Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2021 COMC 238

Date de la décision : 2021-10-28

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

Institut national de l’origine et de la qualité et Comité interprofessionnel du vin de Champagne

Opposants

et

 

Sugarfina, Inc.

Requérante

 

1,711,478 pour CHAMPAGNE BEARS

Demande

[1] L’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) est un organisme public français qui a pour responsabilité, entre autres, de définir les appellations d’origine contrôlée (AOC) applicables à certains vins français, y compris les exigences auxquelles ces vins répondent en ce qui concerne, entre autres, leur origine géographique et leurs conditions de production. Pour sa part, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) est une organisation française regroupant les vignerons et les maisons de vin de la région vinicole de Champagne en France et a pour mission, notamment, d’assurer la reconnaissance et la protection dans le monde de l’appellation d’origine contrôlée Champagne.

[2] L’INAO et le CIVC (collectivement, l’Opposant) s’opposent à l’enregistrement de la marque de commerce CHAMPAGNE BEARS (la Marque), visé par la demande no 1,711,478 qui est au nom de Sugarfina, Inc. (la Requérante). La demande visant la Marque a été produite le 19 janvier 2015 en liaison avec des « Bonbons; friandises; bonbons gélifiés » sur la base du double emploi au Canada depuis au moins le 16 novembre 2012 et l’enregistrement et l’emploi aux États-Unis.

[3] Pour les raisons exposées ci-dessous, la demande est rejetée.

Dossier et actes et arguments

[4] La Marque a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 17 février 2016, et le 18 juillet 2016, l’Opposant a produit un avis d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi). Toutes les mentions dans la présente décision visent la Loi dans sa version modifiée le 17 juin 2019, à l’exception des renvois aux motifs d’opposition qui se rapportent à la Loi dans sa version avant sa modification.

[5] Les motifs d’opposition invoqués par l’Opposant sont reproduits dans leur intégralité ci-dessous:

[traduction]

  • a) La [Marque] n’est pas enregistrable en vertu de l’article 7d) de la [Loi], car l’emploi de l’appellation d’origine contrôlée CHAMPAGNE en liaison avec produits visés par la [d]emande est interdite en ce sens qu’elle constitue une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en erreur en ce qui regarde leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition, leur origine géographique ou leur mode de fabrication et de production.

  • b) L’article 38(2)b) de la Loi, en ce sens que la [Marque] n’est pas enregistrable en vertu de l’article 12(1)b) de la Loi puisqu’elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en français ou en anglais, de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production ou de leur lieu d’origine.

[6] La Requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie les allégations figurant dans la déclaration d’opposition.

[7] À l’appui de son opposition, l’Opposant a produit une copie certifiée conforme de l’indication géographique no 1,683,704 pour le Champagne et les affidavits de Jennifer Dyal et Van Khai Luong datés respectivement du 5 avril 2017 (les affidavits Dyal et Luong), qui sont résumés ci-dessous. À l’appui de sa demande, la Requérante a produit l’affidavit de Natasha Gulati, daté du 4 août 2017 (affidavit Gulati), qui est également résumé ci-dessous. Aucun des déposants n’a été contre-interrogé.

[8] Les deux parties ont produit des observations écrites et ont été représentées à l’audience.

Aperçu de la preuve

Preuve de l’Opposant

[9] Mmes Dyal et Luong sont toutes deux employées par les agents de marque de commerce de l’Opposant et elles produisent en preuve les résultats de diverses recherches en ligne, de visites de magasins et de recherches effectuées dans une bibliothèque, à savoir Bibliothèque et archives nationales du Québec.

Affidavit Dyal

[10] Mme Dyal fournit des extraits du site Web de la Requérante à sugarfina.com en date du 8 mars 2017 montrant les produits offerts en liaison avec la Marque [para 5, Pièces JHD‑1 à 10]. Je note que, dans l’ensemble, ils arborent des renseignements, ce qui semble être conforme à la preuve de la Requérante à cet égard fournie par Mme Gulati et résumée ci-dessous.

[11] Mme Dyal donne également les résultats de sa visite dans les magasins de Montréal les 4 et 5 avril 2017 pour acheter des produits au Champagne, à savoir de la gelée, de la moutarde, du vinaigre et de la confiture, dont les étiquettes arborent toutes le mot Champagne [para 6, Pièces JHD‑11 à 14].

