Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 84

Date de la décision : 2015-05-04

TRADUCTION

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par SpinMedia (anciennement InterMedia Vibe Holdings, LLC) à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1,125,712 pour la marque de commerce VIBE au nom de BellMedia Inc.

Dossier

[1]               Le 19 décembre 2001, Bell Media Inc. (la Requérante) a déposé une demande d'enregistrement de la marque de commerce VIBE (la Marque), fondée sur un emploi projeté au Canada en liaison avec les services suivants :

[Traduction]

(1) Services de télédiffusion et services de programmation télévisuelle par câble; services de programmation télévisuelle; diffusion d'émissions télévisées à des systèmes de télévision par câble.
(2) Création et production d'émissions de télévision et de systèmes; distribution d'émissions de télévision.
(3) Exploitation d'un site Web interactif pour la vente en ligne dans le domaine de la musique et diffusion en ligne d'émissions de télévision.
(4) Offre d'information sur un grand nombre de sujets d'intérêt général pour le grand public par la télévision, le satellite, l'ordinateur, le téléphone, l'audio, la vidéo et/ou le Web (y compris sur bande étroite et large bande) ou par courriel.
(5) Services de divertissement, en l'occurrence série d'émissions de critiques, de nouvelles, d'art, de mode, d'habitudes de vie, de sport, de musique et/ou de spectacles diffusés au moyen de la télévision, du satellite, de l'informatique, du téléphone, du courriel, de la radio, de supports audio et vidéo et/ou d'Internet.

[2]               La demande d'enregistrement a été annoncée le 21 novembre 2012.

[3]               InterMedia Vibe Holdings, LLC (InterMedia) a produit une déclaration d'opposition le 22 avril 2013. Les motifs d’opposition sont invoqués en vertu des alinéas 30e), 30i), 16(3)a), 16(3)c) et 12(1)d) et de l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi) et sont énoncés dans l'annexe A des présentes. Bon nombre de ces motifs sont liés à la détermination de la probabilité de confusion entre la Marque et l'une des marques de commerce déposées VIBE de l'Opposante (LMC526,485 et LMC793,016). Le 6 février 2014, InterMedia a reçu l'autorisation de modifier sa déclaration d'opposition afin que celle-ci reflète la cession de ses droits sur la marque de commerce VIBE à SpinMedia. Le terme « Opposante » désignera SpinMedia ou InterMedia, selon le cas en fonction de la période en question.

[4]               La Requérante a produit une contre-déclaration contestant chacun des motifs d'opposition.

[5]               À l'appui de son opposition, l'Opposante a produit l'affidavit de Jeff Leeds. M. Leeds n'a pas été contre-interrogé. La Requérante a choisi de ne produire aucune preuve.

[6]               Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit.

[7]               Aucune audience n'a été tenue.

Fardeau de preuve et dates pertinentes

[8]               C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, il incombe à l'Opposante de s'acquitter du fardeau de preuve initial de présenter une preuve admissible suffisante à partir de laquelle on peut raisonnablement conclure que les faits allégués à l'appui de chaque motif d'opposition existent [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst) à la page 298; et Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF)].

[9]               Les dates pertinentes qui s'appliquent aux motifs d'opposition sont les suivantes :

         alinéa 38(2)a) et article 30 – la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC) à la page 475];

         alinéas 38(2)b)/12(1)d) – la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c Wickes/Simmons Bedding Ltd. et le Registraire des marques de commerce (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)];

         alinéa 38(2)c)/ 16(3)a) et 16(3)c) – la date de production de la demande;

         alinéa 38(2)d)/absence de caractère distinctif – la date de production de l’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc (2004), 34 CPR (4th) 317 (CF)].

