Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2021 COMC 162

Date de la décision : 2021-02-09

DANS L'AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

Institut national de l’origine et de la qualité

Opposante

et

 

Établissements Rivoire-Jacquemin, Société Anonyme

Requérante

 

1,727,734 pour JURAMAN

 

Demande

Introduction

[1] L’Institut national de l’origine et de la qualité (l’Opposante) est une agence du gouvernement français à qui incombe la responsabilité, entre autres, de définir les appellations d’origine contrôlées applicables à certains produits agroalimentaires français, dont des fromages, incluant les exigences quant à leurs origine géographique et conditions de production. Elle s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce JURAMAN faisant l’objet de la demande no 1,727,734, au nom d’Établissements Rivoire-Jacquemin, Société Anonyme (la Requérante), ayant un bureau principal ou siège d’affaires à Montmorot, en France, basée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada en liaison avec les produits suivants : « fromages à l’exclusion des fromages à pâte persillée » (les Produits).

[2] Comme il ressortira de mon analyse, j’estime qu’il y a lieu de rejeter la demande.

Le dossier

[3] La demande relative à la Marque a été produite le 12 mai 2015 et réclame une date de priorité basée sur une demande d’enregistrement correspondante produite en France, le 12 décembre 2014, sous le no 144141484. La présente demande a été annoncée dans le Journal des marques de commerce aux fins d’opposition, le 13 juillet 2016.

[4] La déclaration d’opposition a été originalement produite le 13 décembre 2016 en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi). Je précise que la Loi a été modifiée le 17 juin 2019. Toutes les dispositions de la Loi mentionnées dans la présente décision renvoient à la Loi dans sa version modifiée, à l’exception de celles concernant les motifs d’opposition qui renvoient à la Loi dans sa version antérieure aux modifications [voir l’article 70 de la Loi qui prévoit que l’article 38(2) de la Loi dans sa version antérieure au 17 juin 2019 s’applique aux demandes annoncées avant cette date].

[5] La déclaration d’opposition fut modifiée volontairement par l’Opposante en réponse à une requête pour une décision interlocutoire sur la suffisance des motifs d’opposition originalement plaidés, présentée par la Requérante de façon concomitante à la production de sa contre-déclaration. Par lettre officielle datée du 12 mai 2017, le registraire des marques de commerce a, d’une part, accordé à l’Opposante la permission de produire la déclaration d’opposition ainsi modifiée et, d’autre part, rejeté la demande de radiation de la Requérante.

[6] Les motifs d’opposition plaidés dans la déclaration d’opposition modifiée se lisent comme suit :

9(a) […] la [Marque] n’est pas enregistrable en vertu de l’article 12(1)(b) [de la Loi], puisque sous forme graphique, écrite et sonore, elle donne une description claire ou fausse et trompeuse, en langue française, de la nature, de la qualité, des conditions de production, des personnes qui produisent ou du lieu d’origine des produits en liaison avec lesquels la Requérante projette de l’employer au Canada.

9(b) […] la [Marque] n’est pas enregistrable en vertu de l’article 12(1)(e) [de la Loi] puisque son adoption est interdite par l’article 10, puisqu’elle ressemble de façon telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec l’appellation d’origine contrôlée [AOC] BLEU DE GEX HAUT JURA, qui concerne des produits de la même catégorie générale que les [Produits], laquelle [AOC] BLEU DE GEX HAUT JURA est devenue reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la valeur ou le lieu d’origine des fromages en liaison avec lesquels [sic] elle est utilisée;

9(c) […] la [présente demande] ne satisfait pas aux exigences de l’article 30(i) puisque la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir droit d’employer la [Marque] au Canada en liaison avec les [Produits] puisque son emploi en liaison avec [ceux-ci] est prohibé par l’article 7(d) [de la Loi], puisqu’elle constitue une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques, la qualité, l’origine géographique et le mode de production de ces produits.

