Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRES INTÉRESSANT LES OPPOSITIONS de Rothmans Benson & Hedges Inc. aux demandes nos 1 122 382 et 1 122 376 concernant respectivement les marques de commerce BOURGOGNE et BURGUNDY produites par Matinée Company Inc.

 

 

Le 19 novembre 2001, Matinée Company Inc. (la « requérante ») a déposé des demandes en vue de faire enregistrer les marques de commerce BOURGOGNE et BURGUNDY (les « marques ») sur le fondement de l’emploi projeté des marques au Canada en liaison avec des « produits de tabac fabriqué » (les « marchandises »).

 

Les demandes ont été publiées à des fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 26 février 2003.

 

Le 24 juillet 2003, Rothmans Benson & Hedges Inc. (l’« opposante ») a produit des déclarations d’opposition essentiellement identiques contre chacune des demandes. Les motifs d’opposition peuvent se résumer comme suit :

 

  1. Les marques ne sont pas enregistrables contrairement à l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C., ch. T-13, modifiée) (la « Loi ») puisque les marques, qu’elles soient sous forme graphique, écrite ou sonore, donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, du lieu d’origine des marchandises;

 

  1. Les marques ne sont pas distinctives de la requérante au sens de l’article 2 de la Loi puisqu’elles ne distinguent pas les marchandises de la requérante et ne sont pas non plus adaptées à les distinguer.

 

La requérante a produit et signifié dans chaque cas une contre-déclaration dans laquelle elle niait les deux motifs d’opposition.

 

À titre de preuve dans chaque cas, l’opposante a produit un affidavit de Perry J. Lao. La requérante a produit une série unique d’affidavits d’Edmond Ricard, Chantal Dorais, Timothy Owen Stevenson, Adamo Santoianni et Iva Morina relativement aux deux oppositions en l’espèce et à des oppositions contre deux autres demandes mettant en cause la même opposante et la même requérante.

 

Chaque partie a produit des observations écrites dans chaque cas. Seule la requérante a été représentée à une audience dans chaque cas.

 

Résumé de la preuve de l’opposante

 

Perry J. Lao se décrit comme un avocat engagé par l’agent des marques de commerce de l’opposante dans la présente procédure d’opposition.

 

M. Lao produit essentiellement des copies ou des impressions de définitions des mots « Bourgogne » et « Burgundy » tirées de différents dictionnaires en format papier ou accessibles sur le Web et disponibles au Canada ainsi que des documents de référence relatifs à la France et à la région de la Bourgogne provenant de la bibliothèque de l’agent de l’opposante à Toronto.

 

Résumé de la preuve de la requérante

 

Comme mentionné précédemment, la requérante a produit les affidavits d’Edmond Ricard, Chantal Dorais, Timothy Owen Stevenson, Adamo Santoianni et Iva Morina. Chacun de ces affidavits a été produit relativement à la présente procédure d’opposition et à des oppositions contre deux autres demandes mettant en cause la même opposante et la même requérante. Aucun des éléments de preuve de la requérante n’est pertinent au regard des oppositions en l’espèce.

 


Le fardeau de preuve et les dates pertinentes

 

La requérante a le fardeau d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que sa demande satisfait aux exigences de la Loi. Un fardeau de présentation incombe cependant à l'opposante qui doit fournir une preuve admissible suffisante permettant de conclure raisonnablement que les faits allégués au soutien de chacun des motifs d'opposition existent [voir John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F., Sect. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

 

Les dates pertinentes aux fins de l’appréciation des circonstances au regard de chacun des motifs d’opposition en l’espèce sont les suivantes :

 

  • Motif fondé sur l’al. 12(1)b) de la Loi : la date de la production des demandes [voir General Housewares Corp. c. Fiesta Barbeques Limited (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F.)];
  • Motif fondé sur le caractère non distinctif des marques : généralement admis comme étant la date de production des déclarations d’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)].

 

J’examinerai maintenant tour à tour ces deux motifs d’opposition à la lumière des éléments de preuve produits au dossier.

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b)

 

Le premier motif d’opposition est que les marques, qu’elles soient sous forme graphique, écrite ou sonore, donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, du lieu d’origine des marchandises, contrairement à l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

 

Pour que ce motif soit accueilli, il faut tout d’abord établir le lieu d’origine réel des marchandises.