Décisions antérieures concernant la marque de commerce de l’Opposante

[10]           L’Opposante a fait référence à des décisions antérieures de la Cour fédérale et à des décisions rendues à la suite d'oppositions produites à l'encontre des marques de commerce VIBE de l'Opposante. Les décisions comprennent les suivantes : Vibe Media Group LLC, aujourd’hui InterMedia Vibe Holdings LLC c Lewis Craig faisant affaire sous la raison sociale de Vibetrain appel d’une opposition concernant la marque de commerce VIBETRAIN; Vibe Ventures LLC c 3681441 Canada Inc. (2005), 45 CPR (4th) 17 (CF), action en radiation fondée sur l’article 57 concernant la marque de commerce VIBE Dessin; InterMedia Vibe Holdings, LLC (aujourd'hui SpinMedia) c CTV Limited (anciennement Chum Limited et aujourd'hui Bell Media Inc) 2010 COMC 165, opposition contre la demande d'enregistrement produite par l'Opposante pour la marque de commerce VIBE; Vibe Ventures LLC et Vibe Media Group LLC & InterMedia Vibe Holdings, LLC (aujourd'hui SpinMedia), 2010 COMC 166, opposition contre la demande d'enregistrement produite par la Requérante pour la marque de commerce MUCHVIBE; et InterMedia Vibe Holdings, LLC (aujourd'hui SpinMedia) c Vibe Studio Productions Inc, 2011 COMC 156, opposition produite par l'Opposante contre la demande d'enregistrement de la marque de commerce VIBE. Je ne suis pas liée aux conclusions énoncées dans les décisions susmentionnées, puisque chaque cas doit être tranché en fonction des circonstances qui lui sont propres. Je dois quand même m'y pencher, là où j'estime qu'il convient de le faire.

Résumé de la preuve de l'Opposante

Affidavit Leeds

[11]           Dans son affidavit, M. Leeds, directeur général de la division Musique de l'Opposante, déclare ce qui suit concernant l'emploi de la marque de commerce et du nom commercial VIBE de l'Opposante au Canada :

-          la marque VIBE est employée de façon continue et importante au Canada par l'Opposante, ou au nom de celle-ci, depuis 1992, en liaison avec un magazine d'intérêt général portant sur la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement [paragraphe 3];

-          dans un numéro du magazine VIBE représentatif, daté de décembre 2012/janvier 2013, VIBE figure bien en vue sur la page couverture du magazine, sur le dos du magazine et à divers endroits dans le magazine [paragraphe et pièce 3];

-          les copies de la page couverture de certains autres numéros du magazine VIBE parus entre 1992 et 1995, en 2002, en 2003 et à l'été 2013 montrent la marque VIBE bien en évidence sur ledit magazine [paragraphe 4 et pièce 4];

-          le nombre de magazines VIBE vendus au Canada chaque année entre 1996 et 2001 s'élevait entre 60 000 et 80 000, pour une valeur au détail de quelques dizaines de millions de dollars canadiens [paragraphe 5 et pièce 4];

-          VIBE est un magazine primé reconnu qui a remporté plusieurs prix de la Society of Publication Designers, dont quatre prix seulement en 2009 [paragraphe 6];

-          la marque de commerce VIBE est employée depuis au moins aussi tôt que 1994 en liaison avec l'exploitation d'un site Web, sur lequel on trouve, entre autres, un magazine en ligne et de l'information sur la musique, le divertissement et la culture hip-hop [paragraphe 7 et pièce 5];

-          en 2013, 1,6 million de visites de lecteurs canadiens ont été enregistrées sur le site Web www.VIBE.com [paragraphe 9];

-          l'emploi de la marque VIBE a été étendu à d'autres produits et services, y compris des livres sur la musique, le divertissement et la culture urbaine; des services d'actualités, de critique de disques et d'information, y compris des articles tirés du site Web www.VIBE.com ou du magazine de l'Opposante offerts sur appareil mobile ou tablette; et des produits et services liés à la mode et aux vêtements [paragraphe 13-17];

-          une émission de télévision appelée VIBE a été diffusée sur CFMT-TV au Canada, de janvier à août 1998 [paragraphe 12];

