assez longue et détaillée; ce qui suit est un résumé de la preuve pertinente pour les questions à trancher dans la présente instance.

La preuve de l’Opposante

L’affidavit de Manuel Prutschi

[9]               M. Prutschi est le directeur national des relations de la Communauté de l’Opposante, le CJC. M. Prutschi détient des diplômes de premier et deuxième cycles en histoire; avant de joindre le CJC, il était chargé d’enseignement en histoire à l’université. Il précise que ses déclarations sont fondées sur sa connaissance de l’histoire en général et sur celle de la religion juive en particulier, ainsi que sur son expérience à titre de directeur national des relations de la Communauté, fonction qui lui donne fréquemment l’occasion d’être en relation avec des spécialistes du judaïsme et de l’histoire juive.

[10]           M. Prutschi, qui fait partie du CJC depuis 1981, déclare que le CJC est une organisation nationale qui représente les groupes juifs au Canada; le CJC est formé de représentants d’organisations juives du Canada. M. Prutschi expose les objectifs du CJC et déclare que, conformément à ceux‑ci, le CJC transmet le point de vue de la communauté juive sur un large éventail de questions d’envergure nationale, notamment ce qui touche à l’identité juive, à l’antisémitisme, à d’autres formes de discrimination, au racisme, à la promotion de la haine, au déni de l’holocauste et aux politiques sur l’équité et la justice. M. Prutschi affirme que le rôle du CJC a été reconnu par les tribunaux canadiens, celui‑ci ayant fait valoir le point de vue de la communauté juive canadienne dans de nombreuses affaires [voir R. c. Lelas (1990), 74 O.R. (2d) 552 (C.A. Ont.), où la cour a dit [traduction] que « le CJC représente la communauté juive au Canada »; voir aussi R. c. Zundel (1986), 16 O.A.C. 244 (C.A. Ont. C.A.), où la cour a dit [traduction] « le CJC a un intérêt et une expertise dans la lutte contre la discrimination et l’antisémitisme »].

[11]           M. Prutschi est l’auteur d’une vingtaine d’articles sur divers sujets, dont la défense des droits de la personne, les relations entre groupes, l’égalité, le multiculturalisme, la religion dans les écoles publiques, la fermeture des commerces le dimanche et la séparation entre l’église et l’État. Il a témoigné de la perspective juive sur les litiges soumis à la Cour supérieure de justice de l’Ontario en matière de discrimination. Il siège en outre, ou a siégé, sur divers conseils, dont la Canadian Christian Jewish Consultation, le Conseil ethnoculturel du Canada, et le Board of the Christian Jewish Dialogue of Toronto. Il a participé à titre d’expert au colloque national de 2001 sur la diversité culturelle et les médias, ainsi qu’à la Table ronde sur les activités motivées par la haine et les préjugés, organisée par le secrétaire d’État au multiculturalisme.

[12]           M. Prutschi déclare avoir acquis une très bonne connaissance de l’histoire juive et des symboles du judaïsme. Il fait valoir que la menorah fait partie des symboles les plus répandus et les plus importants du judaïsme, d’un point de vue religieux et historique. Il affirme en outre que les représentations de la menorah comme symbole du judaïsme et du peuple juif apparaissent depuis toujours sur de nombreux objets, tels que des manuscrits médiévaux de la Bible, des plaques, des pièces de monnaie, des synagogues, des planchers en mosaïque et des tombes. Pendant plusieurs siècles, la menorah a été utilisée comme symbole, décrivant clairement les activités et les objets associés à la religion ou culture juive.

[13]           M. Prutschi explique que le judaïsme enseigne que la menorah à sept branches a été donnée au peuple juif par Dieu, par l’intermédiaire de Moïse; le premier temple du judaïsme, le temple de Salomon, contenait 10 menorahs. L’importance de la menorah comme symbole juif persiste encore aujourd’hui. Elle est un élément hautement visible et apparent de plusieurs synagogues contemporaines et elle joue un rôle important dans l’art religieux associé aux synagogues, apparaissant sur divers tableaux, vitraux, mosaïques et autres décorations. On trouve des lampes en forme de menorah dans plusieurs synagogues contemporaines. L’utilisation de la menorah dans les synagogues au Canada remonte bien avant 1988. Elle est aussi couramment employée comme emblème du judaïsme sur les livres d’école juifs, les livres de prières juifs, les articles religieux et les pierres tombales juives. M. Prutschi présente comme pièce Q un ensemble de copies de textes échantillonnés provenant de diverses organisations juives, dans lesquels la menorah est représentée. Je constate que ces organisations comptent notamment parmi elles les organisations suivantes, lesquelles semblent à première vue être des organisations canadiennes : le Conseil de la Communauté juive de Montréal, le Holocaust Education and Memorial Centre of Toronto, le Canadian Council for Reform Judaism et le B’Nai Brith Canada.

