Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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CIPO

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2021 COMC 141

Date de la décision : 2021-06-30

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

Saputo Produits Laitiers Canada S.E.N.C. /
Saputo Dairy Products Canada G.P.

Opposante

 

et

 

 

A. Bosa & Co. Ltd.

Requérante

 

1,729,326 pour BLUE BRIE BLEU

Demande

[1] A. Bosa & Co. Ltd. (la Requérante) a demandé l’enregistrement de la marque de commerce BLUE BRIE BLEU (la Marque) pour emploi en liaison avec du fromage et des produits fromagers.

[2] Saputo Produits Laitiers Canada S.E.N.C. / Saputo Dairy Products Canada G.P. (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la Marque, principalement en alléguant qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce de l’Opposante BLEUBRY (la Marque de commerce de l’Opposante), employée en liaison avec un type fromage bleu à pâte molle affiné en surface.

[3] Pour les motifs qui suivent, l’opposition est rejetée.

Le dossier

[4] La demande d’enregistrement de la Marque (la Demande) a été produite par la Requérante le 21 mai 2015 et a reçu le numéro de série 1,729,326. Elle est fondée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada en liaison avec les produits suivants :

Fromage et produits fromagers, nommément pain au fromage, bâtonnets au fromage, muffins au fromage, quiches, gressins, craquelins, pains plats et confiseries au fromage, nommément cannoli, carrés au chocolat, gâteaux, barres-desserts, biscuits, flans, petits gâteaux, quatre-quarts, scones, tartelettes, pâtisseries, poudings, confettis, bonbons, cantuccini, biscuits à thé, panettone. (les Produits)

[5] La Demande a été annoncée dans le Journal des marques de commerce le 8 juin 2016, et a fait l’objet d’une opposition le 14 juillet 2016, quand l’Opposante a produit la déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). Les motifs d’opposition plaident la non-conformité à deux articles de la Loi : 30i) (contenu de la demande) et 16(3)a) (droit à l’enregistrement). Le 29 août 2016, la Requérante a produit une contre-déclaration niant les deux motifs d’opposition.

[6] De nombreuses modifications à la Loi sont entrées en vigueur le 17 juin 2019. Conformément aux dispositions transitoires à l’article 70 de la Loi pour les demandes annoncées avant cette date, les motifs d’opposition seront évalués sur le fondement de la Loi dans sa version précédant immédiatement la modification, à l’exception de la définition de confusion aux les articles 6(2) et (4) de la Loi dans sa version actuelle sera appliquée.

[7] L’Opposante a produit en preuve la déclaration solennelle de son vice-président au développement des affaires concernant des fromages fins et de spécialité importés, Pamela Nalewajek, daté le 25 janvier 2017. Mme Nalewajek explique comment la Marque de commerce de l’Opposante a été employée et promue au Canada.

[8] La Requérante a produit comme preuve trois affidavits :

  • L’affidavit de son président, Bruno Benedet Jr, daté du 4 décembre 2017. M. Benedet, qui est également président de la société affiliée de la Requérante, Italissima Foods Ltd., explique comment la Marque a été adoptée et a été employée au Canada en conjonction avec la Marque ITALISSIMA.
  • L’affidavit d’Hélène Deslauriers, daté du 22 novembre 2017. Mme Deslauriers est analyste de marques de commerce employée par la firme de recherche CompuMark, une division de Clarivate Analytics. Elle a cherché dans divers registres et bases de données des marques de commerce, des noms commerciaux et des noms de domaine contenant le mot BLUE ou BLEU pour emploi en liaison avec des produits alimentaires et son affidavit fournit les résultats de cette recherche.
  • L’affidavit de Thomas James, daté du 22 août 2017. M. James, analyste de recherche en marques de commerce employé par CompuMark, a utilisé le moteur de recherche Internet Google pour chercher les emplois des mots BLUE ou BLEU en liaison avec des produits alimentaires et son affidavit fournit les résultats de ses recherches.

[9] Aucun des témoins n’a été contre-interrogé.

[10] En ce qui a trait à l’affidavit de M. James, je note qu’il semble y avoir une divergence au sein du constat d’assermentation et dans l’approbation de la seule pièce : les deux sont datées du 22 août 2017, tandis que le corps de l’affidavit décrit une recherche effectuée à une date ultérieure, le 22 novembre 2017. Les résultats de recherche présentés ne sont pas datés; toutefois, ils semblent provenir d’un rapport plus vaste, dont le reste est joint à l’affidavit de Mme Deslauriers, et ce rapport plus vaste confirme que les recherches ont été terminées le 22 novembre 2017. Comme les affidavits Deslauriers et James concernent tous deux le même rapport de recherche, sont rédigés de la même façon, ont été assermentés devant le même commissaire et ont été produits ensemble auprès du registraire le 27 novembre 2017, il semble probable que l’affidavit de M. James a été assermenté le même jour que celui de Mme Deslauriers, le 22 novembre 2017, et que la référence à « août » plutôt que « novembre » dans son affidavit est une erreur typographique. En l’absence d’objection de l’Opposante, je ne considère pas que cette lacune technique ait une incidence sur la validité de l’affidavit de M. James. Je tiens toutefois à souligner que le fait de ne pas tenir compte de l’affidavit n’aurait pas eu d’incidence sur ma décision finale dans cette affaire, pour les raisons énoncées ci-dessous.

[11] Les deux parties ont produit des observations écrites et étaient présentes à une audience.

[12] À la suite de l’audience, l’Opposante a communiqué avec le registraire pour tenter de fournir d’autres observations écrites en réponse à une question soulevée à l’audience, concernant le besoin pour un opposant qui se fonde sur l’emploi antérieur d’une marque descriptive de démontrer qu’il y a eu une certaine reconnaissance de cette marque [pour une analyse de cette exigence, voir Merrill Lynch & Co c Banque de Montréal (1996), 66 CPR (3d) 150 (CF 1re inst)]. Étant donné que l’étape des observations écrites de la procédure était déjà terminée au moment où les autres observations ont été présentées, elles ne font pas partie du dossier et ne seront pas prises en considération. Je note toutefois que les autres observations proposées réitèrent essentiellement les observations de l’Opposante à l’audience, à savoir que sa marque de commerce n’a pas été démontrée comme étant descriptive et serait reconnue comme une marque de commerce par le public; le seul nouvel aspect est la citation de l’Opposante d’une décision antérieure de la Commission des oppositions des marques de commerce à l’appui de sa position. Toutefois, il n’est pas nécessaire de consulter une jurisprudence supplémentaire pour conclure que la Marque de commerce de l’Opposante serait reconnue par le public comme une marque de commerce, ce que j’ai constaté dans la présente affaire, pour les raisons énoncées dans mon analyse ci-dessous.

Fardeau de preuve et fardeau ultime

[13] Dans une procédure d’opposition, il incombe à la Requérante de démontrer que sa demande est conforme aux dispositions de la Loi. Toutefois, pour chaque motif d’opposition, il incombe à l’opposant de s’acquitter du fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de l’existence de chacun de ses motifs d’opposition. Si ce fardeau initial rempli, la Requérante doit alors convaincre le registraire, selon la prépondérance des probabilités, que le motif d’opposition ne devrait pas empêcher l’enregistrement de la marque de commerce en cause [Joseph E Seagram & Sons Ltd c Seagram Real Estate Ltd (1984), 3 CPR (3d) 325 (COMC); John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst)].

Motif d’opposition fondé sur l’article 30i) – La requérante a-t-elle correctement déclaré qu’elle est convaincue qu’elle a le droit d’employer la marque?

[14] L’Opposante plaide que la Demande n’est pas conforme aux exigences de l’article 30i) de la Loi parce que la Requérante a fait une fausse déclaration qu’elle est satisfaite qu’elle ait le droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Produits, ayant égard à ce qui est allégué dans la déclaration d’opposition.