-          par l'entremise du site Web de l'Opposante et, de façon continue, depuis au moins aussi tôt que 1998, la marque VIBE est employée par le magazine en liaison avec l'offre de contenu audio/vidéo comme de la musique, des vidéos de musique et des entrevues – même si ce contenu pouvait à l'origine être téléchargé, il est offert par diffusion en continu depuis le milieu des années 2000 [paragraphe 11];

-          l'Opposante emploie la marque de commerce VIBE depuis que le magazine est offert en abonnement, p. ex. sur toutes les cartes d'abonnement et fiches de transfert de l'Opposante; le nom commercial VIBE de l'Opposante a également été mentionné dans un texte publié à titre de contenu du magazine et dans d'autres médias (p. ex. VIBE goes behind the scenes, VIBE spoke with, etc.) [paragraphe 18].

[12]           M. Leeds a également présenté une liste des prédécesseurs en titre de l'Opposante qui ont employé la marque VIBE au Canada en liaison avec les produits et services susmentionnés [paragraphe 19]. Il indique aussi que les activités précédemment citées ont toutes été exécutées par les agents ou d'autres employés du propriétaire autorisé de la marque de commerce au moment visé, ou par des filiales ou d'autres licenciés du propriétaire autorisé à ce moment, sous réserve de la conviction que le propriétaire avait alors, en vertu de la licence, un contrôle direct ou indirect sur la nature ou la qualité desdits produits et services [paragraphe 20].

Non-conformité – alinéa 30i)

[13]           L'Opposante allègue que la Requérante ne pouvait pas être convaincue d'avoir le droit d'employer la Marque au Canada en vertu de l'alinéa 30i) de la Loi, car la Requérante était au courant de l'emploi antérieur des marques de commerce de l'Opposante qui créent de la confusion.

[14]           L'alinéa 30i) de la Loi exige simplement que toute partie requérante se déclare convaincue d'avoir droit à l'enregistrement de sa marque dans sa demande. Si une partie requérante a fourni la déclaration exigée, un motif d'opposition fondé sur l'article 30i) ne devrait être accueilli que dans des cas exceptionnels, comme lorsqu'il existe une preuve que la partie requérante est de mauvaise foi [Sapodilla Co Ltd c Bristol-Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), à la page 155]. La simple connaissance de l'existence de la marque de commerce ou du nom commercial d'une partie opposante n'étaye pas en soi une allégation selon laquelle une partie requérante ne pouvait pas être convaincue de son droit à l'emploi de la marque [Woot, Inc c WootRestaurants Inc Les Restaurants Woot Inc 2012 COMC 197 (CanLII)].

[15]           En l'espèce, la Requérante a fourni la déclaration requise et il ne s'agit pas d'un cas exceptionnel. Par conséquent, ce motif d'opposition est rejeté.

Non-conformité – alinéa 30e)

[16]           L'Opposante fait valoir que la Requérante n'avait pas l'intention requise d'employer la Marque à compter de la date de dépôt. En revanche, l'Opposante soutient qu'un tel emploi avait déjà commencé pour au moins un des services.

[17]           Comme il est difficile de prouver un fait négatif, et encore davantage lorsqu’il s’agit d’une demande fondée sur un emploi projeté, le fardeau initial qui incombe à l’Opposante à l’égard du motif d’opposition fondé sur la non-conformité à l’alinéa 30e) est relativement léger [Molson Canada c Anheuser-Busch Inc, 2003 CF 1287 (CanLII); (2003), 29 CPR (4th) 315 (CF)]. Je note aussi qu'il existe une série de décisions dans lesquelles le registraire a refusé des demandes visant l’emploi projeté lorsqu’une preuve démontrait que la marque de commerce avait été employée avant la date de production de la demande [Nabisco Brands Ltd c Cuda Consolidated Inc (1997), 81 CPR (3d) 537 à la page 540 (COMC) et Canada Post Corporation c IBAX Inc (2001), 12 CPR (4th) 562 (COMC)].

