Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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OPIC

CIPO

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2018 COMC 57

Date de la décision : 2018-06-06

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

A. Lassonde Inc.

Opposante

et

 

Niagara Bottling, LLC

Requérante

 

1,610,964 pour la marque de commerce NIAGARA

Demande

Introduction

[1]  A. Lassonde Inc. (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce NIAGARA (la Marque), qui fait l’objet d’une demande produite par Niagara Bottling, LLC (la Requérante).

[2]  Pour les raisons exposées ci-dessous, je repousse la demande d’enregistrement.

Le dossier

[3]  Le 23 janvier 2013, la Requérante a produit la demande d’enregistrement portant le n1,610,964 relative à la Marque. La demande vise ce qui suit [Traduction] :

Eau potable embouteillée; eau embouteillée; eau potable distillée; eau potable; eau potable enrichie de vitamines; eaux potables; eau embouteillée aromatisée; eau renforcée aromatisée; eaux aromatisées; eau potable purifiée et embouteillée; eau de source; eau plate; eau de table; boissons à base d’eau (les Produits).

[4]  La demande est fondée sur l’emploi et l’enregistrement aux États-Unis d’Amérique le 14 janvier 2014 et a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 20 août 2014.

[5]  Le 20 avril 2015, l’Opposante a produit une déclaration d’opposition qui a été transmise à la Requérante par le registraire le 5 mai 2015. Les motifs d’opposition invoqués sont fondés sur les articles 30a) et d) (conformité), 16(2)a) (droit à l’enregistrement) et 2 (caractère distinctif) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi).

[6]  Le 4 décembre 2015, la Requérante a produit une contre-déclaration dans laquelle elle conteste chacun des motifs d’opposition invoqués.

[7]  Comme preuve, l’Opposante a produit l’affidavit de Mathieu Houle, souscrit le 31 mars 2016, accompagné des pièces MH-1 à MH-4.

[8]  Comme preuve, la Requérante a produit les affidavits de Jennifer Leah Stecyk, souscrit le 8 décembre 2016, accompagné de la pièce A, et de Janelle Granger, souscrit le 14 décembre 2016, auquel était jointes les pièces A à F.

[9]  Les parties ont toutes deux produit un plaidoyer écrit et étaient toutes deux représentées à l’audience qui a été tenue.

Fardeau de preuve

[10]  C’est au requérant qu’incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande est conforme aux dispositions de la Loi. L’opposant a toutefois le fardeau de preuve initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition. Une fois que l’opposant s’est acquitté de ce fardeau initial, le requérant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le motif d’opposition en question ne devrait pas faire obstacle à l’enregistrement de la Marque [voir Joseph E Seagram & Sons Ltd et al c Seagram Real Estate Ltd (1984), 3 CPR (3d) 325 (COMC), John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst) et Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company [2005] ACF no 899, (CF)].

Remarques préliminaires

[11]  Aux fins de ma décision, j’ai tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier. Cependant, je mentionnerai uniquement les parties de la preuve qui sont directement pertinentes du point de vue des questions examinées dans le corps de ma décision.

Motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement

[12]  Je reproduis ci-dessous le motif d’opposition tel qu’il est invoqué par l’Opposante dans sa déclaration d’opposition :

L’Opposante fonde également son opposition sur les dispositions de l’article 38(2)(c) en ce que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu des dispositions de l’article 16(2)(a) puisqu’à la date de production de la demande d’enregistrement, soit le 23 janvier 2013, la Marque créait de la confusion avec la marque NIAGARA, antérieurement employée au Canda [sic] par l’Opposante ou tout concédant de licence, le cas échéant, et qui n’a pas été abandonnée depuis, en liaison avec les marchandises [Traduction] « cocktails de jus de fruits emballés et vendus dans des contenants prêts-à-boire de longue conservation » et avec les marchandises [Traduction] « jus de fruits d’agrumes concentrés congelés ».

[13]  En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’article 16(2) de la Loi, la date pertinente est la date de production de la demande (23 janvier 2013) [voir l’article 16(2) de la Loi].

