Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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CIPO

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Citation : 2019 COMC 31

Date de la décision : 2019-03-29

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45

 

Airbus Defence and Space S.A.

Partie requérante

et

 

2553-4330 Québec inc.

Propriétaire inscrite

 

LMC734,106 pour Aéropro

Enregistrement

[1]  Le 30 novembre 2016, à la demande d’Airbus Defence and Space S.A. (la Partie requérante), le registraire a envoyé l’avis prévu à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T­13 (la Loi) à 2553-4330 Québec inc. (la Propriétaire), la propriétaire inscrite de l’enregistrement nLMC734,106 pour la marque de commerce Aéropro (la Marque).

[2]  La Marque est enregistrée en liaison avec les services suivants : « Transport aérien; nolisement d’aéronefs et services aéroportuaires » (les Services).

[3]  Cet avis enjoignait à la Propriétaire de fournir un affidavit ou une déclaration solennelle démontrant que la Marque a été employée en liaison avec les Services au Canada à un moment quelconque entre le 30 novembre 2013 et le 30 novembre 2016 (la période pertinente) et, dans la négative, indiquant la date à laquelle la Marque a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

[4]  La définition pertinente d’« emploi » en liaison avec des services est énoncée à l’article 4(2) de la Loi, comme suit :

4(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

[5]  Il est bien établi que de simples allégations d’emploi ne suffisent pas pour établir l’emploi dans le cadre de la procédure visée par l’article 45 [Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc (1980), 53 CPR (2d) 62 (CAF)]. Il est vrai que le niveau de preuve requis est peu élevé [Woods Canada Ltd c Lang Michener (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst)] et qu’il n’est pas nécessaire de produire une surabondance d’éléments de preuve [Union Electric Supply Co c Canada (Registraire des marques de commerce) (1982), 63 CPR (2d) 56 (CF 1re inst)]. Néanmoins, il faut présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée en liaison avec tous les produits et services spécifiés dans l’enregistrement, pendant la période pertinente [voir John Labatt Ltd c Rainer Brewing Co (1984), 80 CPR (2d) 228 (CAF)].

[6]  En ce qui concerne les services, la présentation de la marque de commerce dans l’annonce des services suffit pour satisfaire aux exigences de l’article 4(2) de la Loi, du moment que le propriétaire de la marque de commerce offre et est prêt à exécuter les services au Canada [Wenward (Canada) Ltd c Dynaturf Co (1976), 28 CPR (2d) 20 (COMC)].

[7]  En réponse à l’avis du registraire, la Propriétaire a produit un affidavit souscrit le 6 février 2017 par son administrateur, président et représentant, Aurèle Labbé. Aucune des parties n’a produit de représentations écrites, mais les deux ont participé à une audience.

La preuve

[8]  Dans son affidavit, M. Labbé atteste que la Propriétaire fait affaire sous « le nom et la marque de commerce Aéropro ». Il précise que la Propriétaire a commencé l’emploi de la Marque en juin 1988 et allègue qu’elle « emploie toujours celle-ci en date de ce jour conformément aux services stipulés lors de son enregistrement ». Il ajoute que le nom « Aéropro » a été enregistré comme nom utilisé par la Propriétaire au Registre des entreprises du Québec en 1995 et est toujours en vigueur. Il produit à l’appui, comme pièce PE­1 à son affidavit, un relevé dudit registre, en date du 26 janvier 2017. À la revue de ce document, je note qu’il indique aussi que la Propriétaire est domiciliée au 611, 6e avenue de l’Aéroport, en la ville de Québec, et qu’elle décrit ses activités comme suit : « Exploitation et entretien d’aéroports », avec la précision « Services aéroportuaires ».

[9]  Au sujet des Services, M. Labbé atteste que la Propriétaire « possède un hangar à aéronefs ainsi que des bureaux administratifs situés au 611, 6e avenue de l’Aéroport, […], le tout tel qu’il appert de photographies datées du 12 janvier 2017 jointes en liasse au présent affidavit comme pièce PE­3. » À la revue de celle-ci, je retiens plus particulièrement les deux premières photographies, effectivement datées du 12 janvier 2017, montrant un bâtiment entouré d’avions, dont la partie gauche s’apparente à un hangar et la partie droite à un immeuble à usage de bureaux. Ces deux photographies montrent la Marque en police décorative, précédée d’un logotype représentant un oiseau en vol, affichée au-dessus des portes de la section hangar.

