Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

RELATIVEMENT À LOPPOSITION

de la Société canadienne des postes à la demande

no 683,875 produite par The Post Office en vue dobtenir lenregistrement de la marque de commerce ROYAL MAIL

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Le 11 juin 1991, la requérante, The Post Office, dont les bureaux sont situés à Londres (Angleterre), a produit une demande pour l’enregistrement de la marque ROYAL MAIL fondé sur l’emploi en liaison avec ce qui suit :

(1) des produits philatéliques, savoir des timbres, des enveloppes,  des enveloppes Premier Jour  (2) des modèles réduits de camions de livraison du courrier,  (3) des machines pour la manutention mécanique, le traitement et le tri (par grandeur) de marchandises [. . .] employées en liaison avec des services postaux,  (4) des pièces de vaisselle en céramique, (5) des appareils et des instruments électriques, électroniques et optiques. [. . .] des ordinateurs, des programmes d’ordinateur, des disques et des cassettes [. . .] employés en liaison avec des services postaux.

 

Pour l’enregistrement des marchandises énumérées au point (1), on invoque l’emploi de la marque que la requérante fait au Canada depuis aussi loin que 1840.  Pour l’enregistrement de la marque visée par la demande portant sur les autres marchandises énumérées aux points (2) à (5), on invoque l’emploi et l’enregistrement de la marque en Grande‑Bretagne.  De plus, cette demande comprend un désistement du droit à l’usage exclusif du terme MAIL en dehors de l’ensemble de la marque.  Le dossier indique que le ministre des Postes de Sa Majesté a rempli, en Grande‑Bretagne, les fonctions rattachées à la poste de 1636 à 1969 et que ces fonctions ont ultérieurement été transférées à la requérante sur consentement de Sa Majesté. 

 


La présente demande a été publiée dans le numéro du 2 septembre 1992 du Journal des marques de commerce et la Société canadienne des postes s’y est opposée le 12 novembre 1992.  Toutefois, le Bureau des marques de commerce a commis de nombreuses erreurs et omissions lorsqu’il a publié la demande, ce qui a conduit à la nullité de cette publication en date du 2 septembre 1992 :  voir la décision de la Commission en date du 19 mars 1993.  Par conséquent, la demande a été publiée à nouveau dans le numéro du 8 décembre 1993 du Journal.  Une autre erreur a été commise dans la publication du 8 décembre 1993, et on l’a corrigée en publiant un erratum dans un numéro subséquent du Journal.  L’instance en opposition relativement à la demande a commencé le 8 février 1994 lorsque la Société canadienne des postes a produit sa déclaration d’opposition.  Le 21 mars 1994, une copie de la déclaration d’opposition a été transmise à la requérante.  En réponse, cette dernière a produit et signifié une contre‑déclaration.

 

Les motifs d’opposition que l’opposante invoque dans sa déclaration d’opposition peuvent se résumer ainsi :

 

 

1          La marque ROYAL MAIL visée par la demande n’est pas enregistrable du fait qu’elle donne une description fausse ou trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises de la requérante.  À cet égard, l’expression « royal mail » laisse entendre que la Société canadienne des postes, l’opposante, et ses employés fournissent les marchandises de la requérante.

 

2          La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce  du fait que la requérante n’a pas employé la marque ROYAL MAIL depuis 1840, contrairement à ce qu’elle revendique dans sa demande.

 

3          La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce du fait que la requérante ne peut être convaincue qu’elle a le droit d’employer la marque au Canada, puisqu’un tel emploi serait illicite.  À cet égard, l’emploi de la marque ROYAL MAIL par la requérante irait à l’encontre du paragraphe 58(2) de la Loi sur la Société canadienne des postes.

 

4          La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce du fait que la requérante ne peut être convaincue qu’elle a le droit d’employer la marque au Canada à la date de production de cette demande.  À cet égard, l’emploi de la marque ROYAL MAIL serait illicite puisque le gouvernement du Canada a, depuis 1851, un intérêt propriétal dans l’expression ROYAL MAIL.