[14]  Pour que ce motif d’opposition soit accueilli, l’Opposante doit d’abord démontrer qu’elle employait déjà sa marque de commerce NIAGARA avant le 23 janvier 2013 en liaison avec des boissons à base de jus de fruits et des jus de fruits concentrés congelés, tel qu’allégué dans sa déclaration d’opposition, et qu’elle n’avait pas abandonné cet emploi à la date de l’annonce de la présente demande (20 août 2014) [voir l’article 16(5) de la Loi]. J’examinerai par conséquent la preuve de l’Opposante concernant son emploi de la marque de commerce NIAGARA.

La preuve de l’Opposante

[15]  M. Houle est le vice-président du marketing de l’Opposante depuis janvier 2015. Auparavant, il a occupé divers postes chez Vins Arista, une division de l’Opposante. Il affirme avoir une bonne connaissance des activités de l’Opposante en raison de ses fonctions chez l’Opposante. Il ajoute qu’il a une connaissance personnelle des faits allégués dans son affidavit ou qu’il a personnellement consulté les registres comptables de l’Opposante pour les besoins de son affidavit.

[16]  M. Houle explique que l’Opposante est une filiale d’Industries Lassonde Inc. et qu’elle fabrique et vend des produits alimentaires, dont des jus et des boissons aux fruits, sous différentes marques de commerce, dont la marque de commerce NIAGARA.

[17]  M. Houle affirme que, aux termes d’un accord daté du 2 novembre 2007, McCain Foods Limited (McCain) a octroyé à l’Opposante une licence exclusive pour employer les marques de commerce NIAGARA et NIAGARA & Dessin au Canada en liaison avec des jus de fruits et des jus de fruits enrichis de vitamines et/ou de minéraux emballés et vendus dans des contenants prêts-à-boire de longue conservation ainsi qu’en liaison avec d’autres jus de fruits, boissons à base de jus de fruits et punchs faits de jus de fruits, sous réserve de l’approbation écrite de McCain. M. Houle a produit une copie de cette licence comme pièce MH-1 jointe à son affidavit.

[18]  M. Houle affirme que la marque de commerce NIAGARA est employée par l’Opposante au Canada depuis 2007 en liaison avec des boissons aux fruits fabriquées par l’Opposante. L’Opposante appose la marque NIAGARA directement sur l’emballage des produits qu’elle fabrique, à savoir des contenants de carton contrecollé d’un litre vendus sur les tablettes. Il joint comme pièce MH-2 des photographies d’anciens emballages et d’emballages actuels arborant la marque de commerce NIAGARA.

[19]  À titre de référence, je reproduis ci-dessous les différents emballages employés par l’Opposante depuis 2007 :

[20]  M. Houle affirme que les produits fabriqués par l’Opposante en liaison avec la marque de commerce NIAGARA sont vendus au détail aux consommateurs canadiens par l’intermédiaire de supermarchés et de pharmacies, par exemple. Ils sont vendus soit directement par l’Opposante à ces supermarchés et pharmacies soit à des distributeurs au Canada, qui les vendent à leur tour à ces détaillants.

[21]  Pour établir l’emploi de la marque NIAGARA au Canada par l’Opposante, M. Houle a joint comme pièce MH-3 des spécimens de factures émises entre 2009 et 2015 pour la vente de boissons aux fruits en liaison avec la marque de commerce NIAGARA.

[22]  M. Houle fournit le nombre de caisses de jus de fruits arborant la marque de commerce NIAGARA vendues au Canada par l’Opposante pour les années 2012, 2013, 2014 et 2015. Chaque caisse contient 12 contenants d’un litre chacun. De 2007 à 2014 inclusivement, l’Opposante a vendu 406 341 caisses de boissons aux fruits en liaison avec la marque de commerce NIAGARA.

[23]  M. Houle affirme que les ventes ont été faites, notamment, à Buy Low Foods, à Northwest Company, à Pratts Ltd et à Safeway.

La preuve de la Requérante concernant l’abandon allégué de l’emploi de la marque de commerce NIAGARA par l’Opposante

[24]  La Requérante fait valoir que l’Opposante a abandonné l’emploi de la marque de commerce NIAGARA. À l’appui de cette prétention, la Requérante invoque des parties de l’affidavit de Mme Granger décrites en détail ci-après.

[25]  Mme Granger est l’avocate-conseil associée de la Requérante et elle a occupé différents postes pour le compte de la Requérante depuis le 1er juin 2010. Elle a joint comme pièce D à son affidavit des imprimés obtenus à partir de la Base de données en ligne sur les marques de commerce canadiennes des détails concernant les enregistrements, maintenant radiés pour omission de les renouveler, détenus par McCain et relatifs à la marque nominale NIAGARA, qui fait l’objet de l’enregistrement LMC277,381, et à la marque NIAGARA & Dessin, qui fait l’objet de l’enregistrement LMC277,382.

