Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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CIPO

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2021 COMC 254

Date de la décision : 2021-11-25

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

GL SPE LLC

Opposante

et

 

Bruce Sheasby

Requérant

 

1,704,010 pour YOUR GRACE LAND

Demande

Aperçu

[1] GL SPE LLC (l’Opposante) est une société qui organise et gère de la propriété intellectuelle liée au feu chanteur et acteur Elvis Presley et qui octroie des licences à l’égard de celle-ci. Le domaine de Memphis, au Tennessee, connu sous le nom de Graceland, était une résidence de feu M. Presley et est maintenant exploité en tant qu’attraction touristique qui a été visitée par des millions de personnes. L’Opposante est la propriétaire de multiples enregistrements canadiens de marques de commerce qui comprennent le terme GRACELAND.

[2] L’Opposante s’oppose à la demande no 1,704,010 (la Demande) pour la marque de commerce YOUR GRACE LAND (la Marque) produite par Bruce Sheasby (le Requérant). Le Requérant est un ministre du culte qui exécute divers services en lien avec son ministère, y compris des représentations musicales devant un public et la diffusion d’une émission de radio. Dans une grande partie des documents de commercialisation du Requérant, ce dernier est appelé « Reverend Elvis » [révérend Elvis]. Le Requérant a aussi fait légalement changer son nom pour inclure « Elvis » comme deuxième prénom.

[3] Pour les raisons énoncées ci-dessous, la Demande est rejetée parce que le Requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il n’y a aucune probabilité de confusion entre les marques de commerce des parties.

Le dossier

[4] La Demande a été produite le 21 novembre 2014 et énumère les produits et services suivants (les Produits et Services) :

Produits

(1) Enregistrements sonores, nommément CD et enregistrements sonores téléchargeables comprenant de la musique et de l’information sur la croissance personnelle; disques compacts et DVD préenregistrés comprenant des enregistrements audio et vidéo de prestations d’une personne ou de groupes de musique; livres, livrets, dépliants et brochures sur la gestion des affaires et la croissance personnelle; contenu numérique, nommément fichiers audio ainsi qu’enregistrements audio et enregistrements vidéo, contenant tous des prestations d’une personne ou de groupes de musique.

Services

(1) Services de consultation et de conseil en gestion des affaires; services de divertissement, nommément représentations devant public par une personne ou des groupes de musique; diffusion d’émissions de radio.

(2) Services de culte; services de cérémonie de mariage; services commémoratifs; services de consultation religieuse; organisation et tenue de séminaires, de conférences, d’exposés, de présentations, d’ateliers et d’évènements dans les domaines de la théologie, de l’apologétique, de l’évangélisme, de la pastorale, du counseling et des études religieuses.

(3) Exploitation de studios pour la pratique et l’enseignement des arts du spectacle; services immobiliers; exploitation d’un centre communautaire offrant des services liés au sport et des services culturels et sociaux; services d’édition de livres.

[5] La Demande est fondée sur l’emploi de la Marque au Canada depuis au moins aussi tôt que 2011 en ce qui a trait aux Services (1) et depuis au moins aussi tôt que 2012 en ce qui a trait aux Services (2), ainsi que sur son emploi projeté en liaison avec les Produits et les Services (3).

[6] La Demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 2 septembre 2015. Le 3 novembre 2015, l’Opposante a produit une déclaration d’opposition à l’encontre la Demande en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi). Je remarque que la Loi a été modifiée le 17 juin 2019et, conformément à l’article 70 de la Loi, les motifs d’opposition en l’espèce seront évalués en fonction de la Loi dans sa version antérieure au 17 juin 2019.

[7] L’Opposante soulève des motifs d’opposition qui sont fondés sur l’enregistrabilité en vertu de l’article 12(1)d), le droit à l’enregistrement en vertu des articles 16(2)a) et 16(3)a), le caractère distinctif en vertu de l’article 2 et la non-conformité aux articles 30b), e) et i) de la Loi. En ce qui concerne les motifs d’opposition fondés sur une probabilité de confusion, l’Opposante se fonde sur ses marques de commerce qui comprennent le terme GRACELAND, qui, selon l’Opposante, ont déjà été employées ou sont devenues connues au Canada. L’Opposante est la propriétaire des enregistrements canadiens de marques de commerce suivants :

Numéro d’enregistrement

Marque de commerce

Date d’enregistrement

Produits

LMC471,137

GRACELAND

Le 18 février 1997

Souvenirs, nommément assiettes de collection et boîtes à musique; articles en papier, nommément calendriers et carnets de rendez-vous.

