Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2021 COMC 67

Date de décision : 2021-04-09

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

ARTERRA WINES CANADA INC.

Opposante

 

et

 

Sundial Growers Inc.

Requérante

 

 

1,789,580 pour STELLER J’S

1,789,581 pour STELLER J’S & Design

Demandes

 

[1] Arterra Wines Canada Inc. (l’Opposante) s’oppose à la demande no 1,789,580 pour enregistrer la marque de commerce STELLER J’S (la Marque nominale) et à la demande no 1,789,581 pour enregistrer la marque de commerce STELLER J’S & Design reproduite ci-dessous (la Marque figurative) :

[2] Les oppositions sont fondées principalement sur l’allégation de l’Opposante selon laquelle la Marque nominale et la Marque figurative (collectivement, les Marques), qui visent à être employées en liaison avec divers produits et services dans le secteur du cannabis, créent de la confusion avec la marque de commerce STELLER’S JAY de l’Opposante (la Marque de commerce de l’Opposante), enregistrée et employée au Canada en liaison avec les produits « Boissons alcoolisées, nommément vins ».

[3] Pour les raisons qui suivent, les demandes d’enregistrement de la Marque nominale et de la Marque figurative (collectivement, les Demandes) sont toutes deux rejetées.

Le dossier

[4] Les Demandes ont été toutes deux déposées le 30 juin 2016 par Sun 8 Holdings Inc. (Sun 8), lesquelles sont fondées sur l’emploi projeté des Marques au Canada en liaison avec les produits et services suivants :

Produits :

  • (1) Marijuana, nommément marijuana séchée.

  • (2) Cannabis thérapeutique pour le soulagement des douleurs névralgiques et de la douleur chronique générale, le traitement des spasmes musculaires et de la raideur causés par la sclérose en plaques, le soulagement de la nausée causée par la chimiothérapie, le soulagement temporaire des crises d’épilepsie et le traitement de la maladie de Crohn; cannabis thérapeutique pour le soulagement de la douleur et de l’inconfort associés à des affections physiques, psychologiques et cognitives, ainsi que pour améliorer l’humeur et la sensation de bien-être.

  • (3) Semences et clones de cannabis, nommément boutures de plant de cannabis, semis et plants de cannabis.

  • (4) Dérivés du cannabis, nommément beurres, huiles, haschich, cires, teintures, toniques, thés, baumes, pommades, lotions, produits en vaporisateur et onguents contenant des cannabinoïdes provenant de plants de cannabis.

Services :

  • (1) Vente au détail et en ligne de marijuana, de cannabis thérapeutique, de clones de cannabis, nommément de boutures, de semis et de plants de cannabis ainsi que de dérivés du cannabis, nommément de beurres, d’huiles, de haschich, de cires, de teintures, de toniques, de thés, de baumes, de lotions, de vaporisateurs et d’onguents contenant des cannabinoïdes provenant du cannabis.

  • (2) Culture, production, transformation et distribution de marijuana, de cannabis thérapeutique et de clones de cannabis, nommément de boutures, de semis et de plants de cannabis.

[5] Les Demandes ont été annoncées aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 17 mai 2017, et ont fait l’objet d’une opposition le 11 juillet 2017, quand l’Opposante a produit une déclaration d’opposition contre chaque demande en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). Les motifs d’opposition particuliers sont fondés sur les articles suivants de la Loi : 30e) et 30i) (conformité), 12(1)d) (enregistrabilité), 16(3)a) (droit à l’enregistrement) et 2 (caractère distinctif).

[6] De nombreuses modifications à la Loi sont entrées en vigueur le 17 juin 2019. Conformément aux dispositions transitoires à l’article 70 de la Loi pour les demandes annoncées avant le 17 juin 2019, les motifs d’opposition en l’espèce seront évalués sur le fondement de la Loi dans sa version précédant immédiatement la modification, à l’exception que la définition de la confusion à l’article 6(2) de la Loi dans sa version actuelle sera appliquée.

[7] Sun 8 a produit une contre-déclaration pour chacune des Demandes le 29 juin 2017, niant chaque motif d’opposition.

[8] L’Opposant a produit comme preuve deux affidavits.

  • Le premier est un affidavit de son vice-président principal du marketing, Steven Bolliger, daté du 18 avril 2018. M. Bolliger a travaillé au sein d’entreprises axées sur le marketing pendant 15 ans avant de se joindre à l’Opposante, et il dirige depuis 1998 l’équipe de marketing de l’Opposante pour son portefeuille de vins canadiens et importés. Il a également siégé au conseil d’administration de l’Association des vignerons du Canada en 2012, et, depuis 2015, il copréside le comité de marketing de la Wine Marketing Association of Ontario, qui fait la promotion des vins ontariens de la Vintners Quality Alliance (VQA). Dans son affidavit, il décrit l’Opposante et son industrie, et explique comment la Marque de commerce de l’Opposante a été employée et a fait l’objet de promotion au Canada. Je suis disposée à accepter que, en raison de sa position et de son expérience, M. Bolliger connaisse bien l’industrie vinicole au Canada, et je suis disposée à accorder un certain poids à sa preuve à cet égard. Je note que M. Bolliger formule également des commentaires sur la probabilité de confusion entre les Marques et la Marque de commerce de l’Opposante; toutefois, puisque M. Bolliger n’a pas été qualifié d’expert en comportement humain et n’est pas indépendant des parties, je ne peux accorder aucun poids à ses opinions sur la perception des consommateurs et la probabilité de confusion.
  • Le deuxième affidavit est celui d’un consultant en commerce du cannabis, William Stewart, daté du 29 mars 2018. M. Stuart est le directeur général de Navigator Ltd (Navigator), une entreprise canadienne de communications et d’affaires publiques. Sa pratique consiste à conseiller les producteurs autorisés et d’autres entités du secteur du cannabis légal sur des questions de réglementation, de politique, d’affaires, de communication et de relations avec les médias. De plus, M. Stuart siège au conseil d’administration d’une société de cannabis cotée en bourse et au conseil consultatif d’un organisme d’éducation sur le cannabis; publie un bulletin axé sur le cannabis; et discute régulièrement avec des associations de l’industrie et les médias sur le secteur du cannabis légal au Canada. Après avoir examiné le curriculum vitae de M. Stuart (joint à son affidavit à titre de Pièce A) et les autres titres de compétence qu’il fournit dans le corps de son affidavit, je suis convaincue que M. Stuart s’est qualifié d’expert sur l’industrie du cannabis au Canada, mais pas sur le comportement humain. Ses opinions ne sont donc recevables que dans la mesure où elles concernent la réglementation et la commercialisation dans le secteur du cannabis.

[9] Ni M. Bolliger ni M. Stewart n’ont été contre-interrogés.

[10] Le 1er mai 2019, Sun 8 a cédé les Demandes à Sundial Growers Inc. (collectivement appelée la Requérante). La cession a été enregistrée le 25 juin 2019 et n’est pas en cause en l’espèce.

[11] Aucune preuve n’a été produite au nom de la Requérante.

[12] Seule l’Opposante a produit un plaidoyer écrit et était représentée à l’audience.