[26]  Mme Granger a joint comme pièce F à son affidavit un imprimé des résultats d’une recherche effectuée dans le bottin Internet (WHOIS) pour repérer le nom de domaine niagaracocktail.ca. Industries Lassonde Inc. est présentée dans les résultats de recherche comme étant la titulaire de ce nom de domaine. Les résultats montrent également que, à la date du 17 novembre 2015, une personne qui consultait ce nom de domaine était redirigée vers le site Web www.lassonde.com.

Les arguments de la Requérante concernant le défaut d’emploi de la marque nominale NIAGARA

[27]  La Requérante fait valoir que l’Opposante invoque une marque nominale alors que la preuve au dossier démontre que l’Opposante a employé différentes marques de commerce NIAGARA & Dessin, lesquelles ont toutes été abandonnées à l’exception de la dernière, qui est employée depuis 2012 seulement. La Requérante adopte la position selon laquelle cet emploi ne serait pas suffisant pour étayer un motif d’opposition fondé sur l’article 16 de la Loi. De plus, soutient la Requérante, dans certaines versions antérieures de la marque de commerce NIAGARA & Dessin employées par l’Opposante, le mot NIAGARA est écrit en plus petites lettres que la description du produit (par exemple, [Traduction] « jus de pomme ») et la partie graphique serait au moins aussi dominante que le mot NIAGARA.

[28]  La Requérante ajoute que, si l’Opposante a établi l’emploi de la marque de commerce NIAGARA & Dessin, ce serait seulement en liaison avec des boissons à base de fruits, car il n’y a aucune preuve de ventes de jus de fruits concentrés congelés.

Les arguments de la Requérante concernant l’abandon de l’emploi de la marque de commerce NIAGARA

[29]  La Requérante fait valoir que les enregistrements détenus par McCain relatifs aux marques de commerce NIAGARA et NIAGARA & Dessin ont été radiés, tel que décrit ci-dessus.

[30]  La Requérante prétend que les chiffres de vente fournis par M. Houle démontrent qu’il y a eu une diminution drastique du volume des ventes lorsqu’on compare les chiffres de 2012 (environ 32 000 caisses) aux chiffres de 2015 (un peu plus de 3 500 caisses).

[31]  Enfin, la Requérante invoque la partie de la preuve qui démontre qu’il n’y a aucune activité au nom de domaine niagaracocktails.ca.

[32]  La combinaison de tous ces faits, allègue la Requérante, amène à conclure que l’Opposante a abandonné l’emploi de la marque de commerce NIAGARA. L’Opposante ne se serait donc pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait et, par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 16(2) de la Loi doit être rejeté.

Réponse aux arguments de la Requérante

Radiation des enregistrements de McCain

[33]  Je me prononcerai en premier lieu sur l’argument concernant la radiation des enregistrements relatifs aux marques de commerce NIAGARA et NIAGARA & Dessin détenus précédemment par la concédante de licence de l’Opposante.

[34]  L’Opposante n’a pas invoqué les enregistrements de sa concédante de licence. Le fait que les enregistrements de McCain relatifs aux marques de commerce NIAGARA et NIAGARA & Dessin aient été radiés le 17 octobre 2013, après la date pertinente, pour omission de les renouveler n’a aucune incidence sur le motif d’opposition fondé sur l’article 16(2) de la Loi. L’Opposante fait valoir et invoque son emploi sous licence antérieur de la marque NIAGARA à l’égard de ce motif d’opposition. En réalité, la preuve de l’Opposante, décrite précédemment, établit bel et bien l’emploi de la marque de commerce NIAGARA en liaison avec des cocktails de fruits.

Emploi de différentes marques de commerce NIAGARA & Dessin

[35]  Il a été établi que le propriétaire de l’enregistrement d’une marque nominale peut invoquer l’emploi de sa marque même avec l’ajout d’une partie graphique particulière [voir, à titre d’exemple, Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC); Jaguar Cars Ltd c Remo Imports Ltd (1998), 2 CPR 557 (COMC); et Body Shop International Plc c Lander Co Canada Ltd, 1999 CarswellNat 3431 (COMC)].