[12] Enfin, Mme Dyal fournit une copie d’un article en ligne du Toronto Star du 25 août 2016 intitulé « I Ate This : the most coveted candy of the summer », qui comprend une mention et une évaluation des « Dom Perignon-infused Champagne bears » de la Requérante [para 7, Pièce JHD‑15].

Affidavit Luong

[13] Mme Luong fournit des renseignements généraux détaillés sur l’Opposant [para 5 à 8, Pièces VKL‑1 à 10]. Elle fournit également des renseignements sur l’appellation d’origine Champagne, la région de Champagne, ainsi que sur le vin qui en provient [para 9 à 11, Pièces VKL‑11 à 22]. Parmi les documents soumis, sa preuve à cet égard comprend :

· Plusieurs articles en ligne qui se réfèrent à la région de Champagne et à son vin, dont :

Articles en ligne de Jacques Benoit du Droit et de La Presse intitulé Le champagne : charme, séduction, Dix champagnes pour les fêtes et Champagne bien aimé publiés respectivement le 1er décembre 2014 et les 10 et 11 décembre 2015. Les imprimés sont tous datés du 17 mai 2016 [Pièce VKL‑12].

Articles en ligne de Guénaël Revel publiés sur son site MonsieurBulles.com entre octobre 2011 et septembre 2015. Les imprimés sont tous datés du 19 mai 2016 [Pièce VKL‑16].

Articles en ligne de Nicole Barrette Ryan et Guénaël Revel de Vins & Vignobles intitulé Champagne et mets – partager le plaisir, Le champagne est-il immuable? et Le Champagne Veuve Clicquot remercie le Québec publié en septembre et novembre 2015. Les imprimés sont tous datés du 17 mai 2016 [Pièce VKL‑17].

Un article en ligne de Frédéric Arnould intitulé Vins mousseux canadiens : les bulles du profit publié sur le site ici.radio-canada.ca le 14 février 2014. L’imprimé est aussi daté du 17 mai 2016 [Pièce VKL‑18].

· De nombreux extraits de livres et de magazines qui se réfèrent à la région de Champagne et à son vin, dont :

Roger Des Roches, La Dolce Vita : Champagne (1999); Guénaël Revel et Chrystine Brouillet, Couleur Champagne (2006); Guénaël Revel, Vins mousseux et champagnes (2007), Revel 2011 – Guide des Champagnes et des autres bulles (2011), Guide Revel 2013 des Champagnes et des autres bulles (2013) et Guide Revel 2014 Champagnes et autres bulles (2014) [Pièce VKL‑13].

Chantal Gagnon, Test Champagnes (Protégez-Vous, 1999); David Cobbold, Champagnes, semblables, mais tous si différents... (Vins & Vignobles, 2000); Janine Saine, L’art et le vin en Champagne – dans les crayères champenoises (Vins & Vignobles, 2006); David Cobbold, Champagne – Comment gérer le succès? (Vins & Vignobles, 2007‑2008); Guénaël Revel, Heidsieck – Une famille champenoise (Vins & Vignobles, 2009‑2010); Véronique Rivest, Bulles en fête – du champagne pour tout le monde (Cellier, 2013) [Pièce VKL‑14].

Plusieurs articles du magazine Taste publiés par BC Liquor Stores entre 2007 et 2015 [Pièce VKL‑15].

· Une copie de ce qui semble être une présentation PowerPoint pour un cours intitulé Atelier Bulles – Cours sur les vins, bières et spiritueux, offert par la Société des alcools du Québec (SAQ) en 2012 [Pièce VKL‑18].

· Un extrait d’un rapport de tendance de 2013 intitulé Tendances de la consommation Vin, bière et spiritueux au Canada, publié par Agriculture et Agroalimentaire Canada [Pièce VKL‑18]. Entre autres renseignements, je note que le rapport comprend les volumes de ventes annuelles de vin de Champagne au Canada pour 2006‑2012 et 2016 et qu’au moins 800 000 litres de ce vin ont été vendus chaque année entre 2006 et 2012.

· Les résultats des recherches de « Champagne » sur les sites Web de quatre régies provinciales des alcools, à savoir la SAQ [Pièce VKL‑19], la Régie des alcools de l’Ontario [Pièce VKL‑20], la Société des alcools du Nouveau-Brunswick [Pièce VKL‑21] et la Saskatchewan Liquor and Gaming Authority [pièce VKL‑22]. Ces imprimés sont tous datés du 18 mai 2016.