LMC698,439

GRACELAND

Le 12 octobre 2007

Vin

LMC471,135

GATES OF GRACELAND

Le 18 février 1997

Souvenirs, nommément assiettes de collection, ensembles de présentation philatéliques, modèles réduits de Cadillac, cloches à aliments, bijoux et boîtes à musique; et articles en papier, nommément lithographies.

[8] Le Requérant a produit une contre-déclaration niant les motifs d’opposition.

[9] Les deux parties ont produit une preuve et des observations écrites, et ont assisté à une audience.

La preuve

[10] La preuve des parties est résumée ci-dessous et est examinée plus en détail dans l’analyse des motifs d’opposition.

Preuve de l’Opposante

[11] L’Opposante a produit comme preuve l’affidavit de Gary Hahn, souscrit le 15 décembre 2016 (l’affidavit Hahn), l’affidavit de Jo‑Anne McConnery, souscrit le 16 décembre 2016 (l’affidavit McConnery), et des copies certifiées des enregistrements canadiens no LMC698,439, no LMC471,135 et no LMC471,137. Ni M. Hahn ni Mme McConnery n’ont été contre-interrogés.

Affidavit Hahn

[12] M. Hahn est le vice-président, Marketing et médias, de l’Opposante. Il décrit l’Opposante comme une société qui organise et gère certaines propriétés intellectuelles liées à feu Elvis Presley et à Elvis Presley Enterprises, Inc. (EPE). EPE a été créée pour faire des affaires et gérer des actifs liés à feu M. Presley.

[13] L’affidavit de M. Hahn comprend divers renseignements démontrant la renommée d’Elvis Presley, y compris le fait qu’il détient le record mondial Guinness de l’artiste solo le plus vendu au monde, avec plus d’un milliard de disques vendus dans le monde et 129,5 millions de disques vendus aux États‑Unis et au Canada.

[14] Le 19 mars 1957, M. Presley a acheté une propriété à Memphis, au Tennessee. Cette propriété était connue sous le nom de GRACELAND. La propriété et le manoir sont devenus un lieu de rassemblement pour l’entourage et les admirateurs de M. Presley, et sont en fin de compte devenus le lieu de la mort et de la tombe de M. Presley.

[15] Le 7 juin 1982, le domaine a été ouvert au public et est depuis devenu une attraction touristique importante qui accueille en moyenne plus d’un demi‑million de visiteurs chaque année. Le domaine GRACELAND est classé dans le National Register of Historic Places des États‑Unis et le manoir est la résidence privée la plus visitée aux États‑Unis, après la Maison‑Blanche. Selon les renseignements recueillis sur le lieu des achats de billets en ligne et des reçus de cartes de crédit utilisés pour acheter des billets sur place, M. Hahn affirme qu’au moins des dizaines de milliers de Canadiens ont visité le domaine GRACELAND de 2014 à aujourd’hui.

[16] M. Hahn affirme que l’Opposante est la propriétaire de la marque de commerce GRACELAND et qu’elle autorise d’autres personnes, y compris EPE, à employer cette marque de commerce en liaison avec un large éventail de produits et de services. L’Opposante exerce un contrôle direct ou indirect sur la nature ou la qualité des produits et services en liaison avec lesquels la marque de commerce GRACELAND est employée au Canada, y compris les normes de contrôle de la qualité qu’EPE doit maintenir lorsqu’elle offre des produits et des services en liaison avec la marque de commerce.

[17] EPE exploite le site Web www.graceland.com (le site Web GRACELAND), qui offre et vend un éventail de produits et services en liaison avec la marque de commerce GRACELAND, y compris des billets pour des visites du domaine, l’organisation de cérémonies de mariage, la réservation de chambres d’hôtel, ainsi que des produits de marque GRACELAND comme des vêtements, des livres et des DVD. M. Hahn confirme que des produits de marque GRACELAND ont été vendus et expédiés au Canada chaque année de 2014 à 2016.

