Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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CIPO

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2022 COMC 083

Date de la décision : 2022-04-26

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

Brasserie Jukebox Inc.

Opposante

et

 

Cross the Road Restaurants Ltd.

Requérante

 

1,762,964 pour JUKE

Demande

Aperçu

[1] Brasserie Jukebox Inc (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce JUKE (la Marque), laquelle est l’objet de la demande d’enregistrement no 1,762,964 déposée par Cross the Road Restaurants Ltd (la Requérante).

[2] La demande d’enregistrement pour la Marque a été déposée le 12 janvier 2016 en liaison avec « Services de restaurant » fondée sur l’emploi proposé au Canada. La Marque a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 13 juin 2018 et le 2 novembre 2018, l’Opposante a déposé un avis d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). Toutes les mentions dans la présente décision visent la Loi dans sa version modifiée le 17 juin 2019, à l’exception des renvois aux motifs d’opposition qui se rapportent à la Loi dans sa version avant sa modification [article 70 de la Loi].

[3] Les motifs d’opposition invoqués par l’Opposante allèguent que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu de l’article 16(3)a) de la Loi et que la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi.

[4] La Requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle réfute toutes les allégations invoquées dans la déclaration d’opposition. Les deux parties ont présenté des preuves, qui sont présentées ci-dessous et examinées plus en détail, au besoin, dans l’analyse des motifs d’opposition. Seule l’Opposante a produit des plaidoyers écrits, toutefois les deux parties étaient représentées à l’audience.

Preuve des parties

Preuve de l’Opposante

[5] Afin d’appuyer son opposition, l’Opposante a produit les déclarations solennelles de Renaud Gouin, en date du 1er mai 2019, accompagnée des Pièces RG-1 à RG-23 (la déclaration Gouin), et de Gillian Dunne, en date du 2 mai 2019, accompagnée des Pièces GD-1 à GD-6 (la déclaration Dunne). Ni M. Gouin ni Mme Dunne n’a été contre-interrogé.

Déclaration Gouin

[6] M. Gouin était un directeur et président de l’Opposante du 11 avril 2012, la date de sa constitution en société, jusqu’au 1er décembre 2018.

[7] Le 1er décembre 2018, l’Opposante et Avant-Garde Artisans Brasseurs Inc ont été fusionnés pour former Avant-Garde Artisans Brasseurs Inc (Avant-Garde). Produit à titre de Pièce RG-1 est un imprimé du Registraire des entreprises du Québec pour Avant-Garde en date du 16 avril 2019. M. Gouin est nommé comme le directeur, le président et le trésorier d’Avant-Garde depuis décembre 2018. Je note que, malgré cette fusion, Avant-Garde n’a pas été ajouté comme opposant dans cette procédure, et n’a pas remplacé l’Opposante, et l’Opposante demeure le seul opposant au dossier.

[8] M. Gouin affirme que l’Opposante mène les activités de vendre de la bière en liaison avec sa marque de commerce JUKEBOX. Il explique que, en premier lieu, la bière JUKEBOX de l’Opposante était brassée par Brasseurs de Montreal Inc, laquelle vendait et distribuait également une telle bière au profit de l’Opposante en retour d’une commission versée par l’Opposante. M. Gouin indique que cet accord de distribution était en vigueur jusqu’en mai 2016.

[9] M. Gouin affirme que la première saveur de la bière JUKEBOX était pour un produit d’ale blonde ou pâle et que l’une des premières ventes de la bière portant la marque de commerce JUKEBOX a été faite par Brasseurs de Montreal Inc à Dépanneur Peluso situé à Montréal, Québec. Produite à titre de Pièce RG-2 est une copie d’une facture émise par Brasseurs de Montreal Inc le 23 août 2012 pour cette transaction.

[10] M. Gouin indique que, entre septembre 2013 et avril 2015, l’Opposante a entamé la vente de plusieurs nouvelles saveurs de bières respectivement nommées Distorsion, Jazz, Mélodie (plus tard renommée Mélodie Sauvin) et Double Distorsion en liaison avec la marque de commerce JUKEBOX. Produites à titre de Pièces RG-3 à RG-10 sont des copies de feuilles de ventes, lesquelles illustrent les étiquettes arborant la marque de commerce JUKEBOX présumée employée par l’Opposante, ainsi que des bouteilles de bière actuelles pour chacune des saveurs.

