Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence : 2021 COMC 78

Date de la décision : 2021-04-28

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45

 

Comité interprofessionnel du vin de Champagne et l’Institut national de lorigine et de la qualité

Parties requérantes

et

 

Coors Brewing Company

Propriétaire inscrite

 

LMC177,553 pour THE CHAMPAGNE OF BEERS

LMC319,461 pour LE CHAMPAGNE DES BIÈRES

LMC325,567 pour MILLER LABEL & DESIGN

Enregistrements

Aperçu

[1] La présente décision concerne une procédure de radiation sommaire engagée en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi) à l’égard des enregistrements suivants :

Numéros des enregistrements

Marques de commerce

Produits

Numéro d’enregistrement

Marque de commerce

Produits

LMC177,553

THE CHAMPAGNE OF BEERS

Bière

LMC319,461

LE CHAMPAGNE DES BIÈRES

Bière

 

(les Marques nominatives)

LMC325,567

MILLER LABEL & DESIGN MILLER LABEL & DESIGN

[traduction] Boissons alcoolisées brassées

 

(la Marque figurative)

[Les marques nominatives et la marque figurative seront parfois appelées collectivement les Marques de commerce en question.]

[2] Sauf indication contraire, toutes les mentions dans la présente décision visent la Loi telle que modifiée le 17 juin 2019.

[3] Le 3 avril 2017, à la demande de Comité interprofessionnel du vin de Champagne et de l’Institut national de l’origine et de la qualité (les Parties requérantes), le registraire des marques de commerce a donné des avis prévus à l’article 45 de la Loi la propriétaire inscrite des enregistrements susmentionnés, Coors Brewing Company (la Propriétaire).

[4] L’article 45 de la Loi exige du propriétaire inscrit de la marque de commerce de démontrer si la marque de commerce était employée au Canada en liaison avec chacun des produits que spécifie l’enregistrement à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Pour chacune des Marques de commerce en question, la période pertinente pour démontrer l’emploi s’étend du 3 avril 2014 au 3 avril 2017.

[5] La définition pertinente d’« emploi » en liaison avec les produits est énoncée à l’article 4 de la Loi comme suit :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[6] En l’absence d’emploi, conformément à l’article 45(3) de la Loi, une marque de commerce est susceptible d’être radiée, à moins que le défaut d’emploi ne soit en raison de circonstances spéciales.

[7] Dans toutes les trois procédures, la Propriétaire a produit l’affidavit de Joanne Nardi, gestionnaire, Global Trademarks & Intellectual Property for Molson Canada 2005, DBA Molson Coors Canada (Molson Canada), souscrit le 2 novembre 2017 (collectivement, l’affidavit Nardi).

[8] Les deux parties ont produit des observations écrites et ont été présentes à l’audience.

[9] Pour les raisons qui suivent, je conclus qu’il y a lieu de maintenir les enregistrements.

Remarques préliminaires

Opposition au compendium de la Propriétaire

[10] Après l’audience, les deux parties ont déposé des compendiums reprenant essentiellement des extraits de la preuve et les décisions citées à l’audience. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de discuter longuement du débat qui a ensuite eu lieu entre les parties sur la question de savoir si le compendium de la Propriétaire contient effectivement des références à des décisions supplémentaires et si ces décisions doivent être ignorées. Il suffit de dire que la consultation de la jurisprudence est un exercice approprié du pouvoir discrétionnaire du registraire et que ce dernier peut s’appuyer sur toutes les décisions pertinentes, qu’elles soient ou non mentionnées par les parties.

Propriété et licence des Marques de commerce en question

[11] Dans le cadre de leurs observations, les Parties requérantes remettent en question la licence entre la Propriétaire et Molson Canada, le contrôle exercé par la Propriétaire, ainsi que la chaîne de titres des Marques de commerce en question.