[10]  La pièce PE­3 comprend aussi une troisième photographie, non datée, montrant un hangar situé derrière un avion arborant le logo d’oiseau susmentionné. Une petite enseigne additionnelle d’ESSO figure à la gauche des portes du hangar.

[11]  M. Labbé ajoute que la Propriétaire détient une assurance aviation auprès de Marsh Canada Limitée (Marsh). Il produit à l’appui, comme pièce PE­4, la page frontispice de ladite police, ainsi que la première page d’une lettre datée du 26 mai 2016 de Marsh à la Propriétaire concernant l’« Assurance de la responsabilité civile générale aviation ». La lettre identifie l’« Assuré nommé » comme « 2553-4330 Québec et/ou Aeropro et/ou Petro Air Services », et la page frontispice du contrat d’assurance est titrée « AEROPRO ». La lettre indique que la garantie prend effet le 30 avril 2016, soit avant la fin de la période pertinente, et couvre « la responsabilité civile pour les dommages matériels et les blessures corporelles occasionnés sur les lieux assurés », y compris les « dommages occasionnés aux aéronefs ». Les « lieux assurés » ne sont pas définis dans la lettre ou dans l’extrait fournis; la mention « et/ou Terminal 611 » suit l’identification de l’assuré nommé dans la lettre, mais cette mention est barrée, et la pâle note manuscrite qui l’accompagne est illisible.

[12]  De plus, M. Labbé atteste que la Propriétaire « possède et publicise » un site internet situé au www.aeropro.qc.ca. Il produit à l’appui, comme pièce PE­2, la page d’accueil dudit site, imprimée le 26 janvier 2017. La Marque en police décorative et le logo d’oiseau sont affichés en titre. Le contenu de la page consiste principalement en une photographie d’un hangar arborant la Marque et  une petite enseigne (des mêmes forme et dimensions et au même endroit que la petite enseigne sur le hangar montré dans la photographie non datée de la pièce PE­3), mais la photographie ne montre pas le contenu de cette enseigne. Au-dessous de la photographie on retrouve la notice « © 2009 Aéropro, info@aeropro.qc.ca » et les mentions « CYQB – Québec 418 877-2808 » et « CYHU Montréal 514 636-7947 ». Enfin, le menu de la page dresse une liste de services, sous les trois rubriques suivantes :

  • « Nos Services » – comprenant les éléments de menu « Entretien d’aéronefs », « Gestion d’aéronefs », « Détection des feux de forêts », « Inventaire de la faune », et « Programme météorologique »;
  • « Gestion d’aéroport »; et
  • « Pétro Air Services » – comprenant les éléments de menu « ESSO/EXXON FBO », « Vente d’essence » et « Service de rampe ».

[13]  M. Labbé termine son affidavit en attestant que la Propriétaire emploie la Marque auprès des autorités gouvernementales, ainsi que lors de la conclusion de divers contrats et devant les tribunaux. À titre illustratif, M. Labbé joint à son affidavit les pièces discutées ci-après.

[14]  La pièce PE­5 contient « divers avis, correspondances et états de compte de l’Agence du Revenu du Canada, de Revenu Québec, de la CSST [la Commission de la santé et de la sécurité du travail] et de Transports Canada ». Tous ces documents sont adressés à « Aéropro » – ou à la Propriétaire avec le sous-titre « Aéropro » – et tous ceux datant de la période pertinente indiquent l’adresse 611, 6e avenue de l’Aéroport, Québec (Québec). Deux mentionnent des services particuliers, nommément (i) un avis de Transports Canada  daté de 2014 discutant du transfert potentiel des droits « de propriété ou d’exploitation » de certains aéroports, dans l’optique de l’engagement de Transports Canada d’offrir « un réseau de transport efficace, sûr, sécuritaire et respectueux de l’environnement »; et (ii) un certificat d’agrément de Transports Canada daté de 2006 (le seul document sous la pièce PE­5 daté hors de la période pertinente) autorisant la Propriétaire à effectuer « la maintenance des produits aéronautiques », y compris les « Aéronefs », l’« Avionique », et les « Composants », « Instruments » et « Structures ».