Fardeau de preuve et fardeau ultime

[13] Dans une procédure d’opposition, il incombe au requérant de démontrer que sa demande est conforme aux dispositions de la Loi. Toutefois, pour chaque motif d’opposition, l’opposant doit s’acquitter d’un fardeau de preuve initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de l’existence de chacun de ses motifs d’opposition. Si l’opposant s’est acquitté de ce fardeau initial rempli, le requérant doit alors convaincre le registraire, selon la prépondérance des probabilités, que le motif d’opposition ne devrait pas empêcher l’enregistrement de la marque de commerce en cause [Joseph E Seagram & Sons Ltd c Seagram Real Estate Ltd (1984), 3 CPR (3d) 325 (COMC); John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst)].

Motifs d’opposition fondés sur la non-conformité rejetés sommairement

[14] Les motifs d’opposition invoqués en vertu de l’article 30 de la Loi contre les deux Demandes sont rejetés sommairement pour les raisons qui suivent.

Conformité à l’article 30e) de la Loi

[15] L’Opposante fait valoir que les Demandes ne sont pas conformes aux exigences de l’article 30e) de la Loi, en ce sens que la Requérante n’a pas l’intention d’employer les Marques au Canada, par elle-même ou par l’entremise d’un licencié, ou elle-même et par l’entremise d’un licencié. La date pertinente pour l’évaluation de ce motif d’opposition est la date de production des Demandes [voir Canadian National Railway Co c Schwauss (1991), 35 CPR (3d) 90 (COMC)]. Toutefois, il n’y a aucune preuve au dossier à l’appui d’une allégation selon laquelle, lorsque les Demandes ont été produites, Sun 8 n’avait pas une intention de bonne foi d’employer les Marques au Canada. Par conséquent, je rejette ce motif d’opposition, car l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

Conformité à l’article 30i) de la Loi

[16] L’Opposante fait également valoir que les Demandes ne sont pas conformes aux exigences de l’article 30i) de la Loi parce que la Requérante n’aurait pas pu être convaincue de son droit d’employer les Marques au Canada en liaison avec les Produits et Services, puisque, à la date de production des Demandes, elle était au courant de l’existence de la Marque de commerce de l’Opposante, enregistrée et employée en liaison avec des boissons alcoolisées, nommément des vins.

[17] Toutefois, l’article 30i) de la Loi exige seulement que le requérant se déclare convaincu qu’il a droit d’employer sa marque de commerce au Canada en liaison avec les produits et services décrits dans la demande. La connaissance d’une marque de commerce qui créerait de la confusion n’empêche pas un requérant de faire la déclaration requise par l’article 30i), puisque le requérant peut quand même être convaincu qu’il a droit d’employer au Canada la marque de commerce qu’il souhaite enregistrer en liaison avec les produits et services décrits dans sa demande. Par conséquent, lorsque, comme en l’espèce, la déclaration requise est incluse dans la demande, un opposant peut seulement invoquer l’article 30i) dans des cas particuliers, comme lorsqu’il allègue que le requérant a fait preuve de mauvaise foi ou de fraude ou lorsqu’il pourrait soutenir que la loi fédérale empêche l’enregistrement de la marque [voir Sapodilla Co Ltd c Bristol-Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC); et Interprovincial Lottery Corp c Western Gaming Systems Inc (2002), 25 CPR (4th) 572 (COMC)]. En l’espèce, il n’y a aucune allégation de cette nature dans les déclarations d’opposition et rien dans la preuve au dossier à cet effet.

[18] Par conséquent, ce motif d’opposition est également rejeté, car l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

Motif d’opposition fondé sur le droit à l’enregistrement en vertu de l’article 16(3)a) de la Loi

[19] L’Opposante fait valoir que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement des Marques en vertu de l’article 16(3)a) de la Loi parce que, à la date de production des Demandes, les Marques créaient de la confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante, qui avait déjà été employée ou révélée au Canada par l’Opposante ou ses prédécesseurs en titre, à savoir 9941772 Canada Inc., Constellation Brands Canada, Inc., Vincor International Ltd. et Sumac Ridge Estate Winery Ltd., en liaison avec des boissons alcoolisées depuis au moins aussi tôt que septembre 1988.

[20] Pour s’acquitter de son fardeau initial en vertu de ce motif, l’Opposante doit prouver qu’il y a eu emploi de sa marque de commerce avant la date de production des Demandes, à savoir le 30 juin 2016, conformément à l’article 16(3)a) de la Loi, et aussi que sa marque de commerce n’avait pas été abandonnée à la date de l’annonce des Demandes, sa savoir le 17 mai 2017, conformément à l’article 16(5) de la Loi.

Le fardeau de preuve de l’Opposante

[21] Pour s’acquitter de son fardeau de preuve, l’Opposante s’appuie sur l’affidavit de M. Bolliger.

[22] M. Bolliger explique que l’Opposante est une productrice et distributrice de vins canadiens et importés mondialement reconnus, dont le siège social est à Mississauga, en Ontario (au para 8). La société était auparavant connue sous d’autres noms : Sumac Ridge Estate Winery Ltd., puis Vincor International Ltd., puis Constellation Brands Canada, Inc., puis 9941772 Canada Inc. (au para 1). M. Bolliger atteste que les vins de marque STELLER’S JAY de l’Opposante sont disponibles au Canada depuis septembre 1988 et qu’ils sont vendus à des régies des alcools dans des bouteilles de trois formats, chacune arborant cette marque de commerce (aux para 18 et 19). Sa preuve à cet égard comprend ce qui suit :

  • Des exemples d’illustrations d’étiquettes utilisées de 2015 à 2017, représentatives des étiquettes de bouteilles vendues au Canada depuis l’introduction de la marque (Pièce B). La Marque de commerce de l’Opposante figure sur les étiquettes avant et arrière, dans une police cursive, avec la première lettre des mots en majuscule et un soulignement.Les étiquettes avant présentent le contour stylisé d’un geai au-dessus de la marque de commerce. Les étiquettes précisent également le type de vin que chaque bouteille contient, et je note que les types comprennent le Steller’s Jay Mountain Jay Brut et le Steller’s Jay Songbird Brut, qui, selon leur étiquette arrière, ont été nommés en l’honneur de l’oiseau officiel de la Colombie-Britannique.
  • Des photographies de bouteilles et d’emballages représentatifs de ceux utilisés depuis l’introduction de la marque, y compris des photographies de bouteilles de 1988 et de 2016 (Pièce C). L’étiquetage de la bouteille est conforme aux illustrations dans la Pièce B, et la boîte d’emballage arbore la Marque de commerce de l’Opposante dans le même style, sous l’image d’un geai. L’exception est la bouteille de 1988, dont l’étiquette arbore la marque de commerce « Stellar’s Jay » (où « Stellar » est épelé avec un « a ») dans une police simple avec un dessin réaliste d’un geai en arrière-plan. Toutefois, en appliquant les principes énoncés dans Promafil Canada Ltée c Munsingwear, Inc (1992), 44 CPR (3d) 59 (CAF), je considère que l’orthographe différente de « Stellar » est une variation mineure, de sorte que l’utilisation de la version de 1988 constitue un emploi de la Marque de commerce de l’Opposante.
  • Des imprimés de listes de produits en ligne incluant le vin STELLER’S JAY de magasins d’alcool de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et du Manitoba, où cette marque de vin est disponible depuis 1988 (au para 23, Pièce D). Les vins STELLER’S JAY sont également disponibles depuis 1988 sur commande spéciale par l’entremise de la Saskatchewan Liquor and Gaming Authority et périodiquement dans les magasins d’alcool de l’Ontario et d’autres provinces (aux paras 24 et 25).
  • Des copies représentatives de factures qui, M. Bolliger le confirme, proviennent de l’Opposante pour la vente de vin STELLER’S JAY en Colombie-Britannique et en Alberta de 2010 à 2018 (au para 26, Pièce E).
  • Les chiffres de ventes annuelles entre l’exercice se terminant le 28 février 2012 et janvier 2018, qui représentent plus de 1 million de dollars en ventes nettes chaque année (au para 20). Bien que M. Bolliger ne précise pas si les chiffres des ventes sont nationaux ou mondiaux, je suis disposée à accepter, après une lecture objective de l’ensemble de l’affidavit, qu’au moins une partie des ventes ont été effectuées au Canada.