[15] La seule autre allégation contenue dans la déclaration d’opposition est que la Marque crée de la confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante, ce qui est contraire à l’article 16(3)a) de la Loi. Toutefois, l’exigence d’une confusion alléguée de la marque de commerce ne rendrait pas en soi fausse la déclaration de la Requérante en vertu de l’article 30i), parce que la Requérante peut quand même être convaincue qu’il a droit d’employer la marque qu’elle tente d’enregistrer. En tout état de cause, un motif en vertu de l’article 30i) qui ne fait que répéter les arguments des motifs en vertu de l’article 16 ne contient pas suffisamment de faits pertinents pour constituer un motif d’opposition distinct. Ces motifs répétés sont incorrects [voir Standard Products Inc c TRUMPF GmbH + Co. KG, 2015 COMC 199].

[16] Pour ces raisons, le motif d’opposition fondé sur l’article 30i) est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’article 16(3)a) – La requérante avait-elle le droit d’enregistrer la marque?

[17] L’Opposante plaide que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu de l’article 16(3)a) de la Loi parce que, à la date de production de la Requérante et à tous les moments pertinents, la Marque créait de la confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante, employée par l’Opposante ou ses prédécesseurs en titre au Canada en liaison avec des fromages depuis au moins aussi tôt que 1998.

Le fardeau de preuve de l’Opposante

[18] Pour s’acquitter de son fardeau initial, l’Opposante doit prouver l’emploi de sa marque de commerce avant la date de production de la Demande, le 21 mai 2015, conformément à l’article 16(3)a) de la Loi, et également que sa marque de commerce n’avait pas été abandonnée à la date de l’annonce de la Demande, le 8 juin 2015, comme le prévoit l’article 16(5) de la Loi.

[19] Dans le cas d’une marque de commerce qui n’est pas intrinsèquement adaptée pour distinguer, comme une marque qui consiste en des mots descriptifs ou élogieux, un opposant doit également établir qu’il y a eu une certaine reconnaissance de la marque en tant que marque de commerce, c’est-à-dire qu’elle a effectivement fonctionné comme telle [Merrill Lynch, précité, au para 35].

[20] Pour s’acquitter de son fardeau initial, l’Opposante s’appuie sur la déclaration solennelle de Mme Nalewajek. Elle explique que l’Opposante développe, produit, commercialise et distribue une vaste gamme de produits laitiers, y compris un fromage bleu à pâte molle affiné en surface, pour lequel la Marque de commerce de l’Opposante a été créée [para 5 et 6]. Mme Nalewajek affirme que l’Opposante, elle-même ou par l’intermédiaire de ses prédécesseurs en titre, a commercialisé ce fromage sous la Marque de commerce de l’Opposante depuis « 1988 » [para 7]. Elle joint à l’appui les Pièces suivantes à sa déclaration :

  • Tableau illustrant les ventes annuelles de fromage BLEUBRY de l’Opposante à des détaillants au Canada pour les exercices 2003 à 2017 [Pièce PN1].
  • L’échantillonnage représentatif suivant de factures démontrant les ventes de fromage BLEUBRY à des détaillants dans l’ensemble du Canada [Pièce PN2] :
  • o Une facture de 1998 et des documents connexes envoyés par Cayer à un magasin d’aliments spécialisés en Alberta.

  • o Des douzaines de factures de 2011 à 2017, adressées par l’Opposante à divers épiceries et magasins d’alimentation dans l’ensemble du Canada.

  • o Une police avec empattement avec une majuscule initiale (le Logo imprimé). La marque de commerce est affichée sous un dessin d’un bouclier sur des groupes de baies rondes foncées (les images sont trop sombres pour distinguer le type de baies). Les emballages comportent le co-marquage avec un logo CAYER et l’un des emballages arbore également la mention « SAPUTO Cheese Division Fromage (Canada) ». La pertinence de ce c-marquage sera abordée ci-dessous.

  • o Un style de lettrage cursif avec la majuscule initiale (le Logo cursif). La marque de commerce est affichée avec des armoiries sur un arrière-plan en forme de bouclier. Les emballages illustrés comportent un co-marquage avec soit le logo ALEXIS DE PORTNEUF (contenant le nom La Fromagerie Alexis de Portneuf Fine Cheese Makers), soit avec le nom SAINT-HONORÉ. Des gros plans de deux dessous d’emballages affichent des dates « meilleur avant » en 2014 et en 2016, respectivement.

  • o Une feuille de mémoire descriptif de 2003, qui porte les mentions « Saputo Cheese Division (Canada) » (Division des fromages (Canada) de Saputo), « SAPUTO cheese Limited » (Les fromages Saputo Limitée) et « SAPUTO Foods Limited » (Aliments Saputo Limitée).

  • o Illustrations pour une affichette d’étagère de 2010 comportant le co-marquage, le logo ALEXIS DE PORTNEUF; les renseignements sur le dessin identifient le client comme étant « Saputo ».

  • o Une fiche promotionnelle faisant référence aux prix reçus jusqu’en 2014-2015, comportant le co-marquage avec le logo ALEXIS DE PORTNEUF et portant la mention « Saputo specialty cheese group dairy products division (canada) » (Division des produits laitiers groupes des fromages de spécialité (Canada) de Saputo).

  • o À partir de deux concours tenus en 2004, des certificats ont été remis à « Saputo » et à « Saputo inc. », respectivement.

  • o À partir de concours tenus en 2008 et 2009, des prix ont été décernés à « La Fromagerie Alexis de Portneuf » et « La Maison Alexis de Portneuf inc. », respectivement.

  • Des photographies démontrant un échantillon des matériaux d’emballage employés par l’Opposante pour commercialiser son fromage BLEUBRY au Canada [Pièce PN3]. La Marque de commerce de l’Opposante est affichée sur chaque emballage représenté sous l’une des deux formes suivantes :
  • Un échantillonnage de feuilles contenant des illustrations d’étiquettes et des renseignements sur les dessins, datées de 2009 à 2015 [Pièce PN3]. Les dessins d’étiquette présentent le Logo cursif et ressemblent en général à ceux des emballages illustrés dans la preuve. Sur les feuilles qui identifient le client pour le projet, le client est inscrit comme « Saputo » ou « Saputo Inc. ».
  • Un échantillon de matériel promotionnel – dont certains portaient le Logo imprimé et d’autres le Logo cursif – que l’Opposante employait pour commercialiser son fromage BLEUBRY au Canada [Pièce PN4]. Bien que l’affichage d’une marque de commerce dans la publicité ne constitue pas un emploi en liaison avec des produits (voir l’article 4 de la Loi), le matériel suivant est pertinent dans la mesure où il fournit des renseignements sur la source du produit :
  • Images des certificats et trophées suivants attribués au fromage BLEUBRY dans le cadre de concours canadiens [Pièce PN4] :

[21] À l’audience, la Requérante a fait remarquer que la colonne des chiffres de ventes de la Pièce PN1 pour l’exercice 2017 précise une plage de dates se terminant le 1er avril 2017, qui est après l’assermentation de l’affidavit en janvier 2017. Cependant, je n’interprète pas cela comme une divergence. À mon avis, il est raisonnable d’interpréter la plage de dates comme définissant l’exercice financier et le chiffre d’affaires comme représentant les ventes jusqu’à la date de l’affidavit. De plus, Mme Nalewajek précise que, pour des raisons de confidentialité, les chiffres de ventes dans le tableau ne représentent que des minimums [para 8].

[22] La Requérante soutient également que les références à Cayer, à Alexis de Portneuf et à Saint-Honoré sur l’emballage en preuve et le matériel promotionnel suggèrent que la Marque de commerce de l’Opposante n’est pas la propriété exclusive de la Propriétaire.

