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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2019 COMC 129

Date de la décision : 2019-11-29

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

 

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45

 

88766 Canada Inc.

Partie requérante

et

 

Freedom Scientific BLV Group, LLC

Propriétaire inscrite

 

LMC766, 518 pour SAPPHIRE

Enregistrement

[1]  À la demande de 88766 Canada Inc. (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a donné l’avis prévu à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 (la Loi) le 18 juillet 2017 à Freedom Scientific BLV Group, LLC (la Propriétaire), la propriétaire inscrite de l’enregistrement no LMC766,518 de la marque de commerce SAPPHIRE (la Marque).

[2]  La Marque est enregistrée pour emploi en liaison avec les produits suivants :

Loupes, nommément loupes de poche et télévisionneuses pour les personnes ayant une mauvaise vision.

[3]  L’avis exigeait que la Propriétaire fournisse des éléments de preuve démontrant que la Marque était employée au Canada, en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement, à un moment quelconque entre le 18 juillet 2014 et le 18 juillet 2017. Dans la négative, la Propriétaire était tenue de fournir des éléments de preuve indiquant la date à laquelle la Marque a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

[4]  La définition pertinente du terme « emploi » en liaison avec les produits en l’espèce est énoncée à l’article 4(1) de la Loi comme suit :

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée.

[5]  Il est bien établi que le but et l’objet de l’article 45 de la Loi sont d’assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour débarrasser le registre du « bois mort ». À ce titre, le seuil requis pour établir l’emploi dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45 est peu élevé [Woods Canada Ltd c Lang Michener (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst.)], et il n’est pas nécessaire de produire une surabondance d’éléments de preuve [Union Electric Supply Co c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1982), 63 CPR (2d) (CF 1re inst.)]. Il n’en faut pas moins présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement pendant la période pertinente [John Labatt Ltd c Rainer Brewing Co (1984), 80 CPR (2d) 228 (CAF)].

[6]  En réponse à l’avis du registraire, la Propriétaire a fourni l’affidavit de Rick Simpson, son dirigeant principal des finances, souscrit le 11 octobre 2017 en Floride. Les deux parties ont produit des représentations écrites et étaient représentées à une audience.

La preuve de la Propriétaire

[7]  Dans son affidavit, M. Simpson indique que la Propriétaire fabrique des produits d’accessibilité pour les personnes ayant une déficience visuelle, y compris les logiciels et l’équipement qui permettent ou facilitent la lecture de documents imprimés ou des écrans. Il ajoute que les activités ordinaires de la Propriétaire consistent à vendre des loupes aux personnes ayant une mauvaise vision ou aux détaillants de ces produits. M. Simpson précise ensuite que le marché de ces loupes est relativement petit.

[8]  M. Simpson affirme que, pendant la période pertinente, la Propriétaire [traduction] « offrait et vendait au Canada un produit agrandissant sous la marque de commerce SAPPHIRE ». Plus particulièrement, il indique qu’une entreprise nommée Canadialog, située à Toronto et spécialisée dans la vente de produits aux personnes ayant une déficience visuelle, a vendu la loupe SAPPHIRE de la Propriétaire.

[9]  M. Simpson ajoute que, pendant la période pertinente, la loupe SAPPHIRE de la Propriétaire était incluse dans la liste des aides visuelles de haute technologie mentionnée dans le manuel des produits du Programme d’appareils et accessoires fonctionnels publié par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario. Il explique que le ministère de la Santé de l’Ontario paie 75 pour cent du prix approuvé pour les aides visuelles pour les résidents de l’Ontario ayant une déficience physique de longue durée.

[10]  À l’appui de ce qui précède, M. Simpson joint les pièces suivantes à son affidavit :

  • La pièce A est une brochure publicitaire pour une loupe, identifiée sur la brochure en tant que [traduction] « SAPPHIRE Vidéo Loupe Portative », avec la Marque affichée bien en vue sur le devant du produit, comme on peut voir ci-dessous :

La brochure décrit la loupe SAPPHIRE, en ces termes, entre autres [traduction] :

  • - « La loupe vidéo la plus polyvalente pour une mauvaise vision »;

  • - « répond à vos besoins de grossissement lors de vos déplacements »;

  • - « lisez les menus, vérifiez les reçus des magasins, voyez les détails sur les cartes — lisez même les étiquettes sur les médicaments en vente libre à la pharmacie — avec une solution compacte et polyvalente de loupe vidéo à batterie -  »;

  • - « espace sous l’appareil pour prendre des notes, inscrire les numéros de téléphone et remplir les formulaires »;

  • - « grossissement de 3,4x à 16x sur un écran lumineux de 7 pouces »;

  • - « 22 modes de couleurs vidéo à contraste élevé »; et

  • - « Se connecte à un téléviseur pour un grossissement encore plus important ».