[36]  Ces affaires portaient sur une marque de commerce déposée. À l’audience, j’ai demandé à l’agent de la Requérante s’il avait connaissance de décisions qui étayeraient une prétention selon laquelle ce principe ne s’appliquerait pas à une marque nominale de common law. Il n’avait connaissance d’aucune décision, et moi non plus.

[37]  L’agent de l’Opposante a souligné que, dans l’affaire Les Marques Metro/Metro Brands senc c Julia Wine Inc 2014 COMC 230, l’opposante invoquait des marques de commerce de common law. La preuve a établi l’emploi par l’opposante de variantes des marques nominales de common law invoquées. Le registraire a mentionné le principe formulé dans Nightingale Interloc Ltd c Prodesign Ltd (1984), 2 CPR (3d) 535 (COMC) et Registraire des marques de commerce c Compagnie L’informatique CII Honeywell Bull, Société Anonyme et al (1985), 4 CPR (3d) 523 (CAF) et a conclu que ces variantes constituaient bel et bien un emploi des marques nominales de common law invoquées par l’opposante. Par conséquent, il semblerait que le concept d’emploi d’une marque nominale de common law ne soit pas différent du concept d’emploi d’une marque nominale déposée.

[38]  Sur chacun des emballages reproduits ci-dessus, le mot NIAGARA est un élément de la marque de commerce figurant sur l’emballage et, dans la plupart des cas, il constitue une partie dominante de la marque de commerce employée. Les autres mots figurant sur les emballages décrivent le produit ou en font l’éloge (par exemple, [Traduction] « boisson aux pommes », « Cocktail de pomme », « Goût supérieur », etc.).

[39]  De plus, dans les deux marques NIAGARA & dessins d’agrumes les plus récentes, le mot NIAGARA est suivi du symbole « MD », qui signifie « marque déposée », ce qui donne à penser que le mot NIAGARA constitue la marque. Le dessin d’agrumes est placé au-dessus de la partie nominale et l’autre élément nominal (Mélanges tree house [mélanges maison]) est écrit sur une troisième ligne distincte, dans un ruban. Dans la dernière version, le dessin d’agrumes figure au-dessus du mot NIAGARA. Ce mot est aussi suivi de la mention « MD ». Le mot NIAGARA est écrit dans un ruban et les mots élogieux sont écrits sur une troisième ligne distincte dans une couleur et des lettres différentes.

[40]  Je suis d’avis que la marque NIAGARA n’a pas perdu son identité avec l’ajout des dessins d’agrumes et de termes descriptifs ou élogieux, tel qu’illustrés ci-dessus.

[41]  Tout bien considéré, j’estime que ces trois emballages constituent une preuve d’emploi de la marque de commerce NIAGARA [voir CPSA Sales institute c Groupe Conseil Parisella Vincelli Associés Inc, 2005 CarswellNat 2788 (COMC)].

Diminution des chiffres de vente de l’Opposante

[42]  Le fait que les chiffres de vente aient diminué de manière drastique en 2015 ne change rien au fait que l’Opposante a établi l’emploi de sa marque NIAGARA avant le 23 janvier 2013 et qu’elle n’avait pas abandonné cet emploi à la date de l’annonce de la présente demande (20 août 2014) [voir l’article 16(5) de la Loi]. La diminution du volume des ventes s’est produite après la date pertinente et, en tout état de cause, il existe une preuve de ventes en 2015. Par conséquente, il n’y a pas eu abandon en 2015 de la marque NIAGARA par l’Opposante.

Aucune preuve d’emploi de la marque nominale NIAGARA en liaison avec des jus de fruits concentrés congelés

[43]  À l’audience, l’agent de l’Opposante a admis qu’il n’y a au dossier aucune preuve d’emploi de la marque NIAGARA en liaison avec des jus de fruits concentrés congelés. Cependant, tel que conclu précédemment, il existe une preuve d’emploi de cette marque en liaison avec des boissons à base de fruits.

[44]  Le fait que l’Opposante puisse ne pas avoir établi l’emploi de sa marque en liaison avec l’ensemble des produits allégués ne l’empêche pas d’obtenir gain de cause dans cette opposition. Elle peut s’acquitter de son fardeau de preuve en invoquant des droits découlant de son emploi en liaison avec certains de ses produits.