[23] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial de prouver qu’il y a eu emploi de la Marque de commerce de l’Opposante avant la date de production des Demandes et que la Marque de commerce de l’Opposante n’avait pas été abandonnée à la date de l’annonce des Demandes. Par conséquent, il incombe maintenant à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les Marques ne sont pas susceptibles de créer de la confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante.

Critère en matière de confusion

[24] Le critère pertinent en matière de confusion est énoncé à l’article 6(2) de la Loi, qui prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice.

[25] Le critère à appliquer est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la marque du requérant alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque de commerce de l’opposant et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur [voir Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au para 20]. Lorsqu’il est probable que les produits ou les services du requérant proviennent de l’opposant ou soient approuvés, autorisés ou appuyés par l’opposant, il s’ensuit que les marques de commerce créent de la confusion [voir Glen-Warren Productions Ltd c Gertex Hosiery Ltd (1990), 29 CPR (3d) 7 (CF 1re inst)].

[26] En appliquant le critère, il faut tenir compte les circonstances de l’espèce, y compris celles qui sont énoncées à l’article 65(5) de la Loi : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Ces facteurs ne sont pas exhaustifs et le poids accordé à chacun variera selon le contexte [voir Veuve Clicquot, précité; Mattel USA, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22; Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27].

Degré de ressemblance entre les marques de commerce

[27] Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Masterpiece, précité, le degré de ressemblance entre les marques de commerce est généralement le facteur qui revêt le plus d’importance dans l’évaluation de la probabilité de confusion. Il est préférable de se demander d’abord si les marques de commerce présentent un aspect « particulièrement frappant ou unique » [Masterpiece, précité, au para 64]. À cet égard, la première partie d’une marque de commerce est généralement considérée comme celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif [voir Conde Nast Publications Inc c Union des éditions modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CF 1re inst)]. Toutefois, il faut éviter de placer les marques de commerce côte à côte dans le but de les examiner attentivement et d’en relever les similitudes ou les différences; chaque marque de commerce doit être considérée dans son ensemble et évaluées en fonction de leur effet sur le consommateur ordinaire sous l’angle de la première impression [voir Veuve Clicquot, précité; et Masterpiece, précité].

[28] En l’espèce, je considère que l’intégralité de chaque marque de commerce est ce qui est frappant ou unique dans celles-ci. De plus, il existe un degré de ressemblance assez élevé entre la Marque de commerce de l’Opposante et chacune des Marques à cet égard. Les Marques sont très proches de la Marque de commerce de l’Opposante dans la présentation et le son. Visuellement, il n’y a que deux petites différences dans l’élément nominal : l’emplacement du « S » et la différence entre « J » et « Jay » dans la dernière partie des marques de commerce. À mon avis, la police stylisée de la Marque figurative ne diminue pas le degré de ressemblance visuelle dans une mesure significative. Phonétiquement, la seule différence entre les marques de commerce de chaque partie est l’emplacement du son « S ».

[29] Il y a aussi un certain degré de ressemblance conceptuelle. Tout d’abord, j’accepte que la Marque de commerce de l’Opposante corresponde à un geai de Steller. À cet égard, bien qu’il n’ait pas été cité par l’Opposante, je note que le Concise Canadian Oxford Dictionary (Toronto, Oxford University Press, 2005) définit « Steller’s jay » [geai de Steller] comme suit [voir Tradall SA c Devil’s Martini Inc, 2011 COMC 65, concernant le pouvoir discrétionnaire du registraire de prendre un avis judiciaire des définitions de dictionnaire] :

[traduction]

Geai de Steller nom geai bleu avec une crête noire, Cyanocitta selleri, on le retrouve dans le centre et l’ouest de l’Amérique du Nord. [G. Steller, naturaliste allemand et explorateur décédé en 1746]

[30] De plus, je conclus que, en raison de sa composition, la Marque de commerce de l’Opposante suggérerait l’idée d’un geai qui appartient à Steller ou qui a été nommé en l’honneur d’une personne appelée Steller, même à des consommateurs qui ne connaissent pas cette espèce particulière.

[31] De même, je conclus que les Marques sont susceptibles d’évoquer l’idée d’un geai de Steller chez les consommateurs qui connaissent bien cette espèce d’oiseau. Je conclus que ce serait particulièrement le cas lorsque les Marques sont prononcées, mais que cette impression serait également créée lorsque les Marques sont présentées visuellement, compte tenu de l’orthographe particulière de « STELLER ». À cet égard, je note que le Concise Canadian Oxford Dictionary ne contient qu’une autre entrée pour « STELLER », à savoir une définition de « Steller’s sea lion » [otarie de Steller] (qui comprend un renvoi à la définition de « Steller’s Jay » [geai de Steller]). En outre, l’une ou l’autre des Marques peut aussi suggérer l’idée du nom de famille « Steller » ou de possession, même aux consommateurs qui ne pensent pas à un geai.

[32] Cela dit, il y a aussi une différence conceptuelle entre les marques de commerce de chaque partie, ce que l’Opposante semble reconnaître en soutenant que les Marques sont élogieuses, suggérant l’idée de cigarettes de cannabis exceptionnellement bonnes ou exceptionnelles – « STELLER » étant un jeu de mots entourant la signification élogieuse du mot « stellar » [stellaire] et « J’S » étant un terme familier en anglais pour « joints », c’est-à-dire des cigarettes de cannabis. Toutefois, l’Opposante soutient en outre que la Requérante a augmenté le degré de ressemblance en [traduction] « utilis[ant]volontairement une mauvaise orthographe de “stellar” et [en] utilis[ant] mal une apostrophe où aucune n’est nécessaire » [plaidoyer écrit, au para 67]. En ce qui concerne l’orthographe erronée, l’Opposante souligne qu’elle a employé un jeu de mots similaire dans sa campagne publicitaire de 2015 dans des abribus, qui présentait le slogan « HERE’S TO STELLER CELEBRATIONS » [À DES CÉLÉBRATIONS STELLER] sur une image d’un STELLER’S JAY de l’Opposante (voir la Pièce H).

[33] Je note que je ne dispose d’aucune preuve concernant la signification du terme « J’S » (qui ne semble pas être un mot ordinaire du dictionnaire); toutefois, je suis disposée à accepter que, dans le contexte des produits et services de cannabis, l’abréviation « J’ » dans l’expression « STELLER J’S » pourrait bien évoquer l’idée d’un « joint », peu importe si « J’ » est un terme familier accepté. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les Marques peuvent être perçues comme un jeu de mots qui suggère non seulement l’idée d’une espèce particulière d’oiseau (et les idées connexes d’un nom de famille et d’une possession), mais aussi l’idée de cigarettes de cannabis stellaires.