9(d) […] la [Marque] n’est pas distinctive de la Requérante :

  • (i) Puisqu’elle ne distingue pas véritablement les [Produits] en liaison avec lesquels elle est employée par la Requérante des produits des tiers, et qu’elle n’est pas adaptée à les distinguer ainsi; et

  • (ii) Puisqu’elle constitue une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques, la qualité, l’origine géographique et le mode de production des [Produits] visés par la [présente demande].

[7] Au soutien de son opposition, l’Opposante a soumis un affidavit de Jennifer Dyal, adjointe juridique et coordonnatrice d’équipe à l’emploi du cabinet représentant l’Opposante dans la présente procédure, assermentée le 17 janvier 2018 et ses pièces JHD-1 à JHD-9 (l’affidavit Dyal), et un affidavit de Van Khai Luong, parajuriste à l’emploi du même cabinet, également assermentée le 17 janvier 2018 et ses pièces VKL-1 à VKL-3 (l’affidavit Luong). Mesdames Dyal et Luong n’ont pas été contre-interrogées sur leurs affidavits respectifs.

[8] La Requérante a choisi de ne soumettre aucune preuve.

[9] Seule l’Opposante a produit des observations écrites et fait des représentations lors de l’audience tenue dans le présent dossier. Lors de cette audience, l’Opposante a retiré volontairement les motifs d’opposition plaidés aux paragraphes 9(b) et 9(d)(ii) de sa déclaration d’opposition modifiée.

Analyse

Le fardeau qui repose sur les parties

[10] C’est à l’Opposante qu’il appartient au départ d’établir le bien-fondé de son opposition. L’Opposante doit faire en sorte que chacun de ses motifs d’opposition soit dûment plaidé et s’acquitter du fardeau de preuve initial en établissant les faits sur lesquels elle appuie chacun de ceux-ci. Une fois ce fardeau de preuve initial rencontré, il incombe à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun de ces motifs d’opposition ne fait obstacle à l’enregistrement de la Marque [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst); Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF)].

Non-enregistrabilité de la Marque vertu de l’article 12(1)(b) de la Loi

[11] Tel qu’indiqué plus haut, l’Opposante allègue qu’eu égard aux dispositions de l’article 12(1)(b) de la Loi, la Marque n’est pas enregistrable puisque :

[…] sous forme graphique, écrite et sonore, elle donne une description claire ou fausse et trompeuse, en langue française, de la nature, de la qualité, des conditions de production, des personnes qui produisent ou du lieu d’origine des produits en liaison avec lesquels la Requérante projette de l’employer au Canada.

[12] J’estime que la formulation de ce motif d’opposition est vague et incertaine en ce qu’il n’est pas clair à la lecture de celui-ci de quelle description claire ou fausse et trompeuse il s’agit. Cela dit, je me dois d’apprécier ce motif d’opposition en fonction de la preuve au dossier [Novopharm Ltd c AstraZeneca AB (2002), 21 CPR (4th) 289 (CAF)].

[13] À la lumière de cette preuve et des représentations de l’Opposante contenues dans ses observations écrites et soumises lors de l’audience, je comprends que l’Opposante fait valoir d’une part, que la Marque donne une description claire, ou fausse et trompeuse, des personnes qui produisent les Produits et, d’autre part, qu’elle donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Produits.


 

Principes généraux

[14] La date pertinente qui s’applique à un motif d’opposition portant qu’une marque de commerce donne une description claire ou une description fausse et trompeuse est la date de production de la demande [General House Wares Corp c Fiesta Barbeques Ltd (2003), 28 CPR (4th) 60 (CF)], soit en l’occurrence, le 12 mai 2015.