Aucune activité au nom de domaine niagaracocktails.ca

[45]  La preuve démontre qu’une personne qui consulte cette adresse est redirigée vers une autre adresse. En premier lieu, les renseignements à propos de la redirection vers une autre adresse sont datés du 17 novembre 2015, ce qui est postérieur à la date pertinente. Il n’y a aucune preuve que la redirection vers une autre adresse a eu lieu avant la date pertinente. De plus, il n’y a aucune preuve au dossier que la marque de commerce NIAGARA n’est pas mentionnée en liaison avec des boissons aux fruits à cette adresse redirigée. Enfin, j’estime que la preuve de redirection vers une autre adresse en tant que telle n’est pas suffisante pour établir l’abandon de l’emploi de la marque de commerce NIAGARA par l’Opposante.

L’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial

[46]  L’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial d’établir l’emploi de sa marque de commerce NIAGARA en liaison avec des boissons à base de jus de fruits depuis au moins 2009. Je mentionne l’année 2009 car il n’y a aucune preuve de transfert de la propriété de boissons à base de fruits en liaison avec la marque NIAGARA avant cette année. M. Houle a fait une simple déclaration d’emploi de la marque NIAGARA depuis 2007, mais cette déclaration ne constitue par une preuve d’emploi de cette marque depuis cette date, au sens de l’article 4(1) de la Loi.

[47]  L’Opposante souligne que M. Houle a fourni les chiffres de vente pour la période allant de 2007 à 2014 inclusivement et les chiffres de vente annuels de 2012 à 2014 des boissons à base de fruits de l’Opposante en liaison avec la marque NIAGARA. L’Opposante a laissé entendre que je pouvais soustraire du total des chiffres de vente les chiffres de vente annuels pour les années 2012, 2013, 2014 et 2015. La différence représenterait les ventes totales pour la période allant de 2007 à 2011 inclusivement. Cependant, même ce faisant, toutes ces ventes auraient pu être réalisées en 2011, par exemple.

[48]  Quoi qu’il en soit, l’Opposante devait établir l’emploi de sa marque NIAGARA avant la date pertinente, à savoir le 23 janvier 2013, ce qu’elle a fait.

L’analyse relative à la probabilité de confusion entre les marques des parties

[49]  Le test en matière de confusion est énoncé à l’article 6(2) de la Loi. Certaines des circonstances de l’espèce à prendre en considération pour évaluer la probabilité de confusion entre deux marques de commerce sont décrites à l’article 6(5) de la Loi : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques de commerce ou les noms commerciaux ont été en usage; le genre de produits, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Ces facteurs ne forment pas une liste exhaustive et le poids qu’il convient d’accorder à chacun d’eux n’est pas nécessairement le même [voir Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée et al (2006), 49 CPR (4th) 401 (CSC), Mattel Inc c 3894207 Canada Inc (2006), 49 CPR (4th) 321 (CSC) et Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc et al (2011), 96 CPR (4th) 361 (CSC)].

[50]  Le test énoncé à l’article 6(2) de la Loi ne concerne pas la confusion entre les marques elles-mêmes, mais la confusion portant à croire que des produits ou des services provenant d’une source proviennent d’une autre source. En l’espèce, la question que soulève l’article 6(2) est celle de savoir si un consommateur n’ayant qu’un vague souvenir de la marque de commerce NIAGARA de l’Opposante croirait, à la vue des Produits de la Requérante offerts en liaison avec la Marque, que ces produits proviennent de l’Opposante, ou sont parrainés ou approuvés par l’Opposante.

Le degré de ressemblance

[51]  Comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans Masterpiece, dans la plupart des cas, le degré de ressemblance entre les marques en cause est le facteur pertinent qui revêt le plus d’importance. J’amorcerai donc mon analyse des facteurs pertinents par celui-là.

[52]  En l’espèce, les marques en cause sont identiques.

Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[53]  La Requérante fait valoir que la Marque possède un caractère distinctif inhérent marqué parce que le mot « Niagara » n’a pas de signification en rapport avec, ou de lien inhérent avec, l’un quelconque des Produits. Cependant, on pourrait considérer qu’elle suggère l’origine des Produits, à savoir que ceux-ci proviennent de la région de Niagara.

[54]  La Requérante fait en outre valoir que la partie graphique illustrant des fruits de la marque de commerce NIAGARA & Dessin rend cette marque suggestive de cocktails de fruits.