[15]  La pièce PE­6 contient des extraits de correspondances, de contrats et de formulaires relatifs à huit ententes. Les extraits datent du 1er novembre 2013 au 30 novembre 2016. La plupart des documents identifient « Aéropro » – ou la Propriétaire suivie de la mention « (Aéropro) » – comme destinataire de la correspondance ou comme partie au contrat et plusieurs indiquent l’adresse 611, 6e avenue de l’Aéroport. Les documents attestent des ententes suivantes :

  • (1) Un contrat « à signer » relativement à des « travaux de gérance et travaux d’entretien à l’aéroport de Bonaventure », tel qu’indiqué dans une lettre du Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports.

  • (2) La modification d’une entente concernant l’Aéroport d’Havre St-Pierre par le groupe des programmes financés et de l’exploitation aéroportuaire de Transports Canada (les services visés ne sont pas précisés).

  • (3) Un contrat de services avec Transports Canada pour l’« exploitation aéroportuaire aux Îles de la Madeleine », soit « un service d’administration, d’opération et d’entretien » à cet aéroport, tel que décrit sur le formulaire de Transports Canada.

  • (4) Un contrat avec la Ville de Gaspé relativement à un « service de sûreté, d’effarouchement des oiseaux, gestion des portes, barrière, service aux avions privés, perception des tarifs et gestion des machines distributrices »

  • (5) La modification d’un contrat avec Environnement Canada pour « le programme aérologique de la station de Sept-Îles », impliquant des « Sondage[s] aérologique[s] », des « Rapports », l’« Entretien ménager » et la « Réception d’hélium », tel que décrit sur le formulaire d’Environnement Canada.

  • (6) Un bon de commande d’Environnement Canada pour les services « Opération du programme de Radio-Activité à Québec »; « Opération du Programme de Mesure de neige à Québec »; et « Vidange Pluviomètre » sur appel à l’Aéroport de Québec, L’Étape, et Ste-Foy Université Laval.

  • (7) Un contrat d’achat pour la fourniture à NAV CANADA d’« observations météorologiques à l’aéroport de Gaspé », imprimé sur un en-tête de NAV CANADA qui mentionne le « système de gestion de l’environnement » de celui-ci.

  • (8) Une convention de bail pour la location à une compagnie québécoise d’une partie de l’immeuble situé à l’aéroport de Québec portant le numéro civique 714, 7e avenue de l’Aéroport, devant « servir exclusivement à l’entreposage d’un aéronef [du type spécifié]». La convention indique être intervenue le 1er novembre 2013, soit presque un mois avant le début de la période pertinente, mais la durée du bail n’est pas précisée dans cet extrait.

[16]  La pièce PE­7 contient les motifs d’un jugement rendu par la Cour fédérale le 2 octobre 2015 et d’un jugement rendu par la Cour d’appel fédérale le 3 octobre 2016, concernant un employé qui avait travaillé pour le compte de la Propriétaire « à l’observatoire météorologique à l’aéroport de Chibougamau du 12 mai 2008 au 21 juin 2010 ». Dans chaque décision, la Propriétaire est identifiée comme « 2553-4330 QUÉBEC INC. (AÉROPRO) ».

Les observations de la Partie Requérante

[17]  La Partie requérante fait valoir qu’il existe de nombreuses ambiguïtés et lacunes dans la preuve, ce qui soulève des doutes à savoir si les activités de la Propriétaire ont inclus les Services et si la Marque a été employée au sens de l’article 4(2) lors de la période pertinente.

[18]  Plus précisément, la Partie requérante soutient que la preuve n’établit pas que la Marque fut affichée sur le bâtiment référencé par M. Labbé et montré sous la pièce PE­3 avant la fin de la période pertinente. Elle soutient également que les photographies sous les pièces PE­2 et PE­3 montrant un hangar  avec une enseigne additionnelle sont impossibles à réconcilier avec les deux autres photographies sous la pièce PE­3, qui montrent un hangar sans une telle cette enseigne. De plus, selon la Partie requérante, la photographie non datée d’un avion arborant le logo d’oiseau n’établit pas, en soi, que la Propriétaire nolisait cet avion ou l’utilisait pour offrir des services de transport aérien, que ce soit lors ou hors de la période pertinente.

