Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de Genzyme Corporation à la demande no 1209417 par Merz Pharma GmbH & Co. KGAA en vue de l’enregistrement de la marque de commerce REJUGEL __________________________________________

 

 

I L’instance

 

Le 12 mars 2004, Merz Pharma GmbH & Co. KGAA (la « Requérante »), a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce REJUGEL (la « Marque ») fondée sur l’emploi projeté au Canada en liaison avec des préparations pharmaceutiques pour soins de beauté utilisées en dermatologie, et toutes lesdites préparations étant utilisées en chirurgie esthétique, nommément un produit à base d’acide hyaluronique pour comblement des rides et augmentation des lèvres (les « Marchandises »).

 

La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 12 janvier 2005. Le 11 mars 2005, Genzyme Corporation (l’« Opposante ») a produit une déclaration d’opposition, que le registraire a transmise à la Requérante le 29 mars 2005.

 

Les motifs d’opposition tels qu’ils sont maintenant allégués sont les suivants :

 

  1. La demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13 (la « Loi »), parce que la Requérante ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la Marque au Canada, étant donné qu’elle aurait dû être au courant de l’emploi antérieur que faisait l’opposante au Canada de sa marque de commerce déposée en liaison avec les marchandises décrites dans l’enregistrement de la marque de commerce de l’Opposante. La Requérante ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’utiliser la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises parce qu’elle créait de la confusion avec la marque de commerce déposée de l’Opposante.
  2. La Marque n’est pas enregistrable au sens des alinéas 38(2)b) et 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce déposée de l’Opposante, RENAGEL, dont le certificat d’enregistrement est le LMC519545;
  3. La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque au sens de l’alinéa 38(2)c) et du paragraphe 16(3) de la Loi parce qu’à la date pertinente, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce RENAGEL, à l’égard de laquelle une demande a été antérieurement produite au Canada par l’Opposante le 17 décembre 1997, et laquelle a été antérieurement employée ou révélée au Canada par l’Opposante en liaison avec des produits pharmaceutiques en général, et plus particulièrement avec des liants phosphatés pour le traitement de l’hyperphosphatémie;
  4. Suivant l’alinéa 38(2)d) et l’article 2 de la Loi, la Marque de la Requérante n’est pas distinctive à son endroit parce qu’elle n’est pas apte à distinguer ses marchandises des marchandises de l’Opposante liées à sa marque de commerce RENAGEL, car elle risque de créer de la confusion avec cette marque de commerce.

 

 

Le 25 avril 2005, la Requérante a produit une contre‑déclaration niant essentiellement tous les motifs d’opposition allégués.

 

La preuve de l’Opposante consiste en les affidavits de Leanna Caron et de James Haggerty. La Requérante n’a produit aucune preuve. Le registraire a ordonné le contre‑interrogatoire des déposants de l’Opposante, mais la Requérante n’a pas donné suite à cette ordonnance.

 

Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit et une audience a eu lieu au cours de laquelle elles ont exposé leurs observations.

 

II Principes généraux applicables à tous les motifs d’opposition

 

La Requérante doit s’acquitter du fardeau ultime de démontrer que sa demande satisfait aux dispositions de la Loi, mais c’est à l’Opposante qu’incombe le fardeau initial de produire des éléments de preuve suffisants pour qu’il soit raisonnablement possible de conclure que les faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition sont véridiques. Une fois qu’il a été satisfait à ce fardeau initial, la Requérante doit encore prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d’opposition soulevés ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de la Marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, p. 329 et 330; John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company, [2005] C.F. 722].