[14]           Le déposant déclare en outre que de nos jours la menorah est utilisée par de nombreuses organisations juives sur le papier à en‑tête, dans la publicité et les annonces, et sur la papeterie, qui indiquent ainsi leur appartenance à la foi et à la culture juives. Pour faire ressortir l’importance de la menorah comme symbole du judaïsme, M. Prutschi déclare que la menorah à sept branches fait partie des symboles les plus répandus et importants du judaïsme, du point de vue religieux et historique, et qu’elle a pour les Juifs autant d’importance que la croix pour les Chrétiens. Pour lui, il s’agit d’un symbole typiquement juif.

[15]           M. Prutschi présente de nombreux extraits d’écrits historiques, religieux et spécialisés à l’appui des ses déclarations. Dans CJC c. CPM, précité, la Cour fédérale s’est appuyée sur la définition du The New Jewish Encyclopedia, Berhman House, Inc. 1962, laquelle est en partie rédigée comme suit :

[traduction]
Menorah : Nom hébreu donné au chandelier à sept branches initialement fabriqué par Bezalel, artisan dont l'œuvre s'inspire de la Bible, et placé dans le sanctuaire du Tabernacle. [. . .] La menorah est devenue depuis un symbole universel du judaïsme.

[16]           M. Prutschi prétend bien connaître le fonctionnement des groupes chrétiens hébreux « messianiques », tels que la Requérante. Il affirme que les groupes messianiques, [traduction] « inspirés par l’idée que le christianisme supplante le judaïsme », prennent expressément pour cibles les Juifs dans leur annonce de l’Évangile, que ces groupes font du prosélytisme et que leurs méthodes sont offensantes pour le peuple juif. Il affirme que le judaïsme ne peut pas admettre la doctrine chrétienne. Les personnes juives, tout en demeurant juives, ne peuvent pas reconnaître que Jésus‑Christ est divin ou qu’il est le Messie; d’ailleurs, l’acceptation de ces croyances est essentiellement chrétienne et incompatible avec les croyances juives fondamentales.

[17]           En ce qui a trait aux activités de la Requérante, le déposant présente comme pièce B certaines pages imprimées du site Web de CPM. Outre les premières deux pages qui présentent des renseignements généraux sur la Requérante, j’ai pris connaissance de l’information contenue dans les autres pages sous le titre « Presenting Messiah to your Jewish Friend » [traduction] « Comment présenter le Messie à votre ami juif »]. Ce document donne un aperçu de la nature de l’organisation de la Requérante et, comme nous le verrons plus loin, est étayé par la preuve présentée par la Requérante.

[18]           Je signale en particulier les déclarations suivantes qui exposent certaines des techniques pour [traduction] « atteindre les Juifs avec l’Évangile » :

[traduction] Ne vous découragez pas si votre ami rejette le christianisme. Souvent un lourd bagage historique y est pour quelque chose. Rappelez-vous seulement : l’Évangile parle d’une personne : Jésus, le Messie. Il parle d’une relation, non d’une religion. Lorsque vous faites une distinction entre Jésus et la compréhension juive de la religion chrétienne, plusieurs objections tombent. Il n’est pas nécessaire que votre ami juif sente qu’en acceptant Jésus, il abandonne son identité juive. Vous ne lui demandez pas de se « convertir » à une autre religion, mais de devenir « entier » en recevant le Messie juif. Certains mots peuvent avoir des sens totalement différents, et même offensants, pour votre ami juif. Souvent, des mots tels que « croix » et « Christ » évoquent des souvenirs collectifs de la persécution infligée par de prétendus « Chrétiens ». Choisissez judicieusement vos mots. Utilisez « Messie » plutôt que « Christ », « arbre » plutôt que « croix », et même « Yeshua » plutôt que « Jésus ». C’est la judaïté du message évangélique que vous voulez transmettre.