[18]           Toutefois, dans l'affaire qui nous occupe, la Requérante n'a produit aucune preuve. L'Opposante s'appuie, cependant, sur une preuve produite par la Requérante dans son opposition relative à la demande no 1,163,727 pour la marque VIBE [InterMedia Vibe Holdings, LLC (aujourd'hui SpinMedia) c CTV Limited (anciennement Chum Limited et aujourd'hui Bell Media Inc), supra]. Jointes en pièce 8 de l'affidavit de M. Leeds figurent des copies de certaines publicités de la Requérante, datant d'au moins aussi tôt qu'avril 2002 et allant jusqu'à au moins septembre 2004, lesquelles ont été produites dans la pièce J de l'affidavit de David Kines qui a été souscrit dans le cadre de l'autre instance. La pièce 9 de l'affidavit Leeds est une copie des pages 8 à 14 du contre-interrogatoire de David Kines, réalisé le 3 janvier 2003, concernant son affidavit susmentionné. L'Opposante fait valoir que dans cette instance précédente, l'agent de la Requérante avait nié que la Marque VIBE n'avait pas encore été employée, même si plusieurs années s'étaient écoulées depuis le dépôt de la demande en question.

[19]           Je me prononcerai d'abord sur l'admissibilité des pièces jointes à l'affidavit de M. Leeds. En plus d'être des photocopies de documents incomplets dans les dossiers du Bureau des marques de commerce, il s'agit d'une preuve par ouï-dire. Je ne considère donc pas que les pièces jointes à l'affidavit de M. Kines sont admissibles.

[20]           Même si cette preuve était admissible, cela n'aurait en rien changé le résultat du présent motif d’opposition. À cet égard, le fait que M. Kines ait déclaré dans l'autre instance que la Requérante n'avait pas employé la marque VIBE, mais avait plutôt employé la marque MUCHVIBE n'est pas clairement incompatible avec la déclaration d'intention de la Requérante d'employer la marque VIBE en l'espèce. De plus, les publicités employées par la Requérante, diffusées dans son émission de télévision, où l'on peut voir le mot VIBE dans un style et une police semblables à ceux de la marque VIBE de l'Opposante apparaissant dans son magazine, étaient datées d'après le 19 décembre 2001, la date pertinente pour le présent motif d’opposition.

[21]           Par conséquent, ce motif d'opposition est rejeté.

Non-enregistrabilité – alinéa 12(1)d)

[22]           L'Opposante allègue en vertu de ce motif que la Marque n'est pas enregistrable, car elle crée de la confusion avec un ou plusieurs des enregistrements de la marque de commerce VIBE suivants : LMC526,485 et LMC793,016. J'ai exercé le pouvoir discrétionnaire du registraire pour confirmer que les enregistrements de la marque VIBE de l'Opposante LMC526,485 et LMC793,016 sont en règle en date d'aujourd'hui et que, par conséquent, l'Opposante s'est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait [Quaker Oats Co of Canada c Menu Foods Ltd (1986), 11 CPR (3d), 410 à 411-412 (COMC)]. Les marques de commerce VIBE de l'Opposante sont enregistrées pour emploi en liaison avec les produits et services suivants :

LMC526,485 VIBE

[Traduction]

Produits :

Magazine d'intérêt général.

LMC793,016 VIBE

[Traduction]

Produits :

(1) Magazine d'intérêt général sur la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement.

[Traduction]

Services :

(1) Exploitation d'un site Web sur Internet offrant un magazine en ligne et de l'information sur la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement.

[23]           C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer qu'il n'y aurait pas de probabilité raisonnable au sens du paragraphe 6(2) de la Loi. Le paragraphe 6(2) ne vise pas la confusion entre les marques elles-mêmes, mais une confusion qui porterait à croire que les produits ou des services issus d'une source proviennent d'une autre source. Dans le cas qui nous occupe, la question qui découle du paragraphe 6(2) est celle de savoir s'il y aurait confusion avec les Services de la Requérante associés à la Marque, lesquels pourraient être pris pour des services provenant de l'Opposante ou encore parrainés ou approuvés par celle-ci [Glen-Warren Productions Ltd c Gertex Hosiery Ltd (1990), 29 CPR (3d) 7 (CF 1re inst.) à la page 12].

