Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2021 COMC 114

Date de la décision : 2021-05-31

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45

 

Barrette Legal Inc.

Partie requérante

et

 

Ltd. « Aqua-Life »

Propriétaire inscrite

 

LMC724,698 pour DUCHESS

Enregistrement

[1] À la demande de Barrette Legal Inc. (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a donné l’avis prévu à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi) le 17 juillet 2017 à Ltd. « Aqua-Life » (la Propriétaire), la propriétaire inscrite de l’enregistrement no LMC724,698 pour la marque de commerce DUCHESS (la Marque).

[2] La Marque est enregistrée pour emploi en liaison avec les produits suivants : « Bières; eaux minérales et gazeuses et jus de fruits. »

[3] L’avis enjoignait à la Propriétaire de fournir une preuve établissant que la Marque a été employée au Canada, en liaison avec les produits spécifiés dans l’enregistrement, à un moment quelconque entre le 17 juillet 2014 et le 17 juillet 2017. Si la Marque n’avait pas été ainsi employée, la Propriétaire devait fournir une preuve établissant la date à laquelle la Marque a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

[4] La définition pertinente d’« emploi » en liaison avec les produits est énoncée à l’article 4 de la Loi comme suit :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[5] Il est bien établi que de simples déclarations sur l’emploi ne sont pas suffisantes pour établir l’emploi dans le contexte de la procédure prévue à l’article 45 [Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc (1980), 53 CPR (2d) 62 (CAF)]. Même si le niveau de preuve requis pour établir l’emploi dans le cadre des procédures en vertu de l’article 45 est peu élevé [Woods Canada Ltd c Lang Michener (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst)] et qu’il ne soit pas nécessaire de produire une surabondance d’éléments de preuve [Union Electric Supply Co Ltd c le Registraire des marques de commerce (1982), 63 CPR (2d) 56 (CF 1re inst)], il n’en faut pas moins présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement pendant de la période pertinente [John Labatt Ltd c Rainer Brewing Co (1984), 80 CPR (2d) 228 (CAF)].

[6] En réponse à l’avis du registraire, la Propriétaire a produit l’affidavit du chef de son service de la propriété intellectuelle, Tatiana Arkadevna Aparshina, souscrit le 15 février 2018, en Russie. Les deux parties ont produit des observations écrites et ont été représentées à l’audience.

La preuve de la Propriétaire

[7] Dans son affidavit, Mme Aparshina déclare que la Propriétaire est dans l’industrie des boissons et qu’elle fabrique et vend des boissons sous diverses marques de commerce au Canada depuis de nombreuses années. En particulier, elle affirme que, depuis 2008, la Propriétaire a continuellement vendu au Canada des « eaux minérales et gazeuses et jus de fruits » arborant la Marque (les Produits DUCHESS). Elle explique que la Marque est imprimée sur des étiquettes apposées sur ces produits par la Propriétaire au moment de la fabrication et de l’expédition, et que c’est ainsi que la Marque a été employée pendant la période pertinente.

[8] Comme Pièce A à son affidavit, Mme Aparshina joint deux exemples d’étiquettes démontrant comment la Marque a été affichée sur les Produits DUCHESS vendus au Canada pendant la période pertinente. La première étiquette présente bien en vue la Marque au-dessus des mots « CARBONATED SOFT DRINK » (BOISSONS GAZEUSES GAZÉIFIÉES) et une image de trois poires. Les ingrédients de la boisson sont indiqués sur l’étiquette comme [traduction] « eau gazéifiée purifiée, sucre, acide citrique, arôme de poire, benzoate de sodium (comme agent de conservation), colorant caramel ». L’importance de ces ingrédients fera l’objet d’une discussion ci-dessous. La deuxième étiquette présente la Marque sur une bannière au-dessus des mots « CARNONATED NON ALCOHOIC BEVERAGE » (BOISSON GAZÉIFIÉE NON ALCOOLISÉE), sous un dessin comportant un verger bordé de groupes de poires et de bannières supplémentaires, dont l’une indique « ORIGINAL SOFT DRINK » (BOISSON GAZEUSE ORIGINALE). La liste des ingrédients est illisible, mais je remarque qu’elle est imprimée à côté d’un logo « NATURAL INGREDIENTS » (INGRÉDIENTS NATURELS). Sur les deux étiquettes, un petit logo « AQUA LIFE » est affiché à côté du tableau de la valeur nutritive.