[12] Il est bien établi que la procédure prévue à l’article 45 n’a pas pour objet de juger des questions de fait contestées ou de remplacer la procédure de radiation litigieuse prévue à l’article 57 de la loi, dans le cadre de laquelle des questions telles que la propriété ou l’abandon d’une marque enregistrée peuvent être soulevées devant la Cour fédérale. En ce qui concerne la propriété des Marques de commerce en question, Mme Nardi explique que, par le biais d’une cession prenant effet le 13 octobre 2016, les Marques de commerce en question ont fait l’objet d’une acquisition par Molson Coors Brewing Company, dont la Propriétaire est déclarée être une division [affidavit Nardi, para 5 à 7]. Je note que le registre indique l’enregistrement de ce changement de titre pour chaque enregistrement en date du 25 octobre 2016 [affidavit Nardi, para 5, Pièce A] et je souligne que la question qui m’est posée n’est pas de déterminer comment la Propriétaire a acquis les Marques de commerce en question.

[13] L’article 45 de la Loi a pour objet et portée d’offrir une procédure simple, sommaire et expéditive pour débarrasser le registre du « bois mort ». Dans ce contexte, lorsqu’un propriétaire inscrit doit établir l’emploi d’une marque de commerce dans le cadre d’une licence, il n’a pas besoin de fournir un contrat de licence écrit. Une déclaration claire attestant du contrôle exercé par le propriétaire sur la nature et la qualité des produits vendus sous licence est suffisante à cet égard. En ce qui concerne l’octroi de licences pour les Marques de commerce en question, je suis convaincu que les déclarations de Mme Nardi sont suffisamment claires. En particulier, Mme Nardi affirme qu’en vertu d’un contrat de licence, dont les détails sont confidentiels, Molson Canada est a licenciée canadienne des Marques de commerce en question au nom de la Propriétaire et elle affirme clairement que la Propriétaire conserve le contrôle sur produits liés aux marques de commerce de la Propriétaire [affidavit Nardi, para 1, 9 et 12].

[14] En somme, la preuve dans son ensemble est, à mon avis, suffisante pour démontrer que les enregistrements en cause appartiennent à la Propriétaire qui octroie des licences des Marques de commerce en question à Molson Canada.

Analyse et motifs de la décision

[15] Je ne dispose d’aucune preuve établissant que les Marques de commerce en question étaient employées pendant la période pertinente. Par conséquent, la question est de savoir si, en vertu de l’article 45(3) de la Loi, des circonstances spéciales existaient pour justifier le défaut d’emploi des marques de commerce pendant la période pertinente.

[16] Pour déterminer si l’existence de circonstances spéciales a été établie, le registraire doit en premier lieu déterminer, à la lumière de la preuve, les raisons pour lesquelles les marques de commerce n’ont effectivement pas été employées pendant la période pertinente. En second lieu, le registraire doit déterminer si ces raisons du défaut d’emploi constituent des circonstances spéciales [Canada (Registraire des marques de commerce) c Harris Knitting Mills Ltd (1985), 4 CPR (3d) 488 (CAF)]. La Cour fédérale a conclu que des circonstances spéciales signifient des circonstances ou des raisons qui sont « inhabituelles, peu communes ou exceptionnelles » [John Labatt Ltd c The Cotton Club Bowling Co (1976), 25 CPR (2d) 115 (CF 1re inst), à la p. 123].

[17] Si le registraire détermine que les raisons du défaut d’emploi constituent des circonstances spéciales, le registraire doit encore déterminer si ces circonstances spéciales justifient la période de défaut d’emploi. Cette détermination repose sur l’examen de trois critères : (i) la durée de la période pendant laquelle la marque n’a pas été employée; (ii) si les raisons du défaut d’emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit; et (iii) s’il existe une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque à court terme. La pertinence du premier critère est évidente, étant donné que les raisons qui peuvent justifier une brève période de défaut d’emploi peuvent ne pas justifier une période étendue de défaut d’emploi; autrement dit, les motifs du défaut d’emploi seront soupesés contre la durée du défaut d’emploi [Harris Knitting].