 

Puisqu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant que les marchandises de la requérante sont (seront) effectivement produites dans la région de la Bourgogne, l’opposante ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait pour que puissent être examinées les allégations selon lesquelles les marques donnent une description claire du lieu d’origine des marchandises [voir Molson Breweries, A Partnership c. Labatt Brewing Co Ltd. (1996), 69 C.P.R. (3d) 274 (C.O.M.C.); Bio Generation Laboratories Inc. c. Pantron I, Corp. (1991), 37 C.P.R. (3d) 546 (C.O.M.C.)].

 

La prochaine étape consiste à déterminer si l’on peut considérer que les marques donnent une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises.

 

Comme mentionné précédemment, l’opposante a produit, avec l’affidavit de Me Lao, des copies ou des impressions de définitions des mots « Bourgogne » et « Burgundy » tirées de différents dictionnaires en format papier ou accessibles sur le Web et disponibles au Canada ainsi que des documents de référence relatifs à la France et à la région de la Bourgogne provenant de la bibliothèque de l’agent de l’opposante à Toronto.

 

Bien que le tabac soit décrit comme un produit agricole de la France, les documents précités n’établissent pas que la Bourgogne est généralement connue ou reconnue comme un endroit relié aux marchandises. Je reproduis ci-dessous les parties les plus pertinentes du seul et unique extrait produit par l’opposante à cet égard, qui consiste en une publication américaine de 1931 (désuète) intitulée Atlas of the World and Gazetteer :

 

[traduction]

« FRANCE :

Superficie et population. […]

Climat. […]

Gouvernement. […]

Agriculture. Le pays compte une plus grande proportion de terres arables que tout autre grand pays d’Europe. La première culture de grains en fait de superficie est celle du blé, les principaux districts producteurs étant ceux des bassins de la Seine, de la Loire et de la Garonne. Parmi les autres céréales, […]

            Des vignobles occupent 4 000 000 d’acres, et de grandes quantités de vin sont produites. Les grandes régions vinicoles sont les départements de l’Hérault, de l’Aude, de la Gironde, de la Côte-d’Or, de la Charente et du Gers, les vallées du Rhône et de la Saône, et les districts connus sous les anciens noms de Champagne, d’Anjou, et de Touraine. La France est le premier pays cultivateur de raisin et producteur de vins du monde.

            La pomme de terre et la betterave à sucre font aussi l’objet d’une culture extensive. Figurent parmi les autres produits agricoles le maïs, le sarrasin, le tabac, le colza et le chanvre.

            Les fruits et les noix produisent des récoltes de grande valeur. Les pommes à cidre, les prunes, les olives, les noix de Grenoble et les noisettes sont les principaux produits.

            La culture de la soie est pratiquée de manière extensive dans les régions chaudes du Bas-Rhône, et elle progresse grâce à une aide gouvernementale.

            L’élevage de bétail reçoit beaucoup d’attention, en particulier dans les collines du nord-ouest, où abondent d’excellents pâturages. De grandes quantités de beurre et de fromage sont produites.

Pêcheries. […]

Forêts. […]

Minerais. […]

Manufactures. […]

Colonies. […] »

 

Les définitions du dictionnaire produites par l’opposante ne l’aident pas davantage. Aucune des définitions des mots « BOURGOGNE » ou « BURGUNDY » ne fait la moindre mention du tabac ou de produits semblables.

 

D’après les différentes définitions de dictionnaires produites par l’opposante, les mots « BOURGOGNE » et « BURGUNDY » peuvent être définis comme suit :

       Une région du centre est de la France (la région est réputée pour son vin);

       Le vin (habituellement rouge) de Bourgogne (France) ou un vin similaire d’un autre endroit (comme la Californie);

       La couleur pourpre rougeâtre du vin de Bourgogne ou une couleur brun rougeâtre foncé ou une couleur allant du rouge pourpre foncé au rouge noirâtre;

       Une dynastie portugaise qui a existé  des années 1139 à 1383.

 

En outre, l’al. 11.18(3)g) de la Loi énonce expressément que « BOURGOGNE » et « BURGUNDY » sont considérés comme des noms génériques de vins et que tous les commerçants sont libres de les adopter, de les utiliser et de les enregistrer à titre de marque de commerce reliée à des vins.

 

La requérante prétend que les définitions de dictionnaires précitées portent à croire que lorsqu’elles sont employées en liaison avec des produits de tabac, les marques peuvent donner à entendre l’une quelconque des choses suivantes :

         Que les produits de tabac sont raffinés ou sophistiqués, des caractéristiques associés aux vins de Bourgogne ou à leur consommation;

         Que la consommation des produits de tabac accompagne bien la consommation de vins de Bourgogne;

         Que le produit de tabac lui-même est de couleur bourgogne;

         Que l’emballage du produit de tabac est de couleur bourgogne.