[11] M. Gouin indique que, à la fin de janvier 2016, l’Opposante a entamé la vente directe de sa bière JUKEBOX et a résilié l’accord de distribution avec Brasseurs de Montreal Inc. M. Gouin affirme également que, en mai 2016, l’Opposante a transféré la production de sa bière JUKEBOX à Brasserie et Distillerie Oshlag, laquelle est devenue le brasseur de la bière de l’Opposante sous cette marque de commerce.

[12] M. Gouin affirme également, entre juillet 2016 et juin 2018, l’Opposante a réintroduit sa première saveur de bière sous le nom Classique et a entamé la vente de trois nouvelles saveurs de bières respectivement nommées New Wave, Electrique et Funkadélique Brettastique, toutes les en liaison avec la marque de commerce JUKEBOX. Produites à titre de Pièces RG-11 à RG-16 et RG-23 sont des copies de feuilles de ventes ainsi que des bouteilles de bière actuelles pour ces saveurs.

[13] M. Gouin fournit également des chiffres de ventes totalisant plus 2,3 millions de dollars, représentant les ventes brutes de bières de l’Opposante en liaison avec la marque de commerce JUKEBOX pour 2013 à 2018. Il indique que la majorité des clients de l’Opposante pour sa bière JUKEBOX sont des dépanneurs, des épiciers, des bistros, des restaurants et des magasins d’aliments spécialisés, tous situés dans la province du Québec.

[14] En ce qui a trait à la promotion, M. Gouin affirme que, depuis août 2012, l’Opposante a « inscrit » la marque de commerce JUKEBOX sur les réseaux sociaux, comme Facebook, et que depuis 2013, l’Opposante est la propriétaire du site Web bieresjukebox.com et la marque de commerce JUKEBOX a toujours été présente sur celui-ci. Produit à titre de Pièce RG-17 est un imprimé du site Web de l’Opposante, capturé le 13 mars 2013 et obtenu du site Internet Archive Wayback Machine. M. Gouin attire l’attention à la page3 de cette pièce, qui arbore la première saveur de bière portant la marque de commerce JUKEBOX vendue par l’Opposante, à savoir une ale blonde ou pâle. Produit à titre de Pièce RG-18 est un autre imprimé du site Web de l’Opposante, capturé le 14 avril 2014 et également obtenu du site Internet Archive Wayback Machine.

[15] M. Gouin explique également que, depuis 2013, dans l’effort de faire la promotion de la vente de bières en liaison avec la marque de commerce JUKEBOX, les représentants de l’Opposante ont été présents à des festivals de bières qui ont eu lieu dans la province du Québec, comme le Festival mondial de la bière et le Festival bières et saveurs de Chambly, où on a offert aux visiteurs de petits verres des différentes saveurs de bières portant la marque de commerce JUKEBOX. Il affirme que, à de tels festivals, l’Opposante a vendu des verres de bière et des tee-shirts portant la marque de commerce JUKEBOX. Produits à titre de Pièces RG-19 et RG-20 sont des échantillons de tels verres de bière et de tee-shirts. Produit à titre de Pièce RG-21 est un imprimé de la section [traduction] « Bières et exposants » du site Web festivalmondialbiere.qc.ca qui nomme Avant-Garde et « Bières Jukebox » parmi les participants. Produit à titre de Pièce RG-22 est un imprimé du site Web d’un brasseur, boiteamalt.com, lequel décrit la nature du deuxième festival mentionné ci-dessus. Je note que les deux imprimés sont en date du 29 avril 2019. Je note également qu’il n’y a aucune indication des dates particulières des festivals de bières auxquels l’Opposante a participé ou du nombre de visiteurs correspondant.

