Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2022 COMC 056

Date de la décision : 2022-03-24

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

Mehusa, Inc.

Opposante

et

 

Peter Reimann

Requérant

 

1,773,347 pour KALEA

Demande

Aperçu

[1] Peter Reimann (le Requérant) a produit la demande d’enregistrement no 1,773,347 (la Demande) pour la marque de commerce KALEA (la Marque) en liaison avec les produits « Agendas; bières ». La Demande est fondée sur l’emploi de la Marque au Canada depuis au moins octobre 2015. Les produits du Requérant comprennent un calendrier de l’avent de bière, comportant différents types de bière dans un emballage de type calendrier.

[2] Mehusa, Inc. (l’Opposante) s’est opposée à la Demande, alléguant que le Requérant n’a pas employé la Marque au Canada depuis la date revendiquée dans la Demande et invoquant une probabilité de confusion avec la marque de commerce KALLEH pour laquelle l’Opposante a produit une demande.

[3] Pour les motifs qui suivent, l’opposition est rejetée.

Le Dossier

[4] La Demande a été produite le 21 mars 2016 et a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 25 avril 2018. Le 21 septembre 2018, l’Opposante a produit une déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi). L’Opposante a par la suite été autorisée à produire une déclaration d’opposition modifiée datée du 25 février 2019 et une déclaration d’opposition modifiée encore une fois datée du 31 juillet 2019.

[5] Je note que la Loi a été modifiée le 17 juin 2019 et, conformément à l’article 70 de la Loi, les motifs d’opposition en l’espèce seront évalués en fonction de la Loi dans sa version antérieure au 17 juin 2019.

[6] La déclaration d’opposition modifiée de nouveau de l’Opposante soulève des motifs d’opposition fondés sur l’enregistrabilité en vertu de l’article 12(1)d), le droit à l’enregistrement en vertu des articles 16(1)a), b) et c), le caractère distinctif en vertu de l’article 2 et la non‑conformité aux articles 30b) et 30i) de la Loi.

[7] Le Requérant a produit une contre-déclaration niant les motifs d’opposition. Les deux parties ont produit une preuve et des observations écrites, et étaient présentes à une audience.

[8] Au paragraphe 11 des observations écrites de l’Opposante, ce qui a été confirmé par l’avocat de l’Opposante à l’audience, l’Opposante déclare qu’elle ne poursuit maintenant que les motifs d’opposition prévus aux articles 30b) et 16(1)b) de la Loi et qu’elle ne fait que poursuivre l’opposition à l’égard des produits « bières » mentionnés dans la Demande. Par conséquent, je crois comprendre que l’Opposante retire son opposition à l’égard des produits « Agendas » et retire ses motifs d’opposition fondé sur les articles 2, 12(1)d), 16(1)a) et c) et 30i) à l’égard des « bières ». Je concentrerai donc mon analyse sur les autres motifs d’opposition fondé sur les articles 30b) et 16(1)b) relativement aux « bières ».

Preuve

[9] La preuve des parties est résumée ci-dessous et je l’examinerai plus en détail dans l’analyse des motifs d’opposition.

Preuve de l’Opposante

[10] L’Opposante a produit en preuve une copie certifiée de la demande d’enregistrement de la marque de commerce canadienne no 1,695,549 pour la marque de commerce KALLEH. Cette demande a été produite par l’Opposante le 25 septembre 2014 en raison de l’emploi projeté de la marque de commerce au Canada.

[11] L’Opposante a par la suite obtenu l’autorisation de produire, à titre de preuve supplémentaire, une copie certifiée conforme de l’enregistrement no LMC1,026,989, soit l’enregistrement qui a été délivré le 17 juin 2019 à partir de la demande no 1,695,549. La liste des produits visés par cet enregistrement figure à l’annexe A de la présente décision et comprend un éventail d’aliments et de boissons. Je note que la demande de l’Opposante comprenait à l’origine des produits décrits comme des « boissons de malt » qui ont été par la suite redéfinis comme des « boissons de malt alcoolisées, nommément bière […] ».

Preuve du Requérant

[12] Le Requérant a produit un affidavit en son nom propre, souscrit le 24 septembre 2019 (l’Affidavit Reimann) et l’affidavit de D. Jill Roberts, souscrit le 25 septembre 2019 (l’Affidavit Roberts). Aucun des déposants n’a été contre-interrogé.