 

 

 

 

 

Les dates pertinentes aux fins de l’analyse des motifs d’opposition invoqués sont les suivantes :

 

  La date de production de la demande (12 mars 2004) pour ce qui est du respect des dispositions de l’alinéa 30i) de la Loi [voir John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, et Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd., 3 C.P.R. (3d) 469];

  La date de la décision du registraire pour ce qui est de l’enregistrabilité de la Marque aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.), p. 424];

  La date de production de la demande (12 mars 2004) pour l’établissement du droit à l’enregistrement de la Marque, lorsque la demande est fondée sur l’emploi projeté [voir le paragraphe 16(3) de la Loi];

  La date de production de la déclaration d’opposition (11 mars 2005), généralement reconnue comme étant la date pertinente pour l’établissement du caractère distinctif de la Marque [voir Andres Wines Ltd. and E & J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.F.), p. 130, et Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.)].

 

III Enregistrabilité de la Marque

 

L’Opposante allègue que la Marque n’est pas enregistrable au sens de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle créerait de la confusion avec sa marque de commerce déposée RENAGEL, dont le certificat d’enregistrement est le LMC519545, en liaison avec des liants phosphatés pour le traitement de l’hyperphosphatémie.

 

Le test applicable à cette question est énoncé au paragraphe 6(2) de la Loi, et je dois prendre en considération toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, notamment celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; la période pendant laquelle les marques de commerce ou les noms commerciaux ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Ces critères ne sont pas exhaustifs, et il n’est pas nécessaire d’accorder le même poids à chacun d’eux [voir Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.), et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.)]. Je renvoie à l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., (2006) 49 C.P.R. (4th) 321, de la Cour suprême du Canada pour une analyse récente de ces critères.

 

Mme Caron est la directrice générale adjointe de Genzyme Canada Inc. Elle affirme que Genzyme Canada Inc. est la filiale canadienne de Genzyme Corporation et qu’elle détient une licence l’autorisant à vendre des comprimés en faisant usage de la marque de commerce RENAGEL, dont l’Opposante est propriétaire. Elle a produit une copie d’un extrait du registre, à savoir le certificat d’enregistrement LMC519545 pour la marque de commerce RENAGEL. L’Opposante s’est par conséquent déchargée de son fardeau initial.

 

Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante fait valoir que la marque de commerce RENAGEL possède un caractère distinctif inhérent parce qu’il s’agit d’un mot inventé. La protection dont bénéficie une marque composée d’un mot inventé est beaucoup plus vaste que celle qui est accordée à un terme d’usage courant ou un terme à connotation généralement descriptive. Je suis d’accord avec ces observations. Toutefois, la Marque est elle aussi un terme inventé.

 

Le caractère distinctif d’une marque de commerce peut être accru si elle est employée ou si on la fait connaître. Or, il n’y a aucune preuve d’un emploi de la Marque de la Requérante.

 

Mme Caron a produit de nombreuses pièces sur lesquelles la marque de commerce RENAGEL figure, notamment : brochures distribuées aux pharmaciens, médecins et patients, trousses de démarrage, contenants, graphiques à roulette, cartes postales, calendriers, carnets, dépliants, résumés de conférence parrainés par Genzyme Canada Inc., stylos à blocs‑notes, annonces publiées dans des périodiques distribués au sein de la communauté médicale, chaînes porte‑clés, papier à note autocollant. Toutes ces brochures et tout ce matériel de marketing portent la marque de commerce RENAGEL. Aucun d’eux ne renvoie à Genzyme Canada Inc. à titre de titulaire d’une licence de l’Opposante. La plupart des documents produits arborant la Marque contiennent cependant un avis de droit d’auteur qui fait mention de l’Opposante.

 

Les ventes au Canada de comprimés arborant la marque de commerce RENAGEL par Genzyme Canada Inc. ont connu une croissance régulière, passant de 1,5 millions de dollars en 2001 à plus de 10 millions de dollars en 2005. Genzyme Canada Inc. a consacré au Canada la somme de 12 millions de dollars pour la publicité et la commercialisation des produits vendus en liaison avec la marque de commerce RENAGEL depuis son lancement en 2000.