[19]  De même, la Partie requérante soutient que la preuve n’établit pas que la page Web sous la pièce PE­2 était accessible aux Canadiens pendant la période pertinente. Elle fait aussi valoir que les activités énumérées sur celle-ci sous la rubrique « Nos Services » ne visent expressément aucun des Services. À cet égard, elle prétend en particulier que les services « Entretien d’aéronefs » et « Gestion d’aéronefs » se rattachent uniquement aux aéronefs – plutôt qu’à l’aéroport même, comme le ferait un service « aéroportuaire » – et ne sauraient davantage tomber dans le champ du transport ou du nolisement. De plus, selon la Partie requérante, puisque les services « Gestion d’aéroport » et « Pétro Air Services » ne figurent pas sous la rubrique « Nos Services », ils ne seraient pas des services offerts par la Propriétaire.

[20]  En ce qui concerne les autres documents fournis en preuve, la Partie requérante fait valoir qu’ils ne démontrent pas la Marque employée en tant que marque de commerce, c’est-à-dire lors de l’annonce ou de l’exécution de services au sens de l’article 4(2) de la Loi, mais plutôt en tant que nom commercial, pour identifier la Propriétaire elle-même. Selon la Partie requérante, même si la différence entre eux deux est mince et s’ils peuvent coexister, il ne faut pas confondre un nom commercial – c’est-à-dire le nom sous lequel une entreprise opère, peu importe les services – et une marque de commerce, qui, elle, sert à distinguer les services, et représente ainsi un concept différent. La Partie requérante prétend que les « marques » qui ne sont utilisées qu’en tant que nom commercial constituent le genre de « bois mort » visé par l’article 45 de la Loi.

[21]  De surcroît, la Partie requérante fait valoir que la majorité des services mentionnés dans les contrats et autres documents produits par M. Labbé ne peuvent être qualifiés de « transport aérien », de « nolisement d’aéronefs », ou de « services aéroportuaires ». Elle fait également valoir que ces documents n’établissent pas l’exécution ou la disponibilité de tels services pendant la période pertinente à partir d’un immeuble arborant la Marque, tel que le hangar avec bureaux administratifs situé au 611, 6e avenue de l’Aéroport, cité par M. Labbé et montré en preuve sous la pièce PE­3. À cet égard, la Partie requérante soutient du reste que la possession d’un hangar n’est pas en soi une raison pour inférer que de tels services y ont été rendus ou annoncés. De plus, selon la Partie requérante, le fait qu’un service soit exécuté sur le site d’un aéroport ne le rend pas automatiquement un service « aéroportuaire » – en fait, le service « Vidange Pluviomètre » désigné dans le bon de commande d’Environnement Canada a l’air d’être rendu et à des aéroports et à une université.

[22]  Au fond, s’appuyant sur l’arrêt Cornerstone Securities Canada Inc c Canada (Registraire des marques de commerce) (1994), 58 CPR (3d) 417 (CF 1re inst), la Partie requérante fait valoir qu’il revient à la Propriétaire d’expliquer en quoi consistent son industrie et ses services et à rattacher les éléments de preuve aux Services enregistrés, ce qui, selon la Partie requérante, n’a pas été fait en l’espèce. D’après la Partie requérante, même s’il est approprié d’interpréter les Services d’une manière large et libérale, il s’agit là d’une question de droit et de fait qui doit être évaluée au cas par cas et en fonction de la preuve produite; or, M. Labbé n’offre aucun renseignement pour combler les lacunes dans la preuve ou pour éclaircir les ambiguïtés à ce sujet.

[23]  Ainsi, la Partie requérante soutient que la Propriétaire n’a pas rencontré le fardeau de preuve en l’espèce, aussi léger qu’il soit.

 Les observations de la Propriétaire

[24]  La Propriétaire, pour sa part, soutient que la Marque est loin d’être du « bois mort ».

[25]  Selon la Propriétaire, il ressort clairement du fait qu’elle est située au Canada qu’elle est prête à y exécuter tous les Services annoncés sur son site Web, ainsi que ceux mentionnés dans les contrats produits en preuve.

[26]  En ce qui concerne l’affichage de la Marque pendant la période pertinente, la Propriétaire prétend qu’il est évident que le hangar arborant la Marque, étant un immeuble, n’aurait pu avoir été érigé entre la réception de l’avis émis en vertu de l’article 45 de la Loi et la prise des photographies moins de deux mois plus tard.

[27]  Elle attire aussi l’attention sur la page Web de la pièce PE­2, qui arbore la Marque comme titre et dont le contenu, selon les arguments de la Propriétaire, n’aurait pas changé depuis la date qui apparaît dans la notice « © 2009 ». La Propriétaire soutient par ailleurs que l’organisation du menu de cette page, décliné en trois rubriques principales, dont l’une est intitulée « Nos Services », ne signifie pas pour autant que la Propriétaire n’est pas la source de l’ensemble des services décrits sous les deux autres rubriques.