[18] La décision rendue dans l’affaire Smart & Biggar c Scott Paper Ltd, 2008 CAF 129, a apporté des éclaircissements supplémentaires quant à l’interprétation des critères de la décision Harris Knitting. En particulier, la Cour a déterminé que le deuxième critère doit être satisfait pour que l’on puisse conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque. En d’autres termes, les deux autres critères sont pertinents, mais, considérés isolément, ils ne peuvent constituer des circonstances spéciales.

[19] Il est aussi important de noter que l’intention de reprendre l’emploi doit être corroborée d’une preuve [Arrowhead Spring Water Ltd c Arrowhead Water Corp (1993), 47 CPR (3d) 217 (CF 1re inst); NTD Apparel Inc c Ryan (2003), 27 CPR (4th) 73 (CF 1re inst)].

Résumé des positions des parties

[20] Les parties sont fondamentalement en désaccord sur la période de défaut d’emploi, et, par conséquent, sur les raisons qui expliquent l’absence d’emploi pendant cette période.

[21] Les Parties requérantes soutiennent que le registraire devrait tenir compte du défaut d’emploi des marques de commerce à leurs dates d’enregistrement respectives et soulèvent les questions suivantes :

· Un changement de titre ne constitue pas des circonstances spéciales.

· L’acquisition récente n’explique pas le défaut d’emploi des Marques de commerce en question par la Propriétaire ou son prédécesseur en titre pendant une longue période remontant à leurs dates d’enregistrement respectives.

· La Propriétaire n’a pas démontré son intention sérieuse de reprendre l’emploi des Marques de commerce en question à la date des avis.

[22] La Propriétaire fait valoir, d’une part, que le registraire devrait considérer le défaut d’emploi des Marques de commerce en question à la date de leur acquisition par le propriétaire et, d’autre part, que la Propriétaire ne pouvait pas employer les Marques de commerce en question pendant la période pertinente pour les raisons suivantes :

· Elle ne les a acquis que six mois avant la fin de la période pertinente.

· Il a fallu du temps pour prendre les dispositions nécessaires à la vente de bière en association avec les marques de commerce nouvellement acquises, y compris les approbations réglementaires des régies des alcools.

Existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi

[23] Comme il a été indiqué ci-dessus, les Parties requérantes soutiennent que l’acquisition des Marques de commerce en question par la Propriétaire en octobre 2016 ne constitue pas des circonstances particulières et que, quoi qu’il en soit, il n’existe pas de circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi des marques de commerce avant octobre 2016.

[24] La Propriétaire fait valoir qu’elle n’a acquis les Marques de commerce en question qu’environ six mois avant la date d’émission des avis et soutient essentiellement que cette acquisition récente, conjuguée à l’importance de la transaction et à la nature particulière des produits visés par les Marques de commerce en question, constitue des circonstances spéciales justifiant son défaut d’emploi.

[25] Je conviens qu’une cession ou un changement de titre ne constitue pas en soi une circonstance particulière [Taogosei Co c Servicios Corporativos De Administracion GMZ, SA De CV (1999), 3 CPR (4th) 275 (COMC)]. Il y a un certain nombre de cas dans lesquels la récente cession ou l’acquisition d’une marque de commerce au cours de la période pertinente excuse le défaut d’emploi, puisqu’il était raisonnable de supposer que le nouveau propriétaire aurait besoin de temps pour faire les préparatifs relatifs à l’emploi d’une marque de commerce nouvellement acquise. Toutefois, les raisons du défaut d’emploi ne découlent pas simplement de l’acquisition récente de la marque de commerce; des circonstances individuelles jugées hors du contrôle du propriétaire ont raisonnablement influencé le moment de la réintroduction des produits associés à la marque de commerce en question. Dans chacun des cas, des mesures actives ont été prises pour reprendre l’emploi avant la date de l’avis prévu à l’article 45 [Morrison Brown Sosnovitch LLP c Jax and Bones Inc, 2014 COMC 280, au para 23].