 

La Requérante fait valoir que l’emploi de la marque au Canada n’est pas établi à l’égard de l’Opposante, mais plutôt à l’égard d’une entité appelée Genzyme Canada Inc. Selon la Requérante, cet emploi ne peut s’appliquer au profit de l’Opposante, puisque rien dans la preuve au dossier n’établit que l’Opposante contrôle, directement ou indirectement, l’emploi de sa marque de commerce. Si cela était le cas, les deux premiers facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi ne favoriseraient aucune des parties.

 

Au paragraphe 29 de son affidavit, Mme Caron allègue que Genzyme Canada Inc. est la filiale canadienne de l’Opposante, et qu’elle est autorisée à vendre des comprimés en faisant usage de la marque de commerce RENAGEL de l’Opposante. Aucun allégué toutefois ne porte que l’Opposante  contrôle directement ou indirectement cet usage; selon la Requérante, une telle allégation ne saurait permettre de conclure que l’emploi, quel qu’il soit, de la marque de commerce RENAGEL par Genzyme Canada Inc., serait réputé être un emploi de cette marque par l’Opposante. La preuve doit être examinée dans son ensemble. En fait partie non seulement le contenu du paragraphe 29 de l’affidavit de Mme Caron, mais aussi la plupart, voire la totalité, de la documentation écrite jointe à son affidavit dans laquelle figure un avis indiquant que le droit d’auteur à l’égard de cette documentation appartient à l’Opposante. En fait, le symbole « © » figure à côté du nom de l’Opposante sur presque toute la documentation écrite qui a été produite. Il est intéressant de constater que, parmi cette documentation écrite, se trouvent notamment la monographie des produits médicamenteux qui portent la marque de commerce RENAGEL de l’Opposante (pièce Z jointe à l’affidavit de Mme Caron), l’information posologique de ces produits (pièce M), de même qu’un graphique à roulette (pièce G) que les professionnels de la santé utilisent pour s’assurer que les patients qui reçoivent ce produit maintiennent des niveaux convenables de phosphore dans le sang.

 

En outre, dans la brochure relative à l’information sur la sécurité (pièce Y), on peut lire l’avis suivant :

« ® Renagel (chlorhydrate de sevelamer) est une marque de commerce déposée de Genzyme Corporation ».

 

Même s’il n’est pas expressément allégué que l’Opposante contrôle la qualité et les caractéristiques des marchandises vendues en liaison avec la marque de commerce RENAGEL, l’avis de droit d’auteur figurant dans ces documents, la mention dans la brochure portant sur l’information relative à la sécurité que la marque de commerce RENAGEL est une marque de commerce déposée de l’Opposante, et l’allégation suivant laquelle Genzyme Canada Inc. est la filiale et la titulaire de licence de l’Opposante, signifient que ce contrôle existe. J’arrive donc à la conclusion que l’emploi, quel qu’il soit, de la marque de commerce RENAGEL par Genzyme Canada Inc., s’applique au profit de l’Opposante.

 

En conséquence, la marque de commerce RENAGEL de l’Opposante est davantage connue au Canada que la Marque, de sorte que ce facteur joue en faveur de l’Opposante.

 

En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce respectives ont été en usage, ce facteur joue aussi en faveur de l’Opposante, puisque rien dans la preuve n’établit l’emploi de la Marque par la Requérante, alors qu’est établi l’emploi de la marque de commerce par l’Opposante depuis au moins 2001 au Canada [voir les pièces mentionnées précédemment et les factures produites sous la cote C et jointes à l’affidavit de Mme Caron].

 

Relativement à la question du genre de marchandises des parties respectives, l’Opposante fait valoir que les marchandises des parties consistent en des préparations pharmaceutiques. La Requérante soutient que cette qualification est trop générale et qu’il faut examiner les marchandises visées.