[28]  La Propriétaire ajoute que les autres documents produits en preuve corroborent son emploi de la Marque en liaison avec l’ensemble des Services durant la période pertinente. En outre, elle prétend que les contrats sous la pièce PE­6 équivalent à des factures affichant la Marque, chacun faisant état de services rendus durant plusieurs années.

[29]  En ce qui regarde la nature précise de ses services, la Propriétaire cite l’arrêt TSA Stores, Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), 2011 CF 273, 91 CPR (4th) 324, infirmant Heenan Blaikie LLP c Sports Authority Michigan, Inc, 2010 COMC 9, 2010 CarswellNat 581, à l’appui de la thèse selon laquelle il faut accorder aux services une interprétation large et libérale, avec le résultat qu’il suffit de démontrer des services « accessoires » aux services enregistrés. La Propriétaire cite la décision Sim & McBurney c The Rider Travel Group Inc (2001), 15 CPR (4th) 403 (COMC), pour affirmer, en particulier, que l’organisation du transport suffit à démontrer le service de « transport » lui-même.

[30]  Dans cette optique, en se référant à la page Web sous la pièce PE­2, la Propriétaire fait valoir que la « Gestion d’aéronefs » retrouvée sous la rubrique « Nos Services » désigne un service très large qui englobe à la fois le « transport aérien » et le « nolisement d’aéronefs ». Plus particulièrement, elle prétend que le « service aux avions privés », tel que décrit dans le quatrième contrat référencé sous la pièce PE­6, implique clairement le nolisement et le transport aérien, et que « l’entreposage » d’un aéronef, tel que décrit dans la convention de bail sous la même pièce, par exemple, ne sert à rien si l’on ne nolise ni ne transporte. La Propriétaire cite aussi la couverture de dommages aux aéronefs de l’assurance aviation présentée sous la pièce PE­4 comme élément de preuve indiquant que les activités de la Propriétaire incluent le transport aérien. De surcroît, la Propriétaire attire l’attention sur la lettre de Transports Canada à la pièce PE­5 : selon les arguments de la Propriétaire, Transports Canada ne l’aurait pas informée de la possibilité d’acquérir des droits dans son « réseau de transport » si la Propriétaire n’offrait pas un service que l’on pouvait qualifier de service « de transport ».

[31]  La Propriétaire renvoie également à la page Web sous la pièce PE­2 pour faire valoir que la « Gestion d’aéroport », sous la deuxième rubrique, englobe et est même synonyme de « services aéroportuaires ». En plus, la Propriétaire soutient qu’une définition large des Services exige qu’au moment où un service – tel le « Programme météorologique » sous la rubrique « Nos Services » – est rendu dans un aéroport, ce service devient un service « aéroportuaire ».

Analyse

[32]  Il est bien établi que la procédure prévue à l’article 45 de la Loi a une portée limitée. Elle a pour objet d’offrir une procédure simple, sommaire et expéditive pour débarrasser le registre du « bois mort » [Performance Apparel Corp v Uvex Toko Canada Ltd, 2004 CF 448, 31 CPR (4th) 270]. Elle n’a pas pour objet l’instruction de questions de fait contestées ; celles-ci doivent plutôt être tranchées en s’adressant à la Cour fédérale sous le régime de l’article 57 de la Loi [Meredith & Finlayson c Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 40 CPR (3d) 409 (CAF)].

[33]  Ainsi, dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45, il n’est pas nécessaire que la preuve soit parfaite; le propriétaire inscrit n’a qu’à présenter une preuve prima facie de l’emploi de la marque de commerce au sens des articles 4 et 45 de la Loi et le registraire peut tirer des inférences raisonnables des faits présentés [voir Diamant Elinor Inc c 88766 Canada Inc, 2010 CF 1184, 90 CPR (4th) 428; et Eclipse International Fashions Canada Inc c Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, 48 CPR (4th) 223]. Qui plus est, la preuve doit être considérée dans son ensemble, et non pas en se concentrant sur des éléments de preuve individuels [voir Kvas Miller Everitt c Compute (Bridgend) Ltd (2005), 47 CPR (4th) 209 (COMC)].

