Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                               TRADUCTION/TRANSLATION

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence: 2010 COMC 59                                                                                                                                                                                 Date de la décision : 2010-05-06

 

DANS LAFFAIRE DE LOPPOSITION produite par Quiksilver International Pty Ltd., QS Holdings Sarl et 54TH Street Holdings Sarl à lencontre de la demande denregistrement no 1194451 pour la marque de commerce ROXY POKER  au nom dEquinox Entertainment Limited

 

Le dossier

[1]       Le 22 octobre 2003, Equinox Entertainment Limited a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce ROXY POKER, fondée sur l’emploi projeté au Canada en liaison avec les services suivants :

« Fourniture de casinos en ligne et services de divertissement

par jeux de casino ».

 

La demande précise qu’il y a désistement du droit à l’usage exclusif du mot POKER en dehors de la marque de commerce.


[2]       La marque qui fait l’objet de la demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 22 septembre 2004 et a fait l’objet d’une opposition de la part de Quiksilver International Pty Ltd. le 22 février 2005. Le registraire a transmis une copie de la déclaration d’opposition à la requérante, le 8 juin 2005, comme l’exige le paragraphe 38(5) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13. La requérante a répondu en produisant et en signifiant une contre‑déclaration. Par la suite, la déclaration d’opposition a été modifiée deux fois, la première fois pour y ajouter QS Holdings Sarl, et la seconde, pour y ajouter 54TH Street Holdings Sarl à titre de co‑opposantes. La requérante n’a pas soulevé d’objection à l’ajout des co‑opposantes.

[3]       La preuve des opposantes comprend les affidavits de Randall Hild; Robert White; Jane Griffith et Mary P. Noonan. La requérante a choisi de ne produire aucun élément de preuve. Les opposantes et la requérante ont produit des plaidoyers écrits et étaient représentées à l’audience qui a eu lieu le 6 avril 2010.

 

Déclaration dopposition

[4]       Selon le premier motif d’opposition, la demande contestée n’est pas conforme à l’alinéa 30e) de la Loi sur les marques de commerce parce qu’à la date de production de la demande d’emploi projeté, le 22 octobre 2003, la marque visée par la demande était déjà employée au Canada. Les opposantes indiquent à cet égard que le site Web de la requérante précise que celle-ci offre des services de jeux en ligne depuis février 2002.

[5]      Selon le deuxième motif d’opposition, la demande contestée n’est pas conforme à l’alinéa 30i) de la Loi parce que la requérante connaissait ou aurait dû connaître l’existence de la marque de commerce ROXY de l’opposante 54TH Street, avec laquelle la marque ROXY POKER visée par la demande crée de la confusion.

[6]      Le troisième motif est fondé sur l’alinéa 12(1)d) et soulève que la marque visée par la demande n’est pas enregistrable parce qu’elle crée de la confusion avec la marque ROXY de 54TH Street, dont le numéro d’enregistrement est LMC703880 et qui a été cédée à 54TH Street par QS Holdings Sarl. La marque déposée ROXY a trait à divers vêtements de dessus pour femmes et enfants.


[7]      Selon le quatrième motif d’opposition, fondé sur l’alinéa 16(3)a), la requérante n’a pas droit à l’enregistrement parce qu’à la date de production de la demande, la marque ROXY POKER visée par la demande créait de la confusion avec la marque ROXY de 54TH Street, antérieurement employée et révélée au Canada par l’Opposante 54TH Street et ses prédécesseurs en titre, en liaison avec une grande variété de marchandises, parmi lesquelles des lunettes de soleil, montres, sacs de voyage, vêtements, produits d’hygiène personnelle et produits cosmétiques, bijoux et articles de sport (principalement des planches de surf, planches à neige et planches à roulettes), et avec une gamme de services, notamment des cours dans le domaine d’activités sportives, l’organisation de compétitions sportives et d’expositions portant sur des sports, et autre services semblables.