[23] Toutefois, je ne considère pas qu’un tel co-marquage distrait de la déclaration explicite de Mme Nalewajek selon laquelle l’Opposante a commercialisé du fromage BLEUBRY soit par elle-même, soit par l’entremise de ses prédécesseurs en titre. La preuve que des étiquettes de produits sont demandées ou commandées par « Saputo » semble concorder avec cette déclaration et, en fait, les factures en preuve à partir de 2011 démontrent les ventes de l’Opposante. Faire référence à Alexis de Portneuf sur les étiquettes en tant que fromager n’est pas nécessairement incompatible avec l’emploi par l’Opposante, étant donné qu’Alexis de Portneuf pourrait être l’un des noms commerciaux de l’Opposante, comme cela a été allégué à l’audience. Quant au nom Cayer mentionné sur les étiquettes et émettant la facture de 1998, il n’y a aucune raison de douter que Cayer soit un nom commercial antérieur ou l’un des prédécesseurs en titre de l’Opposante, comme le suggère la déclaration de Mme Nalewajek selon laquelle l’Opposante a commercialisé du fromage BLEUBRY soit par elle-même, soit par l’entremise de ses prédécesseurs en titre. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire que l’Opposante se fie aux documents faisant référence à Cayer pour s’acquitter de son fardeau de preuve.

[24] Si la Requérante craignait qu’Alexis de Portneuf (ou Cayer) soit une entité distincte ayant des revendications concurrentes à l’égard de la propriété de la Marque de commerce de l’Opposante ou que la preuve jette un doute sur l’entité qui employait la marque de commerce, il était alors ouvert à la Requérante de contre-interroger Mme Nalewajek pour répondre à de telles préoccupations. La Requérante a choisi de ne pas le faire. Dans les circonstances, je ne suis pas prête à écarter la déclaration sous serment de Mme Nalewajek sur la base des allégations non étayées de la Requérante.

[25] En ce qui concerne SAINT-HONORÉ, l’illustration de l’étiquette arborant cette marque indique clairement que l’emballage correspondant contient deux types différents de fromage : un fromage bleu à pâte molle affiné en surface BLEUBRY et un fromage brie triple crème rond SAINT-HONORÉ. Ainsi, la marque SAINT-HONORÉ ne s’applique pas au fromage vendu sous la Marque de commerce de l’Opposante.

[26] Compte tenu de ce qui précède, je ne vois aucun motif pour ignorer la preuve d’emploi de la Marque de commerce de l’Opposante présentée par Mme Nalewajek.

[27] Même si je conclus que la Marque de commerce de l’Opposante peut être considérée comme descriptive lorsqu’elle est prononcée – comme nous en discuterons plus en détail ci‑dessous – elle est présentée sur des emballages et des étiquettes sous forme de mot composé inventé avec une orthographe fantaisiste d’une taille et d’un style qui se démarquent du reste du texte. À ce titre, je suis convaincue qu’il serait reconnu par le consommateur moyen comme une marque de commerce, employée dans le but de distinguer les produits de l’Opposante des produits d’autrui [selon la définition d’une marque de commerce à l’article 2 de la Loi]. Étant donné que j’accepte également la preuve de l’Opposante concernant les ventes de fromage BLEUBRY depuis avant 2015 et que ces ventes se sont poursuivies jusqu’en 2017, je suis convaincue que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial. Par conséquent, il incombe maintenant à la Requérante de convaincre le registraire, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne créera probablement pas de confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante.

Test en matière de confusion

[28] L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice (une classification internationale des produits et services aux fins de l’enregistrement des marques de commerce) [article 6(2) de la Loi].

[29] Ce test ne concerne pas la confusion entre les marques de commerce elles-mêmes, mais plutôt la confusion portant à croire que les produits et les services liés à chacune des marques de commerce proviennent de la même source. Il doit être appliqué comme une question de la première impression dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé à la vue de la marque du requérant, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce de l’opposante et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques [voir Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au para 20].

[30] En appliquant le test en matière de confusion, il faut prendre en considération les circonstances de l’espèce, y compris celles qui sont énoncées à l’article 65(5) de la Loi : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Ces critères ne forment pas une liste exhaustive et le poids qu’il convient d’accorder à chacun d’eux variera dans une analyse propre au contexte [voir Veuve Clicquot, précité; Mattel USA Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22; Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27].

Degré de ressemblance entre les marques de commerce

[31] Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Masterpiece, le degré de ressemblance entre les marques de commerce est généralement le facteur qui revêt le plus d’importance dans l’évaluation de la probabilité de confusion. Il faut éviter de placer les marques de commerce côte à côte dans le but de les examiner attentivement et d’en relever les similitudes ou les différences; plutôt, chaque marque de commerce doit être considérée dans son ensemble et évaluée pour son effet sur le consommateur moyen [voir Veuve Clicquot, précité; et Masterpiece, précité]. Toutefois, il est tout de même possible d’en faire ressortir des caractéristiques particulières de chaque marque de commerce susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du public [United Artists Pictures Inc c Pink Panther Beauty Corp (1998), 80 CPR (3d) 247 (CAF)]. Il est préférable de se demander d’abord si les marques de commerce présentent un aspect « particulièrement frappant ou unique » [Masterpiece, précité, au para 64].

[32] En l’espèce, je considère que l’aspect le plus frappant et le plus unique de la Marque de commerce de l’Opposante est le fait qu’il s’agit d’une fusion du mot français « bleu » avec l’équivalent phonétique du mot bilingue « brie » pour créer un seul mot ressemblant quelque peu au mot anglais « blueberry » (bleuet). L’impression dominante créée par la marque de commerce est celle d’un mot inventé dérivé d’une description du produit associé.

[33] J’estime que l’aspect le plus frappant de la Marque est qu’il s’agit d’une combinaison tronquée de la phrase descriptive anglaise « blue brie » et de l’équivalent français « brie bleu », pour former un triplet allitératif, monosyllabique et presque symétrique. L’impression dominante créée par la Marque est que des descriptions de produits équivalentes en anglais et en français sont présentées avec la technique d’économie d’espace consistant à recouvrir leur élément commun (pour des exemples non liés de cette technique de chevauchement, voir la fiche technique de l’Opposante avec la description du produit « FROMAGE Bleubry CHEESE » et le certificat intitulé « canadian cheese GRAND PRIX des fromages canadiens » [Déclaration de Nalewajek, Pièce PN4 aux pages 8 et 5]).

[34] Il existe un degré important de ressemblance conceptuelle entre les deux marques de commerce dans la mesure où elles décrivent toutes deux un style particulier de fromage bleu : un brie bleu. Ils ont aussi tous deux une qualité bilingue. Cependant, il y a aussi des différences conceptuelles en ce sens que la Marque de commerce de l’Opposante est présentée comme un seul mot avec une orthographe fantaisiste, alors que la Marque est un triplet de mots ordinaires du dictionnaire. L’impression générale créée par chaque marque de commerce diffère en ce sens que la Marque de commerce de l’Opposante crée l’impression d’un mot inventé qui ressemble quelque peu au mot « blueberry » (bleuet), alors que la Marque donne l’impression d’une description d’allitération standard du produit.

[35] Les différences qui précèdent dans la présentation se traduisent également par des différences visuelles importantes entre les marques. De plus, sur le plan phonétique, la Marque est plus longue et présente un degré de symétrie que la Marque de commerce de l’Opposante ne contient pas.