[19]           Plus loin dans le document, sous le titre [traduction] « Partagez votre témoignage », on peut lire le passage suivant :

          [traduction] Dites à votre ami juif que vous croyez au Messie juif et dites-lui ce que Jésus a fait pour vous! Cela aura d’autant plus d’influence que vous êtes un Gentil et que vous avez accepté le Seigneur une fois adulte. Montrer comment même un Gentil a besoin d’accepter Jésus dissipera l’idée que les Chrétiens sont simplement « nés dans la religion ». Votre ami pourrait prendre conscience pour la première fois que l’on entre dans cette relation par la foi et non simplement par la naissance. Poursuivez et dites‑lui que Dieu ne vous empêche pas de continuer d’être Italien, Norvégien ou une personne de l’Oklahoma et qu’il n’est pas nécessaire qu’il cesse d’être Juif!

[20]           M. Prutschi joint également en annexe, comme pièce C, le certificat de constitution d’origine de CPM, daté du 1er mai 1924. Il signale que CPM était autrefois connue comme le « American Board of Missions to the Jews, Inc. » et que l’objectif actuel de CPM est de transmettre [traduction] « l’Évangile du Seigneur Jésus-Christ aux Juifs des États‑Unis d’Amérique et de partout dans le monde » (pièce D).

[21]           M. Prutschi fait en outre remarquer que l’objectif de CPM est aussi énoncé dans son propre matériel promotionnel, joint comme pièce E, soit une lettre promotionnelle indiquant que CPM veut [traduction] « aider le peuple juif à croire en Jésus le Messie, enseigner aux croyants juifs une foi et un mode de vie bibliques solides, parce que le peuple juif a besoin de Jésus » et [traduction] « parce que Jésus a dit à ses adeptes de former des disciples dans toutes les nations » (Mathieu 28 :19). M. Prutschi fait valoir que le certificat de constitution modifié de CPM (pièce F) comporte la déclaration de foi du American Board of Missions to the Jews, Inc., où l’on retrouve les [traduction] « fondements doctrinaux » suivants :

[traduction]
Section 1

Par la présente, les membres de la Corporation déclarent et confirment leur croyance dans l’inspiration divine, l’infaillibilité et l’autorité de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament; dans le Dieu trin, le Père, le Fils et le Saint-Esprit; dans la divinité du Seigneur Jésus‑Christ, le seul Fils de Dieu engendré; dans la seconde venue pré-milléniale [sic] du Seigneur Jésus‑Christ; dans l’expiation par le sang sacrificiel du Seigneur Jésus‑Christ lors du calvaire et dans la résurrection des morts de son corps; enfin dans la condition de perdition de tout être humain, qu’il soit Juif ou Gentil, qui n’accepte pas le salut par la foi dans le Seigneur Jésus-Christ et, par conséquent, dans la nécessité de présenter l’Évangile aux Juifs.

Section II

Seules les personnes qui acquiescent au fondement doctrinal contenu dans la première section du présent article, oralement ou par écrit, selon ce qui est requis par le conseil d’administration, et dont il est connu qu’elles sont intéressées dans l’évangélisation des Juifs, seront admises à devenir membres dans la Corporation.

La preuve de la Requérante

L’affidavit de Mitch Glaser

[22]           M. Glaser est président et directeur général de la Requérante CPM; il fournit des renseignements personnels et atteste être Juif. Il déclare détenir une maîtrise en divinité du Talbot Theological Seminary, ainsi qu’un doctorat en philosophie du Fuller Theological Seminary (Pasadena, Californie). Il déclare avoir enseigné au Fuller Theological Seminary, au Westminster Theological Seminary (Philadelphie, Pennsylvanie), au Moody Bible Institute (Chicago, Illinois) et à la Columbia International University(Columbia, Caroline du Sud). Depuis mai 1997, il est président-directeur général du ministère international de CPM, qui a des bureaux aux États‑Unis, au Canada, en Argentine, en Allemagne, en Israël et en Angleterre.

[23]           L’affidavit de M. Glaser vise en partie à établir l’historique de CPM comme organisation juive. M. Glaser fait valoir que les membres de cette organisation croient que Jésus était le Messie juif selon ce qui était prophétisé et que CPM est composée de Juifs messianiques selon qui le culte de Jésus doit s’inscrire dans un contexte juif. L’affidavit vise également à démontrer qu’il s’est écrit beaucoup de choses sur la question de savoir si le judaïsme messianique est une branche du judaïsme. De plus, l’affidavit vise à démontrer que l’emploi de la menorah n’est pas limité aux organisations juives [traduction] « approuvées », mais que la menorah est utilisée par des tiers dans le secteur de l’alimentation et par d’autres organisations messianiques.