 

Dans la décision Endo Laboratories Inc. c. Dow Chemical Co. (1972), 8 C.P.R. (2d) 149, le juge en chef adjoint Noel affirme à la p. 154 :

On doit donc en l’espèce adopter une interprétation réaliste et considérer que les produits pharmaceutiques ne sont pas des « produits précis ». Il s’ensuit donc, sauf erreur sur ce point, que le risque de confusion doit être examiné en tenant pour acquis que la marque de l’appelante est utilisée pour des produits analgésiques alors que celle de l’intimée l’est pour des anesthésiques locaux seulement. Comme nous l’avons vu, ces objets sont entièrement différents et ne présentent à mon avis, aucun risque de confusion.

L’avocat de l’intimée soutient que les deux produits ont un usage commun et précis en art dentaire et que tous deux peuvent présenter, dans certains cas, des dangers pour la santé. Il est vrai que ces deux produits sont destinés à soulager la douleur et qu’ils peuvent tous deux être utilisés en art dentaire. Toutefois, la façon de les utiliser est différente, l’un étant administré sous forme d’injection ou d’infiltration (Dyclone) et l’autre sous forme de cachets (DILONE)

 

La Requérante a clairement indiqué dans la description des Marchandises que la préparation pharmaceutique doit être employée dans le contexte d’une chirurgie esthétique, pour le comblement des rides et l’augmentation des lèvres. En ce qui concerne les marchandises de l’Opposante vendues en liaison avec la marque de commerce RENAGEL, la preuve produite par Mme Caron établit qu’elles sont indiquées pour le contrôle du taux de phosphore sérique chez les patients atteints d’insuffisance rénale chronique qui sont en hémodialyse. Par conséquent, nous avons d’une part les Marchandises qui servent à des fins d’esthétique, et d’autre part les marchandises de l’Opposante, qui sont prescrites aux personnes atteintes de troubles rénaux. Ces deux usages sont complètement différents.

 

Dans son plaidoyer écrit, la Requérante renvoie à la partie du témoignage contenu dans l’affidavit de Mme Caron où celle-ci allègue que l’acide hyaluronique peut être utilisé pour injection dans les tissus dans le but d’atténuer les rides et les plis, d’ajouter temporairement du volume aux tissus et de redonner à la peau une apparence plus douce, particulièrement au niveau des rides. À l’appui de cette déclaration, elle a produit des extraits d’un site Web d’un tiers où l’on décrit l’un des produits d’acide hyaluronique utilisé pour le traitement des rides et vendu sous une marque de commerce non liée à la présente instance. Je crois comprendre que la Requérante renvoie à cette partie de la preuve de l’Opposante pour démontrer que les Marchandises peuvent être administrées par injection, par opposition aux comprimés ou aux pilules, comme dans le cas des marchandises de l’Opposante, ce qui vient appuyer davantage la prétention portant qu’il existe une différence dans la nature de leurs voies commerciales. Si l’acide hyaluronique était administré par injection au cours d’une chirurgie esthétique, les utilisateurs finaux seraient les chirurgiens qui effectuent l’intervention chirurgicale, tandis que les patients qui souffrent de troubles rénaux seraient les utilisateurs finaux des marchandises de l’Opposante, même si un médecin en prescrivait l’utilisation. En outre, en affirmant dans la description des Marchandises que « … toutes lesdites préparations étant utilisées en chirurgie esthétique … », elle veut dire que le patient n’est pas l’utilisateur final comme tel des Marchandises. Enfin, elle laisse entendre que les Marchandises sont administrées pendant une intervention chirurgicale. En dépit du fait que les marchandises des parties peuvent être décrites en des termes généraux comme constituant une préparation pharmaceutique, leurs utilisateurs finaux seraient différents et, partant, les voies commerciales empruntées seraient différentes.

 

Le degré de ressemblance est le facteur le plus important pour apprécier la probabilité de confusion entre deux marques de commerce. Dans l’affaire Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145, le juge Cattanach a défini la question comme suit à la p. 28 :

 

À toutes fins pratiques, le facteur le plus important dans la plupart des cas, et celui qui est décisif, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent, les autres facteurs jouant un rôle secondaire.