  • - « la meilleure loupe de lecture pour une mauvaise vision lors de vos déplacements »;

  • - « repose à plat sur le matériel de lecture, de sorte qu’il n’y a pas de secousse et vos mains ne se fatiguent pas comme avec les loupes encombrantes »;

  • - « mettez-le dans son étui de transport inclus, dans votre fourre-tout ou dans un tiroir de bureau ».

  • La pièce B contient des pages du manuel de produit du Programme des appareils et accessoires fonctionnels, qui énumère différents types d’aides visuelles de haute technologie. Je précise que sous la rubrique [traduction] « Aides de lecture de haute technologie » ainsi que la sous-rubrique [traduction] « Système de grossissement optique en circuit fermé », le produit « Sapphire » est mentionné et il est précisé que la Propriétaire en est la fabricante.M. Simpson affirme que ce manuel était en vigueur en 2014.
  • La pièce C contient une impression d’écran des Archives d’Internet à l’adresse web.archive.org, montrant une version archivée de la page « Sapphire » du site Web de Canadialog à l’adresse canadialog.com/en/sapphire, dont M. Simpson atteste qu’elle date de 2016. La page Web de Sapphire fait la promotion de la loupe SAPPHIRE, telle qu’elle est présentée et annoncée à la pièce A, et décrit le produit en termes similaires, en ajoutant ce qui suit [traduction] :
  • La pièce D est une facture datée du 27 janvier 2015, de Canadialog à Toronto à un client de Longueuil (Québec), montrant la vente d’une « SAPPHIRE Vidéo Loupe Portative » (« SAPPHIRE Handheld Video Magnifier »). M. Simpson atteste que la facture documente la vente de la loupe SAPPHIRE de la Propriétaire et que le produit a été expédié au début de 2015.

Analyse

[11]  Les principales observations de la Partie requérante concernant la preuve de la Propriétaire peuvent être résumées comme suit : i) la preuve ne démontre pas que le produit à la pièce A est le produit vendu au Canada; ii) il n’y a aucune preuve que la vente facturée a eu lieu dans la pratique normale du commerce; iii) la facture de Canadialog ne peut servir de preuve pour démontrer l’emploi de la Marque par la Propriétaire; et iv) la Propriétaire ne peut s’appuyer sur les mêmes éléments de preuve pour démontrer l’emploi de la Marque en liaison avec plusieurs produits enregistrés.

[12]  J’aborderai chacun de ces points à tour de rôle.

Produit vendu au Canada

[13]  La Partie requérante soutient que, lorsque M. Simpson affirme que la Propriétaire [traduction] « offrait et vendait au Canada un produit agrandissant sous la marque de commerce SAPPHIRE », il ne précise pas clairement que le produit décrit à la pièce A est effectivement le produit [traduction] « vendu au Canada ».

[14]  Comme il est indiqué plus haut, M. Simpson fournit une facture pour une vente au Canada sous la forme de la pièce D jointe à son affidavit, et atteste que le produit mentionné sur la facture produite en preuve [traduction] « aurait ressemblé au produit figurant aux pièces A et C, avec la marque de commerce SAPPHIRE affichée bien en vue sur le devant du produit ». Toutefois, la Partie requérante soutient que l’utilisation de la forme conditionnelle par M. Simpson crée une ambiguïté. À cet égard, la Partie requérante précise que les éléments de preuve produits dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45 ne proviennent que du propriétaire et ne font pas l’objet d’un contre-interrogatoire. Par conséquent, citant Grapha‑Holding AG c. Illinois Tool Works Inc., 2008 CF 959, la Partie requérante soutient que la Propriétaire doit soumettre une preuve solide et fiable, et que l’emploi du verbe au conditionnel par M. Simpson ne satisfait pas à cette exigence.

[15]  À cet égard, la Partie requérante cite également Universal Protein Supplements Corporation c H Young Operations Limited, 2018 CF 1261, dans laquelle le juge Roy a conclu que l’utilisation de la « forme conditionnelle » rendait les affirmations de l’auteur de l’affidavit « moins affirmati[ves] » [au para 33] et « quelque peu diluée[s] » [au para 66].