Déclaration Dunne

[16] Mme Dunne est une technicienne juridique avec les agents de l’Opposante. Elle fournit des définitions qu’elle a trouvées en ligne le 1er mai 2019 pour les mots « juke » et « jukebox ». Celles-ci comprennent les suivantes :

[traduction]

juke :

  • - (1) (nom) Un établissement en bord de route ou rural offrant de l’alcool, de la danse et souvent des jeux de hasard et de la prostitution. Aussi appelé « juke house », « juke joint ». (2) (verbe) Jouer de la musique pour danser, particulièrement dans un « juke ». (3) (verbe) Danser, particulièrement dans un « juke » ou à la musique d’un jukebox. (4) (verbe) Tromper ou déjouer (un opposant défendant) par la feinte; ruse. (5) (verbe) Tromper ou déjouer un défendant. (6) (nom) Une feinte ou une ruse. [thefreedictionary.com; Pièce 1]

  • - (1) (verbe) Faire un acte visant à tromper (un opposant). (2) (nom) Une feinte ou une ruse, habituellement dans le but de tromper un joueur défensif. (3) (nom) Jukebox. [dictionary.com; Pièce 5]

  • - (nom) Un petit établissement en bord de route qui joue de la musique et offre des rafraîchissements. [collinsdictionary.com; Pièce 3]

 

jukebox :

  • - (1) (nom) Machine fonctionnant à l’argent qui joue de la musique, habituellement dotée de boutons-poussoirs pour la sélection d’enregistrements particuliers. (2) (nom) Une machine fonctionnant à l’argent, qui se trouve habituellement dans les pubs, les clubs, etc. qui contient des enregistrements, des CD ou des vidéos qui sont joués lorsqu’un client les sélectionne. [thefreedictionary.com; Pièce 2]

  • - (nom) Un jukebox est une machine qui joue des CD dans un lieu comme un pub ou un bar. Vous placez de l’argent à l’intérieur et choisissez la chanson que vous voulez entendre. [collinsdictionary.com; Pièce 4]

  • - (nom) Un phonographe fonctionnant à l’argent, habituellement dans un cabinet décoré et illuminé, ayant un large éventail d’enregistrements qui peuvent être sélectionnés par boutons-poussoirs. [dictionary.com; Pièce 6]

[17] Puisque je suis également en mesure de consulter les dictionnaires, j’ai consulté le Oxford Canadian Dictionary (2e édition, 2006) et je note à ce stade-ci que les définitions des mots « juke » et « jukebox » dans celui-ci correspondent en général à celles fournies par Mme Dunne.

Preuve de la Requérante

[18] En appui à sa demande, la Requérante a produit les affidavits de Joanne Grison, exécuté le 28 août 2019, accompagné de la Pièce A (l’affidavit Grison), et de Cord Jarvie, exécuté le 29 août 2019, accompagné des Pièces A à K (l’affidavit Jarvie). Ni M. Jarvie ni Mme Grison n’a été contre-interrogé.

Affidavit Grison

[19] Mme Grison est la propriétaire de Grison IP Services Inc qui possède de l’expérience dans le domaine de la propriété intellectuelle en matière de recherches et de récupération de documents. Elle verse dans la preuve une copie du dossier de la demande pour la demande d’enregistrement de marque de commerce canadienne no 1,831,173 pour la marque JUKEBOX déposée par l’Opposante.

Affidavit Jarvie

[20] M. Jarvie est copropriétaire de la Requérante, laquelle exploite les restaurants de poulet frit JUKE. Il fournit certains renseignements concernant les étapes de planification du concept de restaurant JUKE en 2015-2016. Produite à titre de Pièce B est une copie d’un article du magazine en ligne Scout Vancouver intitulé [traduction] « Ouverture de l’établissement de poulet frit et de côtes levées “Juke” dans le cœur du Chinatown ce printemps », en date du 21 octobre 2015. Produite à titre de Pièce C est une copie d’une [traduction] « ébauche d’affiches et d’une trousse d’annonce d’ouverture » élaborée par une société de conception d’images de marque en mars 2016. En mai 2016, des affiches pour l’extérieur et l’intérieur du restaurant ont été commandées. Produite à titre de Pièce D est une copie d’une facture en date du 17 mai 2016 indiquant le dépôt pour ces affiches. Produite à titre de Pièce G est une copie d’un article du magazine en ligne Scout Vancouver intitulé [traduction] « Lancement de l’établissement de poulet frit “Juke” hautement anticipé dans le quartier chinois prévu ce vendredi » en date du 27 juillet 2016 concernant l’ouverture anticipée du restaurant JUKE. Produite à titre de Pièce F est une copie d’un article en ligne du Dished Vancouver intitulé [traduction] « Ouverture prévue de l’établissement de poulet frit Juke dans le quartier chinois » en date du 28 juillet 2016 qui discute du thème derrière le restaurant, de la nourriture, du restaurant lui-même et de la date d’ouverture anticipée.