[36] Je remarque que, sur le plan phonétique, les deux premiers tiers de la Marque ressemblent fortement à la Marque de commerce de l’Opposante. La première partie d’une marque de commerce est généralement considérée comme celle la plus importante pour établir son caractère distinctif [voir Conde Nast Publications Inc c Union des Editions Modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CF 1re inst)]. Toutefois, lorsqu’une partie d’une marque de commerce est un terme descriptif ou suggestif courant, son importance diminue [voir Merial LLC c Novartis Animal Health Canada Inc. (2001), 11 CPR (4th) 191 (CF 1re inst)]. Ainsi, en l’espèce, il y aurait une tendance à ignorer l’importance de la similitude phonétique et conceptuelle entre la Marque de commerce de l’Opposante et la première partie de la Marque dans la mesure où l’expression « blue brie » décrit un fromage bleu fait dans le style d’un brie. La tendance serait de se fonder plutôt sur les autres caractéristiques non descriptives des marques pour les distinguer. Ainsi, à mon avis, l’accent serait davantage mis sur la façon dont le concept de « blue brie » est présenté, c’est-à-dire comme un seul mot ressemblant à un « blueberry » dans le cas de la Marque de commerce de l’Opposante ou comme un triplet monosyllabique d’allitération dans le cas de la Marque.

[37] Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante soutient que, [traduction] « sur le plan phonétique, on peut soutenir que la Requérante s’est approprié la marque de l’Opposante dans son entièreté » et que la Requérante a [traduction] « simplement échangé “BLEU” pour “BLUE”, a ajouté le terme “BLEU” comme suffixe et a légèrement modifié l’orthographe de “BRY” » [para 58]. Selon l’Opposante, il serait erroné de considérer ces modifications [traduction] « de façon isolée » comme créant une différence importante entre les marques [para 59]. Toutefois, les observations de l’Opposante semblent comporter une comparaison côte à côte du type de mises en garde des tribunaux. Même si je suis d’accord avec l’Opposante pour dire qu’il n’est pas approprié de mettre l’accent sur de petites variations d’orthographe de façon isolée, le cas présent est celui où de nombreuses caractéristiques visuelles, sonores et conceptuelles agissent de concert, de sorte que l’impression générale créée par chaque marque de commerce est différente.

[38] Je tiens également à souligner que, à mon avis, la question de la ressemblance du point de vue d’un consommateur unilingue plutôt que bilingue ne modifierait pas considérablement l’analyse. D’un point de vue anglophone, je ne considère pas que la différence d’orthographe et de prononciation entre « bleu » et « blue » (si elle est remarquée) ou entre « bry » et « brie » soit si grande que BLEUBRY ne suggérerait pas l’idée d’un « blue brie » (brie bleu) à un consommateur de fromage unilingue anglophone. De même, je ne considère pas que l’inversion et l’orthographe erronée des mots de l’expression française « brie bleu » aurait obscurci leur sens à un consommateur unilingue francophone qui voit le mot inventé BLEUBRY en liaison avec du fromage.

[39] En ce qui a trait à la Marque, bien qu’un consommateur unilingue ne perçoive peut-être pas trois mots ordinaires du dictionnaire ou une description bilingue du produit, je considère qu’il est probable que le mot BLEU soit perçu comme une variante de BLUE et vice versa. Ainsi, la Marque véhiculerait toujours l’idée du mot BRIE qui se trouvait entre les variantes du mot BLUE ou BLEU.

[40] En résumé, comme les points de ressemblance entre les marques de commerce des parties sont dans leurs aspects descriptifs, je considère que les caractéristiques de présentation les plus frappantes sont plus susceptibles d’exercer une influence déterminante sur la perception de chaque marque de commerce par le public, comme une première impression et un souvenir imparfait. Dans l’ensemble, bien qu’il s’agisse d’une issue serrée, j’estime que le facteur de ressemblance favorise la Requérante.

Caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[41] Il est bien établi que les marques de commerce composées des mots descriptifs ou suggestifs ont peu de distinction inhérente [voir Prince Edward Island Mutual Insurance Co c Insurance Co of Prince Edward Island (1999), 86 CPR (3d) 342 (CF 1re inst); Kellogg Canada Inc c Weetabix of Canada Ltd, 2002 CFPI 724].

[42] La Marque de commerce de l’Opposante est composée (i) du mot ordinaire du dictionnaire français BLEU, qui ressemble de près à son équivalent anglais BLUE, suivi immédiatement (ii) du suffixe BRY, qui est l’équivalent phonétique du mot ordinaire BRIE, un terme qui, en français et en anglais, désigne un type de fromage mou affiné en surface. Par conséquent, la Marque de commerce de l’Opposante dans son ensemble est très suggestive, sinon descriptive, du fromage bleu de style brie. De plus, comme nous l’avons vu plus haut, je ne considère pas que la différence entre « blue » et « bleu » modifie de façon importante l’impression créée par la Marque de commerce de l’Opposante sur un consommateur unilingue anglophone; je ne considère pas non plus que la différence entre « brie bleu » et « bleu brie » (l’équivalent phonétique de « BLEUBRY ») masque la connotation descriptive de la Marque de commerce de l’Opposante pour un consommateur unilingue francophone.

[43] La Marque donne une description semblable du fromage bleu de style brie, étant donné qu’il contient à la fois l’expression anglaise BLUE BRIE et l’expression française BRIE BLEU. Je ne considère pas que l’ajout de BLEU à la suite de la phrase anglaise ou l’ajout de BLUE avant la phrase française nuit considérablement au caractère descriptif de la Marque. J’estime également que la Marque donne une description des autres produits fromagers de la Requérante en ce sens qu’elle décrit les produits fabriqués avec et/ou aromatisés à du brie bleu.

[44] Cependant, la Marque de commerce de l’Opposante est présentée comme un mot inventé et comporte une orthographe non traditionnelle. À l’inverse, bien que les caractéristiques d’allitération et de symétrie présentent un certain intérêt pour la Marque, celle-ci est constituée uniquement de mots ordinaires du dictionnaire épelés de la façon habituelle. J’estime que cette différence accroît le niveau de caractère distinctif inhérent de la Marque de commerce de l’Opposante légèrement au-dessus de celui de la Marque.

[45] Le caractère distinctif d’une marque de commerce peut être accru par l’emploi et la promotion au Canada [voir Sarah Coventry Inc c Abrahamian (1984), 1 CPR (3d) 238 (CF 1re inst); GSW Ltd c Great West Steel Industries Ltd (1975), 22 CPR (2d) 154 (CF 1re inst)]. La preuve de l’Opposante à cet égard comprend les détails suivants de la déclaration de Mme Nalewajek :

  • Le tableau des ventes à la Pièce PN1, qui démontre que les produits BLEUBRY ont été vendus à des détaillants dans chaque province (mais principalement au Québec) au cours des exercices 2003 à 2017, avec des ventes totales au Canada allant de 200 000 $ à près de 500 000 $ chaque année à compter de l’exercice 2004.
  • L’échantillonnage du matériel promotionnel employé par l’Opposante pour commercialiser ses produits BLEUBRY au Canada [Pièce PN4]. Toutefois, Mme Nalewajek ne précise pas où, quand, à qui ou dans quelle mesure le matériel a été distribué. Au mieux, le matériel suggère qu’il y a probablement eu au moins une certaine promotion de la Marque de commerce de l’Opposante en liaison avec du fromage BLEUBRY entre 2003 et 2015 :
    • une fiche de recette faisant référence à un prix reçu en 2004;
    • les illustrations d’une affichette d’étagère dont la date de création est en 2010;
    • un livret de style magazine de l’automne 2013 démontrant le fromage BLEUBRY dans un article sur les plateaux de fromages;
    • diverses pages de mémoire descriptif de produits, allant d’un ensemble daté de novembre 2003 à un spécimen faisant référence aux prix obtenus en 2009, 2010 et 2014-2015.
  • Les images de certificats et de trophées attribués au fromage BLEUBRY dans le cadre des concours du Grand Prix des fromages canadiens de 2004 et du concours des fromages du Québec Sélection Caseus de 2004, 2008 et 2009 [Pièce PN4].
  • La déclaration de Mme Nalewajek selon laquelle le budget de publicité de l’Opposante pour les fromages de spécialité était de l’ordre de 80 000 $ en 2002 et de 1 million de dollars en 2017 [para 11]. Toutefois, comme elle ne précise pas quelle partie du budget était consacrée aux produits BLEUBRY en particulier, ni quelle était la taille du budget publicitaire dans les années qui ont immédiatement précédé la date pertinente, les chiffres du budget publicitaire ne sont pas particulièrement probants.