 

5          La marque ROYAL MAIL visée par la demande n’est pas enregistrable, suivant l’alinéa 12(1)d) de la Loi, parce qu’elle crée de la confusion avec l’une des marques déposées de l’opposante, ou plusieurs, énumérées ci‑dessous : 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

6          La requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque visée par la demande puisque, à la date de production de cette demande, la marque créait de la confusion avec les marques et les noms commerciaux CANADA POST CORPORATION, CANADA POST et POST OFFICE de l’opposante, ses marques officielles, ses marques mentionnées précédemment au point 5 et sa marque ROYAL MAIL, [TRADUCTION] « lesquelles ont toutes déjà été employées au Canada par l’opposante ou par son prédécesseur, Sa Majesté du chef du Canada [. . .] ».

 


7          La marque visée par la demande n’est pas enregistrable, selon l’alinéa 12(1)e) de la Loi, en ce qu’il s’agit d’une marque dont l’adoption est interdite suivant l’article 9 de la Loi, du fait qu’on pourrait la confondre avec les marques officielles de l’opposante énumérées ci‑après :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8          La marque visée par la demande n’est pas enregistrable, suivant les alinéas 12(1)e) et 9(1)d) de la Loi, en ce que l’emploi fait par la requérante de la marque ROYAL MAIL serait susceptible de porter à croire qu’elle est employée sous le patronage ou sur l’autorité du gouvernement du Canada, ou qu’elle a reçu son approbation. 

 

9          La marque visée par la demande n’est pas distinctive en ce qu’elle ne distingue pas les marchandises et les services de la requérante, des marchandises et services que l’opposante fournit sous ses noms commerciaux et ses marques officielles. 

 

La preuve principale de l’opposante consiste en les affidavits des personnes suivantes : 

 

Allan Burnett (deux affidavits)                      Douglas Johnson

Bryan Kalef                                                    Bruce Moreland

Loretta Bozovich                                            Paul Oldale (trois affidavits)

Robert Devlin                                                 Gay Owens

Chris de Layen                                                Mark Rees

Marc Gingras                                                  Susanne Scheurwater

Thomas Hillman                                              Bianca Gendreau

Dean Karakasis                                               Philip Lapin

Randy Carter                                                  Gilles Manor

George Anstey                                                            Ralph Mitchener

Raymond Douglas Hutton

 

La preuve de la requérante consiste en les affidavits des personnes suivantes :

 

Michael Godwin

Geoffrey Stephan Brown

Kevin Wong

 


Messieurs Brown et Wong ont été contre‑interrogés sur le contenu de leurs affidavits et la transcription des contre‑interrogatoires fait partie de la preuve au dossier.  Il appert du contre‑interrogatoire de M. Wong que la majeure partie de son témoignage constitue du ouï‑dire inadmissible.  

 

En réponse, l’opposante a fourni les affidavits de Margaret Kruszewski et de Carol Weatherall.  Elle a demandé et a obtenu, à deux reprises, l’autorisation de produire des éléments de preuve supplémentaires conformément à l’article 44 du Règlement sur les marques de commerce : voir les décisions de la Commission en date du 17 septembre 1996 et du 8 décembre 1998.  Cette preuve supplémentaire consiste en les affidavits de Kurt Kaiser, de Tommy Ciriello, de Philippe Leroux (quatre affidavits) et de Charles Raphael.  Les deux parties ont produit une argumentation écrite et elles étaient dûment représentées à l’audience.

 

La preuve de l’opposante établit que son prédécesseur employait l’expression ROYAL MAIL sur des trains, des camions et des avions depuis environ le début du siècle jusqu’en 1940 approximativement, relativement à la livraison du courrier : voir les affidavits de Allan Burnett, de Robert Devlin et de Philip Lapin.  Toutefois, il semble que cet emploi de l’expression ROYAL MAIL soit tombé graduellement en désuétude depuis maintenant un demi‑siècle.  La preuve de M. Hutton établit que l’emploi des expressions CANADA POST et POSTES CANADA, sur des petits camions de livraison du courrier vendus dans des comptoirs postaux et par commandes postales, est relativement récent.  Comme le souligne la requérante, l’emballage de ces petits camions affiche les marques de commerce LEGO, MATCHBOX et TONKA.  Par conséquent, il semble que l’opposante tienne simplement lieu de point de vente au détail en ce qui a trait aux petits camions de livraison du courrier affichant la marque de commerce de tiers. 