Test en matière de confusion

[24]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. On pense ici à l'acheteur ordinaire plutôt pressé (Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc (2006), 49 CPR (4th) 321 (CSC) au paragraphe 58].

[25]           Lorsqu'il applique le test en matière de confusion, le Registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris celles expressément énoncées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Il n'est pas nécessaire que ces facteurs se voient attribuer le même poids; le poids accordé à chaque facteur pertinent est plutôt variable, selon les circonstances [voir Clorox Co c Sears Canada Inc (1992), 41 CPR (3d) 483 (CF 1re inst); Gainers Inc c Marchildon (1996), 66 CPR (3d) 308 (CF 1re inst)]. En outre, la liste des facteurs énoncés n’est pas exhaustive et d’autres questions pourraient entrer en ligne de compte [voir de manière générale Mattel supra; United Artists Corp c Pink Panther Beauty Corp (1988), 80 CPR (3d) 247 (CAF) aux pages 263 et 264; Veuve Cliquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée (2006), 49 CPR (4th) 401 (CSC)].

[26]           Dans la plupart des cas, le facteur dominant au moment de déterminer la question de la confusion concerne le degré de ressemblance entre les marques de commerce, dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent; les autres facteurs en jeu jouent un rôle secondaire dans l'ensemble des circonstances pertinentes [Beverly Bedding & Upholstery Co c Regal Bedding & Upholstery Ltd (1980), 47 CPR (2d) 145, conf 60 CPR (2d) 70 (CF 1re inst). Dans Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles (2011), 92 CPR (4th) 361 (CSC), la Cour suprême du Canada a considéré l'importance que revêt le facteur énoncé à l'alinéa 6(5)e) dans l'analyse de la probabilité de confusion (voir le paragraphe 49) :

[Traduction]
[...] il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d'avoir le plus d'importance dans l'analyse relative à la confusion, et ce, même s'il est mentionné en dernier lieu au para. 6(5) [...] si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l'analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. [...] ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires... En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion.

[27]           Je vais suivre cette démarche et amorcer mes analyses en tenant compte du degré de ressemblance entre les marques.

Alinéa 6(5)e) – le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[28]           En l’espèce, il est évident, eu égard à l’alinéa 6(5)e), que les marques de commerce en cause sont identiques sur le plan de la sonorité, de l'apparence et des idées qu'elles suggèrent. Par conséquent, et conformément au raisonnement suivi dans Masterpiece, supra, je dois maintenant déterminer si l'une ou l'autre des circonstances de l'espèce est suffisamment importante pour avoir une incidence sur l'analyse de la confusion.

Alinéa 6(5)a) – le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[29]           Le caractère distinctif inhérent du mot VIBE a déjà été étudié par le Membre Bradbury dans la décision CTV Limited c InterMedia Vibe Holidngs, LLC, supra. Cette décision concerne une opposition à la marque MUCHVIBE, qui a avait fait l'objet d'une demande produite par la Requérante en l'espèce, et qui avait été visée par une opposition par la même Opposante qui, à l'époque, s'appuyait sur son enregistrement 562,485 de la marque VIBE. Mme Bradbury avait déclaré ceci au paragraphe 62 :

[Traduction]
Les marques des deux parties [MUCHVIBE et VIBE] sont constituées de mots figurant dans le dictionnaire. Le Oxford Canadian Dictionary définit « vibe » comme une« [Traduction] vibration, plus précisément dans le sens de la communication de sentiments ou d’une atmosphère ». Le mot peut donc être considéré comme légèrement suggestif des produits et des services des marques des deux parties. Je note que le juge Harrington a affirmé que « [l]e mot VIBE n’a pas de caractère distinctif inhérent ». [Vibe Ventures LLC c 3681441 Canada Inc (2005), 45 CPR (4th) 17 (CF)]. Dans l’ensemble, aucune des deux marques ne possède de caractère distinctif fort.