[21] Le premier restaurant de la Requérante a été ouvert le 29 juillet 2016 et M. Jarvie indique que [traduction] « JUKE Restaurant a été continuellement employé depuis cette date ». Produites à titre de Pièce E sont des photos de l’extérieur du restaurant et des affiches arborant la Marque.

[22] Le restaurant de la Requérante offre à la fois des repas sur place et des repas à emporter. Plus particulièrement, M. Jarvie explique que le restaurant JUKE offre un menu à service complet et un comptoir de repas à emporter ouvert à tout moment de la journée qui sert du poulet frit avec toutes les parures. Produites à titre de Pièce H sont des images d’un menu et de boîtes de repas à emporter. Entre autres, le menu indique le site Web de la Requérante par l’adresse jukefriedchicken.com et la Marque figure sur au moins l’une des boîtes.

[23] La Requérante a ouvert un deuxième restaurant appelé Little JUKE le 29 août 2018. Produite à titre de Pièce J est une copie d’un article de la publication en ligne The Georgia Straight intitulé [traduction] « Alerte poulet frit et côtes levées : Juke Fried Chicken ouvre Little Juke dans le West End de Vancouver ». Cet article a été publié le même jour que celui de l’ouverture du deuxième emplacement.

[24] M. Jarvie affirme que la publicité de la Requérante se fait par les médias sociaux, comme Facebook et Instagram, des articles écrits dans diverses publications et le bouche-à-oreille. Il indique que les clients peuvent visiter le site Web à jukefriedchicken.com et, inclus à titre de Pièce K, est un imprimé de ce site Web illustrant les menus et les renseignements sur chacun des emplacements de la Requérante. La Marque est arborée sur le site Web.

[25] M. Jarvie fait également part de son opinion sur un certain nombre de questions, y compris sur le caractère distinctif de la Marque, sur sa capacité à distinguer les services de la Requérante et sur la probabilité de confusion avec la marque de commerce de l’Opposante. Je dois noter à ce stade-ci que j’ai ignoré tout énoncé d’opinion ou de conclusion fait par M. Jarvie sur des questions de fait et de droit qui doivent être déterminées par le registraire dans cette procédure.

Fardeau de preuve incombant à chacune des parties

[26] L’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [John Labatt Limited c The Molson Companies Limited (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst)]. Si elle s’est acquittée de ce fardeau, la Requérante doit alors s’acquitter du fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun motif d’opposition ne fait obstacle à l’enregistrement de sa Marque.

Motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement

[27] L’Opposante plaide que la Requérante n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement de la Marque, compte tenu des dispositions de l’article 16(3)a) de la Loi, puisque, à la date de dépôt de la demande, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce JUKEBOX de l’Opposante, précédemment employée au Canada par l’Opposante en liaison avec les verres de bière, les tee-shirts et la bière.

[28] Afin de s’acquitter de son fardeau de preuve à l’égard de ce motif, l’Opposante doit démontrer que, en date du 12 janvier 2016, elle avait employé la marque de commerce qu’elle invoque et que, en date du 13 juin 2018, sa marque de commerce n’avait pas été abandonnée [article 16(5) de la Loi]. Conformément à mon résumé ci-dessus, selon un examen juste de l’ensemble de la preuve de M. Gouin, je suis convaincue que l’Opposante se soit acquittée de son fardeau, du moins dans la mesure que la bière est concernée.

Test en matière de confusion

[29] Le test à appliquer pour trancher la question de la confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. L’article 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice.

[30] Par conséquent, l’article 6(2) de la Loi ne concerne pas la confusion entre les marques de commerce elles-mêmes, mais la confusion entre des produits ou services d’une source qui sont considérés comme provenant d’une autre source.

[31] Dans l’application du test en matière de confusion, je dois tenir compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, y compris celles énumérées à l’article 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Ces critères ne sont pas exhaustifs et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte [Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23; Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, au para 54]. Je cite également Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, au para 49, où la Cour suprême du Canada déclare que l’article 6(5)e), la ressemblance entre les marques, est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion. En l’espèce, j’examinerai donc d’abord le facteur relatif au degré de ressemblance.