L’Affidavit Reimann

[13] Le Requérant est un résident d’Autriche et est le propriétaire des sociétés KALEA Osterreich GmbH et KALEA Deutschland GmbH, constituées respectivement en vertu des lois autrichiennes et allemandes (ces deux sociétés sont collectivement appelées « Kalea » dans l’Affidavit Reimann). Le Requérant affirme que ces deux sociétés ont été fondées en 2010 et qu’elles emploient la Marque sous licence du Requérant, en vertu de laquelle il contrôle à la fois la nature et la qualité des collections de bières Kalea vendues en liaison avec la Marque.

[14] Le Requérant affirme que la Marque n’a pas de signification dans une quelconque langue, mais que le mot a été inspiré par le mot allemand pour l’objet de vente principal de Kalea, soit un calendrier de bière. Présenté pour la première fois en 2010, le calendrier de l’avent de bière KALEA propose 24 bières uniques emballées dans un emballage de type calendrier contenant une bière différente pour chaque jour du 1er décembre au 24 décembre.

[15] La Pièce A de l’Affidavit Reimann est décrite comme une image représentative d’un calendrier de l’avent de bière KALEA. L’image représente le calendrier de l’avent de bière KALEA 2018 vendu au Canada, et le Requérant affirme que le calendrier de l’avent de bière KALEA pour les autres années est sensiblement semblable dans la présentation. La Marque figure dans le coin supérieur droit de l’emballage du calendrier.

[16] Le Requérant affirme que Kalea vend ses produits arborant la Marque aux importateurs et aux distributeurs de produits de bière au Canada, qui, à leur tour, les revendent aux détaillants de bière au Canada en vue de la vente finale aux consommateurs. Des distributeurs précis dans diverses régions du Canada sont identifiés. Le Requérant affirme que Kalea vend ses produits de bière au Canada de cette façon depuis au moins 2012. La Pièce E de l’Affidavit Reimann est décrite comme un exemple de commande de 2012 pour les produits Kalea d’un ancien distributeur canadien. Le bon de commande de la Pièce E est daté du 27 avril 2012 et définit le produit comme [traduction] « Calendrier Kalea » dans le corps de la commande. Le Requérant affirme que les produits Kalea sont disponibles et vendus au Canada de façon continue depuis 2012.

[17] L’Affidavit Reimann contient également des exemples de publicité en ligne arborant la Marque.

L’Affidavit Roberts

[18] Mme Roberts se décrit comme une diplômée du programme de technique juridique du Cambrian College à Sudbury, en Ontario. Son affidavit comprend des imprimés des résultats de diverses recherches Internet du mot « Kalleh » ainsi que des recherches dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada. En résumé, je n’ai pas trouvé que le contenu de l’Affidavit Roberts était utile au Requérant d’une manière ou d’une autre ou qu’il abordait de manière significative l’une des questions en jeu dans la présente procédure. Je n’examinerai pas cet affidavit davantage.

Fardeau de preuve

  • [19] Le Requérant a le fardeau ultime d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la Demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la p. 298].

Analyse des motifs d’opposition

Motif d’opposition fondé sur l’article 30b)

[20] La date pertinente relativement au motif d’opposition fondé sur l’article 30b) est la date de production de la demande, à savoir le 21 mars 2016 [voir Georgia‑Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC), au para 16]. Selon la Demande, la Marque a été employée au Canada [traduction] « depuis au moins octobre 2015 ». L’Opposante fait valoir que le Requérant n’a pas employé la Marque avant la date revendiquée d’octobre 2015 ou de façon continue depuis, jusqu’à la date de production du 21 mars 2016.

[21] En ce qui concerne un motif d’opposition fondé sur l’article 30b) de la Loi, il est bien établi que si la date de premier emploi revendiquée dans la demande précède la date de premier emploi réelle de la marque de commerce au Canada par le requérant, le motif d’opposition fondé sur l’article 30b) est alors accueilli [voir Scenic Holidays (Vancouver) Ltd c Royal Scenic Holidays Ltd, 2010 COMC 63].