 

Il a décrit également le test en matière de confusion dans les termes suivants au par. 14 de la décision Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada’s Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) :

Lorsqu'il s'agit de dire si deux marques de commerce peuvent être confondues, il faut prendre en considération les personnes qui achèteront vraisemblablement les marchandises, c'est-à-dire les personnes qui forment habituellement le marché, c'est-à-dire les consommateurs. Il ne s'agit pas de l'acheteur impulsif, négligent ou distrait ni de la personne très instruite ni d'un expert. On cherche à savoir si une personne moyenne, d'intelligence ordinaire, agissant avec la prudence normale peut être trompée. Le registraire des marques de commerce ou le juge doit évaluer les attitudes et les réactions normales de telles personnes afin de mesurer la possibilité de confusion.

Une jurisprudence constante a établi que la technique appropriée pour l'étude de marques de commerce semblables ne consistait pas à les placer côte à côte et à analyser d'un oeil critique leurs ressemblances et leurs différences mais bien à trancher la question dans l'ensemble au premier abord. Je me propose donc d'étudier les deux marques en litige non pas dans l'intention d'en faire une étude comparative mais plutôt dans le but d'évaluer la première impression de l'acheteur ordinaire et prudent des marchandises.

 

Je dois donc comparer les marques de commerce REJUGEL et RENAGEL. Dans le cadre d’une telle analyse, il faut se garder de décomposer les marques en cause pour en isoler les similarités ou les différences.

 

Les idées que les marques suggèrent sont différentes. La Marque donne à penser qu’il s’agit d’un gel régénérateur lorsqu’il est utilisé en liaison avec les Marchandises. La marque de commerce de l’Opposante peut faire penser à une pilule de gélatine pour un trouble rénal, la première portion « rena » étant la troncation du terme « rénal ».

 

L’Opposante soutient que la première partie des marques, considérée comme étant la plus importante, est identique. Cet argument repose sur le fait que la première syllabe des deux marques de commerce est « re ». Même si l’on accepte la prétention de l’Opposante, l’importance de cette première partie sera atténuée s’il s’agit d’un élément commun utilisé dans le commerce. M. Haggerty est recherchiste en marques de commerce au sein du cabinet dont les services ont été retenus par l’Opposante à titre d’agent. On lui a demandé d’effectuer une recherche dans le registre des marques de commerce du Canada pour trouver la marque de commerce RENAGEL. En dépit de ce mandat apparemment limité, il a néanmoins produit une copie des résultats des recherches qui incluent des registres de noms commerciaux; des registres de noms Internet et le registre des marques de commerce qui comportent les termes RENAG/RENA/REN/RE, NAGEL/AGEL/GEL/EL et ENA/NAG/AGE. L’Opposante n’a renvoyé à cette preuve ni dans son plaidoyer écrit, ni au cours de l’audience. Cependant, cette preuve révèle (onglet 2B de son affidavit) que le registre comporte plus de 30 marques de commerce dont le préfixe « re » constitue la première partie de la marque de commerce, en liaison avec une préparation pharmaceutique ou des marchandises connexes. Pour cette raison, je peux inférer qu’elle est couramment utilisée dans le commerce et que les consommateurs sont habitués de les distinguer [voir Ports International Ltd. c. Dunlop Ltd. (1992), 41 C.P.R. (3d) 432 (C.O.M.C.); Del Monte Corporation c. Welch Foods Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 205 (C.F. 1re inst.), et Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. (1992), 43 C.P.R. (3d) 349 (C.A.F.)]. Par conséquent, le rôle que joue cette similarité dans le cadre de l’évaluation du degré de ressemblance entre les marques est sans importance.

 

L’Opposante soutient également que la dernière portion des marques, le terme « gel », est elle aussi identique. Il s’agit cependant d’un terme courant qui, pour cette raison, ne constitue pas un élément distinctif. Je me permets d’ajouter que l’analyse détaillée des marques de commerce respectives des parties ainsi faite par l’Opposante ne constitue pas le bon critère permettant de déterminer s’il y a probabilité de confusion entre elles.