[24]           En ce qui a trait à l’historique et à la mission de la Requérante, M. Glaser fait valoir que CPM a été fondée à Brooklyn (New York) en 1984 par le rabbin juif, Leopold Cohn. Il déclare que M. Cohn avait dû se renseigner davantage sur le Messie prophétisé dans les écritures juives traditionnelles, fouiller les écritures juives et questionner d’autres rabbins de sa communauté sur le Messie. Finalement, M. Cohn est parvenu à la conclusion que Jésus était le Messie juif qui était prophétisé dans la Bible juive.

[25]           Le déposant fournit des exemples d’enregistrements de marques de commerce qui comportent un dessin de la croix ou de la menorah; les détails de douze enregistrements et de deux demandes d’enregistrement de marque de commerce qui comportent un dessin de la croix sont joints en annexe. De même, les détails de huit enregistrements et de deux demandes d’enregistrement de marque de commerce qui comportent un dessin de la menorah sont joints en annexe. S’agissant des marques de commerce comportant un dessin de la croix, je constate que, comme il appert des copies déposées, toutes les représentations de la croix comportent un dessin additionnel ou des éléments de texte. En ce qui concerne les marques de commerce présentant un dessin de la menorah, je constate qu’aucune d’elles ne présente un dessin de la menorah seule, et qu’en plus, six des dix marques ont été abandonnées ou révoquées; les quatre restantes sont en liaison avec des marchandises et/ou des services sans aucun rapport avec des activités religieuses.

[26]           M. Glaser dépose aussi des pièces qui montrent différents dessins de la menorah utilisés par diverses organisations juives canadiennes, dont des synagogues et des centres communautaires. De plus, le déposant allègue que la menorah est depuis toujours utilisée par des groupes chrétiens et il fait référence à diverses pages Web d’autres organisations messianiques.

[27]           En ce qui concerne la pièce B annexée à l’affidavit de M. Prutschi, M. Glaser reconnaît en avoir rédigé les deux premières pages. Il confirme que son contenu est exact en ce qui a trait au contexte historique de CPM et à ses objectifs. Le déposant ne dit rien sur le document (décrit ci‑dessus) intitulé « Presenting Messiah to your Jewish Friend » [[traduction] « Comment présenter le Messie à votre ami juif »].

[28]           Quoi qu’il en soit, je ferai remarquer que les messages contenus dans les brochures et bulletins produits par M. Glaser présentent des renseignements de même nature. Je reproduis à titre d’exemple les extraits suivants de la brochure distribuée en avril 2002 (pièce 95) :

Nos ministères

          Notre ministère consiste expressément à prêcher l’Évangile de Yeshua le Messie et à démontrer l’amour de notre Seigneur pour le peuple juif dans le monde entier.

          The Chosen People Ministries continue à évangéliser le peuple juif et à former des disciples partout dans le monde et ce, de la façon la plus efficace et créative possible. Nos représentants fondent des congrégations, tiennent des réunions de membres, des études bibliques et des services de culte, et font de l’évangélisation individuelle.

          Notre principal objectif est de faire en sorte que, par une évangélisation efficace, nos missionnaires établissent des églises indigènes, et qu’en formant de nouveaux disciples (Juifs aussi bien que Gentils), nous favorisions l’évangélisation des Juifs. Ces nouvelles congrégations centrées sur la Bible devraient faire preuve d’une sensibilité particulière de sorte à atteindre et à desservir le peuple juif sans délaisser tous les autres qui ont besoin de l’Évangile.

Nos croyances

          Tous les travailleurs et les membres du conseil de Chosen People Ministries doivent adhérer aux doctrines fondamentales de la foi. Nous affirmons croire dans ce qui suit :

          L’inspiration divine, l’infaillibilité et l’autorité de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament.

          Le Dieu trin et la divinité du Seigneur Jésus (Yeshua), qui est le seul Fils de Dieu engendré et le Messie dont la venue est promise.

          L’expiation par le sang sacrificiel du Messie lors du calvaire, la résurrection de son corps de parmi les morts et son second retour.