[34]  Néanmoins, il incombe au propriétaire inscrit de démontrer la présentation de la marque dans l’exécution ou l’annonce d’activités qui tombent sous le coup de chacun des services enregistrés. De plus, même s’il est approprié de donner aux services une interprétation large, « l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec un service doit être apprécié au cas par cas » [Express File Inc c HRB Royalty Inc, 2005 CF 542, 39 CPR (4th) 59 au paragraphe 23].

[35]  Dans le cas présent, les photographies datées du 12 janvier 2017 sous la pièce PE­3 démontrent toutes la Marque reproduite en police décorative, accompagnée d’un logotype, sur un bâtiment comprenant un hangar et des bureaux administratifs. J’accepte pareille enseigne comme une présentation de la Marque en tant que marque de commerce, en liaison avec les services annoncés et rendus à partir de ou dans ce bâtiment. Bien qu’un logotype soit affiché à proximité, la Marque en ressort; elle demeure reconnaissable en tant que telle et ne perd point son identité. Ainsi, lorsque j’applique les principes énoncés dans Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie Internationale pour l’informatique CII Honeywell Bull, SA (1985), 4 CPR (3d) 523 (CAF);  Nightingale Interloc Ltd c Prodesign Ltd (1984), 2 CPR (3d) 535 (COMC); et Loro Piana SPA c Le conseil canadien des ingénieurs, 2009 CF 1096, 2009 CarswellNat 3400, je trouve qu’il s’agit d’un emploi de la Marque telle qu’elle est enregistrée.

[36]  Tenant compte du léger fardeau de preuve dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45, et vu le court laps de temps entre la fin de la période pertinente et la prise de ces photographies un mois et demi plus tard, je suis prête à accepter que cette enseigne de la Marque était déjà présente sur le bâtiment lors de la période pertinente. En effet, les photographies du hangar arborant une enseigne additionnelle sous les pièces PE­2 et PE­3 – qu’elles représentent ce même bâtiment à un moment différent ou un autre hangar appartenant à la Propriétaire – n’étayent pas une conclusion selon laquelle l’enseigne de la Marque a été érigée à titre ponctuel pour protéger l’enregistrement en cause.

[37]  De plus, j’estime raisonnable de conclure que des services « aéroportuaires » étaient annoncés et rendus dans le hangar avec bureaux administratifs connexes de la Propriétaire montré dans les photographies datées du 12  janvier 2017 sous la pièce PE­3, à savoir celui situé sur les lieux de l’aéroport où la Propriétaire est domiciliée, au 611, 6e avenue de l’Aéroport, en la ville de Québec. À cet égard, je suis d’avis que la rubrique « Gestion d’aéroport » et les éléments « Entretien d’aéronefs » et « Gestion d’aéronefs » dans le menu de la page Web imprimée le 26 janvier  2017, produite sous la pièce PE­2, mènent à la conclusion que de tels services étaient fournis ou prêts à être fournis à partir de ce hangar avec bureaux administratifs, vu la photographie d’un pareil hangar présentée sous ledit menu. J’estime raisonnable de conclure que tels services rendus dans son propre hangar à soi sur le site de l’aéroport où l’on est domicilié constituent des « services aéroportuaires ».

[38]  À cet égard, même s’ils ne visent pas le même aéroport, je suis d’avis que les contrats sous la pièce PE­6 corroborent la nature des services annoncés et rendus (ou prêts à être rendus) à partir du hangar avec bureaux administratifs montré dans les photographies datées du 12 janvier 2017 sous la pièce PE­3. Je retiens entre autres les contrats indiquant que la Propriétaire, pendant la période pertinente, prévoyait ou était déjà engagée pour exécuter des « travaux de gérance et travaux d’entretien » à l’aéroport de Bonaventure, un « service aux avions privés » pour la Ville de Gaspé, et l’« exploitation aéroportuaire » consistant en « un service d’administration, d’opération et d’entretien » aux Îles de la Madeleine. Je note aussi l’avis de Transports Canada sous la pièce PE­5, discutant du transfert potentiel à la Propriétaire des droits « de propriété ou d’exploitation » de certains aéroports. Je suis prête à inférer que la Propriétaire offrait et exécutait (ou était prête à exécuter) des services de la même nature à partir du hangar avec bureaux administratifs à l’aéroport où elle était domiciliée. Encore une fois, j’estime que tels services dans le présent contexte constituent des « services aéroportuaires ».