[46] La Requérante fournit également des preuves d’emploi : M. Benedet affirme que la Requérante a vendu des Produits sous la Marque au grand public au Canada et, à l’appui, il fournit des illustrations avec des renseignements sur la conception de trois étiquettes de fromage [para 78, Pièce C]. Cependant, M. Benedet ne précise pas quand l’emploi de la Marque a eu lieu et, probablement, il n’aurait pas eu lieu avant de produire la Demande fondée sur l’emploi projeté. Bien que les renseignements sur la conception de deux des étiquettes indiquent une date de révision en 2008, M. Benedet atteste que la Marque a été adoptée [traduction] « en mai 2015 ou vers cette date » [para 3].

[47] À la lumière de ce qui précède, je conclus que la Marque de commerce de l’Opposante est devenue connue au moins dans une certaine mesure dans l’ensemble du Canada à la date pertinente et, dans une certaine mesure, au Québec, alors que la preuve ne donne pas lieu à une conclusion que la Marque est connue au Canada dans une mesure quelconque.

[48] Dans l’ensemble, ce facteur favorise légèrement l’Opposante.

Durée d’emploi des marques de commerce

[49] Bien que Mme Nalewajek affirme que l’Opposante, elle-même ou par l’entremise de ses prédécesseurs en titre, a commercialisé du fromage sous la marque de commerce de l’Opposante depuis 1988, il n’y a aucun détail concernant les ventes de cette époque (en fait, la déclaration d’opposition plaide l’emploi depuis seulement 1998). De plus, seule la facture unique de 1998 est présentée comme preuve de ventes avant 2003. Néanmoins, la preuve démontre l’emploi continu et la promotion de la Marque de commerce de l’Opposante depuis 2003, alors que la demande est fondée sur l’emploi projeté et, en fait, il n’y a aucune preuve de l’emploi de la Marque avant sa production. Par conséquent, ce facteur favorise l’Opposante.

Nature des produits des parties

[50] En vertu de l’article 16(3)a), c’est l’état déclaratif des produits tel que défini dans la demande de la requérante par rapport aux produits pour lesquels l’opposante a démontré un emploi réel qui régit l’analyse des facteurs prévus aux articles 6(5)c) et d). Lorsqu’il est probable que les produits de la requérante proviennent de l’opposante ou sont approuvés, autorisés ou appuyés par l’opposante, il s’ensuit que les marques de commerce créent de la confusion [voir Glen-Warren Productions Ltd c Gertex Hosiery Ltd (1990), 2 CPR (3d) 7 (CF 1re inst)].

[51] En l’espèce, les Produits comprennent du fromage et divers produits fromagers (par exemple, du pain au fromage, des quiches et des confiseries). Je note que l’exemple d’illustration de l’étiquette jointe à l’affidavit de M. Benedet vise un [traduction] « fromage bleu à pâte molle affinée » rond de 300 g, un bloc de 500 g et une pointe de 1 kg, avec la description ajoutée [traduction] « Double crème » [Pièce C].

[52] De même, il est démontré que la Marque de commerce de l’Opposante a été employée en liaison avec du fromage caractérisé sur les étiquettes du produit comme étant mou, affiné en surface et bleu, vendu en tant que ronds et blocs dans des emballages de tailles allant de 200 grammes à 1,5 kilogramme [Pièces PN2 et PN3]. De plus, les images du produit dans le matériel promotionnel démontrent qu’il ressemble à un brie, mais qu’il est accompagné de veines bleues, et les descriptions de produit dans de tels matériels le définissent de façon variée comme [traduction] « une version lisse des fromages bleus »; [traduction] « produit du mariage entre des fromages mous et bleus »; [traduction] « un produit novateur dans la catégorie des fromages bleus »; [traduction] « ce fromage doux, crémeux et affiné en surface est riche en veines bleues »; et [traduction] « une adaptation du fromage français Bleu de Bresse » [Pièce PN4]. Je tiens également à souligner que les certificats et les prix en preuve placent le fromage de l’Opposante dans l’une des deux catégories suivantes : fromage bleu (« blue cheese ») ou Fromage de lait de vache, à pâte molle (« soft cow’s milk cheese ») [Pièce PN4].

[53] Il semble donc que la nature des produits des parties (i) soit la même en ce qui a trait au fromage de la Requérante et (ii) serait étroitement lié en ce qui a trait aux produits fromagers de la Requérante, en ce sens qu’un produit fromager arborant la marque d’un fromage pourrait être associé à cette marque de fromage ou, du moins, être fabriqué avec celle-ci.

[54] Par conséquent, la nature des produits des parties est un facteur qui favorise l’Opposante.

Nature du commerce des parties

[55] L’état déclaratif des produits doit être évalué compte tenu des voies de commercialisation normalement liées à ces produits [voir Mr Submarine Ltd c Amandista Investments Ltd (1987), 19 CPR (3d) 3 (CAF); et Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c Super Dragon Import Export (1986), 12 CPR (3d) 110 (CAF)]. L’état déclaratif doit être lu dans l’optique de déterminer le type probable d’entreprise ou de commerce envisagé par les parties et non l’ensemble des commerces que le libellé est susceptible d’englober; une preuve du commerce véritable de la requérante est utile à cet égard [voir McDonald’s Corp c Coffee Hut Stores Ltd (1996), 68 CPR (3d) 168 (CAF); Procter & Gamble Inc c Hunter Packaging Ltd, 1999 CarswellNat 3465 (COMC)].

[56] M. Benedet explique que la Requérante est la propriétaire et l’exploitante de l’entreprise individuelle « Bosa Foods », qui exploite une épicerie sous ce nom à Vancouver, Colombie-Britannique, et que la Requérante est également affiliée à la société Italissima Foods Ltd. [para 7]. Il affirme que la Requérante vend des Produits sous la Marque au grand public au Canada [traduction] « sous licence implicite avec la marque ITALISSIMA » [para 7]. En effet, l’illustration de l’étiquette de fromage jointe à son affidavit présente à la fois la Marque et une marque de commerce ITALISSIMA [Pièce C]. Comme nous l’avons déjà mentionné, la Demande couvre également d’autres produits fromagers, mais rien n’indique que leurs voies de commercialisation ou leurs marques seraient différentes.

[57] Quant au fromage BLEUBRY de l’Opposante, Mme Nalewajek affirme qu’il est vendu par l’entremise de détaillants et de revendeurs [para 89]. Les factures jointes à sa déclaration démontrent des ventes à divers épiceries et magasins d’alimentation [Pièce PN2].

[58] L’affidavit de M. Benedet n’indique pas clairement si les Produits sont vendus à l’extérieur du magasin Bosa Foods de la Requérante. Peu importe, l’état déclaratif des produits dans la Demande d’enregistrement de la marque ne limite pas les Produits à une seule voie. Compte tenu de la similitude entre les produits respectifs des parties, et en l’absence de preuve contraire, j’estime que les voies de commercialisation de tels produits seraient normalement les mêmes ou semblables et qu’il y a un potentiel considérable de chevauchement si la Requérante décidait de commercialiser ses produits à l’extérieur da propre épicerie.

[59] Par conséquent, la nature du commerce des parties favorise également l’Opposante.