          La nécessité de présenter l’Évangile au peuple juif.

[29]           M. Glaser joint en annexe plusieurs impressions d’écrans de pages Web (les pièces 63 à 78) qui démontrent l’utilisation qui a été faite de la menorah sur les sites Web d’autres organisations messianiques. Il appert que certaines de ces organisations sont situées au Canada. Je ferai remarquer que le dessin de la menorah est, dans tous les cas, utilisé de concert avec le nom de l’organisation et qu’il est, dans la majorité des cas, intégré aux mots (ou du moins très proche d’eux) de manière à créer un dessin unitaire. Je ferai remarquer en outre que rien n’indique qu’il s’agit de marques de commerce déposées au Canada.

[30]           M. Glaser présente des éléments de preuve de l’emploi de la Marque au Canada par la Requérante. Il déclare que CPM distribue, depuis le 1er juin 1998, des dépliants et des brochures qui portent la Marque. CPM distribue environ 406 différentes brochures par année, chacune étant généralement distribuée au nombre de 3 000 à 10 000 exemplaires. Des échantillons de brochures sont annexés comme pièces 93 à 99 et je constate que chaque brochure affiche la Marque en liaison étroite avec le nom de la Requérante.

[31]           Depuis juin 1998, et de manière continue jusqu’à aujourd’hui, CPM utilise annuellement environ 100 000 lettres avec en-tête et enveloppes sur lesquels la Marque est apposée. La Requérante distribue également des bulletins mensuels sur lesquels la Marque figure bien en vue; ces bulletins sont distribués lors de conférences, d’événements parrainés par CPM, dans le cadre de programmes de sensibilisation et de publipostages destinés aux membres. Environ 75 000 lettres sont distribuées chaque année par CPM Canada, la distribution totale ayant été de 55 223 lettres en 2007 au Canada. Sont annexés des exemples de bulletins dont on dit qu’ils sont typiques de ceux qui sont distribués depuis le 1er juin 1998 (pièces 104 à 107). Je note que les bulletins arborent la Marque très près du nom du bulletin, THE CHOSEN PEOPLE.

[32]           CPM distribue des calendriers portant la Marque dans le cadre de conférences, d’événements et de publipostages; généralement, 100 calendriers sont vendus chaque année lors des activités de CPM et environ 200 sont distribués annuellement par courrier. La pièce 108 est un exemple d’un tel calendrier qui serait, dit‑on, semblable à ceux qui sont distribués par CPM depuis le mois de juin 1998 et, de manière continue, jusqu’à aujourd’hui. Le déposant fournit aussi la preuve d’une enseigne apposée devant le siège social de CPM Canada. La Marque y figure de façon habituelle avec les mots CHOSEN PEOPLE MINISTRIES.

[33]           CPM appose aussi la Marque sur des articles personnels (distribués en liaison avec ses services), tels que des chandails en molleton, des chemises polo, des épingles de revers d’habit, des sacs fourre-tout depuis au moins le 1er juin 1998, et de manière continue jusqu’à aujourd’hui. La pièce 112 représente un sac fourre‑tout distribué lors des conférences de CPM ainsi qu’aux bénévoles. Est annexée comme pièce 113 la photo d’une chemise polo portant la Marque, qui a été distribuée lors de conférences et aux bénévoles. Je note que sur chacun de ces articles, la Marque apparaît au‑dessus des mots CHOSEN PEOPLE MINISTRIES.

[34]           La Requérante a déposé des copies certifiées d’enregistrements de marques de commerce de tiers, qui affichent des versions stylisées de la croix. Ces enregistrements montrent des représentations graphiques de la croix combinées à un autre dessin ou à un élément textuel; aucune de ces marques enregistrées ne consiste en une croix seulement. La Requérante présente aussi deux enregistrements de marques de commerce qui contiennent des représentations graphiques de la menorah; là encore, ces enregistrements concernent des marques où la menorah n’est qu’un élément parmi plusieurs dessins et/ou éléments textuels.

La preuve présentée en réponse par l’Opposante

L’affidavit de Dane Penney

[35]           M. Penney démontre que deux des demandes d’enregistrement de marques de commerce produites en preuve par la Requérante, THE ISRAELITE NATION & Dessin (no 1142436) et THE ISRAELITE NATION & Dessin (no 1015114) ont été abandonnées.