[22] Le fardeau initial d’un opposant en vertu de l’article 30b) est léger [Tune Masters c Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 CPR (3d) 84 (COMC), à la p. 89] et il peut être satisfait non seulement par la preuve de l’opposant, mais aussi par la preuve du requérant [Brasserie Labatt Ltée c Brasseries Molson (1996), 68 CPR (3d) 216 (CF 1re inst), à la p. 230]. Toutefois, un opposant ne peut s’appuyer avec succès sur des éléments de preuve du requérant pour s’acquitter de son fardeau initial si l’opposant établit que les éléments de preuve du requérant remettent en question la revendication présentée dans la demande [voir Corporativo de Marcas GJB, SA de CV c Bacardi & Company Ltd, 2014 CF 323, aux para 30 à 38 (Bacardi)].

[23] En l’espèce, aux pages 6 à 14 de ses observations écrites, l’Opposante présente de nombreux arguments quant à la raison pour laquelle la preuve du Requérant ne démontre pas suffisamment l’emploi (ou l’emploi continu) de la Marque par le Requérant depuis au moins octobre 2015. Je m’efforcerai de répondre à ces arguments ci-dessous. Toutefois, à mon avis, le motif fondé sur l’article 30b) peut être rejeté en raison de la question du seuil selon laquelle l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial.

[24] Il faut se rappeler que l’Opposante n’a produit aucune preuve qui remet en question la date d’emploi revendiquée. Étant donné que l’Opposante n’a produit aucun élément de preuve sur cette question, il est important de noter que le Requérant n’était pas tenu de présenter des éléments de preuve pour justifier sa date d’emploi revendiquée. Autrement dit, si le Requérant n’avait produit aucune preuve en l’espèce, il aurait eu gain de cause par rapport au motif fondé sur l’article 30b), puisque l’Opposante n’aurait aucune preuve lui permettant de s’acquitter de son fardeau de preuve initial [à titre d’exemple, voir Value Village Stores Ltd c Value Village Market (1990) Ltd (1997), 83 CPR (3d) 521 (COMC), aux para 7 à 9]. Il ne suffit pas de plaider un motif fondé sur l’article 30b) pour qu’un opposant puisse s’acquitter de son fardeau de preuve initial. Bien entendu, les requérants dans les procédures d’opposition peuvent avoir d’autres raisons, au-delà de l’article 30b), de produire des éléments de preuve de l’emploi de leurs marques de commerce (p. ex., ces éléments de preuve peuvent porter sur la question du risque de confusion). Dans les cas où un opposant cherche à se fonder uniquement sur la preuve d’un requérant afin de s’acquitter de son fardeau de preuve initial pour le motif fondé sur l’article 30b), la question se pose de savoir si la preuve du requérant contient des faits qui sont clairement incompatibles avec la date d’emploi revendiquée ou font douter le juge des faits quant à cette date revendiquée. Les admissions obtenues lors d’un contre-interrogatoire sur la preuve d’un requérant, qui remettent en question la date d’emploi revendiquée, sont un autre moyen par lequel un opposant peut s’acquitter de son fardeau de preuve initial en vertu de l’article 30b).

[25] En l’espèce, il n’y a rien dans la preuve du requérant qui soit clairement incompatible ou qui remettrait en question la date d’emploi revendiquée [traduction] « depuis au moins octobre 2015 ». Les éléments de preuve du Requérant indiquent que les produits de bière KALEA ont été vendus continuellement au Canada depuis 2012 et le Requérant a fourni un bon de commande canadien pour plusieurs unités d’un [traduction] « Calendrier Kalea » de 2012. À cet égard, je note qu’un requérant est libre d’indiquer dans sa demande une date de premier emploi qui est postérieure à la date réelle de premier emploi [voir Marineland Inc c Marine Wonderland & Animal Park Ltd (1974), 16 CPR (2d) 97 (CF)]. Bien que l’Opposante affirme que le bon de commande à lui seul ne suffit pas à démontrer l’emploi de la Marque, la question, aux fins du fardeau de preuve initial de l’Opposante, est de savoir si le bon de commande est clairement incompatible avec la date d’emploi revendiquée – ce qui n’est pas le cas. La preuve du Requérant comprend également une [traduction] « image représentative d’un calendrier de l’avent de bière KALEA » de 2018 qui arbore la Marque, ainsi que l’affirmation que [traduction] « le calendrier de l’avent de bière KALEA pour les autres années est sensiblement semblable dans la présentation ». Bien que cet exemple du calendrier de 2018 soit de toute évidence postérieur à la date pertinente, l’affidavit explique que cet exemple est représentatif des autres années. En bref, rien dans l’Affidavit Reimann ne me fait remettre en question la date d’emploi revendiquée dans la demande. Dans la mesure où l’Opposante croyait que l’Affidavit Reimann était trompeur quant à l’emploi de la Marque (ou de la continuité de cet emploi), elle a eu l’occasion de contre-interroger M. Reimann et a choisi de ne pas le faire.