Autres circonstances additionnelles

[60] Dans ses observations écrites et à l’audience, la Requérante a soulevé plusieurs autres circonstances additionnelles, comme suit.

Portée de la protection accordée aux marques de commerce contenant des termes descriptifs

[61] Il est bien établi que les marques de commerce composées de mots descriptifs ou de mots suggestifs ne peuvent bénéficier que d’une protection limitée [Prince Edward Island, précité; Kellogg Canada, précité]. On peut raisonnablement s’attendre à une plus grande discrimination de la part du public lorsqu’une marque de commerce consiste en tout ou en partie en des mots décrivant des articles à vendre, de sorte que les différences relativement faibles soient suffisantes pour éviter la confusion [General Motors Corp c Bellows, [1949] RCS 678, citant Office Cleaning Services Ltd c Westminster Window & General Cleaners, Ltd (1946), 63 CPR 39, à la p. 41 (CL)].

[62] À l’audience, la Requérante a soutenu que le fait de conclure qu’il existe une probabilité de confusion dans la présente affaire accorderait à la Marque de commerce de l’Opposante une plus grande protection que celle qui est justifiée pour un mot composé formé par une mauvaise orthographe de deux mots descriptifs. Selon la Requérante, il faudrait une preuve plus importante de reconnaissance sur le marché pour établir des droits de common law dans une marque de commerce aussi suggestive et possiblement descriptive.

[63] Toutefois, l’Opposante soutient que la preuve n’établit pas que [traduction] « brie bleu » ou même [traduction] « fromage brie bleu » est une description courante. Selon l’Opposante, une conclusion selon laquelle sa marque de commerce est descriptive comporterait une conclusion logique qui va au-delà de l’application du bon sens à la question de la manière prescrite par la Cour fédérale [voir Neptune SA c Procureur général du Canada, 2003 CAF 715, où il a été conclu que l’évaluation du registraire visant à déterminer si une marque de commerce est clairement descriptive doit non seulement tenir compte de la preuve, mais aussi appliquer le bon sens].

[64] Peu importe que la description précise de « brie bleu » soit courante, je suis d’accord avec la Requérante pour dire que la Marque de commerce de l’Opposante, lorsqu’elle est prononcée, est hautement suggestive, sinon descriptive, du produit associé, à savoir un fromage bleu de style brie.

[65] Dans Neptune, la Cour fédérale a conclu que, bien que les dictionnaires puissent être utiles pour découvrir le sens d’un mot, il n’est pas interdit qu’un mot inventé soit clairement descriptif. Même si cette affaire portait sur l’évaluation du caractère descriptif clair en vertu de l’article 12(1)b) de la Loi, je considère que les mêmes principes s’appliquent au moment d’évaluer le caractère descriptif pour déterminer la portée de la protection d’une marque de commerce dans le contexte d’une analyse de la confusion. Par conséquent, je note la définition de « Brie » comme « a kind of soft cheese » (une sorte de fromage à pâte molle) dans l’extrait du Oxford Encyclopedic English Dictionary (New York : Oxford University Press, 1996) joint à titre de Pièce A à l’affidavit de M. Benedet. De plus, même si aucune autre définition n’a été citée par l’une ou l’autre des parties, je note les définitions plus détaillées suivantes dans le Concise Canadian Oxford Dictionary (Toronto : Oxford University Press, 2005) [voir Tradall SA c Devil’s Martini Inc, 2011 COMC 645, concernant la discrétion du registraire de prendre connaissance d’office de définition du dictionnaire] :

blue cheese: any of several strong cheeses produced with veins of blue mould, e.g. Gorgonzola or roquefort. (fromage bleu : n’importe lequel des fromages forts produits avec moisissures internes, p. ex., gorgonzola ou roquefort.)

brie : a kind of ripened soft cheese with a white mould skin. [Brie, a former province in N France] (brie : une sorte de fromage mûr affiné avec une peau à moisissure blanche.) (Brie, une ancienne province du nord de la France)

[66] Je remarque également que l’emballage d’un double paquet de fromages SAINT-HONORÉ et BLEUBRY, représenté à la Pièce PN3 de la déclaration de Mme Nalewajek, décrit le fromage BLUEBRY comme étant « FROMAGE À PÂTE MOLLE AFFINÉ EN SURFACE, PERSILLÉ DE BLEU » et le fromage SAINT-HONORÉ comme étant du « FROMAGE BRIE TRIPLE CRÈME » (soulignement ajouté). Les descriptions équivalentes sont affichées en anglais : « SOFT, SURFACE-RIPENED, BLUE-VEINED CHEESE » et « TRIPLE CREAM BRIE CHEESE » (soulignement ajouté). De plus, dans l’échantillon de publicité à la Pièce PN4, on emploie des termes comme « mariage entre pâte molle et semences de bleus » (« marriage between soft and blue cheeses ») et [traduction] « adaptation du fromage français Bleu de Bresse ». Il semble donc que l’Opposante utilise elle-même les termes « blue », « Bleu » et « brie » dans un sens descriptif pour étiqueter et promouvoir ses fromages.

[67] À la lumière de ces éléments de preuve et en appliquant le bon sens, je conclus qu’un consommateur moyen considérerait la Marque de commerce de l’Opposante dans son ensemble comme très suggestive, sinon descriptive, d’un fromage bleu de style brie. J’estime qu’il n’y a qu’une légère augmentation du caractère distinctif découlant (i) de la mauvaise orthographe de « brie » en tant que « bry »; (ii) l’orthographe de « blue » comme « bleu » (ou, du point de vue francophone, l’inversion de la description de « brie bleu »); et (iii) la présentation de cette description de deux mots comme un seul mot – la description d’un fromage bleu de style brie est toujours facilement transmise.

[68] De plus, j’estime que la preuve d’emploi et de promotion de la Marque de commerce de l’Opposante n’est pas aussi vaste que pour accroître considérablement sa portée de protection. Bien que la preuve d’emploi soit suffisante pour s’acquitter du fardeau de preuve de l’Opposante, la preuve d’emploi et de promotion ne permet pas de démontrer que la Marque de commerce de l’Opposante était devenue dans une grande connue à la date pertinente.

[69] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la Marque de commerce de l’Opposante n’a pas droit à une protection particulièrement étendue et que des différences relativement petites peuvent suffire à éviter la confusion. Par conséquent, ce facteur favorise la Requérante.

État du registre et état du marché

[70] La Requérante a également fourni une preuve sur l’état du registre et l’état du marché afin d’établir que les marques de commerce, y compris le mot « BLUE » ou « BLEU », sont courantes dans le commerce des aliments. L’existence commune d’un certain élément tend à amener les acheteurs à prêter plus d’attention aux autres caractéristiques des marques de commerce et à les distinguer par ces autres caractéristiques [voir Polo Ralph Lauren Corp c United States Polo Assn (2000), 9 CPR (4th) 51 (CAF); et Maximum Nutrition Ltd c Kellogg Salada Canada Inc (1992), 43 CPR (3d) 349 (CAF)]. Toutefois, j’estime que la preuve fournie ne suffit pas pour permettre de tirer des conclusions significatives au sujet des perceptions des consommateurs.

[71] La preuve de la Requérante découle de diverses recherches demandées par l’intermédiaire de son agent de marques de commerce et est présentée par les affidavits de M. Benedet, de Mme Deslauriers et de M. James.

[72] L’affidavit de M. Benedet contient les résultats d’une recherche effectuée le 6 mai 2015 dans le Système informatisé pour la recherche de dénominations sociales et de marques de commerce NUANS dans la classification de Nice 29 (viandes et aliments transformés), 30 (aliments de base), 31 (aliments frais) et 32 (bière et boissons non alcoolisées) [Pièce B]. La recherche n’a donné que les quatre marques de commerce suivantes contenant le mot BLUE ou BLEU ou un équivalent phonétique enregistré en liaison avec des produits fromagers :

Marque

Numéro d’enregistrement

Propriétaire

BLUEDINO

LMC592612

Lidl Stiftung & Co. KG

MIDNIGHT BLUE

LMC543128

Valio Ltd.