[30]           De la même façon en l'espèce, j'estime que le mot VIBE est légèrement suggestif des produits et des services des deux parties. J'estime donc que ni l'une ni l'autre des marques de commerce des parties n'est intrinsèquement forte.

[31]           Une marque de commerce peut aussi acquérir un caractère distinctif par l'emploi ou la promotion. À la lumière de la preuve non contestée fournie par M. Leeds, je suis convaincue que la marque de l'Opposante est devenue connue dans une certaine mesure au Canada. Comme la Requérante n'a démontré aucun emploi ni aucune promotion de sa Marque, ce facteur favorise dans l'ensemble l'Opposante.

Alinéa 6(5)b) – la période pendant laquelle chacune des marques de commerce a été en usage

[32]           Au vu de la preuve produite par M. Leeds, et étant donné que la Requérante n'a produit aucune preuve indiquant qu'elle avait commencé à employer la Marque, ce facteur s'applique en faveur de l'Opposante.

Alinéa 6(5)c) et d) – le genre de produits, services ou entreprises; la nature du commerce

[33]           S'agissant des produits ou des services et du commerce des parties, l'appréciation de la probabilité de confusion aux termes de l'alinéa 12(1)d) repose sur l'état déclaratif des produits ou des services qui figure dans la demande d'enregistrement et dans l'enregistrement des parties [Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c Super Dragon Import Export Inc (1986), 12 CPR (3d) 110 (CAF); Mr Submarine Ltd c Amandista Investments Ltd (1987), 19 CPR (3d) 3 (CAF); Miss Universe Inc c Bohna (1994), 58 CPR (3d) 381 (CAF)].

[34]           La Requérante fait valoir que la nature de l'entreprise des deux parties est différente, en ce sens que la Requérante est la première entreprise canadienne de services multimédias et possède des actifs de premier plan dans les secteurs de la télévision, de la radio, de l’affichage et des médias numériques, alors que l'Opposante est une entreprise et un réseau de blogues ayant son siège social à Los Angeles et possédant plusieurs sites Web sur la culture populaire. Toutefois, la Requérante n'a fourni aucune preuve pour corroborer cette déclaration. Il n'y a donc aucun renseignement sur les services de la Requérante, mis à part ce que je peux déduire de l'état déclaratif des services qu'elle a soumis.

[35]           Par souci de commodité, j'ai reproduit ci-dessous les services visés par la demande :

[Traduction]

(1) Services de télédiffusion et services de programmation télévisuelle par câble; services de programmation télévisuelle; diffusion d'émissions télévisées à des systèmes de télévision par câble.
(2) Création et production d'émissions de télévision et de systèmes; distribution d'émissions de télévision.
(3) Exploitation d'un site Web interactif pour la vente en ligne dans le domaine de la musique et diffusion en ligne d'émissions de télévision.
(4) Offre d'information sur un grand nombre de sujets d'intérêt général pour le grand public par la télévision, le satellite, l'ordinateur, le téléphone, l'audio, la vidéo et/ou le Web (y compris sur bande étroite et large bande) ou par courriel.
(5) Services de divertissement, en l'occurrence série d'émissions de critiques, de nouvelles, d'art, de mode, d'habitudes de vie, de sport, de musique et/ou de spectacles diffusés au moyen de la télévision, du satellite, de l'informatique, du téléphone, du courriel, de la radio, de supports audio et vidéo et/ou d'Internet.

[36]           L'Opposante fait valoir que les services (4) et (5) de la Requérante chevauchent directement le service de l'Opposante, à savoir l'exploitation d'un site Web sur Internet, sur lequel on offre un magazine en ligne et de l'information sur la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement, et ce, tant sur le plan du contenu que du support (méthode de diffusion). Je suis d'accord.