 


L’une des questions en litige, relativement au sixième motif d’opposition, est de savoir si l’opposante peut démontrer que l’expression ROYAL MAIL est actuellement employée comme marque de commerce en liaison avec des services postaux.  À cet égard, la preuve de M. Leroux établit que l’expression ROYAL MAIL est marquée en relief sur des boîtes aux lettres ouvrées et d’époque, encore couramment utilisées, qui se trouvent dans plusieurs immeubles à Montréal, savoir (i) dans l’immeuble de la gare Windsor, sis au 910 rue Peel, (ii) dans l’immeuble de la Bourse des assurances, sis au 267 rue St-Jacques, (iii) dans l’immeuble de la Banque Royale, sis au 360 rue St-Jacques, (iv) et dans l’immeuble de la société Sun Life, sis au 1155 rue Metcalfe.  La preuve de M. Raphael établit qu’une autre de ces boîtes aux lettres se trouve dans l’immeuble de la société Lafarge Canada, sis au 606 rue Cathcart à Montréal.  La preuve de M. Ciriello établit qu’une autre encore se trouve à l’Hôtel Ritz‑Carleton sis au 1228 rue Sherbrooke Ouest à Montréal.  La preuve de M. Kaiser établit qu’il en existe une autre au Palliser Hotel à Calgary.  Au paragraphe 3 de son affidavit, reproduit ci‑dessous, ce dernier décrit dans les termes suivants la mission de la boîte aux lettres au Palliser Hotel :

 

 

 

 

 

 

La mission de la boîte aux lettres et du vide‑lettres situés au Palliser Hotel semble être également applicable aux boîtes aux lettres mentionnées dans les affidavits de MM. Leroux, Raphael et Ciriello. 

 

Selon l’interprétation de la requérante au sujet de la preuve susmentionnée, qu’elle expose aux paragraphes 37 à 39 de son argumentation écrite, on se sert de ces vide‑lettres dans l’immeuble

[TRADUCTION] pour la cueillette du courrier des locataires et des occupants, courrier quon livre ensuite, dans le cours normal des activités dun immeuble commercial, à la Société canadienne des postes pour manutention.  En effet, même les avis indiquant les heures de levée du courrier pour les vide‑lettres ne mentionnent pas la Société canadienne des postes et il est également probable que ce sont les gestionnaires de limmeuble ou les employés de lhôtel qui déterminent ces heures de levée [ . . . ] il est plus probable que les immeubles ou les hôtels aient gardé ces vide‑lettres historiques afin que limmeuble conserve un cachet historique [ . . . ] la preuve démontre à tout le moins quil y en a dautres qui emploient au Canada la marque de commerce ROYAL MAIL en liaison avec la levée de courrier.

 


Les arguments de la requérante sont convaincants, tandis que la preuve de l’opposante est incomplète et ne parvient pas à établir de façon concluante que l’emploi de l’expression ROYAL MAIL sur les boîtes aux lettres situées à l’intérieur d’immeubles peut constituer l’emploi d’une marque de commerce au sens des paragraphes 4(1) ou 4(2) de la Loi sur les marques de commerce, emploi qui bénéficierait à l’opposante.  J’hésite donc à conclure que l’opposante a établi son emploi actuel de la marque ROYAL MAIL en liaison avec des services de levée du courrier.  Néanmoins, la preuve de l’opposante tend à démontrer que l’expression ROYAL MAIL, maintenant désuète, peut au moins rappeler au public qu’elle a déjà été couramment associée au système de distribution postale.

 

