Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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OPIC

CIPO

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2018 COMC 50

Date de la décision : 2018-05-18
[TRADUCTION CERTIFIÉE,
NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45

 

BCF LLP

Partie requérante

et

 

La Baronia de Turis, Coop. V.

Propriétaire inscrite

 

LMC835019 pour la marque de commerce AROMAS DE TURIS

Enregistrement

Introduction

[1]  La présente décision concerne une procédure de radiation sommaire engagée à l’égard de l’enregistrement no LMC835,019 de la marque de commerce AROMAS DE TURIS (la Marque), détenu par La Baronia de Turis, Coop. V. (la Propriétaire).

[2]  La Marque est enregistrée pour emploi en liaison avec des [Traduction] « vins ».

[3]  Pour les raisons exposées ci-dessous, je conclus qu’il y a lieu de maintenir l’enregistrement.

La procédure

[4]  Le 21 juin 2016, à la demande de BCF LLP (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a donné l’avis prévu à l’article 45 (l’Avis) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985 ch T-13 (la Loi) à la Propriétaire.

[5]  L’avis prévu à l’article 45 enjoignait à la Propriétaire de fournir une preuve établissant qu’elle a employé la Marque au Canada en liaison avec des vins à un moment quelconque entre le 21 juin 2013 et le 21 juin 2016 (la Période pertinente). À défaut d’avoir ainsi employé la Marque, la Propriétaire devait fournir une preuve établissant la date à laquelle la Marque a été employée en dernier lieu et les raisons de son défaut d’emploi depuis cette date.

[6]  La définition pertinente d’« emploi » en liaison avec des produits est énoncée à l’article 4(1) de la Loi, lequel est ainsi libellé :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[7]  Il est bien établi que l’article 45 de la Loi a pour objet et portée d’offrir une procédure simple, sommaire et expéditive pour débarrasser le registre du « bois mort ». Les critères pour établir l’emploi ne sont pas exigeants et il n’est pas nécessaire de produire une surabondance d’éléments de preuve. Il n’en faut pas moins, cependant, présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement à un moment quelconque au cours de la période pertinente [voir Performance Apparel Corp c Uvex Toko Canada Ltd, 2004 CF 448, 31 CPR (4th) 270]. De simples allégations d’emploi ne sont pas suffisantes pour établir l’emploi de la marque de commerce [voir Aerosol Fillers Inc c Plough (Canada) Ltd (1980), 53 CPR (2d) 62 (CAF)].

[8]  Comme preuve, la Propriétaire a produit l’affidavit de Mme Denise Brisson, daté du 19 septembre 2016, accompagné des pièces 1 à 5 inclusivement.

[9]  Seule la Partie requérante a produit des représentations écrites; aucune audience n’a été tenue.

La preuve de la Propriétaire

[10]  Mme Brisson atteste qu’elle est la propriétaire et présidente de Cellar Stock Importers Inc. (Cellar Stock). Elle atteste que Cellar Stock est [Traduction] « une entreprise importatrice pour l’Ouest canadien depuis 1995, spécialisée auprès de grossistes en vins et en boissons alcoolisées distillées ».

[11]  Mme Brisson affirme que Cellar Stock est la distributrice des vins arborant la Marque pour l’Ouest canadien. Elle joint comme pièce 1 à son affidavit des bordereaux d’expédition et des factures [Traduction] « faisant état de l’expédition et de la vente de vin arborant la [Marque] au Canada, par la propriétaire, pendant la période pertinente ».

[12]  Mme Brisson explique que le vin arborant la Marque est un grenache auquel on ajoute ses propres agrumes, et elle joint comme pièce 2 à son affidavit des photos d’une bouteille d’un litre arborant la Marque et vendue au Canada pendant la Période pertinente, ainsi qu’une copie de l’étiquette apposée sur la bouteille de vin, sur laquelle on peut lire l’inscription « Vin Rouge/Red Wine ».

[13]  Mme Brisson affirme que Cellar Stock vend des vins en liaison avec la Marque dans l’Ouest canadien, à savoir en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, depuis au moins aussi tôt que décembre 2006, par l’intermédiaire de magasins de vins et spiritueux dûment autorisés par les sociétés et régies des alcools concernées. Pour établir la vente de vins en liaison avec la Marque au Canada, elle joint comme pièce 3 à son affidavit des bons de commande émis par différentes sociétés et régies des alcools de l’Ouest canadien et adressés à Cellar Stock, portant tous une date comprise dans la Période pertinente. Mme Brisson joint également comme pièce 4 à son affidavit, la liste de prix de Cellar Stock datée de l’automne 2015 présentant des produits de la Propriétaire vendus par Cellar Stock.