[16]  Toutefois, comme l’a fait remarquer la Propriétaire, dans Universal Protein, le juge Roy n’a pas décidé de radier l’enregistrement uniquement au motif de l’utilisation du verbe au conditionnel par l’auteur de l’affidavit; il a estimé que la preuve présentée par la Propriétaire présentait des lacunes importantes — en particulier parce qu’elle était vague et imprécise concernant la façon et l’endroit où la marque « aurait été présenté[e] » — ce qui suffit pour distinguer Universal Protein de l’espèce.

[17]  En effet, il est bien établi que l’affidavit doit être considéré comme un ensemble et que l’approche consistant à le disséquer de sorte que les affirmations soient examinées hors contexte n’est pas appropriée [voir Kvas Miller Everitt c Compute (Bridgend) Limited (2005), 47 CPR (4th) 2019 (COMC)].

[18]  En l’espèce, lors de l’examen de l’ensemble des éléments de preuve — en particulier la description du produit « SAPPHIRE Vidéo Loupe Portative » sur la facture produite en preuve accompagnée des déclarations sous serment de M. Simpson et des autres pièces — je suis convaincue que le produit facturé correspond à la « SAPPHIRE Vidéo Loupe Portative » présentée dans les pièces A et C.

Transfert dans la pratique normale du commerce

[19]  La Partie requérante soutient en outre que le fait que la Propriétaire s’appuie sur une seule facture pour démontrer les ventes dans la pratique normale du commerce sans fournir d’autres détails sur le contexte de la vente, crée une ambiguïté qui doit être réglée à l’égard de la Propriétaire. À cet égard, la Partie requérante cite Guido Berlucchi & C Srl c Brouilette Kosie Prince, 2007 CF 245, dans laquelle la Cour fédérale a indiqué que, si un propriétaire inscrit choisir de ne produire en preuve qu’une seule vente, « il joue avec le feu, car il doit alors fournir suffisamment de renseignements concernant le contexte dans lequel s’est déroulée la vente pour éviter de susciter dans l’esprit du registraire ou de la Cour des doutes qui pourraient jouer contre lui » [au para 20].

[20]  Toutefois, il est bien établi que la preuve d’une seule vente peut suffire pour démontrer un transfert dans la pratique normale du commerce, à condition qu’elle présente les caractéristiques d’une opération commerciale authentique et qu’elle ne soit pas perçue comme ayant été délibérément fabriquée ou inventée en vue de protéger l’enregistrement de la marque de commerce [Philip Morris Inc c Imperial Tobacco Ltd (1987), 13 CPR (3d) 289 (CF 1re inst.)].

[21]  En l’espèce, M. Simpson explique que la pratique normale du commerce de la Propriétaire consiste à vendre des loupes à des personnes ayant une mauvaise vision ou à des détaillants de ces produits et que [traduction] « le marché de ces loupes est relativement petit ». La facture produite en preuve est conforme à cette pratique du commerce. En outre, comme l’a indiqué la Propriétaire, la facture date de bien avant l’émission de l’avis prévu à l’article 45. Par conséquent, je ne vois rien dans la preuve qui pourrait me convaincre que la vente produite en preuve n’était pas authentique et n’a pas eu lieu dans la pratique normale du commerce.

Emploi par la Propriétaire

[22]  La Partie requérante soutient qu’il n’est pas clair si la vente facturée a été faite par la Propriétaire, un distributeur ou une entité licenciée de la Propriétaire. À cet égard, la Partie requérante soutient que la facture produite en preuve provient de Canadialog et que l’affidavit ne donne aucun renseignement concernant la relation entre la Propriétaire et Canadialog. La Partie requérante soutient que toute conclusion tirée quant à la nature de leur relation serait conjecturale.

[23]  Toutefois, bien que la relation entre Canadialog et la Propriétaire ne soit pas explicitement indiquée dans l’affidavit de la Propriétaire, M. Simpson atteste que la pratique normale du commerce de la Propriétaire comprend la vente de loupes à des [traduction] « détaillants ». Il atteste en outre que Canadialog est une entreprise spécialisée dans la vente de produits aux personnes ayant une déficience visuelle et qu’elle [traduction] « offrait et vendait la loupe SAPPHIRE de Freedom Scientific » (je souligne). Par conséquent, je suis d’avis qu’il est raisonnable de conclure que Canadialog agissait à titre de détaillant de la Propriétaire.