[18] M. Hahn décrit également que les Canadiens sont exposés à la marque de commerce GRACELAND par l’entremise de plusieurs entreprises touristiques canadiennes qui font la publicité du domaine GRACELAND dans le cadre de voyages de vacances qu’ils organisent dans le cadre desquels Memphis est une destination.

Affidavit McConnery

[19] Mme McConnery est une adjointe juridique de l’ancien agent de l’Opposante. Son affidavit comprend les résultats de diverses recherches dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, les résultats de recherches en ligne pour trouver des articles sur le Requérant et l’Opposante, ainsi que des copies certifiées de certaines demandes d’enregistrement de marques de commerce et de certains enregistrements de marques de commerce aux États-Unis.

Preuve du Requérant

[20] Le Requérant a produit comme preuve un affidavit en son propre nom, souscrit le 13 avril 2017 (l’affidavit Sheasby) et l’affidavit de Dwain Sands, souscrit le 13 avril 2017 (l’affidavit Sands). Le Requérant et M. Sands ont tous deux été contre-interrogés au sujet de leur affidavit respectif, et les transcriptions de ces contre-interrogatoires, ainsi que les réponses écrites aux engagements, ont été versées au dossier.

Affidavit Sheasby

[21] Le Requérant indique que son nom légal complet est Bruce Reinhold Elvis Sheasby. Le Requérant est le pasteur principal et le président de la Spiritual Community Church of the West, un organisme canadien de bienfaisance enregistré et constitué en société sous le régime fédéral, qui exerce également ses activités sous les noms « Your Grace Land » et « Your Grace Land Radio ».

[22] Le Requérant a été ordonné ministre du culte en 1995 par l’Église Unie du Canada et a occupé cette fonction auprès de l’Église Unie jusqu’en novembre 2006. En décembre 2006, il a fondé la Spiritual Community Church of the West.

[23] En 1997, le Requérant a organisé « The International Elvis Gospel Festival » [le Festival international de gospel d’Elvis], une collecte de fonds d’une église à Vauxhall, en Alberta. L’évènement a attiré l’attention des médias et le Requérant a indiqué qu’un journaliste du Toronto Sun lui avait donné le nom de « Reverend Elvis » [révérend Elvis]. Le Requérant affirme qu’il a par la suite ajouté « Elvis » à son nom légal en 2004.

[24] Depuis 2007, le Requérant a organisé un évènement à Calgary, connu sous le nom de « Rev Elvis & Friends Blue Christmas » [Noël bleu du révérend Elvis et de ses amis], pour des organismes de bienfaisance de Calgary.

[25] Le Requérant indique que, lors de discussions avec les membres de l’église et le directeur de la musique de l’église, Dwain Sands, en 2011, le nom « Your Grace Land » a été adopté pour désigner les services religieux du dimanche du Requérant et que le nom de l’émission de radio a été remplacé par « Your Grace Land Radio ». Lors du contre-interrogatoire, le Requérant a expliqué qu’il est le propriétaire de la Marque et qu’il emploie la Marque en sa qualité personnelle à l’égard de certains produits et services, et autorise la Spiritual Community Church of the West à employer la Marque à l’égard d’autres produits et services [contre-interrogatoire de Sheasby, de la p. 49, ligne 14 à la p. 50, ligne 10]. Je remarque que l’Opposante conteste le caractère suffisant de cette autorisation; toutefois, à mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner la question des licences pour trancher la présente opposition.