[14]  Mme Brisson allègue que les vins vendus en liaison avec la Marque sont classés dans la catégorie « Flavored Wines/Vins Aromatisés » par les sociétés et régies des alcools, et elle joint comme pièce 5 à son affidavit des extraits de la liste de prix de la Société manitobaine des alcools et des loteries, en vigueur le 4 juillet 2016, ainsi que le catalogue des prix officiel de la Régie des alcools et des jeux de hasard de la Saskatchewan (SLGA).

[15]  Mme Brisson conclut son affidavit en fournissant le volume annuel des ventes par bouteille au Canada des vins arborant la Marque pendant la Période pertinente.

Les arguments de la Partie requérante

[16]  D’emblée, la Partie requérante admet que la preuve au dossier et décrite ci-dessus établit l’emploi de la Marque au Canada pendant la Période pertinente.

[17]  Cependant, la Partie requérante fait valoir, dans ses représentations écrites, que la Marque a été employée au Canada pendant la Période pertinente en liaison avec de la sangria, et non avec des vins. Selon les observations de la Partie requérante, étant donné que la sangria n’est pas un vin en tant que tel, la Marque n’a pas été employée en liaison avec les produits visés par l’enregistrement et l’enregistrement doit donc être radié.

[18]  À l’appui de sa prétention selon laquelle il faut faire une distinction entre la sangria et le vin, la Partie requérante a consulté :

  • différentes définitions tirées de dictionnaires;

  • le Manuel des produits et des services; et

  • le Règlement sur les aliments et drogues au sujet des vins.

[19]  Avant d’aborder chacun des arguments avancés par la Partie requérante, il est important de souligner que les bordereaux d’expédition et les factures de vente (pièce 1) font état de sangria. Quant à la photographie d’une bouteille (pièce 2), Mme Brisson la qualifie de bouteille de vin.

[20]  La Partie requérante fait valoir que l’étiquette apposée sur la bouteille fait référence à de la sangria faite à partir de vin. Il est important de reproduire l’étiquette figurant sur le devant de la bouteille :

[21]  J’ai également reproduit l’étiquette figurant au dos de la bouteille :

[22]  Comme on peut le voir sur l’étiquette apposée sur le devant de la bouteille (pièce 2), il y a deux références distinctes au vin. Il y a également une référence au vin sur l’étiquette figurant au dos de la bouteille.

Définitions du dictionnaire

[23]  La Partie requérante souligne le fait que Mme Brisson admet que les produits vendus ne sont pas réellement des vins, mais bien des [Traduction] « vins aromatisés ».

[24]  Sur chacun des bons de commande (pièce 3), la description de la marchandise achetée est « SANGRIA AROMAS DE TURIS ».

[25]  La Partie requérante fait référence aux définitions du mot « sangria » qu’elle a repérées, entre autres, celle qui figure dans le dictionnaire Oxford Concise qui se lit comme suit [Traduction] : « Sangria, n. Boisson espagnole faite de vin rouge, de limonade et d’épices ». Dans le dictionnaire français Le Petit Robert, le mot « sangria » est défini comme étant une « boisson obtenue en faisant macérer des tranches d’agrumes et des morceaux de fruits dans du vin rouge avec le sucre et des épices ».

[26]  J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire [voir National Laser Products Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce) (1976), 28 CPR (2d) 59 (CF 1re inst)] et j’ai consulté le Canadian Oxford Dictionary, dans lequel le mot sangria est défini comme suit [Traduction] :

 boisson à base de vin rouge et contenant de l’eau, du sucre, du jus de fruits, des agrumes en tranches et [habituellement] du soda.

[27]  J’ai également consulté le dictionnaire français Le Petit Robert pour y lire la définition du mot « vin ». Dans la définition de ce mot, on trouve de nombreux exemples de vins particuliers comme du « vin rouge », du « vin blanc », du « vin mousseux », etc. On y mentionne également le « vin orange » qui est défini comme étant du « vin rouge dans lequel on fait macérer des oranges => sangria ».

