Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L'AFFAIRE D'UNE OPPOSITION de

Graphisoft, société à responsabilité limitée,

à la demande no 616,839 concernant la marque de commerce

GRAPHISOFT, produite par Graphisoft Szamitastechikai gmk

 

 

 

Le 12 octobre 1988, la requérante, Graphisoft Szamitastechikai gmk, a produit une demande en vue de l'enregistrement de la marque de commerce GRAPHISOFT concernant  "computer programs for engineering purposes",  fondée sur l'emploi et l'enregistrement de la marque en Hongrie (le 11 mai 1987, no 126,253).  Le 5 avril 1989, la demande a été annoncée à des fins d'opposition et, le 10 mai 1989, Graphisoft, société à responsabilité limitée, a fait opposition.  Le 26 mai 1989, une copie de la déclaration d'opposition a été envoyée à la requérante.  Les motifs de l'opposition invoqués à l'origine sont résumés ci‑dessous :

 

A.        La demande n'est pas conforme à l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce pour les raisons suivantes :

(1)        la requérante n'a pas employé la marque demandée en Hongrie;

(2)        à titre subsidiaire ou additionnel, la marque demandée avait été abandonnée;

(3)        la requérante ne pouvait être convaincue qu'elle avait le droit d'employer la marque au Canada.

 

B.        La requérante n'a pas droit à l'enregistrement de la marque demandée GRAPHISOFT sous le régime du paragraphe 16(2), parce que, à la date de la production de sa demande, la marque demandée créait de la confusion

(4)        avec les marques de l'opposante "of the type GRAPHIPRINT" antérieurement employées ou révélées au Canada par celle‑ci en liaison avec des logiciels et des services-conseils informatiques,

(5)        avec la demande de marque de commerce de l'opposante no 610,469 concernant la marque GRAPHIPRINT, produite le 28 juin 1988, en liaison avec, notamment, des logiciels et des services-conseils informatiques,


(6)        avec le nom commercial de l'opposante GRAPHISOFT, antérieurement employé au Canada en liaison avec des marchandises et une entreprise de même nature que celles de la requérante.

 

C.        La requérante n'a pas droit à l'enregistrement de la marque demandée pour les raisons suivantes :

(7)        la demande n'est pas conforme à l'article 30;

(8)        la marque demandée n'a pas été employée ou elle a été abandonnée;

(9)        la marque demandée n'est pas enregistrable.

 

D.        La marque demandée n'est pas distinctive des marchandises de la requérante et elle n'est pas adaptée pour les distinguer des marchandises, des services ou de l'entreprise de l'opposante ou d'autres personnes.

 

Par la suite, l'opposante a été autorisée à modifier le motif 4 afin d'invoquer ses marques GRAPHIPRINT et GRAPHISOFT, ainsi que le motif 6 afin d'invoquer son nom commercial Graphiprint en plus de son nom commercial Graphisoft : voir les décisions de la Commission des 14 janvier et 22 mai 1991 ainsi que du 11 février 1992.  La requérante a produit et signifié une contre-déclaration, qui a également été modifiée par la suite, niant de façon générale les allégations de l'opposante.

 


À titre préliminaire, j'estime que les motifs d'opposition 7, 8 et 9 sont plaidés incorrectement et que, en tout état de cause, les motifs 7 et 8 sont redondants.  Ces derniers portent sur la conformité de la demande avec l'article 30 plutôt que sur le droit de la requérante à l'enregistrement (régi par l'article 16).  En raison de l'économie de la Loi, la question de savoir si la requérante a droit à l'enregistrement d'une marque est différente et indépendante de celle de savoir si la demande est conforme à l'article 30.  Au mieux, les allégations avancées aux motifs 7 et 8 peuvent être considérées comme incluses dans les motifs 1, 2 et 3.  Ainsi, les motifs 7 et 8 peuvent être écartés.  De même, pour ce qui est du motif 9, l'économie de la Loi traite du droit à l'enregistrement et de l'enregistrabilité d'une marque (régie par  l'article 12) comme deux questions différentes et indépendantes.  Comme l'opposante n'a plaidé aucun fait à l'appui de son allégation selon laquelle la marque demandée n'est pas enregistrable (c'est-à-dire qu'elle contrevient à l'article 12), le motif 9 est rejeté par application de l'alinéa 38(3)a)  parce qu'il n'est pas assez détaillé pour permettre à la requérante d'y répondre.

 

La preuve de l'opposante se compose de l'affidavit de Jean-Philippe Meyer, directeur général de l'entreprise opposante.  M. Meyer a été contre-interrogé relativement à son affidavit, et la transcription de ce contre-interrogatoire fait partie de la preuve présentée en l'espèce.  En contre-interrogatoire, M. Meyer, sur les conseils de son avocat, ne s'est pas engagé relativement aux demandes de renseignements supplémentaires présentées par la requérante, mais il les a mises en délibéré.  Selon le dossier, l'opposante a finalement décidé de ne pas répondre aux demandes «mises en délibéré».