[26] L’affidavit Sheasby comprend de multiples exemples de la description du Requérant concernant la présentation de la Marque sur divers produits et matériels promotionnels. À titre d’exemple, la Pièce 18 comprend un imprimé du site Web du Requérant à l’adresse www.yourgraceland.com (ce document a également été inclus en tant que Pièce 27 à l’affidavit McConnery). La page Web indique en partie ce qui suit :

[traduction]

Your Grace LandMC est le centre des services, du multimédia et des évènements du révérend Bruce R.E. Sheasby, le révérend Elvis. Your Grace LandMC offre des messages et de la musique pour remonter votre esprit, et encourage les Inspirational Core Values [Valeurs fondamentales inspirationnelles]MC. Le fait de vivre individuellement et/ou collectivement avec ces Inspirational Core Values [Valeurs fondamentales inspirationnelles]MC est ce que le révérend Elvis appelle Your Grace LandMC.

[27] La Pièce 19 de l’affidavit Sheasby comprend un imprimé des résultats d’une recherche en ligne sur le terme « graceland church ». La Pièce 25 comprend une copie des renseignements sur les pages de titre, la publication et les chapitres d’un livre du révérend Steve McVey intitulé « Grace Land ».

Affidavit Sands

[28] M. Sands est le directeur musical de la Spiritual Community Church of the West, qui dirige les services religieux hebdomadaires du dimanche appelés « Your Grace Land » depuis juin 2011. Il préside également les services du dimanche « Your Grace Land » lorsque le Requérant est absent. Depuis 2012, M. Sands est coproducteur et coanimateur de « Your Grace Land Radio ».

[29] M. Sands indique que, à « Your Grace Land Radio », des invités de tous les milieux sont invités à [traduction] « partager des moments de votre terre de grâce », où ils parlent de la façon dont la grâce a profondément touché leur vie.

[30] Les services du dimanche « Your Grace Land » comprennent des prières, des lectures de la Bible, des hymnes, de la musique inspirante, généralement un message du Requérant, ainsi que des personnes qui partagent des histoires sur la façon dont la grâce de Dieu a touché leur vie.

Contre-interrogatoire du Requérant et de M. Sands

[31] Plusieurs réponses notables ont été fournies lors des contre-interrogatoires du Requérant et de M. Sands. Par exemple, voici ci-dessous un échange tiré du contre-interrogatoire de M. Sands [contre-interrogatoire de Sands, de la p. 21, ligne 26 à la p. 22, ligne 20; certains éléments ont été soulignés pour mettre l’accent] :

[traduction]

Q. Revenons à l’émission de radio, et comme vous l’avez baptisée « Your Grace Land Radio », quand vous faites référence au révérend Elvis par ce nom dans l’introduction, ai-je raison de penser que vous vous attendez à ce que les auditeurs reconnaissent le lien avec Elvis Presley et les chansons d’Elvis Presley et les chansons que chante le révérend?

R. Je ne conteste pas que nous utilisions cela pour attirer l’attention sur le programme.

Q. Qu’utilisez-vous pour attirer l’attention?

R. La référence au nom de M. Sheasby, le révérend Elvis.

Q. Et quand vous dites « pour attirer l’attention », vous voulez dire comme attrait de la part des auditeurs?

R. Comme un attrait pour le programme.

Q. Et c’est dû à la puissance du nom « Elvis », si je peux le dire ainsi; est-ce exact?

R. Eh bien, c’est en fait son nom, le nom légal du révérend; l’un de ses noms est Elvis.

Q. D’accord, il a changé son nom, si je comprends bien, c’est ça?

R. Oui. Mais il ne fait aucun doute que son amour pour la musique d’Elvis Presley et son influence, l’influence d’Elvis sur sa musique, font partie de ce qui attire les gens au révérend Elvis.

[32] Voici ci-dessous un échange tiré du contre-interrogatoire du Requérant [contre interrogatoire de Sheasby, de la p. 20, ligne 19 à la p. 21, ligne 6, et à la p. 26, lignes 10 à 24; encore une fois, certains éléments ont été soulignés pour mettre l’accent] :

[traduction]

Q. D’accord, donc je pense comprendre ce que vous dites. Votre utilisation de l’expression « attirer l’attention » dans ce contexte signifie un pouvoir d’attraction; vous voulez attirer des personnes, et c’est pourquoi vous utilisez « révérend Elvis », et « Your Grace Land » correspond bien à ça, c’est ça?