[9] Mme Aparshina déclare que, pendant la période pertinente, les Produits DUCHESS ont été expédiés au Canada par Mercatus Nova Company, LLC (Mercatus), l’entité commerciale de la Propriétaire pour la distribution des Produits DUCHESS. Elle confirme que c’est la Propriétaire qui a fourni les Produits DUCHESS à Mercatus pour distribution pendant la période pertinente. Elle ajoute que Slovenian Chocolate à Toronto, en Ontario, et Wonder Berry Distribution Inc. à Vaughan, en Ontario, ont été des distributeurs des Produits DUCHESS au Canada pendant la période pertinente.

[10] En tant que Pièce B à son affidavit, Mme Aparshina joint divers documents qu’elle décrit comme des exemples de factures, de bordereaux de marchandises et de documents d’expédition attestant les ventes et les expéditions des Produits DUCHESS de Mercatus à Slovenian Chocolate et à Wonder Berry Distribution Inc. pour la revente à des clients au Canada. Des deux documents pour Slovenian Chocolate, un seul est daté dans la période pertinente : un bordereau de marchandises de 2015. Les autres documents identifient le destinataire comme étant Wonder Berry North America Inc. (à Vaughan). Ils se composent de cinq ensembles de documents datés de février 2017 à juin 2017, chaque ensemble contenant une facture, un bordereau de marchandises correspondant et divers formulaires correspondants en langue russe, qui sont probablement les documents d’expédition. Chacune des factures et chacun des bordereaux de marchandises couvre des centaines de bouteilles de boisson gazeuse gazéifiée « Duchess ».

[11] De plus, comme Pièce C à son affidavit, Mme Aparshina joint ce qu’elle décrit comme étant une circulaire représentative d’une épicerie Freshco située dans la région de Toronto et des photographies représentatives des Produits DUCHESS présentés par le distributeur de la Propriétaire à Vaughan. Mme Aparshina confirme que la circulaire, bien qu’elle soit datée après la période pertinente, est représentative de la publicité des Produits DUCHESS au Canada par Freshco (et d’autres non précisés) pendant la période pertinente. La page de circulaire en preuve annonce « Soft Drinks » (Boissons gazeuses) dans une bouteille dont l’étiquette ressemble à la deuxième étiquette de la Pièce A. Je note qu’une deuxième page annonce la même boisson, mais qu’elle a une disposition et une apparence générales différentes ainsi qu’un texte russe, ce qui ne permet pas de savoir si elle fait partie de la même circulaire; cependant, rien ne dépend de cette deuxième page. Les deux autres pages contiennent des photographies de rayons remplis de diverses bouteilles, boîtes et bocaux, y compris des bouteilles de boissons gazeuses DUCHESS arborant une étiquette similaire à celle illustrée dans la circulaire.

Remarques préliminaires

[12] D’emblée, comme l’a fait remarquer la Partie requérante, la preuve omet les produits visés par l’enregistrement « Bières ». En outre, la Propriétaire n’a fourni aucune preuve de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la Marque à l’égard de tels produits. Par conséquent, à tout le moins, les produits « bières » seront supprimés de l’enregistrement.

[13] Je prends également note de l’objection de la Partie requérante selon laquelle une grande partie des documents fournis en preuve de ventes sont irrecevables, étant soit en russe, sans traduction, soit écrits à la main et illisibles. Toutefois, les factures de langue anglaise sont lisibles et fournissent une preuve des ventes dans la pratique normale du commerce au Canada pendant la période pertinente. Il n’est donc pas nécessaire de se fier aux documents en langue russe.