Preuve de la Requérante – affidavit Gulati

[14] Mme Gulati est employée par les agents de marque de commerce de la Requérante et produit en preuve les résultats de diverses recherches en ligne et d’une visite de magasin au cours de laquelle elle a acheté une partie des produits de la Requérante vendus sous la Marque. Sa preuve vise principalement à appuyer l’affirmation de la Requérante selon laquelle le terme « champagne » est couramment utilisé comme saveur et comme couleur, ainsi que d’autres emplois, y compris pour suggérer une qualité élevée ou un luxe. Plus précisément, Mme Gulati fournit :

· Des définitions de « champagne » de dictionnaires en ligne, parmi lesquelles :

  • Dictionary.com [Pièce A, sous-section 1]

 

champagne

nom

  • 1. (majuscule à la première lettre) le vin de table mousseux, sec et blanc de la région de Champagne en France.

  • 2. un vin mousseux similaire produit ailleurs.

  • 3. (anciennement) le vin de table non mousseux, sec et blanc produit dans la région de Champagne en France.

  • 4. une couleur jaune très pâle ou jaune verdâtre.

  • 5. tout ce qui est considéré comme le meilleur ou le luxe.

adjectif

  • 6. ayant la couleur du champagne.

  • 7. luxueux ou cher : le champagne a un goût.

 

Champagne

nom

  • 1. une région et ancienne province du nord-est de la France.

 

  • Le dictionnaire en ligne Oxford [Pièce A, sous-section 2]

 

champagne

NOM

  • 1. Un vin mousseux blanc de Champagne.

    • 1.1 Couleur crème pâle ou paille

 

Champagne

NOM PROPRE

Ancienne province du nord-est de la France qui correspond désormais à la région administrative Champagne-Ardenne. La région est réputée pour le vin mousseux blanc qui y a été produit pour la première fois vers 1700.

 

  • Le dictionnaire en ligne Merriam-Webster [Pièce A, sous-section 3]

 

champagne nom

variantes : ou moins couramment Champagne

1 : un vin mousseux blanc fabriqué dans l’ancienne province de Champagne, en France;

également un vin similaire fait ailleurs

2 : un jaune orange pâle à brun gris clair

· La preuve de l’état du registre sous forme de recherches qu’elle a effectuées dans la Base de données sur les marques de commerce canadiennes contenant le mot « champagne », à l’exception de celles qui couvrent les produits classés dans la classe de Nice 33 (qui comprend principalement les boissons alcoolisées) [Pièce D], les marques contenant le mot « bear » et les produits classés dans la classe de Nice 30 (qui comprend les friandises et les bonbons gélifiés parmi de nombreuses autres denrées alimentaires) [Pièce E] et les marques contenant le mot « bear » et visant des produits décrits comme marchandises décrites comme « friandises » [Pièce F]. Je note un certain nombre de divergences dans les résultats de recherche présentés dans ces pièces. Par exemple, elles comprennent de nombreux événements non pertinents, tel que des demandes de marques inactives (abandonnées, annulées ou radiées) ou des enregistrements ou des demandes de marques qui sont soit formalisés, par défaut, cherchés/examinés ou même qui font l’objet d’une opposition. Parmi les enregistrements de marques de commerce actives, il y a aussi des occurrences non pertinentes qui ne contiennent pas du tout les mots « champagne » ou « bear(s) » (comme PAIN DE CAMPAGNE... SUPER CROUSTILLANT!, Poulet portugais au Piri ROTISSERIE CRISTÓVÃ O ou LE CHOIX DE NOUNOURS Dessin).

· Des photographies d’une boîte de bonbons arborant la Marque (dont deux sont illustrées ci-dessous), ainsi que des preuves d’étiquette arborant la Marque [Pièce G].

· Des extraits du site web nordstrom.ca montrant certains des produits de la Requérante arborant la Marque [Pièces I à J].

· Les résultats de ses recherches sur Google en utilisant les termes de recherche suivants : « champagne flavored », « champagne flavoured », « champagne colored », « champagne coloured », « champagne flavored snack » et « champagne flavored confectionery » [Pièce K].