[55]  Là encore, la Requérante s’attarde à la partie graphique des marques employées par l’Opposante. Cependant, l’Opposante invoque l’emploi de sa marque NIAGARA qui est identique à la Marque. J’ai déjà déterminé que les trois emballages illustrés ci-dessus constituent une preuve d’emploi de la marque NIAGARA.

[56]  En conséquence, les marques des parties possèdent un caractère distinctif inhérent équivalent.

[57]  Le caractère distinctif d’une marque de commerce peut être accru par l’emploi et la promotion au Canada. J’ai déjà décrit la preuve d’emploi de la marque NIAGARA de l’Opposante au Canada depuis au moins 2009.

[58]  La preuve de l’emploi allégué de la Marque est contenue dans l’affidavit de Mme Granger. Cette dernière affirme qu’elle a une connaissance personnelle des activités de la Requérante en ce qui concerne la fabrication, la vente, la distribution et la commercialisation de ses produits d’eau embouteillée. Elle fournit d’abord quelques faits historiques concernant la Requérante qui sont moins pertinents dans la présente procédure.

[59]  Mme Granger affirme que la Requérante fabrique et vend des produits d’eau embouteillée sous des marques maison pour des tiers ainsi que sous sa marque NIAGARA. Ces derniers sont tous produits aux installations de production exploitées par la Requérante à travers les États-Unis.

[60]  Mme Granger allègue que la Requérante a commencé à vendre et à distribuer des produits d’eau embouteillée sous la marque NIAGARA aux États-Unis en 1963. Ces produits comprennent de l’eau embouteillée plate et gazéifiée et de l’eau aromatisée gazéifiée.

[61]  Mme Granger allègue que, depuis 1963, la Marque est présentée sur les étiquettes et les emballages des divers produits d’eau embouteillée de la Requérante. Selon le format de la bouteille, les produits sont vendus et distribués aux clients dans différents formats d’emballage.

[62]  Mme Granger a joint comme pièce A à son affidavit des exemples représentatifs de la manière dont la Marque figure sur les étiquettes et les emballages de produit.

[63]  Mme Granger a joint comme pièce B à son affidavit une copie de l’enregistrement américain de la Marque de la Requérante, obtenu le 14 janvier 2014.

[64]  Mme Granger allègue que, aux États-Unis, la Requérante vend et distribue ses différents produits d’eau embouteillée en liaison avec la Marque à divers détaillants, directement et par l’intermédiaire de courtiers de produits alimentaires et de boissons.

[65]  Je souligne que Mme Granger n’a décrit nulle part dans son affidavit quelque activité que ce soit qui constituerait un emploi ou qui ferait la promotion de la Marque au Canada en liaison avec les Produits au sens de l’article 4 de la Loi.

[66]   À la lumière de la preuve décrite ci-dessus, je conclus que ce facteur favorise aussi l’Opposante.

La période pendant laquelle les marques ont été en usage

[67]  La Requérante fait valoir que la dernière marque NIAGARA & Dessin est employée par l’Opposante depuis 2012 et qu’il y aurait par conséquent seulement une période d’emploi d’un an de cette marque. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’emploi de l’une quelconque des marques NIAGARA & Dessin figurant sur les emballages de l’Opposante constitue un emploi de la marque NIAGARA. Il existe une preuve de cet emploi remontant à au moins 2009. En revanche, il n’y a aucune preuve d’emploi de la Marque au Canada en liaison avec l’un quelconque des Produits.

[68]  Ce facteur favorise là encore l’Opposante.

Le genre des produits et les voies de commercialisation des parties

[69]  La Requérante fait valoir que, d’une part, les Produits de la Requérante sont généralement de l’eau plate et gazéifiée qui est d’apparence incolore et est vendue dans des bouteilles, tandis que les produits de l’Opposante sont des cocktails de fruits vendus dans des contenants de carton contrecollé de longue conservation d’un litre. La Requérante prétend que ces distinctions dans le genre des produits des parties et de leurs contenants seraient suffisantes pour permettre de se prononcer en faveur de la Requérante.