Analyse

[14] Mme Aparshina fournit des preuves documentaires des ventes de centaines de bouteilles de boissons gazeuses gazéifiées DUCHESS au Canada au cours de la période pertinente par l’entremise du distributeur Mercatus de la Propriétaire, ainsi que des images d’étiquettes démontrant comment la Marque figurait sur l’emballage des produits au moment du transfert dans la pratique normale du commerce.

[15] La Partie requérante soutient que toute preuve de ventes de Mercatus ne profite pas à l’avantage de la Propriétaire, puisqu’il n’y a aucune explication de la relation entre la Propriétaire et Mercatus; aucune preuve que Mercatus est licencié pour l’emploi de la marque avec la Propriétaire conservant le contrôle requis sur la nature ou la qualité des produits; et aucune preuve documentaire des ventes de la Propriétaire à Mercatus et, par la suite, au consommateur final. La Partie requérante fait également remarquer que les « échantillons » d’étiquettes fournies à la Pièce A ne sont apposés sur aucun produit et, à cet égard, on ne peut pas déduire que les produits de la période pertinente ont nécessairement été étiquetés comme le montre la circulaire ultérieure ou les photographies non datées de la Pièce C. Enfin, la Partie requérante fait valoir que les seuls produits en preuve sont une [traduction] « boisson gazeuse gazéifiée », qui ne relève pas du champ d’application des produits enregistrés « eaux minérales et gazeuses et jus de fruits ».

[16] Premièrement, je suis convaincue que Mercatus, en tant qu’[traduction] « entité commerciale pour la distribution des Produits DUCHESS » de la Propriétaire, n’est qu’une distributrice des Produits de la Propriétaire. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire de fournir la preuve d’une relation corporative ou autre entre les deux entités ou d’une licence accordée à Mercatus pour l’emploi de la marque. En effet, en tant que fabricante des Produits, la Propriétaire exerce nécessairement un contrôle direct sur leur nature et leur qualité et forme le premier lien dans la chaîne de distribution au consommateur final.

[17] De plus, il n’est pas nécessaire de démontrer les ventes de la Propriétaire à son distributeur ou les ventes au consommateur final. Au contraire, il est bien établi que la pratique normale du commerce du propriétaire d’une marque de commerce fera souvent intervenir des distributeurs et des grossistes et/ou des détaillants et que la distribution et la vente des produits du propriétaire par l’intermédiaire de telles entités peuvent constituer un emploi de la marque de commerce qui s’applique au profit du propriétaire [voir Manhattan Industries Inc c Princeton Manufacturing Ltd (1971), 4 CPR (2d) 6 (CF 1re inst); Lin Trading Co c CBM Kabushiki Kaisha (1988), 21 CPR (3d) 417 (CAF); et Osler, Hoskin & Harcourt c Canada (Registraire des marques de commerce) (1997), 77 CPR (3d) 475 (CF 1re inst)].

[18] Quoi qu’il en soit, Mme Aparshina atteste que les étiquettes arborant la Marque sont apposées sur les produits par la Propriétaire au moment de la fabrication et de l’expédition et que c’est la Propriétaire qui a fourni les Produits DUCHESS à Mercatus pour distribution pendant la période pertinente. Contrairement à ce que la Partie requérante qualifiant cette déclaration de simple [traduction] « affirmation imprécise », une propriétaire peut « démontrer » l’emploi de sa marque de commerce en liaison avec des produits visés par l’enregistrement [traduction] « en décrivant les faits à partir desquels le registraire ou la Cour peut se former un avis ou peut logiquement déduire l’emploi au sens de l’article 4 » [voir Guido Berlucchi & C Srl c Brouilette Kosie Prince, 2007 CF 245, 56 CPR (4th) 401, au para 18]. La Cour fédérale a jugé inadéquat dans les procédures en vertu de l’article 45 sont des affirmations imprécises de l’emploi (une question de droit) par opposition aux affirmations de fait démontrant l’emploi [Mantha & Associés/Associates c Central Transport Inc (1995), 64 CPR (3d) 354].