[15] La question de savoir si une marque de commerce donne une description claire ou une description fausse et trompeuse doit être envisagée du point de vue de l’acheteur moyen des produits liés à cette marque de commerce. Le mot « nature » s’entend d’une particularité, d’un trait ou d’une caractéristique des produits et le mot « claire » signifie [traduction] « facile à comprendre, évident ou simple » [Drackett Co of Canada Ltd c American Home Products Corp (1968), 55 CPR 29 (C de l’É)]. La Marque ne doit pas être analysée dans ses moindres détails, mais considérée dans son ensemble sous l’angle de la première impression [Wool Bureau of Canada Ltd c Registraire des marques de commerce (1978), 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst); Atlantic Promotions Inc c Registraire des marques de commerce (1984), 2 CPR (3d) 183 (CF 1re inst)]. En d’autres termes, la marque de commerce ne doit pas être considérée isolément, mais plutôt dans son contexte en relation avec les produits [Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général) (2012), 99 CPR (4th) 213 (CAF)]. Enfin, il faut user de bon sens lorsqu’il s’agit de juger du caractère descriptif [Neptune SA c Canada (Procureur général) (2003), 29 CPR (4th) 497 (CF)].

[16] L’interdiction prévue à l’article 12(1)(b) de la Loi vise à empêcher un commerçant unique de monopoliser un terme qui donne une description claire ou qui est usuel dans le commerce et de placer ainsi des commerçants légitimes dans une position désavantageuse [Canadian Parking Equipment Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce) (1990), 34 CPR (3d) 154 (CF 1re inst); e-Funds Ltd c Toronto-Dominion Bank (2007), 61 CPR (4th) 475 (COMC)]. Pour être considérée faussement et trompeusement descriptive, une marque de commerce doit tromper le public. L’interdiction vise à empêcher le public d’être induit en erreur [Atlantic Promotions, précitée].

[17] Dans le cas d’une marque de commerce dont on prétend qu’elle donne une description claire du lieu d’origine des produits qui lui sont liés, cette marque sera considérée comme donnant une description claire du lieu d’origine si elle est constituée d’un nom géographique et que les produits proviennent du lieu désigné par ce nom géographique [MC Imports Inc c AFOD Ltd, 2016 CAF 60]. Une marque de commerce donne une description fausse et trompeuse si elle est constituée d’un nom géographique et que les produits ne proviennent pas du lieu désigné par ce nom géographique, de telle sorte que le consommateur ordinaire serait porté à croire à tort que les produits liés à cette marque proviennent du lieu désigné par ce nom géographique [MC Imports Inc, précitée].

La preuve de l’Opposante

[18] Les affidavits Dyal et Luong ont essentiellement pour but d’introduire en preuve divers extraits de dictionnaires et autres publications disponibles au Canada faisant référence à la région du Jura, ou portant sur le sujet des fromages, incluant les fromages qui proviennent de la région du Jura, et de démontrer la disponibilité au Canada de fromages de la région du Jura et qui portent des mentions telles que « Crémeux du Jura », « Jura Montagne » et « Affiné dans le Jura ».

[19] Je note plus particulièrement les éléments suivants :

i) Définitions de dictionnaires [pièce VKL-11] :

Dictionnaire Le Petit Larousse 2010 :

  • JURA : n.m. chaîne de montagnes de France et de Suisse, qui se prolonge en Allemagne par des plateaux calcaires […]. L’orientation et l’altitude expliquent l’abondance des précipitations, favorables à l’extension des forêts et des prairies. Aussi, l’exploitation forestière et les produits laitiers (fromages) constituent les principales ressources, complétées par le tourisme et surtout par de nombreuses petites industries (horlogerie, lunetterie, travail du bois, matières plastiques, etc.) […].

  • JURA : n.m. dép. de la Région Franche-Comté. […] L’exploitation de la forêt, l’élevage bovin (fromages) et, localement, le vignoble […] y constituent les ressources essentielles. […].

The New Lexicon Webster’s Encyclopedic Dictionary of the English Language Canadian Edition 1998 :

  • JURA : a department (…) in E. France (Franche-Comté) Chief town: Lons-le-Saunier.

  • JURA : a range of rugged, wooded mountains in E. France and W. Switzerland, […]. Occupations: dairy farming, forestry, light industries.