· Les résultats de ses recherches sur le site amazon.ca pour le mot « champagne », en particulier dans les catégories de produits « Grocery & Gourmet Foods », « Clothing & Accessories », « Jewelry », « Electronics » et « Baby » [Pièce L].

· Les résultats de ses recherches sur le site sears.ca pour le mot « champagne » [Pièce M].

· Les résultats de ses recherches sur un certain nombre de sites tiers arborant le mot « champagne » en relation avec des produits tels que de la nourriture, du savon pour le corps, du parfum et des bijoux. Des imprimés montrant les ingrédients de quelques-uns des produits sont également inclus lorsqu’ils étaient disponibles [Pièce N].

Fardeau de preuve des parties

[15] L’Opposant doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [John Labatt Limited c The Molson Companies Limited (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst)]. Si elle s’est acquittée de ce fardeau, la Requérante doit alors s’acquitter du fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun motif d’opposition ne fait obstacle à l’enregistrement de la Marque

Analyse

[16] À titre préliminaire, je constate que la Requérante, à juste titre, conteste le libellé des deux motifs d’opposition alléguant qu’ils ne sont pas suffisamment plaidés.

[17] Je conviens que l’article 7d) ne constitue pas un motif d’opposition valable alléguant la non-enregistrabilité de la Marque. La non-enregistrabilité est visée par l’article 12 de la Loi qui ne comprend aucune référence à une marque de commerce qui serait susceptible d’induire le public en erreur quant à la nature, la qualité et la composition des produits liés [R c Anheuser‑Busch, LLC, 2014 COMC 192, au para 9]. Le motif d’opposition a) est donc rejeté parce qu’il est invalide. Toutefois, après avoir évalué le caractère suffisant des arguments en liaison avec les éléments de preuve, je suis convaincue que la Requérante connaissait les arguments qu’elle devait présenter en ce qui concerne le motif d’opposition b), lequel peut être interprété comme soulevant une question de non-enregistrabilité parce que la Marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des produits visés par la demande ou de leur lieu d’origine.

Article 12(1)b)

[18] La date pertinente pour évaluer l’enregistrabilité en l’espèce est la date de production de la demande, à savoir le 19 janvier 2015 [General House Wares Corp c Fiesta Barbeques Ltd, 2003 CF 1021].

[19] La question de savoir si la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse doit être envisagée du point de vue de l’acheteur moyen des produits liés à cette marque. La Marque ne doit pas être analysée dans ses moindres détails, mais considérée dans son ensemble sous l’angle de la première impression [Wool Bureau of Canada Ltd c Registraire des marques de commerce (1978), 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst); Promotions Atlantiques Inc c Registraire des marques de commerce (1984), 2 CPR (3d) 183 (CF 1re inst)]. En d’autres termes, la marque de commerce ne doit pas être examinée de façon isolée, mais en fonction de l’ensemble du contexte des produits [Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général) 2012 CAF 60]. Enfin, en plus d’examiner la preuve présentée, le registraire doit appliquer son sens commun à sa décision sur le caractère descriptif [Neptune SA c Canada (Procureur général) (2003), 29 CPR (4th) 497 (CF 1re inst)].

[20] Pour donner une description « claire », la signification de la Marque doit être [traduction] « facile à comprendre, évident ou simple » [Drackett Co of Canada Ltd c American Home Products Corp (1968), 55 CPR 29 (C de l’É), à la p. 34]. Pour donner une description « fausse et trompeuse », la Marque doit tromper le public quant à la nature ou à la qualité de ses produits liés [Promotions Atlantiques Inc, précité]. En tout état de cause, la nature descriptive de la Marque doit s’appliquer à la composition matérielle des produits ou se rapporter à une qualité intrinsèque évidente, par exemple une caractéristique, une particularité ou un trait inhérents au produit [ITV Technologies Inc c WIC Television Ltd, 2003 CF 1056; Provenzano c Registraire des marques de commerce (1977), 37 CPR (2d) 189 (CF 1re inst), conf par (1978) 40 CPR (2d) 288 (CAF)].

[21] La Marque donnera une description claire du lieu d’origine de ses produits liés si elle correspond à un nom géographique et que les produits proviennent d’un endroit désigné par le nom géographique. Elle donnera une description fausse et trompeuse du lieu d’origine de ses produits liés si la Marque est un nom géographique et que les produits ne proviennent pas de l’endroit désigné par le nom géographique, et le consommateur ordinaire serait induit en erreur sur l’origine des produits liés et croirait qu’ils proviennent de l’endroit désigné par le nom géographique [MC Imports Inc c AFOD Ltd, 2016 CAF 60].