[8]       Le cinquième motif, fondé sur l’alinéa 16(3)b), pose que la requérante n’a pas droit à l’enregistrement parce qu’à la date de production de la demande, la marque ROXY POKER visée par la demande créait de la confusion avec la demande de 54TH Street en vue de l’enregistrement de la marque ROXY (demande no 1123333) produite le 27 novembre 2001 pour être employée en liaison avec une variété de marchandises incluant des lunettes de soleil, montres, sacs de voyage et vêtements. 

[9]       Le sixième motif, fondé sur l’alinéa 16(3)a), pose que la requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la demande parce qu’à la date de production de la demande, la marque ROXY POKER visée par la demande créait de la confusion avec la marque ROXY de 54TH Street, qui avait antérieurement été employée et révélée au Canada par l’opposante 54TH Street et ses prédécesseurs en titre en liaison avec divers vêtements de dessus pour femmes et enfants. Je signale que la marque sur laquelle est fondée ce motif est la même que celle qui a été enregistrée sous le numéro LMC703880 et qui est invoquée au regard du troisième motif d’opposition.

[10]     Le septième motif, fondé sur l’alinéa 16(3)b), pose que la requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la demande parce qu’à la date de production de la demande, la marque ROXY POKER visée par la demande créait de la confusion avec la demande de 54TH Street en vue de l’enregistrement de la marque de commerce ROXY (demande no 11132582), produite le 28 février 2002 pour être employée en liaison avec divers vêtements de dessus pour femmes et enfants. Je signale que la demande d’enregistrement de marque de commerce sur laquelle est fondée ce motif est la même que celle qui a été enregistrée sous le numéro LMC703880 invoqué au regard du troisième motif d’opposition et correspond à la marque invoquée au regard du sixième motif.


[11]     Le huitième motif d’opposition, fondé sur l’article 2, énonce que la marque ROXY POKER visée par la demande n’est pas adaptée à distinguer les services de la requérante des marchandises et services d’autres propriétaires, notamment des opposantes.

 

Preuve des opposantes

Randall Hild

[12]     M. Hild atteste qu’il est le vice-président directeur de la commercialisation globale de Roxy pour « Quiksilver ». Il explique que Quiksilver International Pty Ltd. (la première opposante) est une société australienne. Quiksilver, Inc. est une société du Delaware, aux États‑Unis, qui poursuit ses activités d’exploitation en Californie. En juillet 2000, Quiksilver, Inc. est devenue propriétaire de Quiksilver International Pty Ltd., de sorte que Quiksilver International est devenue une filiale à cent pour cent de Quiksilver, Inc. Quant à QS Holdings Sarl (la deuxième opposante), elle est une autre filiale à cent pour cent de Quiksilver, Inc. En novembre 2004, QS Holdings Sarl a acquis toutes les marques de commerce que possédait Quiksilver International. Quiksilver Canada Corp. (une société de la Nouvelle-Écosse) est une autre filiale à cent pour cent de Quiksilver, Inc. 

[13]     M. Hild désigne collectivement les sociétés Quiksilver, Inc., Quiksilver International, QS Holdings Sarl et Quiksilver Canada Corp. sous le nom de Quiksilver. Vers le milieu de 2009, QS Holdings Sarl a cédé les marques de commerce invoquées dans la déclaration d’opposition à 54TH Street Holdings Sarl (la troisième opposante). Étant donné que M. Hild a souscrit son affidavit le 11 mars 2008, la preuve qu’il a soumise (et mon résumé de cette preuve, ci‑après) se rapporte à la période durant laquelle les marques de commerce invoquées dans la déclaration d’opposition étaient la propriété de QS Holdings Sarl.