[34] Dans l’ensemble, je conclus qu’il existe un degré de ressemblance assez élevé entre la Marque de commerce de l’Opposante et chacune des Marques. Sous l’angle de la première impression, les différences qui peuvent exister dans les idées que suggèrent les marques de commerce de chaque partie ne suffisent pas à contrebalancer les effets de l’étroite similarité visuelle et phonétique entre la Marque de commerce de l’Opposante et chacune des Marques, particulièrement étant donné qu’un aspect du possible jeu de mots des Marques – mis en évidence par l’orthographe particulière du mot « STELLER » – ressemble étroitement aux idées que suggère la Marque de commerce de l’Opposante. Compte tenu de ce qui précède, ce facteur favorise l’Opposante.

Caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[35] L’Opposante soutient que, puisque les Marques sont une description élogieuse du produit lié, en indiquant aux consommateurs que le cannabis ou le dérivé qu’ils recevront est de qualité supérieure, les Marques ne sont pas intrinsèquement distinctives. À l’inverse, l’Opposante soutient que sa propre marque de commerce ne décrit aucune caractéristique ou qualité inhérente des boissons alcoolisées ou des vins et que, par conséquent, la Marque de commerce de l’Opposante est intrinsèquement distinctive.

[36] J’accepte que le terme « STELLER’S JAY » n’a pas de lien évident avec les vins et que la Marque de commerce de l’Opposante a donc un degré assez élevé de caractère distinctif inhérent. Toutefois, étant donné que les Marques peuvent être perçues comme un jeu de mots, comme je l’ai expliqué ci-dessus, et en l’absence de preuve de la réaction la plus probable des consommateurs à l’expression « STELLER J’S », je ne suis pas disposée à conclure que les Marques ont nécessairement un degré de caractère distinctif inhérent beaucoup plus faible. En ce qui concerne les polices stylisées utilisées par chaque partie, je ne conclus pas qu’elles ont une incidence importante sur le caractère distinctif de la Marque figurative ou la Marque de commerce de l’Opposante (comme le montre la preuve).

[37] Le caractère distinctif d’une marque de commerce peut être accru par l’emploi et la promotion au Canada [voir Sarah Coventry Inc c Abrahamian (1984), 1 CPR (3d) 238 (CF 1re inst); GSW Ltée c Great West Steel Industries Ltd (1975), 22 CPR (2d) 154 (CF 1re inst)]. Seule l’Opposante a produit une preuve à cet égard, soit l’affidavit de Steven Bolliger.

[38] En plus de sa preuve d’emploi de la Marque de commerce de l’Opposante, qui est discutée ci-dessus, M. Bolliger fournit la preuve suivante de la promotion de la marque de commerce :

  • dépenses annuelles des exercices 2014 à 2017 pour la publicité et la promotion des vins vendus sous la marque de commerce, qui se chiffrent à des dizaines de milliers de dollars chaque année, pour un total de plus de 100 000 $ pour chacun des exercices 2015 et 2016 (au para 28);
  • dossiers sur la distribution d’une campagne publicitaire sur des panneaux d’affichage et dans des abribus pendant les vacances d’hiver de 2012 et de 2013, à Vancouver, y compris des photos de ces annonces de 2012 et de 2013 (au para 30, Pièces F et G). Les images comprennent un exemple d’illustration utilisée dans le cadre de publicité imprimée complémentaire en 2013, mais aucun détail concernant la distribution de la publicité imprimée n’est fourni;
  • dossiers sur une campagne publicitaire similaire dans des abribus en 2015, à Vancouver, qui incluait l’expression « HERE’S TO STELLER CELEBRATIONS » [À DES CÉLÉBRATIONS STELLER], y compris des photos de ces annonces (au para 31, Pièce H);
  • échantillon représentatif d’illustrations utilisées dans du matériel promotionnel au point de vente placé à côté des vins STELLER’S JAY dans des magasins de détail [traduction] « à divers moments avant juillet 2017 » (au para 32, Pièce I). Les échantillons comprennent des illustrations de diverses formes d’affiches, de fiches de recette, de brochures et de rayons de marque, ainsi que des photographies de la présentation d’un rayon. Certaines des illustrations présentent le slogan « HERE’S TO STELLER CELEBRATIONS » [À DES CÉLÉBRATIONS STELLER]. Bien que M. Bolliger ne précise pas le moment des annonces, je note que quelques-unes d’entre elles font référence aux prix remportés en 2013 et en 2014;
  • échantillon représentatif de menus et d’illustrations pour les [traduction] « affichettes de table » à [traduction] « divers moments entre 2012 et 2016 » (au para 33, Pièce J). M. Bolliger précise que les vins STELLER’S JAY sont offerts dans plus de 150 restaurants et hôtels, y compris tous les établissements de The Keg et quatre établissements Fairmont en Colombie-Britannique. Je note que quelques-uns des articles promotionnels mentionnent que [traduction] « Steller’s Jay a été produit pour la première fois en 1989 et nommé en honneur à l’oiseau officiel de la Colombie-Britannique » et qu’un exemple d’illustration présente le slogan « HERE’S TO STELLER CELEBRATIONS » [À DES CÉLÉBRATIONS STELLER];
  • résumé représentatif des faits saillants de la presse traditionnelle et des médias sociaux de 2015 et de 2016 (au para 34, Pièce K). M. Bolliger note que l’Opposante a maintenu une présence distincte sur les médias sociaux en ce qui a trait à ces vins STELLER’S JAY, y compris au moyen de comptes Instagram, Twitter et Facebook actifs depuis 2013 (au para 34);
  • résumé des prix reçus dans le cadre de concours vinicoles nationaux et internationaux entre 1999 et 2016, et des exemples représentatifs de la promotion de ces victoires, y compris un communiqué de presse distribué en 2013 et des illustrations utilisées dans des annonces imprimées et en ligne qui sont [traduction] « antérieures à juillet 2017 », présentant les prix gagnés en 2011, en 2013 et en 2014 (aux para 35 et 36, Pièces G, I, J, L et M).

[39] Les annonces et les matériels promotionnels susmentionnés comportent généralement une image d’une bouteille de vin STELLER’S JAY ou de son étiquette, ou arborent la Marque de commerce de l’Opposante dans le style décrit ci-dessus, généralement avec le dessin d’un geai.

[40] Selon l’Opposante, compte tenu de la popularité et du volume des ventes de son vin STELLER’S JAY, ainsi que de la publicité et de la promotion considérables du produit en liaison avec la marque STELLER’S JAY, cette marque de commerce est devenue bien connue au Canada. Toutefois, même si M. Bolliger donne des exemples de publicité et de promotion au Canada, il n’est pas vraiment clair dans quelle mesure les diverses annonces et les matériels promotionnels ont été distribués, surtout avant la date pertinente. De plus, M. Bolliger ne précise pas si les chiffres de ventes annuelles qu’il fournit représentent les ventes mondiales ou seulement les ventes au Canada, et auquel cas, comment ces chiffres sont ventilés par province. Dans les circonstances, je suis seulement disposée à conclure que la Marque de commerce de l’Opposante était devenue quelque peu connue au Canada à la date pertinente, particulièrement dans la région de Vancouver. À l’inverse, rien n’indique que l’une ou l’autre des Marques était devenue connue au Canada.

[41] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’examen global du facteur de l’article 6(5)a), qui comporte une combinaison di caractère distinctif inhérent et acquis des marques de commerce des parties, favorise l’Opposante.