[28]  Bien que l’article 45 prévoie une procédure sommaire et que le fardeau de preuve ne soit pas lourd, le propriétaire doit établir l’emploi de sa marque en fournissant suffisamment de faits pour permettre au registraire de tirer une conclusion quant à savoir si la marque a été employée au Canada pendant la période pertinente et conformément à l’article 4 de la Loi [voir Guido Berlucchi & C Srl c Brouilette Kosie Prince, 2007 CF 245 (CanLII), 56 CPR (4th) 401 (CF 1re inst)]. Plus particulièrement, il incombe au propriétaire inscrit de démontrer de quelle manière la marque figurait sur les produits spécifiés dans l’enregistrement ou sur leurs emballages — ou était autrement liée à ces produits — au moment de leur vente ou de leur livraison dans la pratique normale du commerce.

[29]  Il s’agit d’une procédure de nature administrative qui a pour objet de débarrasser le registre du « bois mort ». Clairement, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où la Marque constitue du « bois mort ». La sangria peut être un type particulier de vin. Je souligne que, dans la liste de prix de la SLGA produite (pièce 5), le produit de la Propriétaire offert en vente en liaison avec la Marque est classé dans la catégorie des « Wine-Flavoured-wine-Spain-Other-Other-Red » [Vin-Aromatisé-vin-Espagne-Autre-Autre-Rouge].

[30]  Selon ces définitions et les classifications figurant sur les listes de prix, il est raisonnable de conclure que la sangria est un [Traduction] « vin aromatisé » qui, en soi, s’inscrit dans la catégorie générale des vins. Aux fins de la présente procédure, il est raisonnable de considérer la sangria comme un type particulier de vin. En fait, le Petit Larousse définit la sangria comme un type de vin.

[31]  Si la Partie requérante souhaite contester la référence au vin faite par la Propriétaire au moment d’offrir en vente de la sangria en liaison avec la Marque, elle doit utiliser un autre recours que la procédure prévue à l’article 45. La validité de l’enregistrement, au sens de savoir s’il exprime ou définit avec exactitude les droits qu’a acquis la propriétaire par l’emploi, va au-delà de la portée de la procédure prévue à l’article 45 [voir Ridout & Maybee srl c Omega SA (2005) CPR (4th) 18 (CAF) et Renaud & Cointreau & Cie c Cordon Bleu International Ltd 2002 CAF 11].

Règlement sur les aliments et drogues

[32]   La Partie requérante souligne ensuite que le vin est un terme défini dans le Règlement sur les aliments et drogues [voir B.02.100]. Toutefois, la définition à laquelle il est fait référence n’est pas une définition du mot [Traduction] « vin » en tant que tel, mais plutôt d’une liste de substances qui peuvent être ajoutées au vin pendant sa fabrication. Le fait que des agrumes, des fruits, de l’eau pétillante et des épices ne soient pas inclus dans la liste des additifs pouvant être ajoutés au vin ne signifie pas nécessairement que le produit final ne peut plus être identifié comme étant du [Traduction] « vin ».

[33]  La Partie requérante mentionne la définition suivante du terme « Flavoured Wine » [vin aromatisé] qui figure dans le Règlement sur les aliments et drogues à l’article B.02.105 :

Le vin aromatisé, le cocktail au vin ou le vin apéritif est du vin additionné d’herbes, d’épices, d’autres substances végétales, de jus de fruits ou de préparations aromatisantes, et renferme au plus 20 pour cent d’alcool absolu en volume.

[34]  Peut-être que la « sangria » telle qu’elle est décrite sur l’étiquette apposée au dos de la bouteille (pièce 3) s’inscrit dans cette définition, mais cela supposerait-il qu’il ne s’agit pas de [Traduction] « vin » au sens habituel de ce mot? Là encore, cette procédure n’est pas appropriée pour trancher cette question.

[35]  La non-conformité à d’autres lois ne devrait pas constituer un fondement pour la radiation dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45 [voir, à titre d’exemple, Lewis Thompson & Sons Limited c Rogers, Bereskin & Parr (1988), 21 CPR (3d) 483 (CF 1re inst)].