[14]     M. Hild désigne collectivement les marques invoquées dans la déclaration d’opposition sous le nom de marque de commerce ROXY ou marque ROXY. Les marques de commerce ROXY sont la propriété de QS Holdings Sarl au Canada et font l’objet d’une licence accordée à Quiksilver Canada Corp. M. Hild atteste que la propriétaire des marques de commerce contrôle directement ou indirectement les caractéristiques et la qualité des marchandises et services offerts au Canada sous la marque ROXY.


[15]     À compter de 1989 environ, Quiksilver a développé une ligne de vêtements pour femmes sous la marque ROXY. Au cours des trente dernières années, Quiksilver est aussi devenue un commanditaire en vue d’événements de sports à planche. Quiksilver compte parmi les premières organisations qui ont parrainé des événements prestigieux comme le Big Wave International et le ROXY Pro. Quiksilver a créé un « mode de vie » autour de sa marque ROXY grâce à la publicité, à la conception de produits et au parrainage d’athlètes et d’événements. M. Hild déclare : [traduction] « une marque qui reflète un mode de vie est une marque qui associe le segment ciblé de la population à toute une culture [...] Le mode de vie ROXY se veut audacieux, confiant, naturellement beau, amusant et plein de vie. » Quiksilver offre des vêtements et d’autres produits de marque ROXY qui « mettent les consommateurs en communion avec l’histoire et la véritable culture du surf, de la planche à neige, de la planche à voile et d’autres sports de planche extrêmes ». Au paragraphe 22 de son affidavit, M. Hild reproduit un extrait du rapport annuel de 1995 de Quiksilver, le Quiksilver, Inc. 1995 Annual Report:

[traduction]

La marque Quiksilver évoque un mode de vie associé mondialement au surf et aux sports de planche [...] [Quiksilver, Inc.] s’efforce de rester étroitement associée à des sports extrêmes comme le surf, la planche à neige et le patinage [...] [sports] acceptés à l’échelle internationale par des adolescents et de jeunes adultes qui sont séduits par l’image décontractée, unique, authentique [...] La consommatrice de produits ROXY a un sens développé de l’indépendance de style. Elle se sert de la mode pour témoigner de son mode de vie sportif, axé sur la vie active en plein air.

 

[16]      M. Hild déclare que la marque ROXY est destinée à intéresser avant tout la clientèle féminine. Il renvoie à la pièce RH-21 de son affidavit, qui décrit la clientèle cible de la marque ROXY comme étant les personnes de sexe féminin âgées de 15 à 25 ans. La pièce RH-21 indique également que les voies de distribution des marchandises ROXY passent par les [traduction] « boutiques de surf » « magasins et boutiques spécialisées pour les juniors » et « grands magasins offrant des produits de qualité ». La consommatrice de ROXY peut s’informer en ligne des nouveaux produits de marque ROXY, à l’adresse www.roxy.com.


[17]     La vente de vêtements de marque ROXY au Canada a débuté en 1995. Peu après, ont suivi des accessoires, produits de beauté et autres biens de consommation. La marque ROXY est apposée sur l’emballage ou les étiquettes des marchandises, sur les étiquettes volantes apposées sur les produits ou sur les marchandises mêmes. Les ventes de produits de marque ROXY au Canada se sont élevées à quelque 54 000 $ en 1996 et ont graduellement augmenté à 9,2 millions de dollars en 2000. Les ventes annuelles pour les années 2001 à 2005 inclusivement se sont élevées en moyenne à 22,3 millions de dollars environ, puis ont augmenté jusqu’à plus de 34 millions de dollars annuellement en 2006 et 2007. Les ventes totales au Canada, à compter de 1996 et jusqu’en 2007, ont atteint environ 200 millions de dollars. Je signale en passant que les ventes de produits de marque ROXY à l’échelle mondiale, depuis la création de la marque jusqu’à la fin de 2007, totalisent environ 2 milliards de dollars américains.