[26] Bien qu’il y ait des circonstances dans lesquelles la preuve d’un requérant (même en l’absence d’un contre-interrogatoire) remet nécessairement en question la date d’emploi revendiquée [par exemple, voir 911979 Alberta Ltd c Hero Nutritionals, Inc, 2014 COMC 72, 122 CPR (4th) 256], pour les motifs exposés ci-dessus, ce n’est pas le cas de la présente opposition.

[27] En ce qui concerne les autres arguments de l’Opposante, elle fait valoir que la façon dont le mot « KALEA » est représenté dans le calendrier de l’avent de bière à la Pièce A de l’Affidavit Reimann ne constitue pas l’emploi de la Marque, parce que le terme semble faire partie d’une marque figurative qui comprend également le mot « Original ». Je ne suis pas d’accord avec l’Opposante sur ce point. À mon avis, la description du terme « KALEA » à la Pièce A constitue l’emploi de la Marque, car le terme se distingue suffisamment des éléments figuratifs simples et du mot descriptif « Original » qui figure sur une ligne différente dans une police plus petite [voir Nightingale Interloc c Prodesign (1984), 2 CPR (3d) 535 (COMC)].

[28] De plus, l’Opposante soutient que la preuve du Requérant ne comprend pas d’éléments de preuve documentaire des ventes tels que les factures, les documents d’expédition et les chiffres de vente pour démontrer l’emploi continu de la Marque au Canada depuis au moins octobre 2015. Je rejette ces arguments parce qu’ils supposent que l’Opposante s’est déjà acquittée de son fardeau de preuve initial relativement au motif fondé sur l’article 30b), ce qui n’est pas le cas. Le Requérant n’était pas tenu de produire de tels éléments de preuve dans une situation où l’Opposante n’avait produit aucun élément de preuve se rapportant au motif fondé sur l’article 30b), et la preuve du Requérant n’était pas clairement incompatible avec la date d’emploi revendiquée.

[29] Dans ses observations écrites et à l’audience, l’Opposante s’est aussi largement appuyée sur la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Bacardi, précitée, dans laquelle un motif d’opposition fondé sur l’article 30b) a été retenu en raison de l’absence d’emploi continu de la marque de commerce depuis la date de premier emploi revendiquée. L’Opposante soutient que Bacardi appuie la position selon laquelle elle s’est acquittée de son fardeau de preuve initial en l’espèce. En particulier, au paragraphe 52 de Bacardi, la Cour fédérale déclare ce qui suit :

Il était raisonnable pour le registraire de tirer une inférence défavorable vu le peu d’éléments de preuve relatifs à l’emploi et de conclure, sur ce fondement, que Bacardi s’était acquittée de son fardeau de prouver l’emploi (voir : Brasserie Labatt Limitée c Les Brasseries Molson, Société en nom collectif, [1996] ACF no 729 [C.F. 1re inst], au paragraphe 38).

[30] Toutefois, je ne considère pas que les faits de Bacardi sont comparables aux faits de la présente affaire. Dans Bacardi, la demanderesse a clairement et directement prouvé que son emploi de la marque de commerce n’était pas continu. En examinant la preuve présentée au registraire dans cette affaire, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 53 :

En outre, le représentant légal de Cuervo (M. Avina) a indirectement expliqué pourquoi il y avait si peu d’éléments de preuve de l’emploi du dessin‑marque durant la période pertinente. Dans son affidavit de 2009, M. Avina a avisé la Cour que les ventes du rhum CASTILLO au Canada avaient été interrompues en 1999 et n’avaient pas repris pendant près de dix ans (affidavit de 2009 de M. Avina, aux paragraphes 4 à 6). Ce moratoire admis des ventes au Canada du rhum portant la marque nominale (CASTILLO) à partir de 1999, combiné à une absence de preuve après 1999 de l’emploi du dessin‑marque (RON CASTILLO – dessin de l’étiquette), appuie la conclusion raisonnable du registraire selon laquelle Bacardi s’est acquittée de son fardeau de preuve.