[Mes soulignements]

ii) Articles publiés sur les sites Internet de journaux canadiens, discutant de la région du Jura et de certains de ses fromages [pièces VKL-12 à VKL-14]:

  • Anne Desjardins, « Le Jura français a tout pour séduire », (24 septembre 2010) (Le Soleil, section Voyage) :

Ses spécialités de niche comprennent […] et ses merveilleux fromages d’appellation que sont le Comté, le Morbier, le Bleu de Gex ou le Mont d’or, […]

  • Anne Desjardins, « Le fromage devenu modèle », (25 octobre 2010) (Le Soleil) :

Mais l’Hercule est désormais un fromage unique, aussi québécois que le comté est un fromage jurassien…

L’histoire du comté est fascinante. Il est le premier fromage d’appellation d’origine contrôlée de France avec 1 250 000 meules fabriquées chaque année dans les montagnes du massif du Jura, dans l’est de la France.

  • Sue Riedl, « Perfection on a platter », (17 décembre 2008), (The Globe and Mail, section Life) :

It would be an oversight to discuss cheese and the holidays without tempting the palate with a winter classic originating in the Jura mountains along the Swiss-French border, Vacherin Mont d’Or, packed in a bark box, is a true splurge.

  • Joanne Kates, « Full of beans for little Mogette », (21 février 2009), (The Globe and Mail, section Life) :

The French onion soup, for instance […]. Its broth is flavoured yet delicate, while its roof is made with perfectly melted (not overcooked) cheese from the Jura.

  • Joanne Kates, « Le Migneron Charlevoix cheese » (13 octobre 2009) (The Globe and Mail) :

He began by making Münster in Alsace, but it was in the Jura region that he discovered the fruitière model of cheese making and brought it to Quebec.

  • Andrew Brenner, « Jura Mountains are a skier’s paradise », (30 janvier 2015), (Toronto Star, section Voyage) :

This tiny village is home to an excellent fruitière where Comté cheese, emblematic of the Jura, is made.

  • John Leigester et Andrew Dampf, « Taste of the Tour: Cheese in a box and Brel’s favoured wine », (7 juillet 2017), (Vancouver Sun, section Voyage) :

Mont d’Or cheese, made at an altitude of 700 metres (2,300 feet) or higher in the Jura mountains, can best be described as fondue in a box.

Compte, a hard cheese from the Jura, can appear like a poor cousin to gooey, more pungent French cheeses.

iii) Divers extraits de guides et de livres consultés à la Bibliothèque et archives nationales du Québec [pièces VKL-15, VKL-16, JD-1, JD-2] faisant référence à la région du Jura et à certains de ses fromages, comme par exemple : « Le Guide des fromages » (2000), « Cheeses of the world » (2001), « The world encyclopedia of cheese » (2002), « The Finest Selection - World Cheese Book » (2009), « Cheese Primer » (1996), Guide Michelin « Franche-Comté, Monts du Jura, Bugey » (2015), etc.

iv) Des pages de sites internet de fromagers canadiens portant sur certains fromages pour lesquels la description mentionne « Jura » [pièce VKL-17] :

· La Fromagerie Hamel (site mis à jour le 25 août 2017):

Le Comté, c’est le fruit d’une tradition fromagère de plusieurs siècles dans le Massif du Jura.

[…]

Le nom du fromage est celui du petit village du Haut-Jura où est né la fabrication du Morbier en 1875.

· Les épiceries IGA et Sobeys (impressions datées d’octobre 2017) annonçant ou décrivant les fromages suivants:

  • - Fromage « Le Crémeux du Jura »

  • - Fromage Comté : « […] le Comté est fabriqué dans les montagnes du Jura […] »

· Cheese Boutique (impression datée d’octobre 2017) :

- Bleu de Gex ([…] Aged in the Jura Mountains […])

v) Des photographies de fromages et de leurs emballages prises lors de visites effectuées en octobre 2017 dans des fromageries de Montréal offrant en vente des fromages qui portent des mentions telles que « Crémeux du Jura », « Jura Montagne » et « Affiné dans le Jura/Ripened in the Jura » [pièces JD-3 à JD-6]

vi) Des extraits de pages publiées en ligne présentant des fromages du Jura [pièce VKL-20] :

· « Des kiwis et des hommes », description de l’émission du 17 juin 2010 présentée à la télévision de Radio-Canada.