R. Ça ne fait aucun doute, et il n’y a rien dans ce que je vais dire ou dans ce que Dwain dira ou dans notre preuve que mon adoption du nom Elvis dans mon nom légal [n’]a [pas] été influencée par mon lien avec Elvis, et il ne fait aucun doute que certaines personnes feront aussi un lien, dans leur esprit, entre Elvis Presley Enterprises Graceland et Your Grace Land, mais cela ne s’arrête pas là. Ça ne sert à rien d’attirer l’attention si ça ne vous conduit pas quelque part. Et Your Grace Land ne mène pas les personnes à Memphis, mais à la grâce de Dieu.

[…]

Q. Alors seriez-vous d’accord… Je pense que M. Sands a répondu franchement aux questions que je lui ai posées au sujet de Graceland; êtes-vous généralement d’accord avec ses commentaires sur la notoriété de Graceland, le fait que les musiciens le visitent comme une sorte de pèlerinage?

R. Oui, je n’ai pas choisi de contre-interroger les auteurs des affidavits qui ont témoigné. Nous ne contestons pas le fait qu’Elvis est très bien connu et respecté par beaucoup de personnes absolument.

Q. Et que Graceland elle-même est bien connue comme destination?

R. Encore une fois, c’est très bien connu de beaucoup de personnes, et c’est incroyable comment une nouvelle génération peut commencer à être déconnectée des choses qu’une autre génération pourrait penser que tout le monde devrait savoir.

[33] Je remarque qu’à la p. 20, ligne 26 de la transcription du contre-interrogatoire de Sheasby, reproduite ci-dessus, j’ai ajouté entre crochets la négation [traduction] « n’ […] pas », qui est une correction apportée à la transcription qui a été demandée par le Requérant, pour indiquer, si je comprends bien, que l’Opposante ne s’oppose pas. Indépendamment de l’incidence, le cas échéant, de cette prétendue correction, à mon avis, ce qui est plus important, c’est la déclaration subséquente du Requérant selon laquelle [traduction] « […] il ne fait aucun doute que certaines personnes feront aussi un lien, dans leur esprit, entre Elvis Presley Enterprises Graceland et Your Grace Land […] ».

[34] Les contre-interrogatoires ont également établi qu’en 2010, avant l’adoption de la Marque par le Requérant, ce dernier et M. Sands ont visité le domaine GRACELAND à Memphis, au Tennessee [contre-interrogatoire de Sands, de la p. 16, ligne 16 à la p. 18, ligne 4; contre-interrogatoire de Sheasby, de la p. 25, ligne 11 à la p. 26, ligne 24].

[35] Je ne laisse pas entendre que les réponses susmentionnées fournies lors du contre-interrogatoire aient été à elles seules essentielles à la décision en l’espèce. En fait, les réponses ne font que renforcer la preuve au dossier dans son ensemble et reflétaient celle-ci.

[36] En passant, je remarque que lors de son contre-interrogatoire, le Requérant a déclaré qu’il avait décidé de modifier légalement son nom pour inclure « Elvis » comme deuxième prénom après avoir eu une conversation téléphonique avec un représentant d’EPE [contre-interrogatoire de Sheasby, de la p. 11, ligne 2 à la p. 12, ligne 16]. Toutefois, le Requérant a confirmé lors du contre-interrogatoire qu’il n’y a pas de dossier ou de document lié à cette conversation. Je n’ai accordé aucun poids au contenu de cette conversation, car je considère qu’il s’agit d’un ouï-dire qui n’est ni nécessaire ni fiable.

Analyse

[37] Il incombe au Requérant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la Demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la p. 298].

[38] Les motifs d’opposition fondés sur les articles 2, 12(1)d), 16(1)a) et 16(3)a) relèvent tous de la question de savoir s’il y a une probabilité de confusion entre la Marque et la marque de commerce GRACELAND de l’Opposante. Je commencerai par examiner le motif d’opposition fondé sur l’article 2.