Durée d’emploi des marques de commerce

[42] Bien que la preuve comprenne l’image d’une bouteille de vin STELLAR’S JAY de 1988, il n’y a aucun détail concernant les ventes à cette époque. Néanmoins, la preuve démontre l’emploi et la promotion continus de la Marque de commerce de l’Opposante depuis au moins 2012, tandis que rien n’indique que la Requérante a déjà employé ou fait la promotion de l’une ou l’autre des Marques au Canada. Par conséquent, ce facteur favorise l’Opposante.

Genre des produits et services des parties, et nature de leurs commerces

[43] Les produits en l’espèce comprennent divers Produits du cannabis, y compris de la marijuana séchée, du cannabis thérapeutique et des plants de cannabis, ainsi que divers dérivés du cannabis comme des onguents, des produits en vaporisateur, des teintures, des toniques et des thés. Les Services comprennent la vente au détail et en ligne de ces produits et dérivés du cannabis, ainsi que la culture, la production, la transformation et la distribution de marijuana, de cannabis thérapeutique et de plants de cannabis.

[44] À l’inverse, l’Opposante a démontré l’emploi de sa marque de commerce en liaison avec des vins.

[45] Toutefois, dans son plaidoyer écrit, l’Opposante soutient que sa preuve non contestée et non contredite démontre (i) qu’il y a un chevauchement important entre le cannabis et les produits alcoolisés, et entre les consommateurs respectifs de ces produits, et (ii) que le cannabis et ses produits dérivés seront vendus et commercialisés au Canada d’une manière et à des endroits similaires ou identiques à ceux des vins et d’autres boissons alcoolisées.

[46] Plus précisément, l’Opposante soutient que les produits des deux parties sont des [traduction] « drogues » ayant des qualités psychotropes et, du moins dans un contexte récréatif, sont habituellement consommés à cette fin. L’Opposante soutient également que les Demandes visent des dérivés du cannabis qui sont des boissons ou qui peuvent être utilisés en cuisine, et que, par conséquent, ils sont comparables à du vin. L’Opposant fait remarquer que la Requérante n’a fourni aucune preuve que ses produits thérapeutiques proposés différeront des produits récréatifs en ce qui a trait à leur nature et à leurs effets psychotiques, ou à leurs voies de commercialisation. Bien que l’Opposante n’aborde pas les semences et clones de cannabis, je note qu’il n’y a pas non plus de preuve que ce type de produit a une clientèle ou des voies de commercialisation différentes.

[47] L’Opposante soutient en outre que les services de vente au détail et en ligne de la Requérante ne se distinguent pas particulièrement des produits eux-mêmes, de sorte que la même analyse s’applique. L’Opposante soutient que l’analyse n’est pas différente en ce qui a trait aux services de culture, de production, de transformation, d’emballage et de distribution, puisqu’il n’y a aucune preuve que les régies des alcools par lesquels le cannabis sera vendu achèteront autre chose que des produits finis de producteurs autorisés ou que le cannabis thérapeutique pourra être vendu autrement que sous forme de produit fini.

[48] La preuve de l’Opposante concernant ce qui précède comprend l’affidavit de M. Stewart, ainsi que des parties de l’affidavit de M. Bolliger. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, je suis convaincue que M. Stewart est qualifié d’expert sur le secteur canadien du commerce du cannabis. De plus, j’admets que M. Bolliger connaît bien l’industrie vinicole au Canada et qu’un certain poids pourrait être accordé à sa preuve factuelle à cet égard.

[49] Dans son affidavit, M. Bolliger explique que, dans toutes les provinces et tous les territoires, sauf en Alberta, les boissons alcoolisées sont vendues dans des magasins de détail appartenant aux régies des alcools provinciales ou territoriales et exploités par celles-ci (aux para 10 et 11). Certaines régies des alcools, comme celles de l’Ontario, du Manitoba et de la Colombie-Britannique, offrent des ventes par l’entremise de leurs sites Web (au para 12). La plupart des provinces autorisent la vente de certaines boissons alcoolisées dans des magasins de détail privés exploités en vertu d’une licence de la régie des alcools ou d’une convention de mandat avec celle-ci, et de nombreuses provinces permettent aux établissements vinicoles, brasseries ou distilleries de vendre leurs produits dans des magasins [traduction] « sur place » (aux para 11 et 13). De plus, les boissons alcoolisées sont vendues dans des hôtels, des bars et des restaurants autorisés par les régies des alcools (au para 14).

[50] M. Bolliger atteste que la concurrence sur le marché des boissons alcoolisées est [traduction] « féroce » et que les concurrents introduisent constamment de nouvelles marques et de nouvelles idées promotionnelles dans le but d’attirer de nouveaux clients, d’accroître leur espace dans les rayons de magasins de détail et d’obtenir une plus grande part de marché dans les hôtels, les bars et les restaurants (au para 15). Les producteurs et les spécialistes en commercialisation [traduction] « veillent à cibler les synergies et à diversifier leurs activités dans de nouveaux secteurs du marché », ce qui comprend l’expansion des activités des producteurs de vins vers d’autres boissons et produits; par exemple, l’Opposante produit également des cidres, des spritzers et des panachés (au para 16). Bien que les remarques de M. Bolliger concernant l’intérêt de cibler les synergies aient été faites après la date pertinente, je considère qu’elles reflètent probablement la situation générale qui existait à l’époque antérieure [voir Speedo Knitting Mills Pty Ltd c Beaver Knitwear (1975) Ltd (1985), 4 CPR (3d) 176 (COMC), concernant le fait de tirer des conclusions quant à la situation à la date pertinente découlant de questions soulevées ultérieurement].

[51] M. Bolliger atteste en outre que certains producteurs [traduction] « entrent dans l’espace du cannabis » par des investissements, le développement de produits ou des partenariats stratégiques (au para 16). Il donne des exemples de publicité concernant des concurrents de l’Opposante qui s’associent avec des entreprises de marijuana pour commercialiser des boissons à base de marijuana ou prendre des mesures pour créer de tels produits de leur propre chef; toutefois, chacun de ces exemples est postérieur à la date pertinente, et je ne suis pas disposée à conclure que ces types particuliers partenariats ou de diversification se sont nécessairement produits plus tôt.

[52] En ce qui concerne le commerce du cannabis, M. Stewart donne un aperçu général de la façon dont les produits du cannabis légaux devaient être vendus, distribués, commercialisés et utilisés une fois la marijuana récréative légalisée au Canada, en se fondant sur les renseignements disponibles au moment où son affidavit a été souscrit. À l’époque, le Canada n’avait qu’un régime de cannabis thérapeutique, en vertu duquel les personnes ayant une ordonnance pouvaient commander du cannabis auprès d’un producteur autorisé et se le faire livrer à domicile (au para 17). Toutefois, l’industrie du cannabis se préparait pour le régime du cannabis récréatif légal prévu dans le projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis, qui avait déjà fait l’objet d’une deuxième lecture au Sénat canadien et devait entrer en vigueur au cours des quelques mois suivants (aux para 20 et 23).