Résumé de la position de l’Opposant

[22] L’Opposant fait valoir que la Marque donne une description claire, en anglais, de la nature ou de la qualité des produits visés par la demande, car elle décrit clairement les bonbons en forme d’ours contenant du vin de Champagne. À cet égard, l’Opposant soutient essentiellement que :

· Le vin de Champagne jouit d’une réputation considérable, voire légendaire, qui s’étend aux produits comestibles et, même lorsque le mot CHAMPAGNE est employé dans le contexte de tels produits, y compris ceux couverts par la demande visant la Marque, les consommateurs canadiens sauraient qu’il est indicatif d’un vin précis, ayant des caractéristiques précises, provenant d’une zone géographique précise, produit selon des normes précises;

· Le mot BEAR(S) décrit un mammifère avec une silhouette précise et, lorsqu’il est employé en liaison avec des bonbons (y compris les bonbons gélifiés), le mot BEARS donne une description claire de bonbons en forme d’ours (tels que les « gummy bears »);

· Les produits de la Requérante employés en liaison avec la Marque sont en fait des bonbons en forme d’ours (« gummy bears ») dont le vin de Champagne fait partie des ingrédients.

[23] Soulignant que la Requérante, sur son emballage de bonbons, traduit CHAMPAGNE BEARS par OURSONS CHAMPAGNE, l’Opposant soutient également que la nature descriptive de la Marque est admise par la Requérante.

[24] Subsidiairement, l’Opposant fait valoir que la Marque donne une description fausse et trompeuse des produits visés par la demande parce que :

· L’état déclaratif des produits est dépourvu de toute restriction (par exemple, quant à la forme ou à la composition des produits) et, par conséquent, la demande couvre également les bonbons de forme différente fabriqués sans vin de Champagne;

· Les bonbons de la Requérante ne contiennent pas d’alcool, qui est un élément essentiel du vin de Champagne;

· Les consommateurs connaissent bien l’appellation d’origine contrôlée française CHAMPAGNE (AOC CHAMPAGNE) et les caractéristiques des vins bénéficiant de cette appellation d’origine;

· Les consommateurs qui voient le mot CHAMPAGNE employé en liaison avec des bonbons contenant du vin de Champagne s’attendent à ce que les bonbons en question aient certaines caractéristiques de ce vin;

· À la lumière de l’évaluation en ligne des « Dom Perignon-infused Champagne bears » [Affidavit Dyal, Pièce JHD‑15] de la Requérante, les consommateurs seraient surpris et trompés par le goût des bonbons de la Requérante et leur manque d’alcool.

[25] À l’audience, l’Opposant a en outre soutenu que la Marque donne à la fois une description claire ou une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des produits visés par la demande parce que :

· Le premier élément dominant et le plus frappant de la Marque est CHAMPAGNE, qui est une indication géographique (inscrite sur la liste canadienne des indications géographiques protégées) et fait référence à la région de Champagne en France;

· L’état déclaratif des produits est dépourvu de toute restriction géographique (par exemple, quant à la provenance des produits) et, par conséquent, la demande pourrait aussi couvrir des bonbons provenant de la région de Champagne en France;

· Sur la base des références à « Dom Perignon Champagne » sur l’emballage de bonbons de la Requérante et de l’allégation selon laquelle ces bonbons sont vendus à un prix beaucoup plus élevé que les autres bonbons gélifiés, les consommateurs s’attendent à ce que ces produits soient approuvés ou fabriqués en collaboration avec la marque Dom Perignon, ou du moins qu’ils proviennent de la région de Champagne en France, ce qui n’est pas le cas actuellement.

[26] En ce qui concerne son dernier point ci-dessus, l’Opposant a également fait valoir à l’audience que le registraire devrait prendre connaissance d’office du fait que le prix des bonbons gélifiés dans les magasins est inférieur au prix auquel la Requérante vend ses produits. Comme je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse d’un fait notoire ou généralement admis ou d’un fait dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable, je ne le ferai pas.