[31] La Cour fédérale a poursuivi au paragraphe 54 en déclarant ce qui suit :

De plus, la preuve sur laquelle le registraire s’est fondé – les « aveux manifestes » de Marcas (au paragraphe 30) selon lesquels Marcas a interrompu les ventes de rhum CASTILLO de 1999 à 2008 – est « nettement incompatible » avec un emploi continu de 1998 à 2003. En fait, il est difficile d’imaginer un dossier de preuve plus incompatible avec l’absence d’un emploi continu que l’aveu même de la requérante sur ce point.

[32] En l’espèce, selon la preuve du Requérant, il a continuellement employé la Marque au Canada depuis 2012 et, contrairement aux circonstances de Bacardi, rien dans la preuve au dossier ne me permet de remettre en question cette situation.

[33] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’article 30b), et ce motif est donc rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)b)

[34] L’Opposante fait valoir que le Requérant n’a pas le droit d’enregistrer la Marque parce qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce KALLEH que vise la demande no 1,695,549 qui a été produite par l’Opposante le 25 septembre 2014. Comme je l’ai mentionné, la demande no 1,695,549 est devenue l’enregistrement no LMC1,026,989 le 17 juin 2019. Toutefois, étant donné que la demande de l’Opposante était toujours en instance à la date de l’annonce de la demande du Requérant, l’Opposante est libre de s’appuyer sur sa demande pour l’application de l’article 16(1)b).

[35] La date pertinente pour le motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)b) est la date de premier emploi de la Marque au Canada par le Requérant [voir Datascope of Canada Ltd c Datascope Corp (1998), 81 CPR (3d) 420 (CF), au para 31]. Comme je l’ai indiqué, selon la preuve du Requérant, il emploie la Marque de façon continue au Canada depuis 2012. L’Opposante n’a pas procédé à un contre-interrogatoire au sujet de ces éléments de preuve ni produit de preuve du contraire. Comme la demande de l’Opposante a été produite par la suite le 25 septembre 2014, elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial relativement au motif fondé sur l’article 16(1)b) et celui-ci peut être rejeté sur cette base.

[36] Toutefois, si je me trompe dans l’évaluation ci-dessus, je procéderai à l’analyse de la confusion comme si l’Opposante s’était acquittée de son fardeau de preuve initial. Je note que l’Opposante se serait acquittée de son fardeau de preuve initial pour le motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)b) si la date pertinente était soit la date d’emploi revendiquée dans la Demande (octobre 2015), soit la date de production de la demande (21 mars 2016).

Le test en matière de confusion

[37] Le test permettant de trancher la question de la confusion est énoncé à l’article 6(2) de la Loi, qui prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice. En faisant une telle évaluation, je dois tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles énumérées à l’article 6(5) de la Loi : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, le genre des produits, services ou entreprises, la nature du commerce et le degré de ressemblance entre les marques de commerce, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.

[38] Ces critères ne sont pas exhaustifs et un poids différent sera accordé à chacun selon le contexte [voir Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, 49 CPR (4th) 401; Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772, au para 54]. Je cite également l’affaire Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, 92 CPR (4th) 361, au para 49, où la Cour suprême du Canada déclare que l’article 6(5)e), sur la ressemblance entre les marques, est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion.

[39] Le test en matière de confusion est évalué comme étant celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la marque du requérant, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque de commerce de l’opposant, et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques [Veuve Clicquot, précité, au para 20].

Caractère distinctif inhérent des marques de commerce et mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[40] Les marques de commerce des deux parties ont un caractère distinctif inhérent. Ni la marque de commerce KALLEH de l’Opposante, ni la Marque du Requérant n’ont de sens dictionnaire en français ou en anglais et, selon la preuve du Requérant, la Marque est un terme inventé.