Motif d’opposition fondé sur l’article 2 – caractère distinctif

[39] Afin de s’acquitter du fardeau de preuve initial à l’égard d’un motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif, l’opposant doit démontrer que sa marque de commerce avait une réputation importante, significative ou suffisante au Canada [voir Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657, 48 CPR (4th) 427, aux para 33 et 34]. La date pertinente pour évaluer ce motif d’opposition est la date de production de l’opposition, à savoir le 3 novembre 2015 [Metro‑Goldwyn‑Mayer Inc c Stargate Connections Inc, 2004 CF 1185, 34 CPR (4th) 317]. En ce qui concerne ce motif d’opposition, la preuve de l’opposant n’est pas limitée à la vente de produits ou de services au Canada. Il peut également être fondé sur la preuve de la connaissance ou de la réputation de la marque de commerce de l’opposant, y compris celui qui est diffusé par le bouche-à-oreille ou par des articles de journaux et de magazines [Motel 6, Inc c No 6 Motel Limited (1981), 56 CPR (2d) 44 (CF), au para 45].

[40] À mon avis, l’Opposante a démontré que sa marque de commerce GRACELAND possédait une réputation suffisante au Canada avant la date pertinente pour s’acquitter de son fardeau de preuve initial à l’égard du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif. La preuve de l’Opposante laisse entendre que la marque de commerce GRACELAND est raisonnablement bien connue au Canada en raison de son lien avec Elvis Presley et son domaine à Memphis, au Tennessee. En effet, le Requérant et M. Sands ont reconnu la même chose lors de leur contre-interrogatoire. L’affidavit McConnery contient, comme preuve, plusieurs articles de médias canadiens au fil des années qui renvoient au domaine GRACELAND comme ayant un lien avec Elvis Presley.

[41] Le fardeau ultime incombe alors au Requérant de démontrer que sa Marque est distinctive au Canada. Pour déterminer si une marque de commerce est distinctive, on peut examiner la question de savoir si elle est susceptible de créer de la confusion avec la marque de commerce d’une autre partie [voir Bensusan Restaurant Corp c Blue Note Restaurant Inc (2000), 10 CPR (4th) 550 (COMC), au para 30]. Le critère en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. L’article 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice. De plus, lorsqu’il est probable que le public présumera que les produits du requérant sont approuvés, autorisés ou appuyés par l’opposant, de sorte qu’il existe un état de doute et d’incertitude dans l’esprit de la clientèle, il s’ensuit que les marques de commerce créent de la confusion [voir Glen‑Warren Productions Ltd c Gertex Hosiery Ltd (1990), 29 CPR (3d) 7 (CF 1re inst), au para 21].

[42] Pour appliquer le critère en matière de confusion énoncé à l’article 6(2) de la Loi, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles expressément énumérées à l’article 6(5) de la Loi. Le poids qu’il convient d’accorder à chacun des facteurs peut varier selon les circonstances [voir Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, 49 CPR (4th) 401; Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772; et Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, 92 CPR (4th) 361]. Ces facteurs sont examinés ci-dessous.

Degré de ressemblance

[43] Le degré de ressemblance sera souvent le facteur le plus important dans l’analyse relative à la confusion [Masterpiece, précité, au para 49].

[44] La position du Requérant est que les marques de commerce des parties sont suffisamment différentes pour qu’il n’y ait aucune probabilité de confusion. Ses arguments sont essentiellement doubles. Premièrement, le Requérant soutient que le mot « GRACE » dans la Marque renvoie au concept biblique de grâce, et qu’il véhicule donc une idée qui n’est pas liée au domaine GRACELAND d’Elvis Presley. Deuxièmement, le Requérant soutient que la présence du premier mot « YOUR » dans la Marque et la séparation des deux mots « GRACE » et « LAND » (c’est-à-dire par opposition à la marque de commerce GRACELAND, en un mot, de l’Opposante) sont suffisantes pour permettre aux consommateurs de distinguer les deux marques de commerce des parties.

[45] Respectueusement, je ne suis d’accord avec aucun de ces arguments. En ce qui concerne le premier argument, il est évident que, lorsque le Requérant emploie sa Marque, il a l’intention, du moins en partie, de renvoyer au concept biblique de grâce. Toutefois, selon la preuve au dossier, à mon avis, il ne fait aucun doute que la sélection par le Requérant des trois mots « YOUR », « GRACE » et « LAND » dans cet ordre précis, en liaison avec les Produits et Services spécifiés dans la Demande, véhicule, au sein d’une proportion importante de consommateurs, l’idée du domaine GRACELAND de feu Elvis Presley. Mon avis est renforcé à cet égard par les nombreux exemples fournis dans la preuve, où la Marque figure avec le nom « Reverend Elvis » [révérend Elvis].