[26] La Propriétaire fait valoir qu’elle a acquis les Marques de commerce en question dans le cadre de [traduction] l’« acquisition Miller », une acquisition à grande échelle et sans lien de dépendance de nombreux actifs, y compris des dizaines de marques et de nombreux enregistrements de marques de commerce canadiennes. Mme Nardi fournit des copies d’articles de presse couvrant la transaction, qui la présentaient comme une [traduction] « acquisition de marques Miller pour 12 milliards de dollars américains ». Mme Nardi atteste en outre qu’une [traduction] « acquisition de cette ampleur entraîne un investissement en temps considérable pour examiner chaque actif et l’intégrer dans un portefeuille de propriété intellectuelle et une stratégie de marque existants » [observations écrites de la Propriétaire, para 24(b), 33 et 37; affidavit Nardi, para 6 et 13, Pièce B‑1]

[27] J’admets que l’acquisition récente et importante de la Propriétaire, six mois seulement avant les avis, peut être considérée comme une circonstance spéciale que l’on ne retrouve pas dans la plupart des cas d’absence d’emploi, d’autant plus qu’il existait également d’autres circonstances indépendantes de la volonté de la Propriétaire qui, examinées par rapport à la durée du défaut d’emploi des Marques de commerce en question, justifiaient cette absence d’emploi, comme nous le verrons plus loin.

Brève durée du défaut d’emploi

[28] Les Parties requérantes soutiennent que les marques de commerce en question n’ont jamais été employées au Canada et que la période du défaut d’emploi a duré, au mieux, à partir des dates d’enregistrement des marques en 1971, 1986 et 1987, respectivement, ce qui donne une période de défaut d’emploi d’au moins 30 ans dans chaque cas.

[29] La Propriétaire fait valoir qu’il n’a acquis les marques qu’en octobre 2016 et que, compte tenu de la cession intervenue si peu de temps avant les avis, la période de défaut d’emploi doit être considérée à partir de la date d’acquisition et n’a donc été que de six mois (c’est-à-dire d’octobre 2016 à avril 2017).

[30] À cet égard, je note que lorsqu’une marque de commerce a été récemment acquise par un nouveau propriétaire, un certain nombre de décisions ont considéré la date d’acquisition comme la date pertinente aux fins de l’évaluation de la durée du défaut d’emploi [voir, par exemple, Morrison Brown; Fairweather Ltd c Registraire des marques de commerce, 2006 CF 1248; Hudson’s Bay Co c Bombay & Co Inc, 2013 COMC 159; Sim & McBurney c Hugo Boss AG (1996), 67 CPR (3d) 269 (COMC); Scott Paper Co c Lander Co Canada Ltd (1996), 67 CPR (3d) 274 (COMC); GPS (UK) c Rainbow Jean Co (1994), 58 CPR (3d) 535 (COMC); Baker & McKenzie c Garfield’s Fashions Ltd (1993), 52 CPR (3d) 274 (COMC); et plus récemment, Supreme Brands LLC c Joy Group OY, 2019 COMC 45, aux para 47 et 48; et Protein 2 O LLC c Inutrition Inc, 2019 COMC 6, au para 20]. Je note également qu’une telle approche a même été considérée comme étant appropriée lorsqu’il n’y avait pas eu d’emploi d’une marque de commerce depuis son enregistrement [voir, par exemple, Cassels Brock & Blackwell LLP c Registraire des marques de commerce, 2004 CF 753, aux para 17 et 25, où la Cour a seulement exigé de la propriétaire qu’elle explique le défaut d’emploi depuis la date d’acquisition en 1994 alors que la marque de commerce n’avait jamais été employée depuis son enregistrement en 1989].