[41] Le Requérant a fait valoir que la marque de commerce de l’Opposante n’a pas de caractère distinctif inhérent parce que la demande de l’Opposante indique que KALLEH signifie [traduction] « tétines de vache » en farsi. Toutefois, rien dans la preuve dont je suis saisi n’indique le nombre de consommateurs canadiens qui comprendraient le mot et, de toute façon, il n’y a aucun lien entre cette définition et la bière. L’Opposante a soutenu que la Marque a un niveau de caractère distinctif inhérent inférieur parce qu’elle est semblable aux mots français et anglais « calendrier/calendar ». Toutefois, je ne suis pas d’accord avec l’Opposante sur ce point. Étant donné les différences importantes dans la composition et le son, je ne vois aucun motif raisonnable de penser qu’un consommateur francophone ou anglophone qui voit le terme « KALEA » comprendrait cela comme étant un renvoi descriptif à « calendrier » ou « calendar ». En fin de compte, je considère que les marques de commerce des deux parties ont un caractère distinctif inhérent, puisqu’elles seraient probablement perçues comme des termes inventés ou des termes qui n’ont par ailleurs aucune signification en français ou en anglais.

[42] En ce qui a trait à la mesure dans laquelle les marques de commerce des parties sont devenues connues, je n’ai aucune preuve d’emploi de la marque de commerce de l’Opposante et je conclus par conséquent qu’elle n’est pas connue du tout au Canada. Il y a des éléments de preuve de l’emploi par le Requérant de sa Marque; toutefois, il n’y a aucune preuve permettant de quantifier la portée de cet emploi (p. ex., les chiffres de ventes) et, par conséquent, je ne peux conclure que la Marque est connue dans une mesure significative au Canada.

Période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[43] Il n’y a aucune preuve d’emploi de la marque de commerce de l’Opposante. La preuve indique que le Requérant emploie la Marque au Canada depuis 2012. Ce facteur favorise donc le Requérant.

Genre de produits, services ou entreprises; et nature du commerce

[44] Les produits de l’Opposante comprennent la bière, tout comme la Demande. Par conséquent, il y a chevauchement entre les produits des parties et je n’ai aucune preuve qui suggère que les voies de commercialisation probables seraient différentes. Ce facteur favorise l’Opposante.

Degré de ressemblance

[45] Comme je l’ai mentionné, le degré de ressemblance est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion. Lorsque l’on tient compte du degré de ressemblance, il est préférable de se demander d’abord si l’un des aspects de la marque de commerce est « particulièrement frappant ou unique » [Masterpiece, précité, au para 64]. En l’espèce, les marques de commerce des deux parties sont des mots uniques qui ont un caractère distinctif inhérent, et les éléments frappants ou uniques sont les mots « KALLEH » et « KALEA », respectivement.

[46] En ce qui concerne les idées véhiculées, étant donné que ni l’une ni l’autre des marques de commerce des parties n’a de signification particulière en français ou en anglais, il n’y a aucune ressemblance entre les marques de commerce et les idées véhiculées.

[47] Pour ce qui est de la présentation, il y a un certain degré de ressemblance puisque les deux mots commencent par les trois lettres « KAL » et sont d’une longueur semblable.

[48] En ce qui concerne le son, l’Opposante soutient qu’il y a un degré élevé de ressemblance. Il ne semble pas y avoir de litige entre les parties sur le fait que le son de la marque de commerce de l’Opposante serait formulé en deux syllabes, « KAL-LEH ». En ce qui concerne la Marque, l’Opposante fait valoir qu’elle pourrait également être formulée en deux syllabes, la composante « EA » de la Marque étant prononcée de la même manière que les mots anglais « flea » ou « pea », de sorte que la Marque dans son ensemble serait prononcée « KA-LEE ». L’Opposante fait donc valoir que le son des marques de commerce est semblable.

[49] En dépit des arguments pertinents présentés par l’avocat de l’Opposante à ce sujet, je ne peux pas conclure que le son de la Marque est susceptible d’être formulé en deux syllabes, « KA‑LEE ». Compte tenu de la structure de la Marque dans son ensemble, à mon avis, le son de la composante « EA » de la Marque est susceptible d’être semblable à celui de mots anglais ayant une structure similaire, comme « area », « idea » ou « cornea » (je note que je n’ai pas obtenu d’éléments de preuve ou d’arguments selon lesquels le son de la Marque serait formulé de façon différente par un locuteur anglais, français ou bilingue). En d’autres termes, je suis d’accord avec le Requérant pour dire que le son de la Marque est susceptible d’être formulé en trois syllabes, « KA-LEE-A ». Dans ce contexte, je ne considère pas que le son des marques de commerce des parties présente un degré élevé de ressemblance.