La preuve par affidavit de M. Brown (produite au dossier de la requérante) et le témoignage qu’il a rendu en contre‑interrogatoire peuvent se résumer de la façon suivante.  La requérante, The Post Office, remplit le rôle de messager officiel au Royaume‑Uni et elle offre des services internationaux de liaison avec la plupart des autres messagers, y compris celui du Canada.  La poste du Royaume‑Uni à destination du Canada arrive dans des sacs postaux portant l’inscription ROYAL MAIL.  La requérante vend à ses clients des enveloppes pré‑affranchies portant l’inscription de sa marque ROYAL MAIL pour l’acheminement et la distribution du courrier au Canada.  La requérante offre également,  sous sa marque ROYAL MAIL, des services de dépôt en nombre au Canada (pour le R.‑U. et des destinations internationales) par l’entremise de Key Mail Canada Inc., titulaire exclusif de sa licence au Canada.  Key Mail Canada Inc. fait la cueillette du courrier en provenance du Canada et le transporte au R.‑U. où il est ensuite déversé dans le système postal du R.‑U. en vue d’être livré au R.‑U. et dans d’autres pays.  Ce « courrier » n’est pas expédié au R.‑U. En tant que courrier mais plutôt en tant que fret.  Key Mail Canada Inc. place le courrier du Canada dans des sacs postaux fournis par la requérante et portant l’inscription ROYAL MAIL.  On transporte ensuite les sacs dans des avions à destination du R.‑U.  Le courrier qui arrive au R.‑U. en provenance du Canada, de la manière décrite précédemment, sera affranchi soit par Key Mail Canada Inc. soit par l’expéditeur canadien ou, lorsque le courrier arrive sans être affranchi, par la requérante qui offre l’affranchissement parmi ses services.  La requérante a commencé à offrir de tels services au Canada en 1994.  Elle annonce et fait connaître ses marchandises et ses services au Canada dans des brochures, des bulletins semestriels, et dans le cadre de salons professionnels et de congrès.

 


L’ affidavit de M. Godwin, produit au dossier de la requérante, fournit en preuve des demandes de marques de commerce, ainsi que des enregistrements et des marques officielles du Canada qui comprennent les mots « mail » ou « post ».  Je conviens avec l’opposante que cette preuve fournit peu d’éléments en faveur de la requérante puisque plusieurs des enregistrements visent un emploi en liaison avec des journaux ou d’autres publications ou encore d’autres marchandises et services qui ne sont pas pertinents quant à la présente instance.  Parmi les enregistrements ou demandes repérés, aucun ne consiste en l’expression ROYAL MAIL ou ne la comprend.

 

Une partie importante de l’argumentation de l’opposante repose sur l’idée que la plupart des Canadiens associent le mot MAIL à l’opposante, c’est-à-dire à une organisation du secteur public chargée de distribuer le courrier au Canada.  Selon l’opposante, l’expression ROYAL MAIL serait perçue de la même manière dans son emploi à dimension historique sur les véhicules de distribution postale et sur les anciennes boîtes aux lettres encore utilisées.  De plus, l’opposante soutient qu’elle agit à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada et, qu’en conséquence, elle est encore aujourd’hui une institution « royale » au même titre que l’était son prédécesseur, le ministère des Postes, au moment de sa création en 1851.  La décision publiée Société canadienne des Postes c. Postpar Inc.(1989), 20 C.I.P.R. 180, [1988] R.J.Q. 2740, ainsi que la preuve déposée au dossier de l’opposante en l’espèce, y compris la preuve de l’emploi de sa marque qui englobe le mot MAIL, étayent la position de l’opposante.  Dans la décision Postpar, on a décidé que l’emploi du mot « post » dans la dénomination sociale de la défenderesse Postpar Inc. contrevenait aux dispositions de l’article 58 de la Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. 1985, ch. C-10, reproduit ci‑après :

 

58.

(1) Commet une infraction quiconque, sans le consentement écrit de la Société, appose ou fait apposer sur ses locaux ou permet qu'y soit apposée ou qu'y demeure la mention «bureau de poste» ou toute autre mention ou marque de nature à faire penser que les locaux constituent un bureau de poste ou que des lettres peuvent y être postées.

(2)

Commet une infraction quiconque, sans le consentement écrit de la Société, appose sur une chose une mention ou une marque de nature à faire penser que cette chose :

a)

soit a fait l'objet de l'autorisation ou de l'approbation de la Société;

b)

soit sert à l'exercice des activités de la Société;

c)

soit est semblable ou identique à une autre chose qu'utilise la Société pour ses activités.