[70]  En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Les produits respectifs des parties sont des boissons visant à étancher la soif d’une personne. De plus, les Produits comprennent de [Traduction] « l’eau embouteillée aromatisée, eau renforcée aromatisée et eau aromatisée ». La pièce A jointe à l’affidavit de Mme Granger regroupe des images des contenants de certains des Produits de la Requérante. Sur l’une d’entre elles, on peut voir une bouteille présentant un dessin de fruits ainsi que la mention « mixed berry » [mélange de petits fruits]. En outre, chaque partie n’est pas contrainte à employer les contenants utilisés à l’heure actuelle. Leurs produits pourraient très bien être vendus dans des contenants semblables.

[71]  M. Houle a allégué que, d’après son expérience dans l’industrie alimentaire, on trouve généralement, notamment dans les supermarchés, les dépanneurs et les pharmacies, des jus, des boissons aux fruits et de l’eau embouteillée côte à côte dans les mêmes allées, qu’il s’agisse d’aires réfrigérées ou non.

[72]  La Requérante fait valoir que cela constitue une simple déclaration, car il n’y a aucune image au dossier à l’appui de la déclaration de M. Houle. L’Opposante fait valoir que je peux admettre d’office ce fait. Je ne souscris pas aux prétentions des deux parties.

[73]  D’une part, je peux admettre d’office des faits clairs et non contestés [voir Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in Canada, 2e éd. à la p 1055 et suiv]. J’estime que l’emplacement des produits des parties sur les tablettes d’un supermarché ne fait pas partie de cette catégorie. D’autre part, M. Houle a fourni ses antécédents professionnels. Il affirme avoir une vaste expérience dans l’industrie alimentaire et dans le domaine de la vente au détail de produits alimentaires. Il a participé à la mise en place et à la supervision des stratégies de commercialisation de l’Opposante. Il affirme également avoir participé à la mise au point et à la commercialisation de produits ainsi qu’à la préparation de ses campagnes promotionnelles.

[74]  Par conséquent, je suis convaincu que M. Houle était apte à faire cette déclaration. Si la Requérante souhaitait la contester ou la mettre en doute, elle aurait pu produire une preuve en réponse qui aurait contredit cette allégation ou elle aurait pu contre-interroger M. Houle, mais elle a décidé de ne pas le faire. Par conséquent, la déclaration de M. Houle figure au dossier et n’est pas contestée. Compte tenu de son expertise et malgré le fait qu’il est un représentant de l’Opposante, j’accorde un certain poids à son allégation.

[75]  Les produits des deux parties sont des boissons non alcoolisées qui pourraient être vendues par l’intermédiaire des mêmes voies de commercialisation, à savoir les supermarchés, les dépanneurs, etc.

[76]  Tout bien considéré, je conclus que les facteurs énoncés aux articles 6(5)c) et d) de la Loi favorisent l’Opposante.

Autres circonstances de l’espèce

  Preuve de l’état du registre

[77]  Il a été établi que la preuve de l’état du registre n’est pertinente que dans la mesure où l’on peut en tirer des inférences quant à l’état du marché, et de telles inférences quant à l’état du marché ne peuvent être tirées que si l’on relève un nombre important d’enregistrements pertinents [Ports International Ltd c Dunlop Ltd (1992), 41 CPR (3d) 432 (COMC); Welch Foods Inc c Del Monte Corp (1992), 44 CPR (3d) 205 (CF 1re inst); et Maximum Nutrition Ltd c Kellogg Salada Canada Inc (1992), 43 CPR (3d) 349 (CAF)].

[78]  La Requérante a produit une preuve de l’état du registre par la voie de l’affidavit de Mme Jennifer Leah Stecyk, une recherchiste en marques de commerce à l’emploi de l’agent de la Requérante.

[79]  Mme Stecyk affirme que, le 16 décembre 2016, elle a effectué une recherche dans le registre canadien pour repérer les demandes et les enregistrements actifs relatifs à des marques de commerce nominales et figuratives comprenant le mot NIAGARA et dont l’état déclaratif des produits comportait des boissons non alcoolisées. Elle a joint les résultats de sa recherche comme pièce A à son affidavit, qui comprennent 16 inscriptions.

[80]  À l’audience, j’ai demandé à l’agent de la Requérante de relever les inscriptions les plus pertinentes, car aucune analyse n’a été faite de cette partie de la preuve dans le plaidoyer écrit de la Requérante et, de toute évidence, certaines des inscriptions n’étaient pas pertinentes. La Requérante a relevé huit d’entre elles, à savoir les inscriptions numéros 5, 6, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 du rapport de Mme Stecyk. Il n’est pas nécessaire que je fournisse les détails de chacune d’entre elles pour me prononcer sur cet argument.