[46] En ce qui concerne le deuxième argument du Requérant, je ne considère pas que l’inclusion du pronom « YOUR » ou de l’espace entre les mots « GRACE » et « LAND » soit suffisant pour différencier les marques de commerce des deux parties dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Je remarque également que, lorsque la Marque est présentée par le Requérant sous forme de dessin sur le marché, le mot « YOUR » figure dans une police différente et plus petite que les mots « GRACE » et « LAND »; ces deux mots figurent dans une police identique et plus grande.

[47] Dans l’ensemble, les marques de commerce des parties présentent un degré élevé de ressemblance, et ce facteur favorise fortement l’Opposante.

Caractère distinctif inhérent des marques de commerce et mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[48] Les marques de commerce des deux parties sont intrinsèquement distinctives, car elles ne décrivent aucun aspect des produits ou des services des parties.

[49] En ce qui concerne la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, en date du 3 novembre 2015, je suis convaincu que la marque de commerce GRACELAND de l’Opposante était raisonnablement bien connue au Canada en raison de son lien avec Elvis Presley. Bien que la Marque du Requérant soit aussi devenue connue dans une certaine mesure par son emploi dans la région de Calgary depuis 2011, à mon avis, la preuve laisse entendre que la marque de commerce de l’Opposante est connue dans une plus grande mesure au Canada.

[50] Par conséquent, ce facteur favorise également l’Opposante.

Période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[51] La preuve indique que la marque de commerce GRACELAND de l’Opposante est connue depuis des décennies au Canada et je suis convaincu que l’Opposante est la partie qui emploie sa marque de commerce depuis le plus longtemps en l’espèce. Ce facteur favorise également l’Opposante.

Genre des produits, services ou entreprises; et nature du commerce

[52] En ce qui concerne les produits et services liés à la musique visés par la Demande, comme les produits « disques compacts et DVD préenregistrés comprenant des enregistrements audio et vidéo de prestations d’une personne ou de groupes de musique », il y a chevauchement dans les produits des parties et les voies de commercialisation potentielles, puisque le lien entre la marque de commerce GRACELAND de l’Opposante et la carrière musicale d’Elvis Presley, et le fait que les DVD de marque GRACELAND sont disponibles à la vente le site Web GRACELAND de l’Opposante. Pour les autres produits et services visés par la Demande, il y a une moins grande possibilité de chevauchement.

[53] Dans l’ensemble, au mieux pour le Requérant, je considère que ce facteur ne favorise que légèrement le Requérant, et seulement en ce qui a trait aux produits et services non liés à la musique. Quoi qu’il en soit, je ne considère pas que ce facteur soit déterminant, et les autres facteurs, comme le degré de ressemblance, l’emportent largement en l’espèce.

Autres circonstances de l’espèce – emploi simultané

[54] La preuve de cas de confusion réelle n’est pas requise pour démontrer une probabilité de confusion. Toutefois, l’emploi simultané de deux marques de commerce sans de tels cas de confusion réelle est une circonstance de l’espèce qui peut laisser entendre une absence de probabilité de confusion, selon la nature et la durée particulières de cet emploi simultané [voir Christian Dior SA c Dion Neckwear Ltd, 2002 CAF 29, 20 CPR (4th) 155, au para 19].

[55] En l’espèce, la Marque est employée depuis 2011 et je n’ai aucune preuve de cas de confusion réelle. Bien que ce facteur favorise le Requérant, je lui accorde peu de poids en l’espèce, compte tenu de la portée limitée de l’emploi de la Marque par le Requérant [voir Alpha Sportswear Ltd c Alpha Industries Inc (2004), 39 CPR (4th) 87 (COMC), au para 31]. Sur ce point, je crois qu’il est important de remarquer qu’en produisant la Demande, le Requérant cherche à obtenir des droits exclusifs enregistrés sur la Marque partout au Canada, et pas seulement dans une région géographique limitée, et c’est dans ce contexte que la probabilité de confusion doit être évaluée.