[50] Compte tenu de ce qui précède, je considère, dans l’ensemble, que le facteur du degré de ressemblance favorise légèrement le Requérant.

Conclusion concernant le motif fondé sur l’article 16(1)b)

[51] Après avoir examiné toutes les autres circonstances de l’espèce, je conclus que le Requérant s’est acquitté de son fardeau ultime de démontrer qu’il n’y a aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques de commerce des parties. Nonobstant le chevauchement apparent des produits et compte tenu du fait que les marques de commerce des deux parties ont un caractère distinctif inhérent, je ne considère pas que le degré de ressemblance entre les marques de commerce soit suffisamment élevé pour donner lieu à un risque de confusion. Par conséquent, je rejette le motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)b).

[52] Comme je l’ai mentionné, l’Opposante a indiqué qu’elle ne poursuivait plus les motifs d’opposition fondés sur les articles 2, 12(1)d), 16(1)a) et c) et 30i). Quoi qu’il en soit, il ressort de l’analyse ci-dessus que j’aurais rejeté les motifs d’opposition fondés sur les articles 2, 12(1)d), 16(1)a) et c) selon la même évaluation de la question que celle de la confusion que l’article 16(1)b), malgré les dates pertinentes différentes. J’aurais également rejeté les motifs fondés sur les articles 2 et 16(1)a) et c) parce que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial puisqu’elle n’a produit aucune preuve d’emploi ou de divulgation de sa marque de commerce ou de l’emploi de son nom commercial. De même, j’aurais rejeté les motifs fondés sur l’article 30i), car l’Opposante n’a produit aucune preuve pour s’acquitter de son fardeau de preuve initial pour ce motif.

Décision

[53] Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

 

 

Timothy Stevenson

 

Membre

 

Commission des oppositions des marques de commerce

 

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Liette Girard

 

Le français est conforme aux WCAG.

 


Annexe A

Enregistrement no LMC1,026,989 (KALLEH)

Produits

(1) Viande, poisson, volaille et gibier; extraits de viande; fruits et légumes en conserve, congelés, séchés et cuits, gelées, confitures, compotes, œufs, lait et produits laitiers, sauf la crème glacée, le lait glacé et le yogourt glacé, huiles et graisses alimentaires.

(2) Riz, tapioca et sagou, glaces alimentaires, sucre, miel, mélasse, levure, levure chimique, sel, moutarde, vinaigre, épices, relish, relish de cornichons, gingembre mariné.

(3) Graines et graines agricoles pour la plantation; produits horticoles et forestiers, nommément semences agricoles, semences de pommier, semences de végétaux, graines comestibles, graines de lin, graines de fleurs, graines de fruits, graines de sésame rôties et moulues, semences de fleurs, graines de fruits, graines de légumes, semences horticoles, graines d’ensemencement, graines de tournesol; produits horticoles et forestiers, nommément jeunes plantes vivantes et fleurs naturelles non comprises dans d’autres classes, fruits et légumes frais, plantes et fleurs naturelles; produits alimentaires pour animaux, nommément nourriture pour animaux, suppléments alimentaires pour animaux et additifs alimentaires pour animaux, nourriture pour animaux de compagnie, gâteries pour animaux de compagnie, produits comestibles à mâcher pour animaux, nommément os, bâtonnets, jouets à mâcher; malt pour le brassage et la distillation.

(4) Eaux minérales et gazeuses, autres boissons non alcoolisées, nommément boissons aromatisées au thé, aux fruits ou à la bière; boissons gazeuses, nommément boissons gazéifiées, eau gazeuse; boissons de malt non alcoolisées, nommément bière non alcoolisée, ale non alcoolisée, lager non alcoolisée, stout non alcoolisé; boissons de malt alcoolisées, nommément bière, ale, lager, stout, liqueur de malt, vins panachés à base de malt; cocktails de malt brassés et alcoolisés; boissons aux fruits et jus de fruits, sirops pour faire des boissons; autres préparations pour faire des boissons, nommément des boissons aux fruits.


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2021-11-29

COMPARUTIONS

Daniel Drapeau

Pour l’Opposante

Jaimie M. Bordman

Pour le Requérant

AGENTS AU DOSSIER

DrapeauLex Inc.

Pour l’Opposante

Moffat & Co.

Pour le Requérant

 

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