[19] Je tiens également à souligner que je ne considère pas que la divergence entre l’identification par Mme Aparshina de l’un des acheteurs comme Wonder Berry Distribution Inc. et la documentation identifiant cet acheteur comme Wonder Berry North America Inc. ait une incidence quelconque. Les factures en preuve démontrent toujours des ventes répétées de grandes quantités de boissons DUCHESS par Mercatus à une entreprise au Canada pendant la période pertinente.

[20] En ce qui a trait à l’affichage de la Marque, j’accepte les déclarations de Mme Aparshina selon lesquelles les étiquettes en preuve démontrent comment la Marque a été affichée sur les produits de marque DUCHESS vendus au Canada pendant la période pertinente et que la circulaire en preuve, quelle que soit sa date, est représentative de la façon dont les produits ont été annoncés pendant la période pertinente. Sur cette base, je suis convaincue que les produits mentionnés dans les factures et les bordereaux de marchandises auraient arboré des étiquettes comme le démontrent les Pièces A et C.

[21] La question principale en l’espèce est de savoir si le produit vendu par Mercatus correspond aux produits visés par l’enregistrement « eaux minérales et gazeuses et jus de fruits ». Dans son affidavit, Mme Aparshina identifie le produit en utilisant cette description précise. Cependant, comme l’a fait remarquer la Partie requérante, tous les éléments de preuve documentaires identifient le produit plutôt comme une [traduction] « boisson gazeuse » ou une [traduction] « boisson gazeuse gazéifiée ».

[22] La Partie requérante fait valoir que l’enregistrement devrait être interprété comme comprenant deux produits distincts : « eaux minérales et gazeuses » et « jus de fruits ». La Partie requérante soutient en outre qu’une boisson gazeuse n’est ni une « eau » ni un « jus de fruits ». À cet égard, à l’audience, la Partie requérante a lu une définition de « soft drink » (boisson gazeuse) de la Britannica Online Encyclopedia comme « any of a class of non-alcoholic beverages usually but not necessarily carbonated normally containing a natural or artificial sweetening agent, edible acids, natural or artificial flavours and sometimes juice » (toute catégorie de boissons non alcoolisées habituellement, mais pas nécessairement, gazéifiées contenant normalement un agent édulcorant naturel ou artificiel, des acides comestibles, des arômes naturels ou artificiels et parfois du jus) et a fait remarquer que cette définition correspond à la liste des ingrédients figurant sur la première étiquette de la Pièce A. La Partie requérante a également lu une définition de « fruit juice » (jus de fruits) du site Web de Wikipédia « drink made from pressing fruit » (boisson faite à partir de fruits pressés) et a cité deux définitions de « aerated water » (eaux gazeuses) des observations écrites de la Propriétaire, à savoir par www.meriam-webster.com comme « any water artificially impregnated with a large amount of gas (as carbon dioxide) » (toute eau artificiellement imprégnée d’une grande quantité de gaz (comme du dioxyde de carbone)) et par Wikipédia comme « correctly speaking, water to which air is added [although the term is] frequently applied to carbonated water » (correctement, l’eau à laquelle de l’air est ajouté [bien que le terme soit] fréquemment appliqué à l’eau gazéifiée). Je constate que les extraits correspondants de ces ouvrages de référence n’ont pas été fournis, à titre de preuve ou autrement.

[23] Dans les observations de la Partie requérante, l’inscription de plusieurs produits spécifiques dans un enregistrement donne à penser que chacun des produits indiqués est d’une certaine façon différent des autres [citant John Labatt, précité]. De même, la Partie requérante soutient que l’étiquetage d’un produit avec le terme [traduction] « boisson gazeuse », par opposition à l’un des termes précisés dans l’enregistrement, suggère que le produit est d’une certaine façon différent de l’un des produits visés par l’enregistrement. À titre d’exemple, la Partie requérante fait valoir qu’un consommateur qui commande de l’eau ou un jus de fruits ne s’attend pas à recevoir le même type de produit que lorsqu’il commande une boisson gazeuse; en particulier, on ne s’attend pas à ce qu’une eau minérale ou gazeuse contienne du sucre comme ingrédient principal.