Autres circonstances de l’espèce – emploi par un tiers

[56] Le Requérant se fonde en partie sur l’emploi allégué des termes « graceland » et « grace land » par un tiers comme facteur qui le favorise et qui devrait restreindre la portée de la protection accordée à la marque de commerce de l’Opposante. Toutefois, la preuve d’emploi par un tiers en l’espèce ne suffit pas pour favoriser le Requérant. Par exemple, les résultats de la recherche en ligne sur « graceland church », joints en tant que Pièce 19 à l’affidavit Sheasby, semblent indiquer principalement des résultats des États‑Unis, et dans la mesure où ils indiquent des résultats du Canada, je ne suis saisi d’aucune preuve de la mesure dans laquelle ces églises sont connues au Canada. De même, en ce qui concerne le livre de Steve McVey intitulé « Grace Land », il ressort de la Pièce 25 de l’affidavit Sheasby que ce livre a été publié aux États‑Unis par un auteur résidant dans ce pays et je ne suis saisi d’aucune preuve quant à la mesure dans laquelle ce livre est distribué ou connu au Canada.

Conclusion concernant le motif fondé sur l’article 2

[57] Compte tenu de tous les facteurs qui précèdent, et en particulier du degré élevé de ressemblance entre les marques de commerce et de la mesure dans laquelle la marque de commerce de l’Opposante est devenue connue, je conclus que le Requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y aucune probabilité de confusion et qu’il n’a donc pas démontré que sa Marque était distinctive ou en mesure de distinguer ses Produits et Services partout au Canada en date du 3 novembre 2015. Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 2 est accueilli.

Motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d)

[58] La date pertinente pour examiner ce motif d’opposition est la date de ma décision [Park Avenue Furniture Corporation c Wickes/Simmons Bedding Ltd et Registraire des marques de commerces (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)]. J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire pour consulter le registre, et je confirme que les enregistrements no LMC471,137, no LMC698,439 et no LMC471,135 de l’Opposante existent toujours [voir Quaker Oats Co Ltd of Canada c Menu Foods Ltd (1986), 11 CPR (3d) 410 (COMC)]. L’Opposante s’est donc acquittée de son fardeau de preuve initial à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d).

[59] Le fardeau incombe alors au Requérant de démontrer qu’il n’y a aucune probabilité de confusion entre la Marque et la marque de commerce déposée de l’Opposante. En ce qui concerne la question de la confusion en vertu de l’article 12(1)d), je l’examinerai en renvoyant à l’enregistrement no LMC471,137 de l’Opposante pour la marque de commerce GRACELAND, puisque, à mon avis, cet enregistrement représente le cas le plus solide de l’Opposante. Pour des raisons essentiellement identiques à celles invoquées dans l’analyse relative à la confusion discutée ci-dessus à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’article 2, je conclus que le Requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau ultime en vertu de l’article 12(1)d). Je remarque que, en ce qui concerne le motif fondé sur l’article 12(1)d), le genre des produits, services et entreprises ainsi que la nature du commerce favorisent plus fortement le Requérant, puisque les produits spécifiés dans l’enregistrement no LMC471,137 de l’Opposante sont très limités. Néanmoins, à mon avis, le degré élevé de ressemblance entre les marques de commerce et la mesure dans laquelle la marque de commerce GRACELAND de l’Opposante est devenue connue l’emportent nettement sur ce facteur. Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d) est également accueilli.

Autres motifs d’opposition

[60] Étant donné que j’ai conclu que les motifs d’opposition fondés sur les articles 2 et 12(1)d) favorisent l’Opposante, je considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs.

Décision

[61] Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la Demande selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

 

 

Timothy Stevenson

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Anne Laberge

Le français est conforme aux WCAG.


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2021-09-07

COMPARUTIONS

Christopher Pibus

Pour l’Opposante

Bruce Sheasby

Pour le Requérant

AGENTS AU DOSSIER

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’Opposante

Aucun agent nommé

Pour le Requérant

 

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