 

Analyse

Alinéa 38(1)a)/article 30

[36]           La date pertinente pour l’examen de la question de la non-conformité à l’article 30 de la Loi est la date de production de la demande (le 12 novembre 1997) [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 à la page 475 (C.O.M.C.].

[37]           En ce qui a trait au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30a) de la Loi, l’Opposante n’a fait valoir aucun fait à l’appui de ce motif et je ferai remarquer qu’elle n’a présenté aucune observation à cet égard, que ce soit dans son plaidoyer écrit ou à l’audience. En conséquence, l’Opposante ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve que lui imposait ce motif, lequel est donc rejeté.

[38]           Un motif fondé sur l’alinéa 30i) ne saurait être retenu, lorsque le requérant a fourni la déclaration exigée par cette disposition, que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque la mauvaise foi du requérant est établie [Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152 (C.O.M.C.), p. 155]. Je suis d’avis que ni le fait qu’elle connaissait l’importance de la menorah comme symbole de la religion juive, ou la marque officielle no 970005 qui comporte une représentation graphique de la menorah, ni le fait qu’elle connaissait la décision de la Cour fédérale [CJC c. CPM, précité] portant sur sa qualité d’« autorité publique » au sens de l’article 9 de la Loi, n’empêcheraient la Requérante de faire de bonne foi la déclaration requise. Premièrement, comme la Requérante l’a fait remarquer, la date de production de la demande (et donc celle à laquelle la déclaration requise par l’alinéa 30i) a été faite) est antérieure à la date de la décision de la Cour fédérale et, deuxièmement, il semble que ce soit parce qu’elle connaissait l’importance de la menorah comme symbole juif que la Requérante a présenté une demande d’enregistrement pour la Marque. Autrement dit, l’enregistrabilité de la Marque constitue l’objet véritable de la présente procédure et le sens commun veut que les points de vue opposés sur cette question soient considérés comme une question de droit ou comme une question mixte de fait et de droit, et non comme une question de mauvaise foi. J’estime donc que l’argument de l’Opposante relatif à la préclusion, soulevé à l’égard de ce motif, n’est pas pertinent en l’espèce; il n’y a aucune preuve de la mauvaise foi de la Requérante et, par conséquent, ce motif est rejeté.

Alinéa 38(2)b)/alinéa 12(1)b)

[39]           L’Opposante soutient que la Marque n’est pas enregistrable du fait qu’elle contrevient à l’alinéa 12(1)b). Elle allègue que la Marque, qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises et des services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l’égard desquels on projette de l’employer; en particulier, l’Opposante soutient que les marchandises et les services de la Requérante sont liés à la religion et aux activités chrétiennes, alors que la menorah est généralement connue et utilisée dans le monde (y compris au Canada) comme symbole de la religion juive. L’Opposante estime que l’adoption par la Requérante de la Marque est trompeuse, car elle amène erronément les Canadiens Juifs et non-Juifs à supposer que les marchandises et services offerts par la Requérante dans le cadre de ses activités chrétiennes sont associés aux divers groupes communautaires et religieux juifs qui utilisent également la menorah en liaison avec leurs activités.

[40]           La date pertinente pour l’examen de cette question est celle de la production de la demande d’enregistrement, soit le 12 novembre 1997 [voir Zorti Investments Inc c. Party City Corp. (2004), 36 C.P.R. (4th) 90 (C.O.M.C.); Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Co. (2004), 35 C.P.R. (4th) 541 (C.O.M.C.); Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F.)]

[41]           L’Opposante a le fardeau initial de présenter une preuve admissible à partir de laquelle on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui du motif d’opposition [voir Joseph E. Seagram & Sons, Limited c. Seagram Real Estate (1984), 3 C.P.R. (3d) 325, p. 329 (C.F. 1er inst.); John Labatt Ltd c. Molson Cos Ltd. (1980), 30 C.P.R. (3d) 293, confirmé par (1992), 42 C.P.R. (3d) 495 (C.A.F.)].

[42]           L’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial puisqu’une grande partie de la preuve soumise vise à établir que la menorah est un symbole traditionnel de la foi et de la culture juives.