 

La preuve de la requérante se compose de l'affidavit de Roger Paul Britton, agent de marques de commerce, et concerne l'état de la recherche effectuée dans le registre des marques de commerce le 19 septembre 1991.  Il appert notamment de cette preuve que la marque de commerce GRAPHIPRINT mentionnée au motif 5, dont l'opposante a demandé l'enregistrement sous le no 610,469, a été enregistrée le 9 novembre 1990 sous le no 375,339.  L'opposante n'a pas modifié sa déclaration d'opposition pour invoquer sa marque nouvellement enregistrée.  Seule la requérante a déposé une argumentation écrite, et il n'y a pas eu d'audience.

 

Quant aux motifs d'opposition 1, 2 et 3, la preuve de l'opposante ne réussit nullement à étayer les allégations qui y sont avancées.  Il est donc inutile de poursuivre l'examen de ces motifs parce que l'opposante ne s'est pas déchargée du fardeau de la preuve qui consistait à soulever par ces motifs une question litigieuse.

 


En ce qui concerne les motifs d'opposition 4 et 6, il incombe à l'opposante de prouver (i) l'emploi au Canada de ses marques de commerce ou de ses noms commerciaux GRAPHISOFT et GRAPHIPRINT ou la révélation au Canada de ses marques, avant la date de production, par la requérante, de sa demande (c'est-à-dire le 12 octobre 1988), et (ii) que ses marques et ses noms commerciaux n'étaient pas abandonnés à la date de l'annonce de la marque demandée (c'est-à-dire le 5 avril 1989) : voir les alinéas 16(2)a) et c), ainsi que le paragraphe 16(5).  Je conclus que la preuve sous la forme de l'affidavit de M. Meyer et de son contre-interrogatoire examinée ci‑dessous ne satisfait pas à la première exigence.

 


L'entreprise opposante est située en France, où elle a été lancée en 1985 avec deux employés.  C'est, semble-t-il, une entreprise prospère dont le personnel comptait 12 employés à la fin de 1990.  Son activité principale et originale consiste à produire des logiciels pour l'industrie de l'imprimerie.  Le logiciel vendu sous la marque GRAPHIPRINT facilite l'estimation des coûts des contrats d'imprimerie (je souligne, en passant, que depuis 1990 l'opposante a produit également des logiciels servant à calculer l'orientation des satellites dans l'espace).  L'opposante a effectué ses premières ventes de logiciels sous la marque GRAPHIPRINT en France, en 1986.  Depuis, elle a tenté de pénétrer le marché de l'imprimerie aux États‑Unis et au Canada.  En novembre 1987, M. Meyer a fait un voyage de promotion à Montréal, au cours duquel il a rencontré des imprimeurs et des distributeurs de logiciels.  Il n'en est résulté aucune vente, mais un logiciel de démonstration a été remis à au moins un imprimeur du Québec.  Ainsi que l'a noté la requérante au paragraphe 46 de son argumentation écrite, il n'est pas certain que M. Meyer ait mentionné les marques de commerce ou les noms commerciaux GRAPHIPRINT ou GRAPHISOFT au cours de son séjour à Montréal.  En septembre 1988, l'opposante a lancé une filiale américaine en propriété exclusive, à savoir Graphisoft Inc., ayant ses bureaux à New York.  Cette filiale américaine a participé à des foires commerciales à Philadelphie, en mai 1989, et à Chicago, en octobre 1989, que des Canadiens ont visitées.  Aucune preuve précise n'indique le nombre de contacts faits par Graphisoft Inc. avec des Canadiens.   D'après le témoignage de M. Meyer, il n'est pas certain que Graphisoft Inc. ait eu effectivement des activités commerciales au Canada, avant ou après la date pertinente du 12 octobre 1988.  Il n'est pas certain non plus que l'emploi et l'annonce, le cas échéant, des marques et des noms commerciaux GRAPHISOFT et GRAPHIPRINT au Canada, par la filiale américaine, puissent être jugées comme un emploi et une annonce par l'opposante au sens du paragraphe 50(1).  En conclusion, le témoignage de M. Meyer ne contient aucun élément tangible me portant à conclure que les marques de commerce ou les noms commerciaux de l'opposante étaient employés ou avaient acquis une certaine réputation au Canada à la date pertinente du 12 octobre 1988.  Par conséquent, les  motifs d'opposition 4 et 6 sont rejetés.