· « Ain – Gastronomie », publié en 2017 par l’Association Québec-France Haute Yamaska.

[20] À cet égard, je reconnais que quelques-unes de ces publications ou annonces sont postérieures à la date de production de la présente demande d’enregistrement. Cela dit, je ne suis pas prête à les ignorer complètement pour autant en ce que je suis prête à convenir avec l’Opposante que ces éléments de preuve s’accordent avec les autres éléments de preuve au dossier faisant état de la région du Jura et plus spécifiquement de ses fromages.

La position de l’Opposante

[21] Dans ses observations écrites portant sur l’article 12(1)(b) de la Loi, reprises lors de l’audience, l’Opposante fait valoir essentiellement trois choses.

[22] Tout d’abord, l’Opposante fait valoir que la Marque est clairement descriptive des personnes qui produisent les Produits pour les raisons suivantes :

35. La Marque est constituée de deux éléments distincts :

  • a) L’élément « JURA », qui fait référence, en langue anglaise comme en langue française, à la région montagneuse du Jura, située à la frontière franco-suisse et reconnue au Canada pour ses fromages; et

  • Aff. Luong, Pièce VKL-11

  • b) L’élément « MAN », qui signifie « homme » ou encore « individu » en langue anglaise, et qui est aussi bien connu en langue française pour avoir cette même signification.

Man : A human being, a person.

  • Définition anglaise du mot « man », dictionnaire The New Shorter Oxford English Dictionary.

Medecine-man : Sorcier qui pratique les rites de passage dans les sociétés non industrielles.

One-man-show : Spectacle de variétés où l’artiste est seul sur scène.

Self-made-man : Personne qui est l’artisan de sa propre réussite.

Stunt-man : Synonyme de cascadeur.

  • Définitions tirées du dictionnaire Larousse en ligne (larousse.fr)

36. En langue anglaise, l’ajout du suffixe « -MAN » au nom d’une région géographique sert à décrire une personne provenant ou habitant dans cette région. À titre d’exemple, chinaman (China-man) désigne un homme provenant de la Chine, irishman (Irish-man) désigne un individu provenant d’Irlande, et frenchman (French-man) désigne un individu provenant de la France.

As 2nd element of combination, a person, especially a male, having a specified nationality, place of origin, abode, or education, profession, occupation, or interest; a person, especially a male, using or skilled in the use of a specified implement; a person, especially a male, associated with something specified or described as something specified.

  • Définition anglaise du mot « man », dictionnaire The New Shorter Oxford English Dictionary.

Chinaman : a Chinese man

Frenchman : a man of French birth or nationality

Irishman : a man of Irish birth or descent.

  • Définitions anglaises des mots “Chinaman”, “Frenchman” et “Irishman », dictionnaire The New Shorter Oxford English Dictionary.

37. La Marque, composée des termes “JURA” et “MAN”, désigne donc, dans son ensemble, des hommes ou des individus provenant de la région du Jura.

38. Or le libellé de la demande n’est pas limité quant à l’identité des personnes qui produisent les fromages visés par la demande et couvre donc du fromage qui est fabriqué par des homme du Jura.

39. C’est d’ailleurs dans la région du Jura que se situe le domicile de la Requérante, soit dans la commune de Montmorot, en France, et qu’il appert de la Demande.

40. La Marque est donc clairement descriptive des personnes qui produisent les Produits visés par la Demande.

[23] Ensuite, l’Opposante fait valoir que la Marque est faussement descriptive et trompeuse des personnes qui produisent les Produits pour les raisons suivantes :

45. Tel que mentionné, la Marque, composée des termes “JURA” et “MAN”, désigne dans son ensemble, des hommes ou des individus provenant de la région du Jura.