Résumé de la position de la Requérante

[27] La Requérante fait valoir que, bien que la Marque puisse suggérer une particularité ou un trait du vin de Champagne, la marque de commerce CHAMPAGNE BEARS est une expression qui, lorsqu’elle est considérée dans son intégralité et dans le contexte des produits, ne donne pas une description claire de la nature ou de la qualité des produits de la Requérante. À cet égard, la Requérante soutient essentiellement que :

· Le mot « Champagne » évoque un certain nombre de possibilités (aucune n’étant plus dominante que l’autre) et ne décrit pas clairement une particularité intrinsèque des bonbons de la Requérante. Plus précisément, le mot « Champagne » est couramment utilisé par des tiers sur les produits alimentaires et autres produits et peut donc suggérer la qualité ou le luxe au consommateur moyen, et peut dans certains cas suggérer la couleur ou la saveur;

· Il n’y a pas de lien logique entre le mot « champagne » et le mot « bears » lorsque la Marque est considérée comme un tout et qu’un consommateur canadien ne s’attendrait pas à voir ces mots ensemble et à être employés en liaison avec les produits « bonbons ».

[28] Étant donné que la Marque donne une description claire de la nature ou de la qualité de ses produits, la Requérante fait valoir qu’elle ne peut être jugée fausse et trompeuse.

[29] En ce qui concerne la Marque qui ne donne pas une description claire du lieu d’origine des produits, la Requérante soutient essentiellement que :

· Aucun élément de la Marque n’est plus dominant qu’un autre;

· Il n’y a aucune preuve que les bonbons de la Requérante sont fabriqués en France ou proviennent de la région de Champagne;

· Même si un nombre important de consommateurs canadiens étaient conscients de l’importance de Champagne comme région vinicole, cela ne signifie pas qu’ils concluraient que les bonbons de la Requérante proviennent de la région de Champagne en France;

· Étant donné que les produits sont des bonbons, le consommateur canadien moyen ne supposerait pas immédiatement qu’il y a un lien entre les bonbons de la Requérante et la région vinicole de Champagne;

· La marque est CHAMPAGNE BEARS et il n’y a aucune preuve d’un lien entre les ours et la région vinicole de Champagne en France ou les bonbons et la région vinicole de Champagne en France.

[30] La Requérante dresse un parallèle avec la décision Institut National des Appellations d’Origine c Pepperidge Farm Inc (1997), 84 CPR (3d) 540 (COMC) où la marque BORDEAUX a été jugée enregistrable pour les produits [traduction] « biscuit », même si Bordeaux était une indication géographique, et serait reconnue par le public canadien comme signifiant du vin de cette région de France.

Observations préliminaires sur la preuve

[31] À l’audience, la Requérante a également contesté la preuve de l’Opposant et a fait valoir qu’elle devrait se voir accorder peu ou pas de poids, principalement parce qu’elle est fournie par les employés des agents de marque de commerce de l’Opposant et qu’elle est postérieure à la date pertinente à l’égard de ce motif d’opposition ou constitue une preuve par ouï-dire inadmissible. L’Opposant a soutenu, à son tour, qu’il est intéressant de noter que l’ensemble de la preuve de la Requérante est également produit par un employé de ses agents de marque de commerce dont les recherches ont été effectuées après la date pertinente relativement à ce motif d’opposition.

[32] Il y a des lacunes dans les éléments de preuve des deux parties qui doivent, bien sûr, être évalués en conséquence. Dans ce cas, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de traiter la question en détail et je ne formulerai que les trois commentaires suivants. Tout d’abord, bien que l’admissibilité des éléments de preuve contestés soit habituellement remise en question lorsqu’ils sont présentés par des employés d’agents des parties, je constate que dans les cas où les deux parties ont produit de tels éléments de preuve, comme c’est le cas en l’espèce, le registraire a hésité à les déclarer inadmissibles [voir par exemple SpiritsInternational BV c Nemiroff Intellectual Property Establishment, 2009 CanLII 90301 (COMC), au para 20; et Coca‑Cola Ltd c Picnicface Productions Ltd, 2014 COMC 123, au para 10]. Deuxièmement, je ne suis pas convaincue que cela puisse disqualifier effectivement l’ensemble de la preuve produite en l’espèce. Par exemple, les définitions de dictionnaire comme celles qui sont jointes à l’affidavit de Mme Gulati ou des copies de dispositions législatives comme celles qui sont jointes à l’affidavit de Mme Luong ne seraient pas nécessairement plus objectives ou fiables si elles étaient fournies par une autre personne. Troisièmement, je note que le registraire peut tenir compte des questions qui surviennent après une date importante, pourvu qu’elles permettent de déduire une situation qui existe à partir de cette date importante [Speedo Knitting Mills Pty Ltd c Beaver Knitwear (1975) Ltd (1985), CPR (3d) 176 (COMC)]. Plus précisément, en ce qui concerne les documents produits par l’Opposant qui sont postérieurs à la date de production de la demande, dans la mesure où ils appuient les autres éléments de preuve versés au dossier concernant la région Champagne et ses vins et y sont conformes, ils n’ont pas été totalement écartés [Institut national de l’origine et de la qualité c Établissements Rivoire‑Jacquemin, Société Anonyme, 2021 COMC 16, au para 20].