[53] Compte tenu de l’ensemble de l’affidavit de M. Stewart, je suis convaincue que sa preuve concernant le marché du cannabis spécialisé est pertinente et porte sur des questions qui ne relèvent pas de l’expertise du registraire, et qu’elle satisfait par ailleurs au critère d’admissibilité des preuves d’expert énoncé dans R c Mohan, [1994] 2 RCS 9. Pourtant, une grande partie de la preuve de M. Stewart ont postérieure à la date pertinente. Cela comprend sa preuve concernant le régime du cannabis thérapeutique en vertu du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales (RACFM) en vigueur à la date de son affidavit, les conditions proposées dans la Loi sur le cannabis, les projets de règlement provinciaux et territoriaux, et des exemples de commercialisation et d’image de marque complémentaires du cannabis et de l’alcool. Toutefois, j’admets qu’à la date pertinente, il y aurait au moins eu certaines attentes concernant un marché réglementé. À cet égard, je note que le document Approche proposée en matière de la réglementation du cannabis publié par Santé Canada le 19 mars 2018, joint à titre de Pièce D à l’affidavit de M. Stewart, indique au premier paragraphe que, dans le discours du Trône de 2015, le gouvernement du Canada s’est engagé à présenter un projet de loi visant à légaliser le cannabis, à le réglementer de manière stricte et à en restreindre l’accès, bien qu’il n’ait présenté le projet de loi C-45 à la Chambre des communes que le 13 avril 2017.

[54] De plus, je conclus que la preuve de M. Stuart concernant le chevauchement dans la nature des produits et des commerces revêt un caractère plus général et qu’elle est appuyée par des recherches universitaires et des commentaires d’universitaires fondés sur des données antérieures à la date pertinente. Les points saillants de la preuve de M. Stewart à cet égard peuvent se résumer comme suit :

  • Selon M. Stewart, et d’après son expérience, le cannabis récréatif au Canada sera un concurrent direct de l’alcool dans les ventes, la commercialisation et la consommation chez les consommateurs, et les producteurs autorisés et les producteurs de boissons alcoolisées chercheront tous à promouvoir des marques de style de vie et à suivre bon nombre des mêmes processus d’image de marque auprès des consommateurs (au para 32). À cet égard, les consommateurs de cannabis et d’alcool [traduction] « peuvent être perçus comme étant les mêmes consommateurs qui sont souvent motivés par la même expérience de consommation du produit, qu’il s’agisse de relaxation, d’un contexte social, de soulagement du stress ou d’autres équivalents » (au para 46).
  • Les recherches universitaires et les commentaires d’universitaires appuient l’opinion selon laquelle le cannabis récréatif au Canada sera un concurrent direct de l’alcool en ce qui a trait aux ventes, à la commercialisation et à la consommation chez les consommateurs, et qu’il y aura un chevauchement important dans la commercialisation et l’image de marque de ces produits, car ils cibleront en fin de compte les mêmes consommateurs (au para 42). Voici des exemples de ces recherches universitaires et de ces commentaires d’universitaires :
  • o un rapport de 2016 sur le secteur du cannabis publié par Deloitte indique que bon nombre des facteurs motivant la consommation d’alcool pourraient tout aussi facilement être associés à la consommation de cannabis (au para 40), de sorte que « ceux qui visent le secteur de la marijuana récréative n’ont qu’à s’inspirer du secteur des boissons alcoolisées en ce qui a trait aux stratégies de marketing et de marque » (Pièce M);

  • o l’étude de Deloitte a révélé que seulement 20 % des consommateurs d’alcool et de cannabis consomment les deux en même temps, ce qui indique que les deux substances peuvent être en concurrence directe et qu’il est possible que les consommateurs migrent de l’alcool au cannabis, puisque ce dernier est légalisé (au para 41, Pièce M);

  • o une étude publiée par l’Université du Connecticut en décembre 2017, fondée sur des données sur les achats de boissons alcoolisées dans des comtés des États-Unis de 2006 à 2015, a conclu que l’alcool et le cannabis sont des substituts et que la disponibilité du cannabis légal a réduit les ventes d’alcool d’au moins 13 %, ce qui indique qu’une part importante de la clientèle cible des deux industries comprend les mêmes personnes (au para 9, Pièce L).

[55] À la lumière de ce qui précède, même si les produits et services des parties sont différents en ce qui a trait à leur nature particulière, je conclus qu’il existe une preuve de chevauchement entre le cannabis et les boissons alcoolisées dans la nature générale des produits et une possibilité de chevauchement dans la clientèle cible. Par conséquent, je conclus que les considérations prévues à l’article 6(5)c) de la Loi, concernant le genre des produits et services, tendent à appuyer la position de l’Opposante. Toutefois, en l’absence d’une preuve supplémentaire concernant les voies de commercialisation réelles ou potentielles à la date pertinente, je conclus que les considérations prévues à l’article 6(5)d) de la Loi, concernant la nature du commerce, constituent un facteur neutre.

Conclusion concernant la confusion

[56] Le critère en matière de confusion ne concerne pas la confusion entre les marques de commerce elles-mêmes, mais plutôt la confusion portant à croire que les produits et services en liaison avec chacune des marques de commerce proviennent de la même source. En l’espèce, la question est essentiellement de savoir si un consommateur ordinaire qui n’a qu’un souvenir imparfait de la Marque de commerce de l’Opposante, qui voit les Produits ou Services de la Requérante en liaison avec la Marque nominale ou la Marque figurative, penserait que ces Produits ou Services proviennent de l’Opposante, ou sont en quelque sorte parrainés, autorisés ou approuvés par l’Opposante.

[57] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, il n’incombe pas à l’Opposante de démontrer qu’une telle confusion est probable, mais c’est plutôt à la Requérante de convaincre le registraire, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de probabilité raisonnable de confusion. Le fait que le fardeau ultime incombe à la Requérante signifie que, s’il est impossible d’arriver à une conclusion déterminante une fois que toute la preuve est présentée, la question doit être tranchée à l’encontre de la Requérante.

[58] Après examen de l’ensemble des circonstances de l’espèce, je conclus qu’au mieux pour la Requérante, la prépondérance des probabilités est également partagée entre une conclusion de confusion et une conclusion de non-confusion.

[59] J’en arrive à cette conclusion en tenant compte en particulier du degré de ressemblance assez élevé entre chacune des Marques et la Marque de commerce de l’Opposante, et de la preuve de chevauchement dans la nature générale des produits des parties, qui font également l’objet des services de la Requérante. S’il avait existé une preuve suffisante de différences importantes dans la nature des produits, des services ou des commerces pour contrebalancer le type de chevauchement démontré par l’Opposante, ma conclusion aurait peut-être été différente.

[60] Étant donné que le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion incombe à la Requérante, je dois trancher à l’encontre de la Requérante. Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur le droit à l’enregistrement en vertu de l’article 16(3)a) de la Loi est accueilli.

Motif d’opposition fondé sur l’enregistrabilité en vertu de l’article 12(1)d) de la Loi

[61] L’Opposante fait valoir que les Marques ne sont pas enregistrables en vertu de l’article 12(1)d) de la Loi parce qu’elles créent de la confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante, enregistrée sous le no LMC55,123. Un imprimé des détails de cet enregistrement (l’Enregistrement de l’Opposante) est joint à l’affidavit de M. Bolliger à titre de Pièce A.

[62] La date pertinente pour l’analyse de ce motif d’opposition est la date de la décision du registraire [voir Park Avenue Furniture Corporation c Wickes/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)]. L’opposant s’acquitte de son fardeau initial de l’opposant si l’enregistrement invoqué est en règle à cette date, et le registraire a le pouvoir discrétionnaire de vérifier le registre à cet égard [voir Quaker Oats of Canada Ltd/La Compagnie Quaker Oats du Canada Ltée c Menu Foods Ltd (1986), 11 CPR (3d) 410 (COMC)]. Après avoir exercé ce pouvoir discrétionnaire, je confirme que l’Enregistrement de l’Opposante existe.