ROSENBORG & BELLABLU

LMC671968

Arla Foods Amba

DANABLU

LMC685051

Non indiqué

[73] L’affidavit de Mme Deslauriers contient les résultats de trois recherches qu’elle a effectuées en ligne le 22 novembre 2017 pour le mot BLUE ou BLEU dans les classes de Nice 29 et 30 [Pièce HD1] :

  • Une recherche dans le registre canadien des marques de commerce. Les observations écrites de la Requérante attirent l’attention sur les 10 mentions suivantes pour les marques enregistrées avant la date pertinente en liaison avec des produits de fromage :

Marque

Numéro d’enregistrement

Propriétaire

BLEU VILLE

LMC599391

Lidl Stiftung & Co. KG

BLUE BUNNY

LMC443503

Wells Enterprises, Inc.

LE BLEU FOLLET et dessin

LMC886525

Fromagerie l’Oiseau Bleu Inc.

FLEUR DE BLEU

LMC615328

Savencia SA

CORDON BLEU

UCA015209

Cordon Bleu International Ltée

CORDON BLEU Design

LMC239600

Dessin CORDON BLEU

LMC199966

BRESSE BLEU

LMC299592

Bressor Alliance, société anonyme

BRESSE BLEU; Dessin

LMC300128

BRESSE BLEU (& Dessin)

LMC659694

BLEU DE CAMPAGNE

LMC619060

BLANC BLEU

LMC902879

9023-1952 Québec Inc.
d/b/a Les Dépendances

GRIS-BLEU

LMC714777

GEAI BLEU

LMC581473

L’AMI BLEU

LMC715189

  • Une recherche de noms commerciaux dans certaines [traduction] « sources de common law canadiennes » et les registres officiels de noms commerciaux canadiens. La Requérante n’attire pas l’attention sur aucun des résultats; toutefois, je note que les entités suivantes dont le champ « Nom de l’entreprise » ou « Secteur d’activité » comprend une référence à du fromage :

Nom de l’entreprise

(Nom secondaire de l’entreprise)

Date de création

Secteur d’activité

Ventes annuelles ($)

Blue Harbour Cheese

2013

Fromages, naturels et fondus

Non indiqué

Fromagerie Ruban Bleu Inc

2005

Moutons et chèvres

65,665

Les Fromages Latino Inc.

(Fromagerie l’Oiseau Bleu)

2004

Produits laitiers, sauf en poudre ou en conserve

277 200

  • Une recherche de noms de domaine au moyen de la base de données de CompuMark, avec des imprimés des pages d’accueil correspondantes. De nombreux noms de domaine contenant le mot BLUE ou BLEU ont été trouvés, mais aucun des sites Web correspondants n’a été démontré comme ayant trait à des produits de fromages. (Les détails pour lebleu.shop comprennent un champ « Description » qui se lit comme suit : [traduction] « Bienvenue à lebleu.shop. Le site de référence sur le Web pour la nourriture – Fromage »; toutefois, l’imprimé du site Web correspondant indique que le domaine est à vendre.)

[74] L’affidavit de M. James contient les résultats d’une recherche qu’il a effectuée à l’aide du moteur de recherche Internet Google le 22 novembre 2017, pour les classes de Nice 29 et 30 [Pièce TJ1]. Les résultats de la recherche contiennent des imprimés ou des extraits des pages Web dans lesquelles se trouvent les mots BLUE ou BLEU dans le titre de la page Web ou faisant partie d’une marque de commerce ou d’un nom commercial figurant sur la page Web. Les résultats comprennent ce qui suit :

  • Une page Web pour les fromages, dont « Bleu bénédictin », « Bleu extra-fort » et « Bleu fumé ».
  • Une page Web canadienne vendant de la marque « daiya » « Vinaigrette simili-fromage bleu ».
  • Listes d’un site Web sur les produits alimentaires du Québec pour un substitut de fromage à base de noix « Fauxmage Bleu », ainsi qu’une saucisse « Bleu d’Élizabeth » et un produit « Beurre bleu et porto », indiquant où acheter chaque produit.
  • Une page Web .ca « Cordon Bleu » qui est en construction (ainsi qu’une page Web .ca pour la sauce « Pantry Cordon Bleu »).
  • Plus d’une douzaine de pages Web ayant trait à des produits et services alimentaires, dont certains sont annoncés comme étant disponibles au Canada; toutefois, aucune des références aux produits ou services ne mentionne du fromage.

[75] La Cour fédérale a conclu qu’à moins qu’un nombre important de marques de commerce soient indiqués dans l’état de la preuve du registre, l’emploi des marques de commerce citées doit être établi [voir Maximum Nutrition, précité; McDowell c Laverana GmbH & Co. KG, 2017 CF 327; et Canada Bread Company, Limited c Dr. Smood APS, 2019 CF 306]. Lorsqu’un grand nombre de marques de commerce inscrites est indiqué, le registraire peut en déduire que l’élément qu’elles ont toutes en commun est employé sur le marché; lorsque le nombre de marques de commerce indiqué n’est pas grand, la preuve d’un tel emploi doit être fournie.

[76] La Requérantte cherche à établir une analogie entre la présente affaire et celle qui a été établie dans Assurant, Inc c Assurancia Inc, 2018 CF 121, où il a été conclu que de petites différences suffisaient à distinguer les marques de commerce des parties, ASSURANT et ASSURANCIA, toutes deux employées en liaison avec des services d’assurance, parce que l’élément partagé « ASSURAN » était très suggestif et couramment employé dans l’industrie de l’assurance. Dans cette affaire, les recherches ont révélé 69 points contenant « ASSUR » en liaison avec l’assurance ainsi que 130 courtiers et 37 assureurs employant « ASSURAN » dans leur nom d’entreprise ou de compagnie. Le grand nombre de résultats pertinents corroboraient l’inférence selon laquelle l’élément partagé était commun dans l’industrie.

[77] En l’espèce, toutefois, même si la preuve de M. Benedet est combinée à celle de Mme Deslauriers, il n’y a que 18 marques de commerce déposées, au nom de seulement neuf ou dix propriétaires différentes (la propriétaire de l’une des marques n’est pas identifiée). De plus, trois des résultats visent essentiellement la même marque de commerce (CORDON BLEU sous forme de mot et de dessin) et trois autres, la même marque de commerce (BLEU BRESSE sous forme de mot et de dessin). Seulement 11 des enregistrements (dans le nom de trois propriétaires différentes) contiennent des revendications d’emploi au Canada.

[78] Il est difficile de tirer des conclusions significatives sur l’état du marché et les perceptions des consommateurs à partir d’un si petit nombre d’enregistrements. C’est particulièrement le cas, étant donné qu’aucune des recherches de noms commerciaux, de noms de domaine ou de common law n’a révélé l’existence de ces 18 marques de commerce sur le marché. Au mieux, il existe des preuves qu’une page Web CORDON BLEU pour des produits ou des services non précisés est en construction. (Si un marché plus vaste était également pertinent – par exemple, celui des produits laitiers en général –, cela n’a pas été établi par la Requérante. Au contraire, les références pertinentes identifiées par la Requérante sont celles qui concernent spécifiquement les produits de fromage.)