Conclusion quant à la non-enregistrabilité

[33] L’Opposant a produit des éléments de preuve montrant que le Champagne est une appellation d’origine contrôlée (AOC) et une indication géographique récemment enregistrée couvrant le « vin ». Il a également apporté quelques éléments de preuve de la renommée de la boisson alcoolisée Champagne. La preuve par ouï-dire et les lacunes mises à part, je suis convaincue qu’un examen équitable de l’ensemble de la preuve de l’Opposant établit que le consommateur canadien moyen connaîtrait bien le mot « champagne » utilisé dans le vin et l’associerait probablement à un vin mousseux de la région vinicole de Champagne en France.

[34] Cela dit, je suis loin d’être convaincue que la réputation que l’Opposant a établie pour le vin de Champagne s’applique d’une façon quelconque aux produits alimentaires. De même, je ne peux souscrire à l’affirmation de la Requérante selon laquelle la preuve établit correctement la [traduction] « popularité du mot “champagne” pour les produits alimentaires de tiers ». En outre, selon le contexte, le mot « champagne » est et peut être utilisé de manière descriptive en liaison avec ce produit. En fait, d’après les rares cas où le contexte des emplois par des tiers de ce terme peut être déduit des éléments de preuve, je constate qu’il semble surtout dans un sens clairement descriptif déterminer la composante d’un produit alimentaire, plutôt qu’une sorte de référence de couleur ou de prix. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin.

[35] En tout état de cause, il est important de se rappeler que la Marque doit être considérée comme un tout et dans le contexte précis des produits de la Requérante.

[36] Comme je peux également me référer aux dictionnaires, j’ai consulté l’Oxford Canadian Dictionary (2e éd., 2006) et je constate que la définition du mot « champagne » dans ce dictionnaire est généralement conforme à celle fournie par la Requérante. Une différence que je remarque est que la définition du terme énoncée dans cette source ne comprend pas un but louable. En ce qui concerne le mot « bear », une de ses définitions dans le même dictionnaire renvoie à [traduction] « un grand mammifère à fourrure épaisse et marchant sur ses pieds », ce qui est conforme au sens que l’Opposant a donné à ce terme dans ses observations. Je remarque aussi que le mot « gummi » est défini dans ce dictionnaire comme [traduction] « un bonbon caoutchouteux, coloré et aromatisé, souvent sous la forme d’animaux, d’insectes, etc. » et que Dictionary.com définit « gummy bears » comme [traduction] « un petit bonbon doux, fruité, fait de gélatine et en forme d’ours ».

[37] D’après les définitions de dictionnaire fournies par la Requérante, j’accepte que le mot « champagne », en soi, puisse avoir des significations différentes. Cependant, lorsqu’il est utilisé conjointement avec le mot « bears », en liaison des bonbons ou des bonbons gélifiés (il n’est pas exagéré selon moi de penser que ce mot englobe les « gummy bears »), il forme une combinaison de mots assez logique et attendue et est à mon avis très susceptible de suggérer que l’un des ingrédients du bonbon est le vin mousseux de la région de Champagne en France et/ou que le bonbon a une saveur évoquant un tel vin. Bien qu’elles puissent être indissociables, ces deux idées qui pourraient être transmises à la première impression donnent néanmoins une description claire respectivement de la composition des produits et de l’une de leurs caractéristiques. À cet égard, je constate que le fait qu’une marque de commerce ait plus d’un sens n’empêche pas un motif d’opposition en vertu de l’article 12(1)b) de réussir si les deux significations sont clairement descriptives, comme c’est le cas en l’espèce [voir par exemple ABT, Inc c MULTY HOME LP, 2020 COMC 107, au para 12; Canadian Tire Corp c Hunter Douglas Inc (2010), 81 CPR (4th) 304 (COMC), à la p. 315; ou Holiday Juice Ltd c Sundor Brand Inc (1990), 33 CPR (3d) 509 (COMC)].