[31] La Propriétaire soutient que Molson Canada ne possède aucun dossier relatif à l’emploi des Marques de commerce en question par l’ancienne propriétaire avant leur vente et que le fait de devoir expliquer pourquoi l’ancienne propriétaire a pu ou non employer les Marques de commerce en question depuis 1971, 1986 et 1987, respectivement (afin d’éviter de déduire que l’ancienne propriétaire a délibérément décidé de cesser de les employer) interprète mal le fardeau de la Propriétaire dans la présente procédure [observations écrites de la Propriétaire, para 24(e), 28 à 33; affidavit Nardi, para 10]. J’y souscris. À mon avis, ce serait une approche trop lourde et très technique que d’exiger de la Propriétaire qu’elle justifie un prétendu défaut d’emploi pendant une période de plusieurs décennies alors qu’elle n’a acquis les Marques en question que six mois avant la date des avis et qu’il n’est pas en mesure d’attester de l’emploi ou de l’absence d’emploi des marques par le propriétaire précédent [voir GPS (UK) Ltd pour une conclusion similaire concernant un transfert de marque deux mois avant l’avis; voir également Morrison Brown].

[32] Enfin, je suis parfaitement au courant que dans la décision Dentons Canada LLP c CanWhite Sands Corp, 2020 COMC 95, la Commission a refusé de considérer la date d’acquisition comme la date pertinente aux fins de l’évaluation de la durée du défaut d’emploi. Toutefois, chaque affaire doit être analysée suivant ses propres faits et comme il a été reconnu au para 37 de la décision Dentons, il peut être approprié d’accepter la date d’acquisition aux fins de l’évaluation de la durée du défaut d’emploi. À mon avis, c’est l’un de ces cas.

Le défaut d’emploi indépendant de la volonté de la Propriétaire

[33] Le respect des exigences légales ou réglementaires associées au lancement d’une marque au Canada (et comme condition préalable à son emploi) peut être considéré comme une circonstance indépendante de la volonté de la Propriétaire [Cassels Brock & Blackwell]. Même une croyance erronée à l’existence d’une exigence légale peut être considérée comme une excuse pour le défaut d’emploi d’une marque de commerce [Spirits International NV c Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 520]. Toutefois, lorsqu’un propriétaire inscrit fait valoir que ses efforts pour se conformer aux cadres réglementaires constituent des circonstances spéciales, ces efforts doivent être corroborés par la preuve de mesures actives prises pour obtenir l’approbation réglementaire [Oyen Wiggs Green & Mutala LLP c Rath, 2010 COMC 34, aux para 17 et 18; Currier + Kao LLP c LiFung Trinity Management (Singapore) Pte Ltd, 2014 COMC 289, au para 19].

[34] La Propriétaire fait valoir qu’elle ne pouvait pas employer les marques de commerce nouvellement acquises sans avoir obtenu au préalable une autorisation réglementaire permettant la vente de bière et qu’il s’agit d’une circonstance indépendante de sa volonté. À cet égard, Mme Nardi explique que la bière est vendue au Canada par l’intermédiaire de magasins d’alcool réglementés par les provinces et que, pour pouvoir vendre par ces canaux, il est nécessaire de déposer une demande d’inscription auprès de chaque régie des alcools provinciale. Mme Nardi affirme que ces étapes représentent un investissement en temps important pour un nouveau cessionnaire d’un enregistrement de marque et, qu’à partir du moment où les demandes sont déposées auprès de chaque régie des alcools, il peut s’écouler entre un jour et plusieurs mois avant d’obtenir les approbations réglementaires requises [observations écrites de la Propriétaire, para 24(j)‑(l), 39‑40; affidavit Nardi, para 6 et 23 à 29].

[35] Je conviens qu’il n’était pas possible pour la Propriétaire ou son licencié de vendre de la bière sous les Marques de commerce en question avant d’avoir obtenu l’approbation réglementaire des régies provinciales des alcools et j’estime que l’obtention de cette approbation réglementaire est une circonstance indépendante de la volonté de la Propriétaire.

[36] Je note toutefois que Molson Canada a entamé le processus de demande réglementaire après la période pertinente. En particulier, une demande a été déposée auprès de la Régie des alcools de l’Ontario (LCBO) le 5 juin 2017, suivie en octobre 2017 de demandes auprès de la Société des alcools du Québec (SAQ) et de la Liquor Distribution Branch (Direction de la distribution des alcools) de la Colombie-Britannique [affidavit Nardi, para 24, 26 et 28].