Degré de ressemblance

[32] Il est bien établi en droit que, lorsqu’il s’agit de déterminer le degré de ressemblance, il faut examiner les marques de commerce dans leur ensemble. Le critère approprié n’est pas une comparaison côte à côte, mais un vague souvenir dans l’esprit d’un consommateur de la marque de commerce d’un opposant [Veuve Clicquot, au para 20]. Si, dans certains cas, le premier élément d’une marque de commerce peut s’avérer le plus important aux fins de la distinction, il est préférable de commencer l’analyse de la confusion en déterminant si un aspect de chaque marque de commerce est particulièrement frappant ou unique [Masterpiece, au para 64].

[33] L’aspect frappant de la Marque est le mot JUKE. On peut en conclure qu’il y a une ressemblance entre les marques de commerce dans la mesure que cet élément forme une partie de la marque de commerce de l’Opposante.

[34] L’Opposante affirme que l’aspect frappant de sa marque de commerce invoquée est également JUKE, laquelle est intégrée dans son ensemble dans la Marque de la Requérante. L’Opposante affirme également que l’idée suggérée par les marques de commerce est semblable selon la preuve introduite par Mme Dunne qui comprend des définitions pour le mot « juke » signifiant un petit établissement en bord de route qui fournit des rafraîchissements et qui joue de la musique, alors qu’il y a également des définitions pour le mot « jukebox » signifiant une machine fonctionnant à l’argent qui se trouve habituellement dans des pubs et des clubs et qui joue des enregistrements, des CD et des vidéos sélectionnés par les clients de l’établissement. L’Opposante pointe également vers la définition du mot « juke » dans le dictionnaire en ligne thefreedictionary.com reproduite ci-dessus. L’Opposante affirme qu’il est logique d’en déduire qu’un consommateur moyen avec un souvenir imparfait de la marque de commerce de l’Opposante, au moment de rencontrer la Marque de la Requérante, arriverait probablement à la conclusion que ses services de restaurant sont offerts avec le consentement ou l’autorisation de l’Opposante ou que les produits et services respectifs proviennent de la même source.

[35] Comme il a été indiqué ci-dessus, la ressemblance entre les marques de commerce est en raison de l’élément commun JUKE. Cependant, j’estime que l’aspect frappant de la marque de commerce de l’Opposante n’est pas JUKE, mais le mot JUKEBOX dans son ensemble. J’estime donc que, lorsqu’elles sont considérées dans leur ensemble, cela distingue les marques de commerce des parties et les rend plus différentes que semblables dans la présentation et le son. Nonobstant les observations de l’Opposante à cet égard, j’estime que les idées suggérées par les marques de commerce des parties sont également quelque peu plus différentes que semblables. Bien que j’accepte que l’idée de JUKEBOX est celle d’une machine jouant de la musique, en liaison avec les services visés par la demande d’enregistrement, compte tenu des diverses définitions de JUKE, l’idée suggérée par la Marque n’est pas claire, au-delà du mot lui-même.

[36] Par conséquent, en général, j’estime que ce facteur favorise la Requérante, mais pas fortement.

Caractère distinctif inhérent et mesure dans laquelle les marques sont devenues connues

[37] La marque de commerce de l’Opposante possède un certain caractère distinctif inhérent, puisqu’elle n’est ni suggestive ni descriptive dans le contexte des produits à l’égard desquels elle est employée. La Marque de la Requérante a un caractère distinctif inhérent inférieur, dans la mesure qu’elle est suggestive d’un type d’établissement qui sert des rafraîchissements et de la nourriture, comme un restaurant.