 


Dans la décision Postpar, précitée, le juge a fait les observations suivantes à la page 224 :

[TRADUCTION] Le plus étonnant au sujet de cette question est quen appliquant la norme « de nature à faire penser », on doit réexaminer des facteurs qui touchent de près à la question fondamentale de lespèce, savoir celle qui concerne le monopole gouvernemental du système postal.  Si dans notre pays, comme partout dans le monde, des mots comme « mail », « post » et « post office » sont toujours perçus comme étant en liaison avec le seul système postal que lon connaisse , comment pourrait‑on alors en arriver à une conclusion autre que celle que lemploi des mots « post » et « post office » est « de nature à faire penser » aux infractions prévues aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 58(2)? 

 

Les faits de la décision Postpar se distinguent de ceux de l’espèce.  Toutefois, cette décision étaye bel et bien la position de l’opposante selon laquelle la composante verbale « mail » de la marque ROYAL MAIL visée par la demande donne à entendre à tout le moins qu’il existe une affiliation avec le système canadien des postes, c’est-à-dire avec la Société canadienne des postes.  Toutefois, la requérante souligne que le « monopole » de distribution postale, accordé à la Société canadienne des postes, est restreint.  L’alinéa 15(1)e) de la Loi sur la Société canadienne des postes, par exemple, indique ce qui suit :

   15. (1) Le privilège exclusif octroyé au paragraphe 14(1) ne s'applique pas aux documents suivants :

                                   

      e)   les lettres urgentes transmises par porteur moyennant une rétribution au moins égale à trois fois le port exigible pour la distribution au Canada de lettres de destination comparable pesant cinquante grammes;

 


L’urgence d’une lettre est une question subjective et il s’ensuit que quiconque demande trois fois les frais de port, ou plus, a le droit de distribuer des lettres au Canada à la condition que, de l’avis de l’expéditeur, les lettres soient urgentes.  De plus, l’alinéa 15(1)h) de la Loi sur la Société canadienne des postes soustrait toutes les lettres transmises par des moyens électroniques du monopole de la Société canadienne des postes.  Par conséquent, la requérante allègue que le public canadien comprend et utilise le mot « mail » en référence à des effets qui circulent dans le système postal autorisé par le gouvernement, mais qu’il ne s’ensuit pas que ce public utilise le mot « mail » uniquement à l’égard du courrier dont se charge la Société canadienne des postes.  Par exemple, dans une salle de courrier typique de bureau, le courrier comprend des effets distribués par la Société canadienne des postes, par divers autres messagers, par télécopieur et par l’interservice du bureau.  Par conséquent, la requérante conclut que diverses organisations traitent le courrier sans que la Société canadienne des postes intervienne.

 

L’argumentation écrite de la requérante et les observations qu’elle a faites à l’audience se voulaient, à juste raison, une critique de différents aspects de la preuve de l’opposante.  Toutefois, la preuve de la requérante, quant à elle, est loin d’arriver à établir que sa marque a atteint une quelconque notoriété significative au Canada à tout moment pertinent.  Même si j’examinais la preuve de la requérante sous son angle le plus favorable et celle de l’opposante sous son angle le plus défavorable, j’arriverais quand même à la conclusion que l’expression ROYAL MAIL, employée en liaison avec les marchandises et les services décrits dans la présente demande, se rattache autant à l’opposante qu’à la requérante.  À cet égard, les deux parties sont aussi « royales » l’une que l’autre, elles ont la même Reine en commun et les deux fournissent un service postal ainsi que des marchandises et services reliés à la poste, lesquels sont autorisés par le gouvernement.  La question qui découle des considérations énumérées précédemment est de savoir, comme l’a soulevé l’opposante dans sa déclaration d’opposition, si la requérante peut établir que sa marque ROYAL MAIL distingue, au Canada, les marchandises et services mentionnés dans la présente demande.