[39]  Par ailleurs, M. Labbé atteste que la Propriétaire  « publicise » le site internet susmentionné, qui annonce les services « Gestion d’aéroport », « Entretien d’aéronefs » et « Gestion d’aéronefs » sous le titre « Aéropro » en police décorative. J’estime raisonnable d’inférer qu’en conséquence de ladite publicité et de l’ensemble des activités de la Propriétaire décrits dans la preuve, au moins certains Canadiens – par exemple, des clients ou clients potentiels de la Propriétaire – auraient consulté cette page Web du Canada au cours de la période pertinente. À cet égard, rien dans la preuve, lue dans son contexte, n’est incompatible avec l’interprétation selon laquelle la déclaration de M. Labbé quant à la publicité du site internet – quoique formulée au présent –  concerne la publicité faite par la Propriétaire en général, y inclus pendant la période pertinente.

[40]  Ainsi, objectivement interprétée et considérée dans son ensemble, la preuve produite par la Propriétaire fait état de plus que de simples allégations d’emploi. Somme toute, je considère l’ensemble de la preuve suffisante pour me permettre d’inférer que la Propriétaire a employé la Marque au sens des articles 4 et 45 de la Loi en liaison avec des « services aéroportuaires » pendant la période pertinente.

[41]  Par contre, je ne suis pas convaincue que la Propriétaire a démontré l’emploi de la Marque au sens des articles 4 et 45 de la Loi en liaison avec le « transport aérien » ou le « nolisement d’aéronefs » pendant la période pertinente.

[42]  Bien que M. Labbé allègue que la Propriétaire emploie la Marque « conformément aux services stipulés lors de son enregistrement », il n’affirme pas précisément que cet emploi vise chacun de ces services. En fait, son affidavit ne fait aucune mention de « nolisement d’aéronefs » ou de « transport aérien ». Ni l’une ni l’autre de ces activités n’est décrite dans l’enregistrement de la Propriétaire au Registre des entreprises du Québec. La page Web énumérant les services offerts par la Propriétaire n’en fait pas davantage mention.

[43]  Enfin, aucun des divers contrats et autres documents produits sous les pièces PE­4 à PE­7 ne mentionne ni le transport aérien ni le nolisement d’aéronefs. À cet égard, dans un premier temps, je ne suis pas convaincue que les services aérologiques, météorologiques, ou environnementaux nommés dans la documentation des ententes sous la pièce PE­6 – et dans le menu de la page Web sous la pièce PE­2 – puissent être valablement considérés en tant que services de « nolisement d’aéronefs » ou de « transport aérien ». Si ces services impliquent le nolisement d’aéronefs ou le transport aérien, M. Labbé n’en fait aucune mention dans son affidavit.

[44]  De plus, je ne suis pas convaincue que les services aux aéronefs décrits comme, par exemple, « Entretien d’aéronefs » ou « Gestion d’aéronefs » dans la page Web sous la pièce PE­2, ou comme « service aux avions privés » ou « entreposage d’un aéronef » dans les extraits de contrats sous la pièce PE­6, entraînent nécessairement des services de nolisement ou de transport aérien, rendus par la Propriétaire en liaison avec la Marque. Ce n’est pas parce qu’un aéroport fait partie d’un « réseau de transport » que tous les services rendus à partir d’un aéroport sont des services de « transport ». À ce titre, à mon avis, les décisions citées par la Propriétaire ne s’appliquent pas en l’espèce.

[45]  Plus particulièrement, dans l’affaire Rider, supra, la preuve comprenait une allégation claire d’emploi de la marque de commerce en cause en liaison avec des services de transport aérien, et démontrait que le propriétaire inscrit fournissait pareils services par l’intermédiaire d’agents, à savoir de transporteurs aériens. L’auteur de l’affidavit avait nommé les manières par lesquelles le propriétaire inscrit prétendait exécuter les services de transport aérien (la réservation et l’émission de billets, le nolisement de jets et d’hélicoptères, l’expédition d’achats, etc.) et avait donné des exemples de matériel connexe (chemises à billets, papeterie, étiquettes, brochures, etc., toutes arborant la marque de commerce en cause). En l’espèce, par contre, il n’y a pas d’allégations ou d’éléments de preuve comparables.