[24]  En outre, la loi énonce clairement que l’emploi d’une marque de commerce à n’importe quelle étape dans la chaîne de distribution profite au propriétaire, à condition que les produits en question proviennent du propriétaire [Manhattan Industries Inc c Princeton Manufacturing Ltd (1971), 4 CPR (2d) 6 (CF 1re inst.) et Osler, Hoskin & Harcourt c Canada (Registraire de marques de commerce) (1997), 77 CPR (3d) 475 (CF 1re inst.)]. Par conséquent, je suis convaincue que la distribution de la loupe SAPPHIRE par l’entremise de Canadialog profite à la Propriétaire en l’espèce.

Corrélation de la preuve de la Propriétaire avec les produits enregistrés

[25]  La question principale en l’espèce est de savoir si la Propriétaire peut s’appuyer sur une vente de la « SAPPHIRE Vidéo Loupe Portative » pour maintenir l’enregistrement dans son intégralité. À cet égard, la Partie requérante soutient que la définition des produits que la Propriétaire a choisis pour son enregistrement comprend deux produits distincts : les [traduction] « loupes portatives » et les [traduction] « loupes vidéo pour les utilisateurs ayant une mauvaise vision ». La Partie requérante soutient que la Propriétaire est tenue pour cette raison de fournir des éléments de preuve distincts de l’emploi de la Marque pour chacun de ces deux produits enregistrés. À l’audience, la Partie requérante a cité Sharp Kabushiki Kaisha c 88766 Canada Inc (1997), 72 CPR (3d) 195 (CF 1re inst.) et Kvas Miller Everitt à l’appui de cette position.

[26]  La Partie requérante soutient en outre que la loupe décrite dans les pièces ne peut être en même temps une [traduction] « loupe portative » et une [traduction] « loupe vidéo pour les utilisateurs ayant une mauvaise vision », même si elle présente les caractéristiques des deux. Soulignant que le produit « Sapphire » figure sous le type d’appareil « Système de grossissement optique en circuit fermé » dans le manuel de produits du Programme d’appareils et accessoires fonctionnels, la Partie requérante soutient qu’au mieux, le produit présenté dans les pièces correspond au produit enregistré [traduction] « loupes vidéo pour les utilisateurs ayant une mauvaise vision ».

[27]  En réponse, la Propriétaire soutient que les produits enregistrés peuvent être interprétés comme un seul produit ayant deux fonctions, à savoir une loupe ayant à la fois des fonctions [traduction] « portatives » et [traduction] « vidéo », comme on peut le voir dans ses éléments de preuve. La Propriétaire soutient également que les affaires citées par la Partie requérante sont fondées sur le principe logique du [traduction] « superflu », alors qu’en l’espèce, il n’y a aucun problème de [traduction] « superflu » ni de [traduction] « exclusivité mutuelle » dans l’état déclaratif des produits. Je traiterai de ces concepts plus loin.

[28]  À mon avis, les faits des affaires citées par la Partie requérante se distinguent effectivement des détails de l’espèce.

[29]  Je tiens d’abord à souligner que les éléments de preuve en l’espèce montrent que les caractéristiques [traduction] « portative » et [traduction] « vidéo » de la loupe SAPPHIRE sont à la fois des fins principales du produit et qu’elles sont vendues en tant que telles. En effet, les deux fonctions sont mises en évidence dans la publicité du produit dans une mesure égale et les deux sont dans le nom du produit lui-même, comme décrit ci-dessus. Par conséquent, malgré les observations de la Partie requérante, je conclus que la loupe produite en preuve par la Propriétaire peut correspondre de façon égale à l’un ou l’autre des produits enregistrés. Il ne s’agit pas d’une affaire comme dans Sharp, dans laquelle la Cour a conclu que les marchandises telles que les magnétoscopes à cassette et les fours à micro-ondes, même s’ils sont munis d’une fonction d’affichage de l’heure, ne pouvaient pas être désignées comme des « horloges », étant donné qu’elles n’étaient pas vendues en tant qu’« horloges » à cause de leur fonction d’affichage de l’heure qui est « clairement accessoire à l’utilisation première distincte à laquelle elles sont destinées » [au para 11]. En l’espèce, les éléments de preuve montrent que deux objectifs distincts de valeur égale sont énoncés dans la publicité du produit et dans la désignation commerciale du produit en question.