46. La demande n’est pas limitée à des produits fabriqués par des personnes de la région du Jura.

47. Puisque la Demande vise donc aussi des fromages fabriqués par des personnes qui ne proviennent pas de la région du Jura, la marque est faussement descriptive.

48. Or, […] la région du Jura et le savoir-faire de ses habitants sont réputés au Canada pour leur [sic] fromage [sic], fabriqués depuis des centaines d’années selon une méthode distinctive et avec des ingrédients précis et une recette particulière.

49. Les consommateurs canadiens qui perçoivent la Marque JURAMAN employée en liaison avec du fromage s’attendent donc à ce que le fromage en question soit produit par des individus qui proviennent du Jura, qui détiennent un savoir-faire particulier et reconnu.

50. La Marque est donc faussement descriptive et trompeuse des personnes qui produisent les Produits visés par la présente Demande.

[24] Enfin, l’Opposante fait valoir que la Marque est faussement descriptive et trompeuse de l’origine géographique des Produits pour les raisons suivantes :

52. La composante JURA est l’élément dominant de la Marque : il s’agit du premier élément de la marque, il compose deux tiers des syllabes et constitue donc l’élément le plus frappant. […]

53. Les consommateurs canadiens savent, qu’en langue anglaise et en langue française, le mot JURA fait référence à la région montagneuse du Jura, connue pour ses fromages. […]

54. L’état déclaratif des Produits visés par la Demande n’est pas limité à des fromages qui proviennent spécifiquement de la région du Jura et la Demande vise donc des fromages que ne proviennent pas de cette région.

55. La Marque est donc faussement descriptive de l’origine géographique des Produits visés par la Demande.

56. Par ailleurs, tel qu’établi ci-dessus, les consommateurs canadiens savent bien que la région du Jura est connue pour ses fromages et les consommateurs qui perçoivent la composante JURA employée en liaison avec du fromage s’attendent donc à un fromage qui provient de la région du Jura.

57. La Marque est donc faussement descriptive et trompeuse de l’origine géographique des Produits visés par la Demande.

La marque est-elle clairement descriptive ou faussement et trompeusement descriptive des personnes qui produisent les Produits?

[25] Comme relevé par l’Opposante lors de l’audience, il y a très peu de jurisprudence sur le sens qu’il faut donner à l’article 12(1)(b) en ce qui a trait aux personnes qui produisent les produits. La plupart des décisions ont trait à l’emploi du mot « engineer » (comme par exemple la décision Canadian Council of Professional Engineers c John Brooks Co Ltd, 2004 CF 586, dans laquelle la marque BROOKS BROOKS SPRAY ENGINEERING a été jugée non enregistrable parce que représentant à tort que les services en question dans cette affaire étaient rendus par des ingénieurs). Le registraire s’est exprimé en ces termes dans l’affaire Wal-Mart Stores, Inc c Tough Stuff Distributors, Inc (1999), 1 CPR (4th) 271 (COMC) :

[traduction] À mon avis, l’art. 12(1)b) n’a pas pour objet d’empêcher l’enregistrement de marques de commerce susceptibles de décrire les sentiments ou l’état d’esprit des personnes qui produisent les marchandises en liaison avec lesquelles la marque de commerce sera employée. J’estime plutôt que cette partie de l’art. 12(1)b) vise à empêcher l’enregistrement de marques de commerce qui donnent une description claire de la nature des personnes qui produisent les marchandises visées par la demande, p. ex. le mot POTTER [potier] ne serait pas enregistrable en liaison avec les marchandises « poteries », pas plus que le mot BAKER [boulanger] ne serait enregistrable avec les marchandises « pains ».

[26] En l’occurrence, j’estime que le fait que la Marque ne consiste pas comme telle en un mot du dictionnaire mais plutôt en un mot inventé, n’est pas déterminant en soi puisque cela n’implique pas nécessairement que ce mot n’a aucun sens et ne donne aucune description.