[46]  Dans l’affaire TSA, supra, la preuve comprenait une allégation claire d’emploi de la marque de commerce en cause en liaison avec des services de magasin de détail offerts par le propriétaire inscrit par l’intermédiaire de son site Web. La preuve démontrait que ce site était un véritable magasin de détail à partir duquel on pouvait faire des achats; la question était celle de savoir si les consommateurs en profitaient au Canada, même si le magasin ne livrait les achats qu’à des adresses américaines. En répondant par l’affirmative, la Cour a conclu que les consommateurs pouvaient néanmoins bénéficier d’autres éléments interactifs du magasin en ligne, que la Cour a qualifié de services de magasin de détail « accessoires ». Considérant ces éléments interactifs dans leur ensemble, la Cour a estimé qu’une consultation du site Web s’apparentait à une visite sur place d’un magasin traditionnel. Ainsi les services « accessoires » en cause ne paraissaient pas en isolation; la preuve démontrait qu’ils faisaient partie du service « principal » de magasin de détail fourni par le propriétaire inscrit même.

[47]  La situation en l’espèce se distingue. La preuve démontre que la Propriétaire offrait des services d’entreposage, de gestion et d’entretien d’aéronefs. Cependant, les éléments de preuve n’établissent pas que ces services constituaient des aspects « accessoires » d’un service de transport aérien ou de nolisement d’aéronefs rendu par la Propriétaire. La preuve ne contient aucun indice à partir duquel on pourrait raisonnablement inférer que les aéronefs entreposés, gérés, entretenus ou autrement servis par la Propriétaire pouvaient être nolisés par celle-ci ou servaient autrement pour rendre des services de transport aux tiers. Si la Propriétaire avait octroyé une licence à une tierce partie lui permettant d’employer la Marque en liaison avec des services de transport aérien ou de nolisement d’aéronefs, ou si la Propriétaire offrait de tels services par l’intermédiaire d’agents quelconques, M. Labbé n’en fait aucune mention dans son affidavit.

[48]  Même si j’accepte que la Propriétaire exploitait l’avion arborant le logotype d’oiseau montré devant le hangar dans la dernière photographie sous la pièce PE­3, M. Labbé ne précise pas si la Propriétaire nolisait cet avion, ou l’utilisait soi-même pour faire du transport, ou l’utilisait pour d’autres fins, telles que les observations aérologiques, par exemple. De plus, il n’est pas clair si cette photographie de l’avion date de la période pertinente.

[49]  Pareillement, même si l’assurance aviation montrée sous la pièce PE­4 couvrait les dommages occasionnés aux aéronefs pendant la période pertinente,  il demeure que ni les documents fournis en preuve ni M. Labbé lui-même n’indiquent s’il s’agissait de dommages occasionnés lors de l’exécution de services « aéroportuaires » ou de services de « transport » ou de « nolisement ».

[50]  En effet, les divers documents fournis en preuve en l’espèce font état de nombreux services — la gérance, l’entretient, l’entreposage, l’observation, etc. — et pourtant il n’y a aucune mention de « transport » ou de « nolisement », ou de services pouvant être qualifiés ainsi. Si le transport ou le nolisement comptaient néanmoins parmi les services de la Propriétaire, il aurait été simple de le mentionner expressément. Pourtant, M. Labbé ne l’a pas fait.

[51]  Compte tenu de ce qui précède, en l’absence de détails supplémentaires, je ne peux pas conclure que la Propriétaire a démontré l’emploi de la Marque pendant la période pertinente au sens des articles 4 et 45 de la Loi en liaison avec les services décrits dans l’enregistrement comme « transport aérien » et « nolisement d’aéronefs ». En conséquence, étant donné que je ne dispose pas de preuve de circonstances spéciales justifiant ce défaut d’emploi, les services « transport aérien » et « nolisement d’aéronefs » seront supprimés de l’enregistrement.

Décision

[52]  Compte tenu de tout ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi et conformément aux dispositions de l’article 45 de la Loi, l’enregistrement sera modifié afin de supprimer les services « transport aérien » et « nolisement d’aéronefs » de l’état déclaratif des services.

[53]  L’état déclaratif des services modifié sera libellé comme suit : « Services aéroportuaires ».

 

Oksana Osadchuk

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 


 

COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2018-11-06

COMPARUTIONS

Steven Côté

POUR LA PROPRIÉTAIRE INSCRITE

Gabriel St-Laurent

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

AGENTS AU DOSSIER

Karine Labbé

POUR LE PROPRIÉTAIRE INSCRIT

ROBIC

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

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