[38] En d’autres termes, je ne suis pas convaincue que le terme « champagne », lorsqu’il est utilisé conjointement avec le mot « bears » dans le contexte actuel, sera surtout perçu comme décrivant que le bonbon est de couleur champagne ou qu’il prendra une connotation élogieuse (comme suggérer que le bonbon de la Requérante est un bonbon de qualité élevée ou de luxe). Le bonbon de la Requérante n’est pas toujours de la même couleur et rien dans la preuve n’indique que le champagne de couleur, tel que le définissent les dictionnaires présentés en preuve, englobe toutes les couleurs du bonbon de la Requérante. Il n’y a pas non plus de preuve démontrant un emploi élogieux du mot « champagne » en liaison avec les produits alimentaires.

[39] Il convient également de noter que les produits de la Requérante sont certes [traduction] « infusées de champagne ». Les mots « Dom Pérignon Champagne » figurent dans la liste des ingrédients des produits de la Requérante, bien que ce ne soit qu’en petite quantité. La preuve comprend également une description de l’emballage des produits de la Requérante qui montre clairement les mots [traduction] « Fabriqués avec du champagne Dom Pérignon, ces ours sophistiqués brillent dans les saveurs de Brut et de Rosé » [observations écrites de la Requérante, au para 42; Affidavit Dyal, Pièce JHD‑15; affidavit Gulati, Pièce G].

[40] À mon avis, des descriptions comme celles qui figurent sur les emballages de la Requérante mettent non seulement l’accent sur le vin de Champagne comme composant du bonbon, mais aussi comme un élément qui influence les caractéristiques du bonbon, et elles appuient la conclusion que la Marque, en tant que première impression, sera perçue comme décrivant les bonbons gélifiés infusés de champagne en liaison avec lesquels elle est employée.

[41] À l’exception des lacunes, compte tenu des faits particuliers de la présente affaire, la preuve de l’état du registre sur laquelle invoquée par la Requérante ne s’oppose pas, à mon avis, à mes conclusions ci-dessus. En fin de compte, il convient également de rappeler que la preuve de l’état du registre concernant des marques similaires ne peut faire en sorte que la marque soit non descriptive et donc enregistrable [Maple Leaf Foods Inc c Pinnacle Foods Group LLC, 2015 COMC 137, aux para 24 à 25; Aliments Maple Leaf Inc c Aliments Sofina Inc, 2016 COMC 50, aux para 36 à 38].

[42] Par conséquent, appliquant le sens commun, selon le sens ordinaire des termes composant la Marque pris dans le contexte des produits de la Requérante, je suis d’accord avec l’Opposant pour dire que la Marque donne une description claire de la nature des produits visés par la demande. Étant donné que la demande n’est pas limitée à la forme ou à la composition des produits et couvre donc également les bonbons de toutes formes (autres que les « gummy bears » par exemple) fabriqués sans vin mousseux de la région de Champagne en France, je suis d’accord avec l’Opposant pour dire que la Marque peut également donner une description fausse et trompeuse de la nature des produits visés par la demande [pour une conclusion analogue voir Institut national de l’origine et de la qualité c Établissements Rivoire‑Jacquemin, Société Anonyme, précité, au para 38]. Le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)b) réussit donc sur ce fondement et il n’est pas nécessaire d’examiner les autres volets.


 

Décision

[43] Compte tenu de ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la demande selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

 

Iana Alexova

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Liette Girard

 

Le français est conforme aux WCAG.

Traduction certifiée conforme

Liette Girard


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

Date de l’audience 6 mai 2021

Comparutions

Ekaterina Tsimberis et Olivier Jean-Lévesque

Pour les Opposants

Kathleen Lemieux

Pour la Requérante

Agents au dossier

Smart & Biggar LLP

Pour les Opposants

Borden Ladner Gervais LLP

Pour la Requérante

 

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