[18]     Dans le reste de son affidavit, M. Hild décrit les différents moyens de publicité et de promotion de la marque ROXY dans le monde et au Canada. Bien qu’il n’ait pas précisé l’ampleur des dépenses engagées à ce chapitre au Canada, je suis convaincu que la publicité et la promotion au Canada des marchandises et services offerts sous la marque ROXY des opposantes, ainsi que les ventes que celles-ci ont réalisées au Canada sous leur marque ROXY, ont fait en sorte que la marque ROXY était bien connue au Canada vers 2002, à tout le moins auprès du segment de la population qui constitue la clientèle cible des opposantes. En outre, étant donné que M. Hild n’a pas été contre‑interrogé, je conclus que l’ensemble de l’emploi, de la publicité et de la présentation de la marque ROXY dont traite M. Hild dans son affidavit profite aux opposantes.

 

Robert W. White

[19]     M. White atteste qu’il est premier vice-président, Canada, du Audit Bureau of Circulations. Les éléments de preuve qu’il a soumis servent à renseigner sur le tirage au Canada des divers magazines dont M.Hild fait état dans son affidavit. 

 

Jane Griffith


[20]     Mme Griffith atteste qu’elle est chercheuse professionnelle. Elle a souscrit un affidavit pour verser en preuve, notamment : i) plusieurs pages Web de liens menant à l’adresse URL http://www.roxypoker.com, comme pièce JG‑1; ii) les résultas d’une recherche dans le WHOIS concernant le site Web susmentionné, comme pièce JG-4. La première pièce mentionnée informe que le site Web « roxypoker » offre des services de jeux de casino en ligne, qu’il est licencié et régi par la Kahnawake Gaming Commission, située en territoire Mohawk, au Canada, et qu’il est exploité depuis février 2002. La deuxième pièce ne fournit aucune autre information sur le fournisseur de services de jeux en ligne ci‑dessus mentionné, si ce n’est qu’elle indique qu’en date du 21 février 2008, le fournisseur de services était établi à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Je remarque que l’adresse professionnelle de la requérante fournie dans la demande en cause se trouve dans la ville de Belize, au Belize.

 

Mary Noonan

[21]     L’affidavit de Mme Noonan sert à verser en preuve, au moyen de pièces, neuf demandes de marques de commerce et un enregistrement au nom de QS Holdings Sarl.

 

Fardeau ultime et fardeau de la preuve

[22]      Cest à la partie requérante quincombe le fardeau ultime de démontrer que la demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce ainsi que le prétend lopposante dans la déclaration dopposition. Le fait quun fardeau soit imposé à la requérante signifie que, sil nest pas possible de parvenir à une conclusion claire après examen de toute la preuve, la question doit être tranchée contre la requérante. Toutefois, la partie opposante doit aussi, conformément aux règles de preuve habituelles, satisfaire à un fardeau de preuve; elle doit établir les faits sur lesquels elle fonde les allégations formulées dans sa déclaration dopposition : voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée, 30 C.P.R. (3d) 293, à la page 298. Lexistence dun fardeau de preuve imposé à lopposante relativement à une question donnée signifie que la question ne sera examinée que si lopposante présente une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à lexistence des faits allégués au soutien de cette question.

 

Premier motif dopposition - alinéa 30e)


[23]     Dans le premier motif d’opposition, fondé sur l’alinéa 30e), les opposantes allèguent essentiellement que la demande en cause pour la marque ROXY POKER aurait dû s’appuyer sur l’emploi antérieur au Canada plutôt que sur l’emploi projeté au Canada. La date pertinente pour l’examen de la conformité à l’alinéa 30e) est la date de production de la demande, en l’occurrence le 22 octobre 2003 : voir Canada National Railway Co. c. Schwauss (1991), 35 C.P.R. (3d) 90 (C.O.M.C.). Le fardeau de preuve auquel doit satisfaire la partie opposante au regard de lalinéa 30e) est relativement peu exigeant, puisque les faits afférents à cette question sont susceptibles de se trouver en la possession exclusive de la partie requérante : voir Schwauss, précitée, aux pages 94 à 96;Green Spot Co. c. J.B. Food Industries (1986), 13 C.P.R. (3d) 206, aux pages 210‑211 (C.O.M.C.).