[27] De même, le fait que la Requérante est domiciliée dans la commune de Montmorot en France et que la preuve démontre que celle-ci soit située dans la région du Jura [voir notamment la carte géographique du Jura reproduite dans Le Petit Larousse, pièce VKL-11 jointe à l’affidavit Luong] n’est pas pertinent. J’ajouterai sur ce point que la preuve au dossier ne me permet pas de déterminer le lieu d’origine des Produits visés par la présente demande et que l’on ne saurait tirer d’inférence à cet égard du simple fait que ceux-ci excluent précisément « les fromages à pâte persillée », soit le type de fromage visé par l’AOC « Bleu de Gex Haut-Jura » [voir le cahier des charges de cette AOC, pièce VKL-10].

[28] Il faut plutôt se demander comment sera perçue la Marque par le consommateur moyen lorsqu’employée en liaison avec les Produits. De là l’importance de déterminer, à mon avis, le sens à donner à la première partie de la Marque constituée de l’élément « JURA », lequel, je conviens avec l’Opposante, constitue l’élément dominant de la Marque.

[29] Dans la décision Shell Canada Limited c P.T. Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279 concernant la marque de commerce JAVACAFE, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes sur la question de savoir si un Canadien francophone moyen saurait qu’il existe une île appelée Java ou que cette île produit du café :

[traduction]

[29] Dans ce contexte, on ne peut pas dire que les nouveaux éléments de preuve concernant le mot « java » en langue française n’apportent aucune information nouvelle ou sont autrement dépourvus de pertinence. Il semble évident que si la registraire avait été informée du fait que le mot « java » désigne aussi en français une île connue pour sa production de café, elle se serait demandée (comme elle l’a fait pour l’acception dont elle était informée) si la marque JAVACAFE, compte tenu de cette acception, évoque immédiatement, chez un Canadien francophone, un endroit où l’on produit du café. Manifestement, elle aurait répondu affirmativement à cette question parce que, eu égard à cette seconde acception, la combinaison des mots JAVA et CAFE ne se prête à aucune autre conclusion.

 

[30] Je ne crois pas que des éléments de preuve additionnels (sous forme de sondage ou d’autres éléments semblables) soient nécessaires pour parvenir à cette conclusion. Si le mot « java », employé seul, peut revêtir plus d’une signification en langue française, de sorte qu’un sondage pourrait s’imposer pour découvrir la signification qui vient immédiatement à l’esprit du Canadien francophone moyen, la question ne se pose pas lorsque le mot JAVA est employé avec le mot CAFÉ comme c’est le cas dans la marque projetée JAVACAFE.

[30] Les nouveaux éléments de preuve concernant le mot « java » discutés par la Cour d’appel fédérale consistaient en des articles de dictionnaires et d’encyclopédies indiquant tous que le mot « java », en plus de désigner une danse dans la langue française, est aussi généralement connu comme une île d’Indonésie renommée pour sa production de café, et en des extraits d’un livre de langue française traitant de l’histoire du commerce du café faisant aussi la même association.

[31] Comparant les nouveaux éléments de preuve dans l’affaire JAVACAFE à ceux du présent dossier, j’estime que l’Opposante s’est déchargée de son fardeau de preuve initial qui consiste à présenter une preuve suffisante à l’appui de son allégation portant que le mot JURA, dans le contexte des Produits visés par la présente demande, fait référence à la région montagneuse du Jura, connue pour ses fromages.

[32] Je suis également prête à accepter que l’élément « MAN », qui signifie « homme » ou encore « individu » en langue anglaise, est aussi bien connu en langue française pour avoir cette même signification lorsqu’employé comme suffixe. Outre les définitions tirées du dictionnaire Larousse en ligne (larousse.fr) données en exemple par l’Opposante, que l’on pense ici à nombre d’autres exemples tels les mots « gentleman », « barman », « cameraman », « ombudsman », « jazzman », « tennisman », « superman », etc. également définis dans les dictionnaires de langue française comme Le Petit Larousse 2010 [voir Tradall S.A. c Devil’s Martini Inc, 2011 COMC 65, qui prévoit que le registraire peut prendre connaissance d’office des définitions du dictionnaire].