[37] Cela étant dit, je note également que l’emballage du produit a été soumis dans le contexte de l’obtention de l’approbation réglementaire. En particulier, le formulaire de demande de la SAQ suggère que les demandeurs doivent déposer des échantillons et des étiquettes de produit et Mme Nardi explique que le processus d’approbation au Québec comprend la soumission de l’emballage du produit fini [traduction] « avec un étiquetage canadien spécifique » [affidavit Nardi, para 26 et 27, Pièce I]. Le document interne de Molson Canada concernant les demandes de la LCBO et les demandes d’inscription à la liste de la BCLS indiquent également que les emballages et les étiquettes des produits ont été soumis à ces autres régies provinciales des alcools [affidavit Nardi, para 25 et 28, Pièces H et J].

[38] Bien que les étapes préparatoires concernant l’emballage et les étiquettes du produit (comme la conception de l’étiquette du produit et les tests de marché) ne soient pas complètement indépendantes de la volonté de la Propriétaire, je reconnais qu’il s’agit d’étapes nécessaires dans le processus d’obtention de l’approbation réglementaire auprès des régies provinciales des alcools. L’étendue et le moment de ces étapes préparatoires seront donc examinés ci-après.

L’intention sérieuse de la Propriétaire de reprendre l’emploi à court terme

[39] Les Parties requérantes soutiennent qu’il n’y a pas de preuve de l’intention sérieuse de la Propriétaire de reprendre l’emploi des marques de commerce, car la seule preuve fournie concerne les activités de Molson Canada. À l’audience, les Parties requérantes ont également fait valoir que, puisque ces activités n’ont eu lieu qu’après la date des avis, il n’y a aucune preuve démontrant une quelconque intention de reprendre l’emploi pendant la période pertinente. Selon les Parties requérantes, les éléments de preuve démontrent que Molson Canada envisageait simplement la possibilité de lancer la bière Miller High Life, mais n’avait pas l’intention ferme de le faire avant la date des avis.

[40] La Propriétaire soutient qu’au moment des avis, elle avait l’intention sérieuse de reprendre l’emploi des marques de commerce en question à court terme en liaison avec la bière Miller High Life. Par exemple, la preuve de Mme Nardi comprend les éléments suivants :

· Molson Canada [traduction] « a eu et maintient l’intention de vendre » de la bière en liaison avec les Marques de commerce en question depuis leur date d’acquisition en octobre 2016; [affidavit Nardi, para 12]

· Des mesures préparatoires ont été prises par Molson Canada pour employer les marques au Canada, à savoir :

la conception des produits de la bière Miller High Life immédiatement après leur acquisition [affidavit Nardi, para 13],

des concepts préliminaires de produits [traduction] « qui font référence aux [Marques de commerce en question] en lien avec la marque Miller High Life », élaborés au début de décembre 2016 (figurant à l’annexe A de la présente décision) [affidavit Nardi, para 16],

un sondage auprès de groupes de discussion concernant la [traduction] « connaissance du consommateur » des concepts de produits préliminaires susmentionnés a été conçu au début de décembre 2016, mené entre le 19 décembre 2016 et le 3 janvier 2017, et rapporté à Molson Canada en janvier février 2017 [affidavit Nardi, para 14 à 19],

un plan de lancement de la bière Miller High Life élaboré dès mars ou avril 2017 [voir par exemple l’affidavit Nardi, Pièce E-1 montrant une copie expurgée d’une charte de projet pour le lancement du produit datée du 13 avril 2017 et la Pièce C montrant un calendrier des premières étapes de développement indiquant les lancements prévus dans certaines provinces canadiennes à partir du quatrième trimestre de 2017],

efforts de conception et de révision des illustrations d’emballages canadiens à partir d’avril 2017 environ (exemples d’illustrations figurant à l’annexe A de la présente décision) [affidavit Nardi, para 22, Pièce F],

les processus de demande réglementaires lancés auprès des régies provinciales des alcools, à partir du 5 juin 2017 [affidavit Nardi, para 24 à 29];

· Des lancements de produits sous les Marques de commerce en question étaient prévus dans certaines provinces canadiennes avant la fin de 2017, suivis d’autres lancements provinciaux au début de 2018 [affidavit Nardi, para 33].