 [24]    Les opposantes s’en remettent à l’affidavit de Mme Griffith pour s’acquitter du fardeau de preuve qui leur incombe relativement au premier motif d’opposition. Elles font valoir que leur preuve concernant le site Web de jeu « roxypoker », dont traite l’affidavit de Mme Griffith, prouve que la requérante offrait des services de jeu en ligne au Canada dès février 2000, avant la date de production de la demande, le 22 octobre 2003. La requérante soutient que la preuve de Mme Griffith est insuffisante pour satisfaire au fardeau de preuve des opposantes, parce que celles‑ci n’ont pas établi l’existence d’un lien entre la requérante Equinox Entertainment Limited et la Kahnawake Gaming Commission dont fait état Mme Griffith dans son affidavit. La requérante écrit, au paragraphe 13 de son plaidoyer écrit : [traduction] « Les opposantes ne peuvent satisfaire à leur léger fardeau de preuve en se limitant à identifier le site Web d’une tierce partie et à affirmer qu’il appartient à la requérante, sans corroboration ». Je suis d’accord avec la requérante pour dire que les opposantes n’ont pas établi le lien entre la requérante et la Kahnawake Gaming Commission ni entre le site Web « roxypoker» et la requérante. Je conclus en conséquence que les opposantes n’ont pas réussi à justifier l’examen du premier motif d’opposition. Ce motif d’opposition est donc rejeté.

[25]     J’ajouterai que si je fais erreur dans mon appréciation de la valeur probante de l’affidavit de Mme Griffith, et si la preuve soumise par celle‑ci est suffisante pour satisfaire au fardeau relativement peu exigeant des opposantes, ces dernières auraient gain de cause sur le premier motif d’opposition. Le cas échéant, la demande serait refusée. 

 

Deuxième motif dopposition - alinéa 30i)


[26]     Les opposantes nont produit aucun élément de preuve à lappui de leur allégation portant que la requérante ne pouvait être convaincue quelle avait le droit demployer la marque de commerce ROXY POKER au Canada. Elles nont donc pas satisfait à leur fardeau de preuve de façon à justifier lexamen du deuxième motif dopposition. Même si la preuve avait démontré que la requérante connaissait lexistence de la marque de commerce ROXY des opposantes avant la production de la demande en cause, cet état de choses naurait pas été incompatible avec la déclaration formulée dans la demande, à savoir que la requérante était convaincue quelle avait le droit demployer la marque de commerce ROXY POKER étant donné notamment que la marque visée par la demande ne créait pas de confusion avec la marque des opposantes. Le deuxième motif dopposition est donc rejeté.

 

Question principale

[27]     Les autres motifs d’opposition portent sur la question de savoir si la marque de commerce ROXY POKER visée par la demande crée, avec la marque ROXY des opposantes, de la confusion au sens du paragraphe 6(2) de la Loi, qui prévoit :

Lemploi dune marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque lemploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées [...] ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

Comme on le voit, le paragraphe 6(2) ne traite pas de la confusion des marques elles‑mêmes, mais bien de la confusion qui mène à croire que les biens ou services d’une source proviennent d’une autre source. Dans le cas qui nous occupe, la question que soulève le paragraphe 6(2) est de savoir si les services de jeu provenant de la requérante seraient considérés à tort comme étant des services de jeu proposés par les opposantes.

 

Dates pertinentes


[28]    Les dates pertinentes pour apprécier la question de la confusion sont : i) la date de la décision en ce qui touche le motif d’opposition portant sur le caractère non enregistrable de la marque en cause; ii) la date de production de la demande (22 octobre 2003) en ce qui touche les motifs d’opposition liés à l’absence de droit à l’enregistrement; iii) la date de l’opposition (22 février 2005) en ce qui touche le motif d’opposition qui allègue l’absence de caractère distinctif : pour un survol de la jurisprudence concernant les dates pertinentes dans les instances d’opposition, voir la décision American Association of Retired Persons c. Association canadienne des individus retraités/Canadian Association of Retired Persons (1998), 84 C.P.R.(3d) 198, aux pages 206 à 209 (C.F. 1re inst.).