[33] J’ajouterai sur ce dernier point que je ne comprends pas pourquoi le motif d’opposition, tel que libellé, ne fait référence qu’au caractère clairement descriptif, ou faussement et trompeusement descriptif, de la Marque en langue française, plutôt qu’en langue française et/ou anglaise. Quoiqu’il en soit, cela ne justifie pas à mon avis de considérer seulement le consommateur moyen unilingue francophone et d’écarter le consommateur moyen bilingue de la présente analyse. En ce sens, j’estime approprié de reproduire ici les commentaires du registraire dans la décision Canadian Dental Hygienists’ Association/L’Association canadienne des hygiénistes dentaires c Canadian Dental Association/ L’Association Dentaire Canadienne, 2011 COMC 8 :

[traduction]

49. À mon avis, le législateur n’avait pas pour intention de permettre l’enregistrement d’une marque donnant une description claire ou une description fausse et trompeuse dans une des langues officielles du Canada si sa traduction dans une des langues officielles du Canada fait également partie de la marque. De plus, j’estime que le législateur n’avait pas l’intention que seul le consommateur anglophone moyen ou seul le consommateur francophone moyen soit considéré pour l’examen de la question soulevée en vertu de l’alinéa 12(1)b), surtout lorsqu’il est présumé que le consommateur moyen est un bilingue fonctionnel selon les autres articles de la Loi. Enfin, j’estime que l’intention du législateur n’était pas de permettre l’enregistrement de marques qui, bien que ne donnant peut-être pas de description claire ou de description fausse ou trompeuse dans l’ensemble pour un consommateur unilingue anglophone ou francophone, donne une description claire ou une description fausse et trompeuse dans l’ensemble pour un consommateur moyen bilingue.

[34] Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, je conclus que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial de démontrer que la Marque, étant composée des termes « JURA » et « MAN », désigne dans son ensemble, des hommes ou des individus provenant de la région du Jura.

[35] Par conséquent, je dois déterminer si la Requérante s’est acquittée de son fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne donne pas une description claire, ou fausse et trompeuse, des personnes qui produisent les Produits.

[36] En l’absence de toute preuve ou soumission quelconque de la part de la Requérante, j’estime que la Requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve ultime.

[37] Plus particulièrement, puisque le libellé de la demande n’est pas limité quant à l’identité des personnes qui produisent les fromages visés par la demande et couvre donc du fromage qui est fabriqué par des homme du Jura, je conviens avec l’Opposante que la Requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve ultime de démontrer que la Marque n’est pas clairement descriptive des personnes qui produisent les Produits visés par la Demande.

[38] De même, puisque la demande n’est pas limitée à des produits fabriqués par des personnes de la région du Jura et puisque la demande vise donc aussi des fromages fabriqués par des personnes qui ne proviennent pas de la région du Jura, je conviens avec l’Opposante que la Requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve ultime de démontrer que la Marque n’est pas faussement et trompeusement descriptive des personnes qui produisent les Produits.

[39] Par conséquent, j’accueille le motif d’opposition basé sur le caractère à la fois clairement descriptif et faussement et trompeusement descriptif de la Marque au sens de l’article 12(1)(b) de la Loi en ce qui a trait aux personnes qui produisent les Produits.

Autres motifs d’opposition

[40] Comme j’ai déjà rejeté la demande pour deux volets du motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(b) de la Loi, je n’examinerai pas les autres motifs d’opposition.

Décision

[41] En vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la demande selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

 

Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada


 

 

COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2020-11-23

COMPARUTIONS

Ekaterina Tsimberis et Olivier Jean-Lévesque

POUR L’OPPOSANTE

Aucune comparution

POUR LA REQUÉRANTE

AGENTS AU DOSSIER

Smart & Biggar, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

POUR L’OPPOSANTE

ROBIC

POUR LA REQUÉRANTE

 

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