[79] En ce qui concerne la preuve de l’emploi de marques de commerce non enregistrées, les recherches n’ont permis de relever que trois occurrences de BLUE ou BLEU en lien avec du fromage (« Bleu bénédictin », « Bleu extra-fort » et « Bleu fumé ») – et deux autres occurrences si vous tenez compte des références aux arômes ou substituts de fromage (« Vinaigrette simili-fromage bleu » et « Fauxmage Bleu »). Toutefois, sans plus d’information, il est difficile de dire si ces expressions sont des marques de commerce ou des descriptions de produits. De plus, il n’y a aucune preuve que les pages Web correspondantes ont été visitées par des Canadiens autres que M. James et aucune preuve de la mesure dans laquelle l’un ou l’autre des produits aurait pu être promu ou distribué au Canada à la date pertinente.

[80] De même, il n’y a aucune preuve de la mesure dans laquelle l’un des trois noms commerciaux BLUE ou BLEU ayant un lien avec du fromage aurait pu être employé au Canada à la date pertinente.

[81] Il est également important de noter que la ressemblance entre les marques de commerce des parties en l’espèce va au-delà de l’élément « BLUE »/« BLEU » pour inclure également l’élément « BRIE »/« BRY ». Pourtant, aucun des marques de commerce, noms commerciaux ou noms de domaine situés dans les diverses recherches susmentionnées ne contient le mot BLUE ou BLEU (ou un équivalent phonétique) en combinaison avec le mot BRIE (ou un équivalent phonétique) – pour emploi en liaison avec des produits de fromage ou autrement.

[82] Par conséquent, la preuve ne permet pas de conclure que les consommateurs canadiens de produits alimentaires ont été employés à un moment quelconque pour faire la distinction entre des marques de commerce et/ou des noms commerciaux suggérant un [traduction] « brie bleu » ou mêmes qu’ils étaient habitués à voir le mot BLUE ou BLEU dans les marques de commerce ou les noms commerciaux dans le domaine des parties. Par conséquent, l’état du registre et le marché ne sont pas une autre circonstance importante dans le cas présent.

La façon dont la Marque est employée

[83] La Requérante fait valoir que le mot BRIE est mis en évidence lorsque la Marque est apposée sur les étiquettes des produits [observations écrites au paragraphe 6.2]. En effet, l’illustration sur l’étiquette en preuve présente la Marque, en caractères majuscules simples, avec le mot BRIE beaucoup plus grand que les mots BLUE et BLEU [Pièce C]. De plus, les Produits arborant la Marque présentent également la marque de commerce ITALISSIMA quelque part sur l’étiquette [Pièce C].

[84] Je commencerais tout d’abord par noter qu’au moment d’évaluer la probabilité de confusion, c’est l’effet même de la marque visée par l’enregistrement qui doit être pris en considération, et non l’effet d’autres indices qui peuvent apparaître avec la marque de commerce dans l’emploi réel [voir Reno-Dépôt Inc c Homer TLC Inc, 2010 COMC 11; Groupe Fruits & Passion Inc, 2007 CarswellNat 2319 (COMC)]. Ces facteurs contextuels ne font pas partie de la marque de commerce que la requérante cherche à enregistrer. Par conséquent, le co-marquage avec ITALISSIMA ne renforce pas le cas de la Requérante.

[85] De plus, il serait erroné d’estimer qu’il y a une probabilité de confusion réduite en fonction de la façon particulière dont la Marque est présentée dans la preuve. Étant donné que la Demande vise une marque nominale, l’enregistrement permettrait son emploi dans n’importe quelle taille ou style de lettrage, de couleur ou de dessin. Ainsi, rien n’empêcherait la Requérante de modifier son étiquetage pour présenter la Marque dans une police de script avec une seule majuscule initiale ou avec BLUE et BRIE plus près l’un de l’autre et considérablement plus visible que BLEU. L’emploi réel n’est pas dénudé de pertinence, mais il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui seraient être dans la portée de l’enregistrement [Masterpiece, précité].

[86] Cela dit, l’évaluation de la ressemblance dans ce cas reste entre BLEUBRY et BLUE BRIE BLEU, pas entre BLEUBRY et BLUE BRIE. La Demande vise une marque de commerce en trois mots et la probabilité de confusion doit être évaluée sur ce fondement.

[87] Par conséquent, ce facteur n’aide ni la Requérante ni l’Opposante.

Aucun cas de confusion réelle

[88] Dans son affidavit, M. Benedet affirme qu’il n’est au courant d’aucune confusion entre la Marque de commerce de l’Opposante et la Marque à aucun moment [para 9]. Une inférence défavorable peut être tirée de l’absence d’une preuve de confusion réelle, lorsqu’une telle preuve pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée [Mattel, précité]. Par conséquent, bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant, si la preuve démontre un emploi simultané significatif des deux marques de commerce dans la même région pendant de nombreuses années, l’absence d’une preuve de confusion réelle peut appuyer la conclusion que la confusion est peu probable. Toutefois, dans la présente affaire, la preuve ne démontre pas l’étendue de l’emploi de la Marque au Canada. Par conséquent, cela ne me permet pas de tirer une conclusion significative d’une absence de confusion réelle. Par conséquent, j’estime que l’absence de preuves de confusion réelle dans cas n’est pas un facteur pertinent.

Conclusion concernant la confusion

[89] Pour que la Requérante puisse s’acquitter de son fardeau juridique, le registraire doit être raisonnablement convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, l’enregistrement demandé ne créera vraisemblablement pas de confusion; il n’est pas nécessaire que le registraire soit convaincu hors de tout doute que la confusion est improbable [voir Christian Dior SA c Dion Neckwear Ltd, 2002 CAF 29].

[90] À la suite de mon analyse de tous les facteurs pertinents, je suis convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, la Marque ne créera vraisemblablement pas de confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante. Bien que l’affaire soit proche, j’estime que les différences entre les deux marques de commerce sont suffisantes pour éviter une probabilité de confusion quant à la source des produits et services respectifs des parties, à titre de première impression et de souvenir imparfait, en dépit de l’emploi et de promotion antérieurs de la Marque de commerce de l’Opposante et du chevauchement important dans la nature des produits et commerces.

[91] J’en arrive à cette conclusion en gardant à l’esprit que la Marque de commerce de l’Opposante est hautement suggestive, sinon descriptive, des produits associés et que la preuve de son emploi et de sa promotion ne permet pas d’établir un degré significatif de caractère distinctif acquis. À ce titre, la Marque de commerce de l’Opposante n’a pas droit à une protection particulièrement étendue. Le caractère distinctif inhérent qu’elle possède découle principalement de sa présentation comme un mot inventé avec une orthographe fantaisiste – caractéristiques absentes de la Marque.

[92] Dans les circonstances de la présente affaire, une conclusion selon laquelle les marques de commerce en cause créent de la confusion en raison de l’élément descriptif commun ne tiendrait pas compte des totalités des marques. Bien qu’il y ait une certaine ressemblance entre les marques, c’est parce que la Marque de commerce de l’Opposante et les deux premiers tiers de la Marque sonnent comme l’expression « blue brie », qui est très suggestive, sinon descriptive, des produits associés. Les aspects non descriptifs de chaque marque de commerce créent des différences visuelles, sonores et conceptuelles entre les marques. Enfin, l’impression créée par chaque marque de commerce est différente, la Marque de commerce de l’Opposante étant un seul mot inventé ressemblant au mot « blueberry » (bleuet) et la marque étant trois mots distincts dans un triplet d’allitération. Étant donné le caractère descriptif de l’élément commun, je suis convaincue que ces différences suffisent pour que le consommateur moyen puisse distinguer les marques.

[93] Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté.

Disposition

[94] Compte tenu de ce qui précède, et dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

 

Oksana Osadchuk

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Marie-France Denis


 


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2020-11-10

COMPARUTIONS

Kevin Graham

POUR L’OPPOSANTE

Kirsten Severson

POUR LA REQUÉRANTE

AGENTS AU DOSSIER

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., SRL/LLP

POUR L’OPPOSANTE

KLS Trademark Services

POUR LA REQUÉRANTE

 

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