[43]           L’Opposante soutient que CPM n’est pas une organisation juive et qu’elle ne devrait donc pas employer la menorah. C’est pourquoi l’Opposante fait valoir que la Marque donne une description fausse et trompeuse des services de la Requérante. La Requérante allègue qu’elle est une organisation juive messianique et qu’elle devrait avoir le droit d’utiliser la menorah. Il convient de faire remarquer que la question plus générale de savoir si CPM a le « droit » d’« employer » une représentation de la menorah comme un symbole dans ses documents, son matériel promotionnel, etc., excède la portée de la présente procédure; en l’espèce, le registraire ne peut que déterminer si la Marque visée par la demande peut être enregistrée comme marque de commerce en vertu de la Loi.

[44]           Le critère applicable au caractère descriptif est celui de la première impression ou de l’impression immédiate, considérée du point de vue du consommateur ordinaire des marchandises ou services. Quoique les décisions de principe sur cette question renvoient le plus souvent aux marchandises, il me semble évident que les principes qui s’en dégagent s’appliquent également (par analogie) aux services. La signification d’une marque de commerce doit être considérée dans le contexte des marchandises et services. Le mot « nature » à l’alinéa 12(1)b) s’entend d’une particularité, d’un trait ou d’une caractéristique du produit, et le mot « claire » ne signifie pas que la description doit être précise, mais qu’elle doit être [traduction] « facile à comprendre, évidente ou simple » [Drackett Co. of Canada Ltd. c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29, à la page 34 (C. de l’É.); Drolet c. Stiftung Gralsbotchaft, (2009) 85 C.P.R. (4th) 1] [Drolet]. Pour que l’on puisse s’opposer à une marque au motif qu’elle donne une description claire au sens de l’alinéa 12(1)b), elle doit décrire si bien l’article (ou les services) que personne ne saurait en acquérir le monopole [Clarkson Gordon c. Registraire des marques de commerce (1985), 5 C.P.R. (3d) 252, à la page 256 (C.F. 1er inst.].

[45]           De plus, pour déterminer si une marque de commerce est enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b), le registraire doit non seulement tenir compte des éléments de preuve, mais aussi appliquer le sens commun; la décision portant que la marque donne une description claire, ou encore une description fausse et trompeuse, est fondée sur la première impression et tient compte du produit ou du service visé [Neptune S.A. c. Canada (Procureur général) (2003), 29 C.P.R. (4th) 497 (C.F. 1er inst.)].

[46]           Pour donner une description fausse et trompeuse, une marque de commerce doit tromper le public quant à la nature (une particularité, un trait ou une caractéristique) ou à la qualité des marchandises ou services [Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1er inst.)].

[47]           Premièrement, la Requérante a soutenu que ses activités permettaient de surmonter la dichotomie traditionnelle entre le christianisme et le judaïsme et qu’elle devait être considérée comme une organisation juive. Or, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une question complexe, et avec égards pour la Requérante, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve démontre que les services religieux de CPM (« [m]inistère et missions […] programmes d’étude de la Bible […] évangélisation dans la rue […] conférences », etc.) relèvent d’un ministère chrétien et qu’ils sont par conséquent de nature chrétienne. Nonobstant le fait que les services sont adaptés aux croyances juives et qu’ils sont avant tout destinés aux Juifs, la mission de CPM consiste essentiellement à répandre l’Évangile du Seigneur Jésus-Christ. C’est ce qui ressort clairement de ses statuts constitutifs et de ses [traduction] « fondements doctrinaux », et c’est ce que laissent voir ses documents promotionnels. La controverse doctrinale sur la possibilité d’une caractérisation plus nuancée des services de la Requérante excède la portée de la présente instance; j’estime que la preuve de l’Opposante démontre que l’enseignement de l’Évangile de Jésus-Christ n’est pas une activité religieuse qui serait considérée comme juive. Je ferai remarquer que cette conclusion est compatible avec la conclusion de fait tirée par la Cour fédérale dans CJC c CPM (fondée sur une preuve similaire) selon laquelle la Requérante est une organisation chrétienne. En ce qui concerne la date pertinente pour l’examen de la question du caractère descriptif, je constate que les statuts constitutifs de la Requérante (et, par conséquent, son objet) existaient bien avant la date de production de la présente demande.