[41] Je suis convaincu que, malgré l’acquisition par le titulaire d’un important portefeuille de marques de commerce à la mi-octobre 2016, la Propriétaire (par l’entremise de son licencié Molson Canada) a rapidement réagi et pris des mesures en vue de la commercialisation de la bière Miller High Life au Canada. En particulier, la conception des produits Miller High Life arborant les marques de commerce en question a commencé lors de leur acquisition ou immédiatement après celle-ci. Ensuite, entre décembre 2016 et février 2017, des concepts de produits préliminaires ont été testés sur le marché. En avril 2017, les illustrations de l’emballage canadien de la bière Miller High Life ont été conçues et révisées, et en date du 13 avril 2017, Molson Canada avait élaboré un plan de lancement de ces produits. Conformément à l’affirmation de Mme Nardi selon laquelle ces produits sont prioritaires pour Molson Canada, les premières canettes de bière Miller High Life ont été produites un an après la date d’acquisition, en octobre 2017.

[42] En somme, après avoir examiné l’ensemble des preuves, y compris les mesures préparatoires prises avant la date des avis, j’estime que la Propriétaire a fourni un fondement factuel suffisant pour étayer son intention sérieuse de reprendre rapidement l’emploi des Marques de commerce en question.

Dernières remarques

[43] À l’audience, les Parties requérantes ont fait des commentaires en passant sur le fait que les étiquettes en question étaient des variantes de la Marque figurative. En l’absence d’autres observations sur ce point, j’estime que malgré les différences qui peuvent exister entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et la forme sous laquelle elle a été elle a été apposée sur ces éléments de preuve (et notamment sur les bouteilles de bière Miller High Life), la Marque figurative n’a pas perdu son identité et demeure reconnaissable, de sorte qu’un acheteur non avisé en déduirait probablement que les marques proviennent de la même source [voir Promafil Canada Ltée c Munsingwear Inc (1992), 44 CPR (3d) 59 (CAF); Registraire des marques de commerce c Cie internationale pour l’informatique CII Honeywell Bull (1985), 4 CPR (3d) 523 (CAF); et Nightingale Interloc Ltd c Prodesign Ltd, (1984) 2 CPR (3d) 535 (COMC), pour une discussion approfondie des principes généraux qui régissent le test en matière de variation].

[44] Avant de conclure, il convient de rappeler que l’objectif de l’article 45 est de débarrasser le registre des marques à l’égard desquelles les propriétaires n’expriment aucun intérêt de bonne foi; en d’autres termes, d’éliminer le « bois mort » du registre. À mon avis, la preuve dans cette affaire démontre que les Marques de commerce en question ne sont pas du « bois mort ».

Décision

[45] Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’un examen juste de l’ensemble de la preuve de la Propriétaire est suffisant pour démontrer des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi des Marques de commerce en question, comme l’exige l’article 45(3) de la Loi. Par conséquent, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi et conformément aux dispositions de l’article 45 de la Loi, tous les trois enregistrements seront maintenus.


 

Iana Alexova

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Hortense Ngo


 

 

COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE D’AUDIENCE 2021-02-25

COMPARUTIONS

Monique Couture

Pour la Propriétaire inscrite

Ekaterina Tsimberis

Pour les Parties requérantes

AGENTS AU DOSSIER

Gowling WLG (Canada) LLP

Pour la Propriétaire inscrite

Smart & Biggar LLP

Pour les Parties requérantes

 


Annexe A

Concepts préliminaires de produits élaborés au début du mois de décembre 2016

A picture containing a can and a bottle of Miller High Life branded beer.

Exemples d’illustrations d’emballages canadiens fournis en tant que Pièce F de l’affidavit Nardi

 

A jar of peanut butter

Description automatically generated

Text

Description automatically generated

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.