 

Les marques affichent certaines similarités dans le son, puisque les première et dernière syllabes sont identiques.

 

À titre de circonstance additionnelle, l’Opposante a produit en preuve, par le biais de l’affidavit de Mme Caron, la copie d’un document intitulé « Ébauche de ligne directrice à l’intention de l’industrie », publié par la Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada, qui porte sur l’examen de noms de médicaments et les noms des produits de santé. Ainsi qu’il ressort du titre de ce document, il s’agit d’une ligne directrice, et rien ne prouve que son contenu lie les fabricants des produits pharmaceutiques. Rien dans la preuve n’établit que le contenu de ce document était en vigueur à l’une ou l’autre des dates pertinentes, puisque son titre donne à penser qu’il s’agissait d’une ébauche de document. L’on trouve au début du document un avis dans lequel l’on demande à l’industrie et aux professionnels de la santé de fournir des commentaires sur l’ébauche au plus tard le 15 novembre 2004. Enfin, aucun motif d’opposition en l’espèce ne soulève la question de savoir si la Marque contrevient à d’autres dispositions législatives ou réglementaires.

 

En appliquant le critère du souvenir imparfait qu’aurait le consommateur moyen à l’égard des marchandises de l’Opposante vendues en liaison avec la marque de commerce RENAGEL, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, une telle personne ne confondrait probablement pas la Marque lorsque celle‑ci est employée en liaison avec les Marchandises. Ma conclusion repose sur l’existence d’une nette distinction dans la nature des marchandises respectives des parties, et d’une différence dans les idées qu’elles suggèrent. Toute similarité dans les marques est atténuée par le fait qu’une telle similarité découle de l’emploi de termes courants dans le commerce.

 

Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi est rejeté.

 

IV Autres motifs d’opposition

 

La probabilité de confusion entre les marques des parties constitue la question essentielle servant à déterminer si la Requérante a le droit d’enregistrer la Marque suivant le paragraphe 16(3), ou s’il a été satisfait aux exigences énoncées à l’alinéa 30i), et de décider si la Marque est distinctive. La différence quant aux dates pertinentes (la date de la décision du registraire dans le cas de l’alinéa 12(1)d), par opposition à la date de production de la demande pour de qui est de l’analyse des motifs d’opposition suivant le paragraphe 16(3) ou l’alinéa 30i) de la Loi, ou la date de production de la déclaration d’opposition pour  ce qui est de l’examen du caractère distinctif de la Marque) n’aurait aucune conséquence sur une telle analyse. Comme j’ai déjà déterminé que la Marque ne créera probablement aucune confusion avec la marque de commerce RENAGEL de l’Opposante, ces trois motifs d’opposition additionnels sont eux aussi rejetés.

 

Je me permets d’ajouter que le motif d’opposition fondé sur le droit à l’enregistrement est rédigé en termes très généraux et pourrait donc englober les deux alinéas 16(3)a) et b). La demande d’enregistrement de la marque de commerce RENAGEL par l’Opposante n’était plus pendante à la date de l’annonce de la présente demande [voir le paragraphe 16(4) de la Loi]. Pour cette raison seule, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)b) est lui aussi rejeté.

 

V Conclusion

 

La Requérante s’est déchargée de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque est enregistrable et distinctive, qu’elle a droit à l’enregistrement de la Marque et qu’elle a satisfait aux exigences énoncées à l’alinéa 30i) de la Loi.

 

 

 

 

 

À titre de personne déléguée par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition de l’Opposante à l’égard de l’enregistrement de la Marque en liaison avec les Marchandises.

 

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), CE 27e JOUR D’OCTOBRE 2008.

 

 

 

Jean Carrière,

Membre, Commission de l’opposition des marques de commerce

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Linda Brisebois, LL.B.

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