[30]  Deuxièmement, dans Sharp, le propriétaire avait modifié son enregistrement pour les « montres et horloges » (entre autres marchandises) en ajoutant « horloges parlantes ». La Cour fédérale a conclu que, par ce fait, le propriétaire a fait des « horloges parlantes » l’objet d’un « emploi spécifique pour les besoins de l’inscription dans le registre » compte tenu de sa description commerciale qui exclut « l’utilisation plus générale visée par les termes “horloges et montres” » [au para 14]. Étant donné que les seules marchandises pour lesquelles une preuve d’emploi a été produite étaient les « horloges parlantes », la Cour fédérale a maintenu la décision du registraire de radier les marchandises plus générales désignées « montres et horloges ». La Cour a conclu qu’un nouvel emploi différent « [...] ne peu[t] sauvegarder l’enregistrement d’emplois inscrits antérieurement à moins qu’il soit possible de prouver que ces emplois antérieurs subsistent en propre » [au para 16, je souligne].

[31]  Toutefois, en l’espèce, je ne considère qu’aucun des produits énumérés n’est [traduction] « plus général » que l’autre : (i) les termes [traduction] « loupes portatives » peuvent englober des loupes avec ou sans vidéo et (ii) les termes [traduction] « loupe vidéo » peuvent englober des loupes qui sont portatives ou qui ne le sont pas.

[32]   Comme l’a souligné la Propriétaire, on a conclu que l’état déclaratif des produits dans Sharp précisait deux catégories mutuellement exclusives : des horloges parlantes et des horloges qui ne parlent pas. Dans cette affaire, la Propriétaire tentait de conserver un enregistrement à l’égard d’horloges autres que les horloges parlantes uniquement en renvoyant à des horloges parlantes. En l’espèce, comme indiqué ci-dessus, les loupes qui sont destinées à être portatives et les loupes qui effectuent un grossissement vidéo ne sont pas des catégories mutuellement exclusives. Le fait d’interpréter les [traduction] « loupes portatives » comme excluant les loupes vidéo et les [traduction] « loupes vidéo » comme excluant les loupes portatives donnerait lieu à une situation curieuse où aucun des produits enregistrés n’est maintenu, même si le registraire est convaincu de l’emploi de la Marque en liaison avec une loupe qui est à la fois portative et vidéo et qui est décrite commercialement des deux façons. Une fois de plus, l’espèce n’est pas une affaire dans laquelle l’un des produits enregistrés est un [traduction] « emploi plus général » qui semble exclure un emploi plus précis ou dans laquelle les éléments de preuve ne correspondent pas spécifiquement aux deux définitions dans l’état déclaratif des produits.  Dans cette affaire quelque peu inhabituelle, bien que la preuve porte sur un seul produit, je remarque que le produit comporte deux aspects distincts, chacun ayant une corrélation indépendante à une définition différente dans l’état déclaratif des produits.

[33]  De même, dans Kvas Miller Everitt, la seule preuve d’emploi était en liaison avec un programme informatique utilitaire dont l’emploi était démontré pour la « recherche documentaire multiple » et « pour copier, modifier, reformater, imprimer et réorganiser des fichiers sur une base sélective ». Par conséquent, le registraire a maintenu les marchandises enregistrées suivantes : (1) « logiciel à employer dans la recherche documentaire et la manipulation de données », mais a radié du registre les marchandises suivantes : (2) « logiciel de recherche documentaire » et (3) « logiciel de manipulation de données, de fichiers et de système ». Cependant, une fois de plus, les marchandises (2) et (3) étaient des catégories [traduction] « plus générales » dont les marchandises (1) semblaient être découpées et distinguées. En outre, les éléments de preuve dans cette affaire correspondaient le mieux aux marchandises (1). En revanche, en l’espèce, aucun des produits énumérés n’est [traduction] « plus général », et les éléments de preuve ne correspondent pas le mieux à un seul des produits enregistrés. La preuve fait allusion à une loupe [traduction] « portative » à utiliser en déplacement, tout comme elle fait allusion à une loupe [traduction] « vidéo » et peut donc correspondre à l’un ou l’autre des produits enregistrés.