[24] La Partie requérante soutient en outre que le fait qu’un produit puisse contenir de l’eau gazeuse ne fait pas de ce produit une eau gazeuse en soi. Tout en reconnaissant qu’il ne faut pas être trop méticuleux dans la catégorisation des produits ambigus – par exemple, pour décider si les tomates sont dans la portée de « fruits » du produit visé par l’enregistrement –, la Partie requérante distingue la présente affaire au motif qu’il n’y a aucune ambiguïté dans une boisson gazeuse qui ne correspond pas à l’état déclaratif des produits. À l’appui de sa position, la Partie requérante fait remarquer que dans le Manuel des produits et des services publié par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada comme liste représentative des termes acceptables pour identifier les produits et services, les termes « mineral and carbonated waters » (eaux minérales et gazéifiées), « fruit flavoured carbonated drinks » (boissons gazéifiées aromatisées aux fruits), « fruit drinks and fruit juices » (boissons aux fruits et jus de fruits), et « carbonated soft drinks » (boissons gazeuses gazéifiées) sont tous clairement des termes distincts.

[25] La Propriétaire, pour sa part, fait valoir que « eaux minérales et gazeuses et jus de fruits » est un bien enregistré unique, qui peut être soit une eau gazéifiée aromatisée aux fruits, soit un mélange de jus de fruits et d’eau gazéifiée. À cet égard, la Propriétaire cherche à établir une analogie avec l’affaire Ridout & Maybee srl c Omega SA, où il a été statué que des produits spécifiques peuvent [traduction] « parfois être des représentants légitimes d’un groupe ou d’une catégorie de produits plus vastes dans l’enregistrement » (2004 CF 1703, 39 CPR (4th) 261, au para 25, inf. (mais non sur ce point) par 2005 CAF 306, 43 CPR (4th) 18). La Propriétaire fait valoir que les Produits DUCHESS peuvent être considérées soit comme une eau gazéifiée aromatisée aux fruits, soit comme un mélange de jus de fruits et d’eau gazéifiée, mais il ne considère pas que les Produits DUCHESS correspondent de quelque façon que ce soit à l’aspect « eaux minérales » de l’état déclaratif des produits.

[26] La Propriétaire soutient en outre que les produits visés par l’enregistrement devraient recevoir une interprétation généreuse, non limitée aux attentes du consommateur. À cet égard, la Propriétaire cite Molson Canada c Kaiserdom-Privatbrauverei Bamberg Wörner KG (2005), 43 CPR (4th) 313 (COMC), où il a été conclu qu’un enregistrement ne devrait pas être radié simplement au motif que les personnes pourraient s’attendre à ce que quelque chose appelé [traduction] « bière » ait un contenu alcoolique supérieur au type de bière vendu par l’inscrite. La Propriétaire soutient en outre qu’en tout état de cause, la définition des Produits DUCHESS comme « eaux minérales et gazeuses et jus de fruits » n’est pas contraire aux attentes des consommateurs. En particulier, les étiquettes DUCHESS en preuve diffèrent des étiquettes typiques de boissons gazeuses en ce sens que les étiquettes DUCHESS sont dominées par des images de vergers et de fruits et, sur les rayons illustrés à la Pièce C, les Produits DUCHESS semblent se trouver à côté des rayons d’eau et de produits de fruits plutôt que des boissons gazeuses.