Le Manuel des produits et des services

[36]  Comme autre argument, la Partie requérante fait référence au Manuel des produits et des services, dans lequel on trouve les termes suivants : « vin », « boissons à base de vin » et « cocktails préparés à base de vin ». Le Manuel des produits et des services sert de référence pour les termes acceptés dans la description des produits et des services. Ces trois termes sont acceptables pour décrire des produits. Je ne vois pas en quoi ces termes peuvent appuyer la proposition selon laquelle la sangria ne peut pas désigner du vin au sens général de ce terme.

[37]  Enfin, la Partie requérante fait référence à la décision du registraire dans Barrette Legal Inc c Southbrook Farms Limited 2015 COMC 179. Dans cette affaire, l’enregistrement faisant l’objet de l’avis prévu à l’article 45 visait des [Traduction] « vins et vins de fruits ». Le registraire s’est dit convaincu que la propriétaire avait établi l’emploi de la marque en liaison avec du [Traduction] « vin ». Cependant, voici ce qu’il avait à dire au sujet des [Traduction] « vins de fruits » [Traduction] :

15 Ici, cependant, j’estime que l’affidavit de M. Redelmeier ne parle pas, dans les faits, des produits plus spécifiques [Traduction] « vins de fruits ». Premièrement, je remarque que lorsque M. Redelmeier décrit les [Traduction] « vins de marque Triomphe » dans son affidavit, il n’y a pas de mention de [Traduction] « vins de fruits ». En effet, M. Redelmeier n’atteste pas spécifiquement des ventes, pas plus qu’il ne fournit des factures ou d’autres preuves montrant que des [Traduction] « vins de fruits » arborant la Marque ont, dans les faits, été vendus à des Canadiens par l’entremise du site web de la Propriétaire ou autrement au cours de la période pertinente.

16 Même si M. Redelmeier ne décrit pas dans son affidavit ce qui constituerait un [Traduction] « vin de fruits », le site web même de la Propriétaire suggère que les [Traduction] « vins de fruits » sont distincts de tout vin de marque Triomphe. À cet égard, comme susmentionné, le menu de navigation du site web se compose de deux catégories distinctes et d’un hyperlien pour chaque catégorie de produit. De plus, sur le site web de la Propriétaire, dans le cas de la bouteille qui est identifiée comme un [Traduction] « vin de fruits », elle n’est pas également identifiée comme un vin « Triomphe » et la Marque n’apparaît pas sur son étiquette.

17 En l’absence de plus de preuves – comme une photographie représentative représentant un [Traduction] « vin de fruits » arborant la Marque ou de déclarations claires à l’égard de la vente de [Traduction] « vins de fruits » dans l’affidavit de M. Redelmeier –, il n’est pas clair qu’aucun [Traduction] « vin de fruits » offert en vente par la Propriétaire au cours de la période pertinente n’a, dans les faits, été vendu en liaison avec la Marque. À la lumière de la preuve dans son ensemble et en l’absence d’observations écrites, j’estime que la preuve est ambiguë à cet égard; suivant Plough, précitée, une telle ambiguïté doit être résolue à l’encontre des intérêts de la Propriétaire.

[38]  Comme la Propriétaire a choisi d’énumérer séparément les [Traduction] « vins » et les [Traduction] « vins de fruits » en tant que produits distincts, elle devait établir l’emploi en liaison avec chacun de ces produits. Il y avait en fait deux catégories différentes de vins identifiées sur le site web de la propriétaire. Il n’y avait aucune preuve d’emploi de la marque en cause en liaison avec ce qui avait été identifié par la propriétaire comme étant des [Traduction] « vins de fruits ».

[39]  Je ne vois pas en quoi une telle décision peut aider la Partie requérante. En l’espèce, l’enregistrement de la Propriétaire ne vise qu’une seule catégorie de produits, à savoir des vins. Comme je l’ai expliqué précédemment, les définitions du dictionnaire des mots « sangria » et [Traduction] « vin » m’amènent à conclure qu’il est raisonnable d’admettre que la « sangria » est un type particulier de [Traduction] « vin » aux fins de la présente procédure.

Décision

[40]  Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, l’enregistrement sera maintenu selon les dispositions de l’article 45 de la Loi.

 

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Sophie Ouellet, trad.a.


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

Aucune audience tenue

AGENT(S) AU DOSSIER

Brouillette Legal Inc.

POUR LA PROPRIÉTAIRE INSCRITE

BCF LLP

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

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