 

Facteurs énoncés au paragraphe 6(5)

[29]     Il incombe à la requérante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune probabilité de confusion. Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Les facteurs qu’il faut examiner, pour évaluer si deux marques prêtent à confusion, sont énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; le genre de marchandises, de services ou d’entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive; tous les facteurs pertinents doivent être pris en compte. Tous ne revêtent pas nécessairement le même poids. Le poids qu’il convient d’attribuer à chaque facteur dépend des circonstances : voir Gainers Inc. c. Tammy L. Marchildon et Registraire des marques de commerce (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.).


[30]     Le caractère distinctif inhérent de la marque ROXY des opposantes est assez faible, parce que la marque consiste en une forme abrégée du prénom féminin Roxanne. De même, le caractère distinctif inhérent de la marque ROXY POKER visée par la demande est assez faible, car le second élément de la marque, POKER, décrit les services de la requérante et ne contribue donc pas au caractère distinctif inhérent de la marque. La marque ROXY des opposantes était bien connue au Canada à toutes les dates pertinentes, du moins auprès du segment de population ciblé par les opposantes. Par contre, comme le souligne la requérante au paragraphe 39 de son plaidoyer écrit, [traduction] « [...] les opposantes nont fourni, dans laffidavit de M. Hild, aucune ventilation des chiffres de ventes qui permette de conclure que la réputation de leur marque sétend au‑delà des vêtements de sport ». Naturellement, aucun élément de preuve nindique que la marque ROXY POKER visée par la demande avait acquis quelque réputation que ce soit aux dates pertinentes.

[31]     La période pendant laquelle les marques de commerce en cause ont été en usage au Canada favorise les opposantes, car celles‑ci ont commencé à employer leur marque ROXY en 1995. Aucun élément de preuve n’atteste que la requérante a commencé à employer sa marque à quelque moment après la production de la demande.  

[32]     Le genre de marchandises et de services offerts par les parties est très différent; en effet, la requérante offre des services de jeu en ligne, alors que les opposantes proposent des vêtements décontractés ainsi que d’autres marchandises et services de divertissement liés aux sports de planche. De plus, la mise en marché des vêtements décontractés proposés par les opposantes a été conçue de façon à associer les marchandises à un [traduction] « mode de vie axé sur les sports de planche », c’est‑à‑dire un mode de vie aventureux et de plein air. Les voies de commercialisation des parties se chevauchent dans la mesure où les marchandises et services des opposantes sont disponibles en ligne. Toutefois, aucune preuve n’indique que le segment de population ciblé par les opposantes constituerait une partie substantielle, ni même une partie notable, du segment de la population qui prend part à des jeux de casino en ligne. Les marques ROXY et ROXY POKER sont pour ainsi dire identiques pour les besoins de l’appréciation de la probabilité de confusion. À cet égard, l’élément POKER décrit les services de la requérante et n’est donc pas très utile pour différencier les marques respectives des parties.

 

Jurisprudence

[33]     La requérante a notamment porté à mon attention l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot (2006) , 49 C.P.R. (4th) 401. Dans cette affaire, la demanderesse a intenté une action en contrefaçon de sa marque VEUVE CLICQUOT, employée en liaison avec du champagne, contre la défenderesse qui employait la marque CLIQUOT en liaison avec une entreprise de vêtements pour dames. La Cour a convenu que la marque de la demanderesse est célèbre et distinctive, mais elle a néanmoins conclu qu’il ne risquait pas d’y avoir confusion avec la marque de la défenderesse. Voici un extrait du raisonnement de la Cour, à la page 418 :