[63] L’Opposante s’étant acquittée de son fardeau de preuve, il incombe maintenant à la Requérante de convaincre le registraire, selon la prépondérance des probabilités, que les Marques ne sont pas susceptibles de créer de la confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante.

[64] La date pertinente ultérieure associée au motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d) ne change pas le résultat final du critère en matière de confusion appliqué en vertu de l’article 16(3)a).

[65] En vertu de l’article 12(1)d), c’est l’effet même de la marque de commerce déposée de l’Opposante qui doit être prise en considération, et non l’effet d’autres indices qui peuvent apparaître avec la marque de commerce, comme l’image d’un geai ou le slogan jouant avec le mot « STELLAR ». Toutefois, l’emploi réel n’est pas sans importance, notamment s’il est démontré qu’il y a eu emploi dans le champ d’application de l’enregistrement qui crée de la confusion avec la marque du requérant. En l’espèce, je ne conclus pas que considérer la Marque de commerce de l’Opposant telle que déposée profite de façon significative à la Requérante.

[66] Je remarque également qu’en vertu de l’article 12(1)d), c’est l’état déclaratif des produits énoncé dans l’Enregistrement de l’Opposant plutôt que les produits en liaison avec lesquels l’Opposante a réellement employé la Marque qui régit l’analyse des facteurs prévus aux articles 6(5)c) et d). Toutefois, les produits visés par l’Enregistrement de l’Opposante, à savoir les « Boissons alcoolisées, nommément vins », sont essentiellement les mêmes que les produits en liaison avec lesquels la Marque de commerce de l’Opposante a été employée.

[67] Cela étant dit, en l’espèce, la date pertinente ultérieure permet d’examiner une preuve supplémentaire concernant le genre des produits et services de chaque partie, ainsi que la nature de leur commerce. Cela comprend la preuve de M. Stewart concernant le régime du cannabis thérapeutique en vertu du RACFM, les conditions proposées de la Loi sur le cannabis, et les projets de règlement provinciaux et territoriaux, ainsi que la preuve de M. Stewart et de M. Bolliger concernant les exemples de commercialisation et d’image de marque complémentaires.

[68] Les points saillants de la preuve de M. Stewart à cet égard sont les suivants :

  • À la date de l’affidavit de M. Stewart, le cannabis thérapeutique était régulièrement vendu au public au Canada par l’entremise de producteurs autorisés en vertu du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales (RACFM), ainsi que par l’entremise de dispensaires illégaux (aux para 17 à 19, et 43).
  • La Loi sur le cannabis et les règlements subséquents pris en vertu de celle-ci permettraient au gouvernement fédéral de définir un âge minimum de consommation, des règles d’emballage, des règles de production et d’autres aspects du nouveau secteur légal, et permettraient également à chaque province et territoire de définir son propre modèle de vente au détail, l’âge minimum de consommation et les endroits où le cannabis peut être vendu et consommé (aux para 21 et 22). Le 19 mars 2018, le gouvernement fédéral a publié ses exigences réglementaires proposées pour l’emballage, l’étiquetage et l’image de marque du cannabis (au para 25, Pièce D).
  • Une fois légalisé, le cannabis récréatif serait commercialisé et distribué d’une manière similaire, voire identique dans certains cas, à l’alcool, avec le même âge minimum de consommation que l’alcool (aux para 27 et 43).
  • Dans une large mesure, le cannabis récréatif serait contrôlé par les régies des alcools de chaque province et territoire (y compris la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Manitoba et l’Ontario) et, par conséquent, serait acheté en gros auprès de producteurs autorisés par les mêmes sociétés d’État provinciales qui achètent de l’alcool pour la vente aux consommateurs (aux para 28 et 44).
  • Dans certaines administrations canadiennes, le cannabis récréatif serait vendu dans les magasins d’alcool existants appartenant au gouvernement, où sont vendus des vins et d’autres boissons alcoolisées. Toutefois, il serait souvent vendu par des filiales des mêmes sociétés d’État, notamment comme il est décrit dans un communiqué de presse de l’Ontario indiquant que des magasins spécialisés seraient mis en place pour vendre du cannabis derrière un comptoir, hors de la vue de la clientèle (aux para 30, 31 et 44, Pièces E et H).
  • Selon l’approche adoptée jusqu’à présent au Canada et dans d’autres pays où le cannabis récréatif est légal, on s’attend à ce qu’il y ait un chevauchement important entre la vente et la commercialisation de boissons alcoolisées et celles du cannabis au Canada (au para 45). La commercialisation et l’image de marque des deux produits peuvent même provenir des mêmes sociétés ou de sociétés connexes, et être conçues spécifiquement pour être complémentaires (au para 42). Voici des exemples de tels chevauchements qui existent déjà :
  • o En février 2018, le producteur canadien autorisé de cannabis thérapeutique MedReleaf Corporation a annoncé une nouvelle marque de cannabis récréatif appelée San Rafael 71 et, dans le but de promouvoir la marque avant la légalisation, s’est associé à la brasserie artisanale Amsterdam Brewing Co. de Toronto pour lancer la bière San Rafael 71 (au para 33). Le communiqué de presse et la couverture médiatique de MedReleaf expliquaient que le nom de la bière et la teneur en alcool de 4,20 % étaient un clin d’œil à la culture du cannabis; une telle couverture médiatique dans des publications commerciales a également mis en évidence le slogan de la bière, « Beer Today. Bong Tomorrow » [bière aujourd’hui, herbe demain] (aux para 33 et 34, Pièces I et J).

  • o À la fin de 2017, le fabricant américain de boissons alcoolisées Constellation Brands, Inc. a annoncé qu’il achetait une participation dans la Canopy Grown Corporation, le plus grand producteur de cannabis autorisé au Canada, à laquelle il offrirait un vaste soutien à la commercialisation et au développement de marques, tout en collaborant au développement et à la commercialisation de boissons à base de cannabis (aux para 35 et 36, Pièce K).

  • o En Californie, où le cannabis récréatif était légal, des boissons infusées au cannabis étaient déjà sur le marché, notamment un vin infusé au cannabis, dont l’alcool a été éliminé, de Rebel Coast Winery (au para 37).

[69] Les autres exemples dans l’affidavit de M. Bolliger, concernant les concurrents de l’Opposante qui s’associent avec des sociétés de marijuana pour commercialiser des boissons à base de marijuana ou prendre des mesures pour créer leurs propres boissons à base de marijuana (au para 16), sont les suivants :

[70] Dans son plaidoyer écrit et à l’audience, l’Opposante a exhorté le registraire à prendre connaissance d’office des régimes provinciaux qui, selon les prédictions de M. Stewart, seraient [traduction] « largement adoptés » (à une exception près), ainsi que du rôle de deux autres régies des alcools provinciales. Bien que j’aie pu être disposée à prendre connaissance d’office d’une disposition législative expressément citée, je ne considère pas qu’il soit approprié d’exercer le pouvoir discrétionnaire du registraire pour effectuer des recherches sur divers régimes réglementaires provinciaux et territoriaux afin d’aider l’Opposante à faire valoir ses arguments. L’expertise du registraire ne s’étend pas aux règlements provinciaux, dont les effets doivent être établis par la preuve, et si l’Opposante souhaitait fournir des mises à jour à cet égard, elle devait demander et obtenir l’autorisation de produire une preuve supplémentaire.