[81]  Les inscriptions numéros 5, 6 et 16 du rapport de Mme Stecyk sont des demandes qui n’en sont qu’à l’étape de la recherche. Les inscriptions numéros 12 (Niagara Oast House Brewers) et 15 (NIAGARA BEST LAGER & DESSIN) se distinguent facilement de NIAGARA employé seul. Par conséquent, il reste seulement trois (3) inscriptions pertinentes, ce qui constitue un nombre insuffisant d’inscriptions pour permettre de tirer une inférence du registre quant à l’état du marché [voir Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Company and American Eagle Outfitters, Inc 2012 CF 1539].

  Radiation d’enregistrements

[82]  La Requérante aimerait que je considère, à titre de circonstance pertinente de l’espèce, le fait que les enregistrements de McCain relatifs aux marques de commerce NIAGARA et NIAGARA & Dessin (marques ayant fait l’objet d’une licence octroyée par McCain à l’Opposante, comme je l’ai mentionné précédemment) ont été radiés du registre.

[83]  J’estime que ce fait ne constitue pas une circonstance pertinente de l’espèce. En premier lieu, comme je l’ai déjà mentionné, l’Opposante n’invoque pas ces enregistrements, mais seulement son emploi antérieur de la marque NIAGARA sous licence octroyée par McCain. De plus, le fait que ces enregistrements aient été radiés pour omission de l’inscrivante de les renouveler ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas eu emploi de l’une quelconque d’entre elles. En réalité, la preuve décrite ci-dessus indique le contraire.

Conclusion

[84]  À la lumière de cette analyse, je conclus que la Requérante n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque, lorsqu’elle est employée en liaison avec les Produits, ne créait pas de confusion avec la marque de commerce NIAGARA employée antérieurement au Canada par l’Opposante en liaison avec des boissons aux fruits.

[85]  En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’article 16(2) de la Loi est accueilli.

Motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif

[86]  Quant au motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque, l’Opposante devait établir que la marque NIAGARA était connue au Canada dans une certaine mesure à la date du 20 avril 2015 de manière à faire perdre à la Marque son caractère distinctif [voir Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd (2004), 40 CPR (4th) 553, conf par 2006 CF 657].

[87]  La Requérante fait valoir que les ventes de l’Opposante ont au mieux été modestes. M. Houle affirme que l’Opposante a vendu entre 2007 et 2014 plus de 400 000 caisses de cocktails de fruits en liaison avec la marque NIAGARA. Ces produits ont été vendus dans les provinces de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, du Manitoba, de la Saskatchewan et du Québec. Malgré la diminution du volume des ventes en 2015 (plus de 3 500 caisses), les chiffres présentés pour les trois années précédentes étaient encore non négligeables de telles sorte que la marque NIAGARA de l’Opposante était toujours connue dans une certaine mesure au Canada à la date pertinente.

[88]  En conséquence, la preuve établit que l’Opposante employait la marque NIAGARA, à la date pertinente, en liaison avec des cocktails de fruits de telle sorte qu’elle était connue au Canada dans une certaine mesure. Par conséquent, elle avait fait perdre à la Marque son caractère distinctif, à la date du 20 avril 2015. En conséquence, l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial à l’égard de ce motif d’opposition.

[89]  La date pertinente ultérieure qui s’applique à ce motif ne modifierait pas substantiellement les résultats de l’analyse de chacun des facteurs pertinents examinés à l’égard du motif d’opposition précédent. En conséquence, la Requérante n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque était distinctive, au sens de l’article 2 de la Loi, à la date pertinente.

[90]  Par conséquent, ce motif d’opposition est également accueilli.

Autres motifs d’opposition

[91]  L’Opposante ayant obtenu gain de cause relativement à deux motifs d’opposition distincts, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs d’opposition.

 

Décision

[92]  Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Marie-Pierre Hétu, trad.


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE : 2018-05-10

COMPARUTIONS

Alexandre Ajami

POUR L’OPPOSANTE

John Cotter

POUR LA REQUÉRANTE

AGENT(S) AU DOSSIER

Miller Thomson LLP

POUR L’OPPOSANTE

Osler, Hoskin & Harcourt

POUR LA REQUÉRANTE

 

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