[27] J’aimerais d’abord souligner que, bien que Mme Aparshina désigne le produit de la Propriétaire comme « eaux minérales et gazeuses et jus de fruits », elle ne précise pas s’il s’agit d’un terme commercial ordinaire pour ces produits. Elle n’explique pas non plus comment on peut considérer que ce produit répond aux trois caractéristiques d’une eau minérale, d’une eau gazeuse et d’un jus de fruits. Dans les circonstances, j’estime raisonnable d’interpréter la déclaration de Mme Aparshina selon laquelle les Produits DUCHESS sont des « eaux minérales et gazeuses et des jus de fruits » simplement comme une confirmation qu’elle considérerait le produit comme faisant partie de cet état déclaratif des produits. Il reste à déterminer si cette classification peut être acceptée et, s’il y a lieu, à quel bien spécifique correspond le produit.

[28] À cet égard, je ne considère pas nécessaire de déterminer si l’état déclaratif des produits peut être interprété comme se référant à un seul produit contenant à la fois de l’eau gazeuse (mais pas nécessairement de l’eau minérale) et du jus de fruits. En l’absence de preuve que l’ingrédient [traduction] « aromatisant à la poire » dans la boisson DUCHESS a été obtenu en pressant des fruits, plutôt que d’être, par exemple, un produit chimique qui ne goûte qu’aux poires, je ne suis pas prête à conclure que les Produits DUCHESS contiennent du jus de fruits. Bien que l’une des étiquettes arbore un logo d’INGRÉDIENTS NATURELS et, comme l’a fait remarquer la Propriétaire à l’audience, l’inclusion d’un agent de conservation parmi les ingrédients peut être compatible avec un composant de jus, je ne considère pas ces deux facteurs en soi suffisants pour conclure que l’ingrédient indiqué sur l’étiquette simplement comme [traduction] « aromatisant à la poire » est en fait du jus. À mon avis, une telle conclusion serait conjecturale.

[29] De plus, rien ne prouve que les Produits DUCHESS contiennent ou peuvent être qualifiés d’« eaux minérales ». Aucune des déclarations de la Propriétaire ne fait non plus état d’une telle corrélation.

[30] Cependant, je suis prête à accepter que les Produits DUCHESS puissent être qualifiés d’eaux gazeuses aromatisées et que les produits visés par l’enregistrement « eaux gazeuses » soient suffisamment vastes pour englober de telles eaux aromatisées. À cet égard, j’accepte que les termes « gazéifiées » et « gazeuses » puissent être considérés comme équivalents. De plus, bien que le produit en preuve soit étiqueté comme une « boisson gazeuse », je ne suis pas d’accord avec la Partie requérante pour dire que, aux fins de la présente instance, les catégories « boissons gazeuses » et « eaux gazeuses » sont nécessairement mutuellement exclusives.

[31] À cet égard, j’estime que les citations du Manuel des produits et des services ne sont pas particulièrement utiles. En l’absence de notes explicatives, le Manuel donne des exemples de la façon dont les produits et les services peuvent être définis dans des termes ordinaires du commerce acceptables précis, mais il n’indique pas dans quelle mesure des définitions précises peuvent se chevaucher ou ne fournit pas d’indications sur les termes appropriés à choisir dans des situations particulières.

[32] De plus, bien que je sois d’accord avec la Partie requérante que le simple fait d’inclure de l’eau gazeuse dans les ingrédients d’un produit ne fait pas automatiquement de ce produit une eau gazeuse en soi, dans le cas présent, l’ingrédient principal du produit semble être de [traduction] « l’eau gazéifiée purifiée », et rien n’indique que les autres ingrédients sont présents en quantités suffisamment grandes pour empêcher que le produit dans son ensemble ne soit une eau gazéifiée aromatisée.