[31] Le champagne de luxe et les vêtements de gamme intermédiaire pour dames sont aussi différents que peuvent lêtre le jour et la nuit, mais lintervenante soutient que

[traduction] même si lexistence dun lien entre les marchandises et services des parties peut constituer un facteur important dans le cas dune marque faible mais ancienne, cette importance diminue à mesure que la marque acquiert de la force, et dans le cas dune marque célèbre, ce facteur na guère dimportance en ce qui concerne la confusion. [Mémoire de lINTA, par. 29]

[32] J’estime, avec égards, que cette proposition procède d’une simplification à outrance. Les marques célèbres n’ont pas toutes le même profil. Certaines d’entre elles sont peut‑être bien connues, mais sont associées à des produits très spécifiques (la publicité du sirop pour la toux Buckley vante son efficacité malgré son mauvais goût, ce qui porte à croire que son image de marque ne serait pas très indiquée pour un restaurant). D’autres marques célèbres, comme Walt Disney, peuvent en fait avoir franchi un écart important entre différentes gammes de produits.   

La requérante en l’espèce s’appuie sur l’arrêt Veuve Clicquot, précité, pour soutenir ce qui suit, au paragraphe 39 de son plaidoyer écrit :

[traduction]

Les opposantes semblent laisser entendre qu’elles possèdent une marque de commerce célèbre, et que ce facteur l’emporte sur tous les autres facteurs. Même si on tenait pour acquis que leur marque est célèbre, ce que nie la requérante, la Cour suprême du Canada a clairement précisé, dans l’arrêt Veuve Clicquot, que la célébrité n’est qu’une des « circonstances de l’espèce » qui doivent être examinées. Tout comme pour le champagne de luxe VEUVE CLICQUOT et les vêtements de gamme intermédiaire pour dames CLIQUOT, les services de casino en ligne de la requérante et les vêtements de surf, de planche à neige et d’autres sports de planche extrêmes offerts par les opposantes « sont aussi différents que peuvent lêtre le jour et la nuit ». En outre, même si on considère que la marque des opposantes est célèbre, il ne s’agit pas du genre de marque qui s’est révélée recouper plusieurs gammes de produits [...]

 


[34]     Je suis généralement en accord avec l’argument de la requérante exposé ci‑dessus. Si la preuve au dossier m’a mené à conclure que les opposantes ont établi que leur marque ROXY est bien connue au Canada, il reste néanmoins que la marque est associée à des produits très spécifiques (vêtements et sports extrêmes) et semble être bien connue d’un segment restreint de la population (les personnes de sexe féminin âgées entre 15 et 25 ans). De plus, les opposantes n’ont pas établi la mesure dans laquelle le segment de la population qui constitue leur clientèle cible est susceptible d’utiliser des services de casino en ligne. Je suis dès lors incapable de conclure que la marque ROXY des opposantes franchit l’écart entre les différentes gammes de produits en l’espèce.

 

Décision

[35]     Vu ce qui précède, et compte tenu particulièrement que les opposantes n’ont pas établi que leur marque ROXY franchit l’écart entre les différentes gammes de produits, et considérant que les marchandises et services respectifs des parties sont très différents, je conclus que la requérante a satisfait au fardeau qui lui incombait de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’à aucune époque pertinente, il n’a existé une probabilité raisonnable de confusion entre la marque ROXY POKER visée par la demande et la marque ROXY des opposantes.

[36]     En conséquence, l’opposition est rejetée. Cette décision est prise conformément à une délégation de pouvoirs effectuée en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur les marques de commerce.

[37]     J’ajouterais que si les opposantes avaient établi que le segment de la population constituant leur clientèle cible s’adonne de façon appréciable à des jeux de casino en ligne, leur position aurait été considérablement renforcée, et la décision en l’espèce aurait pu leur être favorable.

______________________________

Myer Herzig

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.