 

La démarche à suivre pour déterminer si une marque de commerce prise dans son ensemble donne une description fausse et trompeuse consiste à décider si le public canadien serait induit en erreur sur l'origine du produit associé à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l'endroit désigné par le nom géographique employé dans la marque de commerce [voir Atlantic Promotions Inc. c. Registrar of Trade-marks (1984), 2 C.P.R. (3d) 183, à la p. 186 (C.F.)].

 

La requérante prétend que l’opposante n’a pas réussi à produire des éléments de preuve établissant que le public canadien serait induit en erreur sur l’origine des marchandises de la requérante et croirait qu’elles proviennent de Bourgogne. Je suis d’accord.

 

Comme mentionné précédemment, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que la région de Bourgogne en France produit du tabac ou des produits de tabac; encore moins qu’elle est généralement connue ou reconnue comme un endroit associé aux marchandises.

 

Comme aussi indiqué précédemment, les mots « BOURGOGNE » et « BURGUNDY » ont plusieurs sens différents.

 

En outre, et comme le prétend la requérante, même s’il est démontré qu’une région géographique est bien connue pour sa production d’un type de produit (par exemple les vins), une marque contenant le nom de cette région peut tout de même être enregistrée en relation avec d’autres produits (par exemple du tabac) [voir Institut National des Appellations d’Origine c. Pepperidge Farm, Inc.  (1997), 84 C.P.R. (3d) 540, à la p. 556 (C.O.M.C.), où la Commission des oppositions des marques de commerce (la « Commission ») a statué que BORDEAUX en relation avec des biscuits était enregistrable malgré les vins de Bordeaux bien connus; et Institut National des Appellations d’Origine c. Chock Full O’Nuts Corp.  (2000), 9 C.P.R. (4th) 394, à la p. 401 (C.O.M.C.), où la Commission a statué que LA TOURAINE en association avec du café, du thé, du cacao et des épices était enregistrable malgré le vin de Touraine et le fromage Sainte-Maure de Touraine].

 

Conclusion au sujet du caractère descriptif

Comme l’opposante l’a reconnu dans ses observations écrites, l’objet de l’interdiction de l’emploi de noms géographiques à l’alinéa 12(1)b) est d’empêcher qu’une personne acquière un monopole sur un mot qui est généralement reconnu comme un endroit associé aux marchandises ou services en cause [voir Molson Breweries précité]. Eu égard à l’analyse qui précède, je conclus que l’opposante ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait pour que puissent être examinées les allégations selon lesquelles les marques donnent une description claire ou donnent une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises. En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’al. 12(1)b) est rejeté.

 

Motif d’opposition fondé sur le caractère non distinctif

 

Le deuxième motif d’opposition est que les marques ne sont pas distinctives de la requérante au sens de l’article 2 de la Loi puisqu’elles ne distinguent pas les marchandises de la requérante et ne sont pas non plus adaptées à les distinguer. L’opposante n’a fourni aucun détail au soutien de ce motif. Ainsi, le deuxième motif d’opposition n’est pas conforme à l’alinéa 38(3)a) de la Loi, et il est donc rejeté.

 

Même si le motif d’opposition relatif au caractère distinctif avait été plaidé avec suffisamment de détails, j’estimerais quand même que ce motif doit être rejeté, parce que l’opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial relativement à ce motif, étant donné qu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant qu’aucun autre commerçant n’aurait employé les marques de commerce BOURGOGNE ou BURGUNDY en relation avec des produits de tabac fabriqué. De fait, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que qui que ce soit ait employé une marque quelconque comportant les mots « BOURGOGNE » ou « BURGUNDY ». En outre, si le motif d’opposition relatif au caractère distinctif était considéré comme étant fondé sur l’allégation selon laquelle les marques dont l’enregistrement est demandé donnent une description claire du lieu d’origine des marchandises, ce motif serait également rejeté pour les même raisons que le motif d’opposition fondé sur le caractère descriptif.

 

Décision

Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués par le Registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette les oppositions à l’enregistrement des marques BOURGOGNE et BURGUNDY, le tout selon les dispositions du paragraphe 38(8).

 

FAIT À Montréal, Québec, le 13 février 2008.

 

Annie Robitaille

Membre, Commission des oppositions des marques de commerce

 

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