[34]  Enfin, une affaire importante qui porte sur cette question est l’affaire John Labatt, citée dans Sharp et précitée ici, bien qu’elle n’ait été citée par aucune des parties. Dans John Labatt, la Cour d’appel fédérale a conclu que la preuve du propriétaire de l’emploi de sa marque de commerce en liaison avec le produit « Rainier Lager Beer » ne pouvait que maintenir l’enregistrement du produit « bière ».

[35]  La Cour d’appel fédérale a tiré la conclusion suivante :

La précision de marchandises autres que la bière suggère, en l’absence de preuve contraire, que chacune d’elles est effectivement différente des autres dans une certaine mesure et de la « bière » elle-même, sinon les mots « ale », « porter », « stout », boissons à base de malt, sirop de malt et extraits de malt sont superflus [au para 13, je souligne];

et que,

À mon avis, le fait que les autres marchandises indiquées tombent dans un groupe de marchandises qui se rapportent d’une façon quelconque à la bière n’est pas suffisant pour garder intact l’enregistrement. Il aurait pu en être ainsi si l’intimée avait également démontré que la marque de commerce était employée au Canada à l’égard de chacune de ces autres marchandises [au para 14, je souligne].

[36]  Toutefois, en l’espèce, nous avons la [traduction] « preuve » que la loupe produite en preuve est à la fois une loupe portative et une loupe vidéo. En outre, étant donné que les termes [traduction] « portative » et [traduction] « vidéo » ne sont pas synonymes et que chaque terme a trait à une caractéristique différente, il n’est pas question du caractère superflu de l’un de ces termes. Enfin, la Propriétaire ne suggère pas que la preuve de l’emploi en liaison avec les loupes qui ont été montrées comme étant uniquement portatives — ou celles qui ont été montrées comme étant uniquement vidéo — suffit pour maintenir un enregistrement pour les deux caractéristiques. Il ne s’agit pas d’un cas où le propriétaire cherche à maintenir un produit enregistré qui est seulement [traduction] « lié d’une certaine manière » au produit dont l’emploi a été démontré. En l’espèce, la Propriétaire a démontré l’emploi avec un produit qui est vendu et annoncé comme étant une loupe [traduction] « portative » et, en même temps, a démontré l’emploi avec un produit qui est vendu et annoncé comme une loupe [traduction] « vidéo ».

[37]  Par conséquent, dans les circonstances particulières de l’espèce, je suis convaincue que les éléments de preuve démontrent l’emploi de la Marque en liaison avec les [traduction] « loupes portatives et les loupes vidéo pour les utilisateurs ayant une mauvaise vision ». En effet, les deux produits enregistrés ne s’excluent pas mutuellement et aucun des produits enregistrés n’est de nature plus générale. En outre, il est évident que la loupe SAPPHIRE a des fonctions principales à la fois [traduction] « portatives » et [traduction] « vidéo »; le produit peut donc correspondre de manière égale et étroite à l’un ou l’autre des produits enregistrés. Par conséquent, je ne peux conclure que la preuve de la Propriétaire ne porte que sur l’un des deux produits enregistrés. La Marque ne semble être du bois mort à l’égard d’aucune des deux définitions. L’état déclaratif des produits aurait pu être formulé différemment, mais je constate que la validité de l’enregistrement n’est pas en litige dans le cadre d’une procédure en radiation en vertu de l’article 45 de la Loi [voir Ridout & Maybee LLP c Omega SA [sic], 2005 CAF 306], et il serait contraire aux objectifs visés par une procédure en radiation en vertu de l’article 45 de la Loi d’analyser les produits enregistrés de la manière préconisée par la Partie requérante en l’espèce, compte tenu de la preuve dont je suis saisie.

Décision

[38]  Compte tenu de tout ce qui précède, je suis convaincue que la Propriétaire a démontré l’emploi de la Marque en liaison avec les [traduction] « Loupes, nommément loupes de poche et télévisionneuses pour les personnes ayant une mauvaise vision » au sens des articles 4(1) et 45 de la Loi.

[39]  Par conséquent, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu de l’article 63(3) de la Loi, et conformément à l’article 45 de la Loi, l’enregistrement sera maintenu entièrement.

 

Oksana Osadchuk

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

Lili El Tawil

 


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2019-07-25

COMPARUTIONS  

Mark L. Robbins

POUR LA PROPRIÉTAIRE INSCRITE

Barry Gamache

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

AGENTS AU DOSSIER

Bereskin & Parr LLP/S.E.N.C.R.L., s.r. l.

POUR LA PROPRIÉTAIRE INSCRITE

Robic

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

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