[37]           L'Opposante soutient également que le reste s'applique à des services liés à ceux offerts par l'Opposante. À cet égard, l'Opposante s'appuie sur sa preuve, laquelle démontre que son site Web est à la fois une version électronique de son magazine et une source d'information sur la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement. La preuve produite par M. Leeds indique que la marque VIBE a été employée par le magazine sur le site Web de l'Opposante en liaison avec l'offre de contenu audio/vidéo comme de la musique, des vidéos de musique et des entrevues, et ce, de façon continue depuis aussi tôt que1998. Il déclare ce qui suit au paragraphe 11 :

[Traduction]

« Au départ, ce contenu pouvait être téléchargé (comme notre service en ligne VIBE TV en lien avec notre émission de télévision originale), mais depuis environ le milieu des années 2000, ce contenu est offert en continu. Toutes ces vidéos constituent en quelque sorte la télévision par Internet, dans le sens qu'il s'agit de vidéos pouvant être visionnées sur un écran électronique, avec du son. Voir plus particulièrement l'exemple de page Web sur lequel il est inscrit « June 1998 ». Cet exemple figure en pièce 5 et a été mentionné précédemment. Il fait référence aux sections du site Web de Vibe « A/V section » et « Vibe TV Online ».

[38]           Je suis d'accord avec l'Opposante pour dire que même si les services restants ne chevauchent pas directement ceux de l'Opposante, ils sont tout de même reliés. À cet égard et, comme l'a souligné l'Opposante, le même musicien de hip-hop pourrait être en vedette à la télévision ainsi que dans un magazine, et ses vidéos de musiques pourraient être visionnées à la télévision tout comme sur un site Internet. J'ai également pris en considération l'évolution des médias, et je suis d'accord avec l'Opposante pour dire que l'offre de contenu audio ou vidéo en continu sur un site Internet pourrait, en quelque sorte, être considérée comme une forme de télévision par Internet. Enfin, la Requérante n'a pas établi en quoi ses services seraient si différents de ceux de l'Opposante.

[39]           En ce qui concerne les voies de commercialisation des parties, j'estime également que, en l'absence de preuve du contraire, elles peuvent se recouper.

Conclusion

[40]           Le paragraphe 6(2) de la Loi indique que l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[41]           Comme il a été indiqué précédemment, le fardeau ultime revient à la Requérante, qui doit démontrer qu'il n'existe aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques. Étant donné que : 1) les marques sont identiques; 2) l'Opposante a établi la réputation de son magazine VIBE au Canada et des services connexes dans les domaines de la culture, de la musique et du divertissement; et 3) la Requérante n'a produit aucune preuve, j'estime qu'il existe un lien suffisant entre les services des parties pour conclure qu'il existe une probabilité raisonnable de confusion. Autrement dit, la Requérante ne m'a pas convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, un Canadien qui a un souvenir imparfait de la marque de commerce VIBE de l'Opposante en liaison avec les services de l'Opposante, ne supposerait pas, à première vue, qu'il existe un certain lien entre les services VIBE de la Requérante et les services VIBE de l'Opposante.

[42]           Le motif d'opposition invoqué en vertu de l'alinéa 12(1)d) est donc accueilli.

Absence de droit à l'enregistrement – Alinéa 16(3)a)

[43]           L'Opposante allègue en vertu de ce motif que la Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement, puisqu'à la date de la production de la demande, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce VIBE de l'Opposante, qui avait déjà été employée ou révélée au Canada par l'Opposante (par l'entremise de ses prédécesseurs en titre ou de ses licenciés) et ses filiales.

[44]           Afin de s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe au titre de ce motif d'opposition, l'Opposante doit établir un emploi antérieur ou une révélation antérieure de sa marque de commerce VIBE au Canada avant la date de dépôt de la Requérante, et démontrer qu'elle n'a pas abandonné sa marque à la date de l'annonce de la Marque dans le Journal des marques de commerce [paragraphe 16(5) de la Loi]. En ce qui concerne mon examen susmentionné des éléments pertinents de l'affidavit Leeds, l'Opposante s'est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait au titre de ce motif.