 

Pour le motif d'opposition 5, l'opposante n'est pas tenue de faire la preuve de l'emploi ou de la révélation de sa marque GRAPHIPRINT.  Cependant, elle doit établir que (i) la demande no 610,469 a été produite avant celle de la requérante et que (ii) la demande no 610,469 était pendante à la date de l'annonce de la demande de la requérante : voir l'alinéa 16(2)b) et le paragraphe 16(4).  Elle a respecté les exigences susmentionnées en joignant, comme pièce, à l'affidavit de M. Meyer une copie d'une copie certifiée de sa demande no 610,469.  Quoi qu'il en soit, le témoignage de M. Britton indique que ces exigences ont été respectées.

 

Compte tenu de ce qui précède, pour ce qui est du motif 5, soit le droit préalable, il me reste à me prononcer sur la question de la confusion entre la marque de l'opposante GRAPHIPRINT et la marque demandée GRAPHISOFT.  Le fardeau ou la charge ultime incombe à la requérante qui doit établir l'absence d'une probabilité raisonnable de confusion.  En outre, la date pertinente pour examiner les circonstances relatives à ce point est celle de la production de la demande par la requérante (c'est‑à‑dire le 12 octobre 1988), conformément au paragraphe 16(2).  Enfin, l'application du critère d'appréciation de la confusion établi au paragraphe 6(2) de la Loi comporte l'examen de toutes les circonstances de l'espèce, y compris les circonstances expressément énoncées au paragraphe 6(5) de la Loi.

 


Ni l'une ni l'autre des marques GRAPHIPRINT et GRAPHISOFT ne possèdent un degré élevé de caractère distinctif inhérent parce que le préfixe GRAPHI composant chaque marque laisse entendre que les biens ou les services qui y sont associés présentent des renseignements sous une forme graphique ou picturale.  En outre, le suffixe PRINT, utilisée par l'opposante, fait présumer un lien avec l'industrie de l'imprimerie, alors que le suffixe SOFT, utilisé dans la marque demandée, suggère les marchandises elles-mêmes, à savoir les logiciels.  Rien ne prouve que l'une ou l'autre marque avait acquis une quelconque réputation au Canada à la date pertinente.  La période pendant laquelle les marques ont été en usage n'est pas un facteur pertinent.  La nature des marchandises des parties se chevauche dans la mesure où les marchandises de l'opposante, énoncées en termes généraux, à savoir "software", comprennent les marchandises plus précises de la requérante, à savoir "computer programs for engineering purposes."  Je conclus donc qu'il y a possibilité de chevauchement dans les voies commerciales des parties.  Les marques en cause se ressemblent dans la mesure où chacune est constituée du préfixe GRAPHI.  À titre de circonstances de l'espèce, la requérante invoque l'état du registre fourni par M. Britton, afin d'établir que la composante "graphi"   (ou des variantes de celle-ci comme "graphic", "graphics", "graphs" ) est un élément courant des marques de commerce de logiciel.  Selon la preuve, il y 24 inscriptions semblables au registre au nom de 22 propriétaires différents.  La composante "graphi"  (ou des variantes de celle‑ci) figure comme préfixe dans huit des marques.  La preuve constituée par l'état du registre n'est pertinente que dans la mesure où l'on peut en inférer l'état du marché.  Compte tenu des marques révélées par la recherche de la requérante, je suis disposé à conclure que le public est, du moins dans une certaine mesure, habitué à différencier les marques de logiciel qui comprennent la composante "graphi", en se fondant sur des composantes autres que       "graphi."  Compte tenu de ce qui précède et si l'on se rappelle que le critère d'appréciation de la confusion repose sur la première impression et la mémoire imparfaite, je suis convaincu que les marques en cause ne créent pas de confusion.  Le motif d'opposition 5 est donc rejeté.

 

Afin d'avoir gain de cause pour ce qui est du dernier motif d'opposition, le motif D, l'opposante devrait, en l'occurence, établir que ses marques ou ses noms commerciaux avaient acquis une réputation suffisante au Canada (à la date pertinente du 10 mai 1989) pour nier le caractère distinctif de la marque demandée.  Cependant, il ressort clairement de l'examen du témoignage de M. Meyer, ci‑dessus, que la réputation des marques et des noms commerciaux de l'opposante n'a, dans la meilleure des hypothèses, jamais dépassé le niveau minimal.  Il s'ensuit donc que le motif D est rejeté.

 


Compte tenu de ce qui précède, l'opposition de l'opposante est rejetée.

 

J'ajouterais que l'issue n'aurait pas été différente si l'opposante avait modifié sa déclaration d'opposition pour invoquer l'enregistrement no 375,339 de sa marque GRAPHIPRINT.

 

 

 

 

 

 

 

FAIT À HULL (QUÉBEC), LE  31e  JOUR DE JANVIER,  1995.

 

 

 

 

Myer Herzig,

membre,

Commission des oppositions des marques de commerce

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