[71] Néanmoins, la preuve de M. Stewart selon laquelle un régime réglementaire similaire à celui de l’alcool était en voie d’être établi au niveau fédéral et dans les divers territoires et provinces n’est pas contestée ni contredite, et M. Stewart et M. Bolliger fournissent tous deux une preuve de chevauchement dans les stratégies de marque, la commercialisation et la publicité. Après avoir tenu compte de cette preuve supplémentaire, je conclus que les considérations prévues à l’article 6(5)d) de la Loi, concernant la nature du commerce, font maintenant pencher la balance de ce facteur en faveur de l’Opposante.

[72] Après examen de l’ensemble des circonstances, je conclus que le cas de l’Opposante est encore légèrement plus fort en ce qui a trait au motif d’opposition fondé sur l’enregistrabilité en vertu de l’article 12(1)d) de la Loi. Par conséquent, ce motif d’opposition est également accueilli.

Motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif de la Marque en vertu de l’article 2

[73] L’Opposante fait également valoir que les Marques ne distinguent pas les Produits au sens de l’article 2 de la Loi, et ne sont adaptées pour les distinguer, parce que les Marques ne distinguent pas les Produits des produits en liaison avec lesquels la Marque de commerce de l’Opposante a été employée et révélée par l’Opposante ou ses prédécesseurs en titre. En outre, l’Opposante fait valoir que, par conséquent, les Marques ne sont pas adaptées pour distinguer les Produits des produits de l’Opposante, ni ne distinguent véritablement les Produits et des produits d’autrui.

[74] Je note que, contrairement à la caractérisation de ce motif dans le plaidoyer écrit de l’Opposante, l’acte de procédure ne comprend pas d’allégation selon laquelle la Marque n’est pas distinctive des Services. Par conséquent, une telle allégation ne peut être considérée, car le registraire n’a pas compétence pour aborder un motif qui n’est pas soulevé dans la déclaration d’opposition. De plus, il ne s’agit pas d’un cas où un acte de procédure large ou ambigu pourrait être clarifié par la preuve de l’opposant; à première vue, la portée et le sens du plaidoyer sont clairs. Si, après la production de la déclaration d’opposition, l’Opposante voulait ajouter une allégation à l’égard des Services, elle devait alors demander et obtenir l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition.

[75] Quoi qu’il en soit, même si j’interprétais l’omission de tout renvoi aux services dans le plaidoyer comme une erreur technique évidente, cela ne changerait pas le résultat de ce motif d’opposition pour les raisons énoncées ci-dessous.

[76] La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de production de la déclaration d’opposition [Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc, 2004 CF 1185]. Pour que ce motif d’opposition soit accueilli, un opposant invoquant sa propre marque de commerce doit établir que, à la date pertinente, sa marque était devenue suffisamment connue au Canada pour nier le caractère distinctif de la marque du requérant [Motel 6, Inc c No 6 Motel Ltd (1981), 56 CPR (2d) 44 (CF 1re inst); Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657]. L’opposant doit démontrer que sa marque était connue au Canada dans une certaine mesure, avait une réputation « importante, significative ou suffisante » en liaison avec les produits ou services pertinents pour nier le caractère distinctif, ou bien connue dans une région particulière du Canada [Bojangles, précité].

[77] En l’espèce, M. Bolliger fournit les dépenses publicitaires annuelles, qui se chiffrent à des dizaines de milliers de dollars, pour un total de plus de 100 000 $ pour chacun des exercices de 2015 et de 2016. Toutefois, il n’y a pas de ventilation selon l’endroit où l’argent a été dépensé ou la façon dont il a été dépensé. Notamment, bien que M. Bolliger déclare que la publicité et la promotion visaient des vins [traduction] « vendus sous la marque de commerce STELLER’S JAY au Canada » (au para 28), il déclare également que ces vins sont inscrits dans des concours vinicoles nationaux et internationaux pour [traduction] « suscit[er] l’attention des médias traditionnels et sociaux », et bon nombre de ces concours semblent avoir eu lieu à l’étranger (voir au para 35). Pourtant, rien n’indique le pourcentage des dépenses publicitaires qui ont été engagées pour ces concours à l’étranger. Dans les circonstances, il n’est pas clair comment et dans quelle mesure les dépenses publicitaires se sont traduites par une exposition publique à la Marque de commerce de l’Opposante au Canada.

[78] Bien que des exemples de publicité et de promotion soient au Canada soient fournis, l’étendue de leur distribution n’est pas claire. Par exemple, M. Bolliger ne précise pas le nombre de magasins et de restaurants ni les [traduction] « divers moments » où les matériels au point de vente et les affichettes de table ont été présentés; où et quand les annonces imprimées ont été publiées; ou où les articles fondés sur le communiqué de presse de l’Opposante ont été publiés. Bien que certaines captures d’écran et certains chiffres sur la « portée » soient fournis dans le résumé des médias sociaux, il n’y a aucune explication quant à la signification de ces chiffres et, en particulier, à la mesure dans laquelle ils représentent des personnes au Canada plutôt que des personnes dans d’autres juridictions ou des robots automatisés. Il n’y a pas non plus d’indication de la façon dont la Marque de commerce de l’Opposante figurait dans les « stories » et les « clips » des médias traditionnels mentionnés dans le résumé des médias.

[79] La preuve de M. Bolliger quant à l’étendue de la publicité sur des panneaux d’affichage et dans des abribus est beaucoup plus détaillée; toutefois, il n’y a qu’une preuve des campagnes qui ont eu lieu à Vancouver, et seulement de façon relativement brève, c’est-à-dire pour les périodes de vacances d’hiver de 2012, de 2013 et de 2015. Rien n’indique que ces campagnes se rapprochent de la date pertinente du 11 juillet 2017.

[80] En ce qui concerne les ventes nettes annuelles de plus de 1 million de dollars par année entre l’exercice se terminant le 28 février 2012 et janvier 2018 (au para 20), comme je l’ai mentionné ci-dessus, je suis disposée à accepter qu’au moins une partie des ventes ont été réalisées au Canada. Toutefois, compte tenu de la déclaration de M. Bolliger selon laquelle les vins canadiens de l’Opposante sont reconnus mondialement, et en l’absence d’une déclaration claire de M. Bolliger quant à savoir si les chiffres de vente fournis ne représentent que des ventes au Canada ou à l’échelle mondiale et quant à la proportion des ventes réalisées dans la région de Vancouver, je ne conclus pas que les chiffres de ventes fournissent une preuve claire de la mesure dans laquelle la Marque de commerce de l’Opposante est devenue connue au Canada ou dans une région particulière du Canada. Comme il est expliqué dans Bojangles, le propriétaire d’une marque de commerce ne peut pas simplement affirmer que sa marque de commerce est devenue au Canada; il doit y avoir une preuve claire de la mesure dans laquelle elle est connue.

[81] Dans les circonstances, je conclus que la preuve n’est pas suffisante pour démontrer qu’à la date pertinente, la Marque de commerce de l’Opposante avait une réputation au Canada qui était importante, significative ou suffisante pour nier le caractère distinctif de la Marque nominale ou de la Marque figurative, ou, subsidiairement, que la Marque de commerce de l’Opposante était bien connue dans une région particulière du Canada.

[82] Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté, car l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

Décision

[83] Compte tenu de tout ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette les Demandes selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

Oksana Osadchuk

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Anne Laberge


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2020-09-22

COMPARUTIONS

Daniel G. Cohen

Pour l’Opposante

Aucune comparution

Pour la Requérante

AGENTS AU DOSSIER

Goodmans LLP

Pour l’Opposante

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour la Requérante

 

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