 

Il incombe à la requérante de démontrer que sa marque est adaptée à distinguer ses marchandises ou services, sur tout le territoire canadien, des marchandises ou services de la Société canadienne des postes ou qu’elle les distingue véritablement : voir Muffin Houses Inc. v. The Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.).  Le fardeau imposé à la requérante signifie que, lorsqu’une conclusion définie ne peut être tirée une fois que tous les éléments de preuve ont été présentés, la question doit être tranchée en sa défaveur.  Le moment pertinent pour apprécier les circonstances entourant la question du caractère distinctif est la date de production de l’opposition qui, en l’espèce, est le 8 février 1994 : voir Re Andres Wines Ltd. et E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, à la page 130 (C.A.F.);  Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, à la page 424 (C.A.F.).                                                        


 

Pour trancher la question du caractère distinctif, je me suis inspiré de l’opinion exprimée par le juge Addy dans la décision Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44, à la page 58 (C.F. 1re inst.) :

Quant à la question de l'absence de caractère distinctif d'une marque, bien qu'il doive être établi que la marque rivale ou adverse est connue au moins jusqu'à un certain point, il n'est pas nécessaire de prouver qu'elle est bien connue [ . . . ] Il suffit d'établir que l'autre marque [celle de lopposant] est devenue suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque attaquée [celle du requérant]. 

 

J’ai également trouvé appui dans les propos qu’a tenus le juge Denault dans la décision Steinberg Inc. c. J.L. Duval Ltée (1992), 44 C.P.R. (3d) 417, à la page 423 (C.F. 1re inst.) :

[TRADUCTION] La décision de savoir si une marque distingue véritablement les marchandises ou services de son propriétaire, de ceux que procurent dautres fournisseurs du même genre de marchandises ou de services, dépendra des faits particuliers de chaque espèce.

 

En l’espèce, l’opposante ne peut se fonder sur aucun droit exclusif à la marque ROYAL MAIL.  Comme je l’ai mentionné précédemment, j’estime que la preuve n’étaye pas la propriété que l’opposante revendique à l’égard de la marque ROYAL MAIL, à toutes dates pertinentes, en la présente instance.  À cet égard, il semble que la Société canadienne des postes, opposante en l’espèce, ait laissé l’expression ROYAL MAIL tomber en désuétude comme marque de commerce pour décrire ses marchandises et services.  Néanmoins, l’opinion du juge Addy est toujours à propos puisque la question du caractère distinctif, contrairement aux motifs d’opposition fondés sur la non‑enregistrabilité suivant l’alinéa 12(1)d) ou sur l’absence de droit à l’enregistrement suivant l’article 16, ne dépend pas de l’existence d’une marque rivale (ou d’une demande relative à une marque rivale).  La question de savoir si la marque visée par la demande est distinctive peut se trancher, et c’est souvent le cas, en fonction de considérations générales liées à la conjoncture du marché, comme par exemple l’emploi répandu de la marque par des tiers (ou d’une marque dont la similitude est susceptible de créer de la confusion).  Un autre aspect de la conjoncture du marché entre en jeu lorsque, par exemple, les motifs du juge Addy reçoivent une interprétation différente, libellée en ces termes :


[TRADUCTION] Quant à la question de l'absence de caractère distinctif d'une marque, bien qu'il doive être établi que le mot rival ou concurrent est connu au moins jusqu'à un certain point, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il est bien connu [ . . . ] Il suffit d'établir que l'autre mot est devenu suffisamment lié à une autre partie [habituellement, lopposant], ou à dautres tiers, pour annuler le caractère distinctif de la marque attaquée [celle du requérant].

 

Cette reformulation de l’opinion du juge Addy n’est qu’une simple application du principe général auquel le juge Denault faisait allusion précédemment.

 

Comme je l’ai déjà mentionné, l’expression ROYAL MAIL s’applique, au Canada, autant aux marchandises et services de l’opposante qu’à ceux de la requérante.  À mon avis, il est possible que le consommateur ordinaire croit que les marchandises et services de la requérante, vendues sous la marque ROYAL MAIL, proviennent de l’opposante, ou qu’il se demande si l’opposante a approuvé, autorisé sous licence ou parrainé les marchandises ou services que la requérante fournit sous la marque ROYAL MAIL.  Compte tenu de ce qui précède, le huitième motif d’opposition, dans lequel l’opposante allègue l’absence de caractère distinctif, est bien fondé et son neuvième motif d’opposition l’est également, sensiblement pour les mêmes raisons.  Il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les autres motifs d’opposition et je ne rendrai aucune décision en ce qui les concerne.

 

Vu ce qui précède, je repousse la présente demande.

 

FAIT À HULL (QUÉBEC), LE 28E       JOUR DE    JUIN           2001.

 

 

 

Myer Herzig,

Membre,

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

 

 

 

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