[48]           Deuxièmement, je suis d’avis que la preuve établit clairement que le candélabre à sept branches connu comme la menorah est un symbole, connu universellement, de la foi et de la culture juives. À nouveau, je ferai remarquer que cette conclusion est compatible avec celle tirée par la Cour fédérale dans la décision CJC c CPM, qui cite l’extrait suivant de The New Jewish Encyclopedia (également en preuve dans la présente instance au titre de la pièce U) :

[traduction]
Menorah : Nom hébreu donné au chandelier à sept branches initialement fabriqué par Bezalel, artisan dont l'œuvre s'inspire de la Bible, et placé dans le sanctuaire du Tabernacle. [. . .] La menorah est devenue depuis un symbole universel du judaïsme.

[49]           Troisièmement, compte tenu de la preuve selon laquelle ce symbole est largement utilisé au Canada, je suis également d’avis que la population canadienne reconnaîtrait immédiatement que la Marque est une menorah si elle était employée en liaison avec des services religieux et des marchandises connexes. Pour parvenir à cette conclusion, je me suis laissée guider par les autres descriptions de la menorah versées en preuve et sur les caractéristiques communes à chacune. La menorah est un candélabre que l’on reconnaît à ses sept branches allumées; elle se caractérise par ses branches courbées ou infléchies vers le centre.

[50]           De plus, contrairement aux autres enregistrements et demandes d’enregistrement versés en preuve et ayant trait à des symboles religieux, par exemple ceux comportant des représentations de la croix, la Marque ne présente aucun élément additionnel, sinon ce que l’on reconnaît clairement comme une menorah.

[51]           Il s’agit donc de savoir si, à partir de sa première impression, le public qui voit la Marque en liaison avec les marchandises et les services religieux visés par la demande penserait erronément que ces marchandises et services sont de nature juive – et si tel aurait été le cas à la date de production de la demande.

[52]           Étant donné mes conclusions précédentes sur l’importance et le caractère reconnaissable de la menorah au Canada, et vu que les services et les marchandises connexes de la Requérante sont de nature essentiellement chrétienne, je suis d’avis qu’une personne du public qui verrait la Marque (telle qu’elle est présentée dans la demande d’enregistrement, c’est‑à‑dire seule, sans élément additionnel) en liaison avec les services religieux et les marchandises connexes de la Requérante, à partir de sa première impression, penserait erronément qu’ils ont comme particularité, trait ou caractéristique essentielle d’être des services et marchandises connexes associés à la religion juive. Ce motif d’opposition est donc accueilli.

Alinéa 38(2)d)/article 2 - Caractère non distinctif

[53]           La date pertinente pour l’examen de ce motif est la date de la production de la déclaration d’opposition (le 8 janvier 1999) [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)].

[54]           L’Opposante fait valoir que la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, parce qu’elle ne distingue pas véritablement les marchandises et les services à l’égard desquels la Requérante projette de l’employer, des marchandises des autres propriétaires, y compris celles de l’Opposante, et qu’elle n’est pas adaptée à les distinguer ainsi; l’Opposante soutient que la Marque n’est pas employée comme une marque de commerce.

[55]           Comme il a été établi dans Drolet, précité (au paragraphe 169), pour être distinctive, une marque de commerce doit remplir trois conditions : 1) la marque de commerce doit être associée à un produit; 2) le propriétaire doit utiliser cette association entre la marque et son produit et vendre ce produit ou service; et 3) cette association doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer son produit de ceux des autres propriétaires [voir Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1er inst.)].

[56]           La Marque ne remplit pas la troisième condition. L’association de la Marque avec les services et les marchandises connexes ne permettrait pas à la Requérante de distinguer ses services de ceux des autres propriétaires. Comme le juge O’Keefe l’a déclaré dans Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. APA- The Engineered Wood Assn. (2002), 7 C.P.R. (4th) 239 (C.F. 1er inst.), « une marque de commerce qui donne une description claire ou une description fausse et trompeuse [est] nécessairement sans caractère distinctif ». Par conséquent, compte tenu de ma conclusion précédente selon laquelle la Marque donne une description fausse et trompeuse, la différence quant à la date pertinente n’ayant aucune incidence sur cette question, je conclus que, à la date pertinente, la Marque n’était pas adaptée à distinguer, et ne distinguait pas véritablement, les services et marchandises de la Requérante de ceux d’autres propriétaires au sens de l’article 2 de la Loi.

Dispositif

[57]           Par conséquent, la demande d’opposition est accueillie et il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs d’opposition.

[58]           Compte tenu de ce qui précède, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués sous le régime du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la demande conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

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P. Heidi Sprung

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

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