[33] Même si j’acceptais l’entrée de l’encyclopédie citée par la Partie requérante comme preuve que les boissons gazeuses contiennent « normalement » un agent édulcorant et des acides comestibles, je ne considérerais pas ce fait seul comme suffisant pour conclure qu’une « boisson gazeuse » ne peut pas entrer dans la définition d’« eaux gazeuses ». En effet, l’encyclopédie n’indique pas que les « boissons gazeuses » contiennent nécessairement un édulcorant ou ont un goût sucré. À cet égard, bien que ça n’ait pas été cité par l’un ou l’autre des parties, je note que le Concise Canadian Oxford Dictionary (Toronto : Oxford University Press, 2005) définit « soft drink » simplement comme « a flavoured, carbonated, non-alcholic drink » (une boisson non alcoolisée aromatisée et gazéifiée) [voir Tradall SA c Devil’s Martini Inc, 2011 COMC 645, ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire du registraire de prendre un avis judiciaire des définitions de dictionnaire]. Dans les circonstances, je ne suis pas prête à conclure que la boisson vendue sous la marque DUCHESS – bien qu’elle semble contenir du sucre comme deuxième ingrédient, et de l’acide citrique comme troisième ingrédient – est nécessairement sucrée au point de ne plus être classable comme une « eau gazeuse » aromatisée à la poire. Au mieux, à mon avis, la question de savoir si la boisson DUCHESS peut être considérée à la fois comme une « boisson gazeuse » et une « eau gazeuse » aromatisée est ambiguë.

[34] Toutefois, il est bien établi qu’il faudrait éviter de « une marque de commerce dont l’emploi est établi en conformité avec le paragraphe 45(1) en raison uniquement de l’ambiguïté de la description des marchandises qu’elle vise » puisque ce résultat serait « incompatible avec l’objet de l’article 45 » [voir Fetherstonhaugh & Co c Conagra Inc, 2002 CF 1re inst 1257, 23 CPR (4th) 49, au para 23]. Par conséquent, lorsqu’on interprète un état déclaratif des produits dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45, qu’il faut se garder « d’examiner avec un soin méticuleux le langage utilisé » [voir Aird & Berlis LLP c Levi Strauss & Co, 2006 CF 654, 51 CPR (4th) 434, au para 17]. L’article 45 a pour objet et portée d’offrir une procédure simple, sommaire et expéditive pour débarrasser le registre du « bois mort ». La procédure prévue à l’article 45 ne vise pas à trancher des questions de fait contestées ou à offrir une solution de rechange à l’attaque inter partes habituelle contre une marque de commerce visée à l’article 57 de la Loi [Meredith & Finlayson c Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 40 CPR (3d) 409 (CAF)].

[35] Enfin, en ce qui a trait à l’affirmation de la Propriétaire selon laquelle un produit donné peut représenter une catégorie plus vaste de produits dans un enregistrement, la décision dans l’affaire Omega citée pour cette proposition se distingue. Dans Omega, l’état déclaratif des produits a été formulé comme une liste de produits précis dans une catégorie plus vaste et la question était de savoir si le libellé utilisé pour la catégorie plus vaste était exact. En l’espèce, l’état déclaratif des produits ne fait état que des produits précis, qui ne sont pas qualifiés par l’expression d’une catégorie plus vaste.

[36] Compte tenu de ce qui précède, je suis seulement convaincue que la Propriétaire a démontré l’emploi de la Marque en liaison avec les produits visés par l’enregistrement « eaux gazéifiées » au sens des articles 4 et 45 de la Loi.

[37] Puisque la Propriétaire n’a fourni aucune preuve de circonstances spéciales justifiant le non-emploi de la Marque au sens l’article 45(3) de la Loi, l’enregistrement sera modifié pour supprimer les autres produits.

Disposition

[38] Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi et selon les dispositions de l’article 45 de la Loi, l’enregistrement sera modifié pour supprimer les éléments suivants de l’état déclaratif des produits :

Bières; [eaux] minérales et… et jus de fruits.

[39] L’état déclaratif modifié des produits sera libellé comme suit :

Eaux gazeuses.

 

Oksana Osadchuk

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Marie-France Denis


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2020-12-03

COMPARUTIONS

Yves Canneva

POUR LA PROPRIÉTAIRE INSCRITE

Donna White

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

AGENTS AU DOSSIER

Barrette Legal Inc.

POUR LA PROPRIÉTAIRE INSCRITE

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

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