[45]           De façon générale, même si la plupart des dates pertinentes sont différentes, mes conclusions relatives au motif fondé sur l'enregistrabilité s'appliquent également à ce motif d'opposition. Par conséquent, le motif d'opposition invoqué en vertu de l'alinéa 16(3)a) est également accueilli.

Autres motifs d'opposition

[46]           Comme j'ai déjà tranché en faveur de l'Opposante relativement à deux motifs d'opposition, j'estime qu'il n'est pas nécessaire que j'examine les autres motifs d'opposition.

Décision

[47]           Compte tenu de ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement.

______________________________

Cindy R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Sophie Ouellet, trad.a.


 

Annexe A

 

Les motifs d'opposition sont les suivants :

 

En vertu de l'alinéa 38(2)a) : La demande n'est pas conforme aux exigences prévues à l'article 30 :

 

A. En vertu de l'alinéa 30e), en ce qui concerne la portion de la demande qui est fondée sur un emploi projeté, la déclaration d'intention d'emploi n'est pas valide. Plus particulièrement, sans pour autant restreindre le caractère général de ce qui précède, l'Opposante déclare que la Requérante n'avait pas l'intention requise à la date de dépôt. Notamment, le témoin de la Requérante a nié le fait que la marque en question n'avait pas encore été employée, plusieurs années après la production de la demande, particulièrement en ce qui concerne l'ensemble des services énumérés. Sinon, ou de plus, un tel emploi pour au moins un des services avait déjà commencé, et la demande était donc trompeuse et non fondée sur un emploi projeté.

 

B. En vertu de l'alinéa 30i), la Requérante ne peut pas avoir été convaincu qu'elle avait le droit d'employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les services décrits dans la demande, y compris notamment les faits énoncés aux présentes. En revanche, ou de plus, la Requérante connaissait déjà les marques et les noms créant de la confusion énoncés aux présentes, et l'agent de la Requérante connaissait avait lu le magazine de l'Opposante arborant la marque en cause, et la Requérante avait imité le logo ou le dessin de l'Opposante ainsi que le thème de son contenu. Même s'il est décidé que les marques ne créent pas de confusion, la demande a été produite de mauvaise foi et dans l'intention de profiter indûment de la marque bien connue de l'Opposante.

 

En vertu de l'alinéa 38(2)b) : La marque de commerce de la Requérante n'est pas enregistrable, parce que :

 

C. En vertu de l'alinéa 12(1)d), la marque de commerce de la Requérante crée de la confusion avec une ou plusieurs des enregistrements de marque de commerce canadiens suivants :

 

Numéro d'enregistrement :

 

LMC526,485 VIBE – Magazine d'intérêt général.

LMC793,016 VIBE - (1) Magazine d'intérêt général sur

la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement.

(1) Exploitation d'un site Web sur Internet offrant un magazine en ligne et de l'information sur la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement.

 

En vertu de l'alinéa 38(2)c) : La Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la Marque :

 

D. En vertu de l'alinéa 16(3)a), à la date de production de la demande, la marque en cause créait de la confusion avec une marque de commerce qui avait déjà été employée ou révélée au Canada par une autre personne, en l'occurrence la marque VIBE par l'Opposante (comprenant tout emploi considéré comme un emploi par l'Opposante par l'entremise de ses prédécesseurs en titre ou de ses licenciés) et ses filiales.

 

E. En vertu de l'alinéa 16(3)c), à la date de production de la demande, la marque en cause créait de la confusion avec un nom commercial qui avait déjà été employé ou au Canada par une autre personne, en l'occurrence par l'Opposante (comprenant ses prédécesseurs en titre et ses licenciés) et par ses filiales.

 

En vertu de l'alinéa 38(2)d) :

 

F. La marque de commerce de la Requérante n'est pas distinctive au sens de l'article 2, en ce sens que la marque de commerce de la Requérante ne distingue pas réellement, ni n'est adaptée à distinguer, les produits ou les services de la Requérante des produits, services ou entreprises de l'Opposante et/ou 'autres personnes, notamment, sans toutefois s'y limiter, l'émission de télévision LATIN VIBES.

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