[38] En ce qui a trait à la mesure à laquelle les marques de commerce sont devenues connues, comme il est indiqué ci-dessus, les marques de commerce de l’Opposante ont acquis un certain caractère distinctif en liaison avec la bière, principalement par l’entremise de ventes depuis août 2012 dans la province du Québec, bien que cela ne soit pas à un quelconque degré important puisque la preuve de l’Opposante n’a pas de dépenses publicitaires ou promotionnelles, de détails sur le nombre de visiteurs à un quelconque festival de bière ou de détails sur le nombre de clients qui ont consulté le site Web ou les pages de médias sociaux de l’Opposante. Dans le même ordre d’idées, la preuve de la Requérante concernant l’emploi et la promotion de la Marque n’arrive pas à établir un quelconque caractère distinctif acquis important. Bien qu’elle ait ouvert son premier restaurant sous la Marque le 29 juillet 2016 dans le quartier chinois de Vancouver, ainsi qu’un deuxième restaurant le 29 août 2018 également à Vancouver, il n’y a aucune preuve quant aux ventes de ces restaurants, au nombre de clients servis à un quelconque moment ou aux statistiques à l’égard du site Web ou des pages de médias sociaux de la Requérante. De plus, bien que M. Jarvie fournisse plusieurs articles en ligne qui, selon la Requérante, illustrent le succès et la popularité de ses restaurants exploités en liaison avec la Marque, il n’y a aucune preuve à l’égard du nombre de Canadiens qui peuvent avoir consulté les sites Web correspondants ou lu les articles en question.

[39] Compte tenu du caractère distinctif inhérent des marques de commerce des parties, la preuve d’emploi et, par conséquent, la mesure à laquelle elles sont devenues connues, tout compte fait, j’estime que ce facteur favorise l’Opposante.

Période d’emploi

[40] Comme il en a été question ci-dessus, la marque de commerce de l’Opposante a été employée pendant une longue période. Par conséquent, ce facteur favorise également l’Opposante.

Genre de produits, services ou entreprises, et nature du commerce

[41] La demande d’enregistrement de la Marque est en liaison avec des services de restaurant.

[42] L’Opposante affirme qu’elle vend sa bière à des dépanneurs, des épiceries, des bistros et des restaurants et que, par conséquent, le genre des produits et des services respectifs des parties se chevauche, puisqu’il est possible que la bière de l’Opposante soit offerte pour la vente ou vendue dans les restaurants de la Requérante, particulièrement puisqu’au moins l’un des restaurants de la Requérante a un bar où elle offre en vente des vins et des spiritueux, L’Opposante affirme également que la nature du commerce des parties respectives se chevauche et elle renvoie à l’affaire Bellwoods Brewery Inc c The Roman Candle Company, 2018 COMC 82 où l’opposition à une demande couvrant les services de restaurant et de traiteur, entre autres, a été accueillie en raison de la probabilité de confusion avec la marque de commerce d’un opposant employée en liaison avec la bière. L’Opposante renvoie également à l’affaire Prime Restaurants Inc c Pacific Vision Proprietary Ltd, 2014 COMC 9 où l’opposition à une demande couvrant les spiritueux distillés a été accueillie en raison de la probabilité de confusion avec la marque de commerce déposée d’un opposant employée en liaison avec les services pour l’exploitation d’un restaurant et d’un bar.

[43] La Requérante affirme que ses services sont en bout de compte différents dans leur genre des produits vendus par l’Opposante et que la jurisprudence invoquée par l’Opposante peut se distinguer en fonction des faits, notamment que, contrairement à l’espèce, aucun requérant n’avait produit de preuve et les marques de commerce étaient identiques (ROMAN CANDLE et ROMAN CANDLE) ou virtuellement identiques (TIR NA N’OG et TIR NAN OG).

[44] Je suis généralement d’accord avec les observations de la Requérante sur ce point. Le genre particulier des produits et des services des parties est différent et, bien que j’accepte qu’il y ait un lien général entre leurs commerces dans la mesure que les restaurants peuvent vendre des boissons alcoolisées, y compris la bière, il n’y a aucune preuve en l’espèce pour lier davantage les commerces des parties. Par exemple, dans l’affaire Bellwoods Brewery ci-dessus, la preuve établit que l’opposant exploite une brasserie et un pub et vend sa bière par l’entremise de son pub, son magasin de détail de brasserie sur place, ainsi que des bars et des restaurants de tiers. Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire Prime Restaurants ci-dessus, la preuve établit qu’il y a des restaurants qui vendent du vin ou de la bière sous la même marque de commerce que leurs services de restaurant sont offerts. Il n’y a aucune preuve comparable ici. De plus, ces affaires sont encore plus uniques compte tenu de la nature des marques de commerce en question.

[45] Par conséquent, j’estime que ce facteur favorise la Requérante.

Circonstance de l’espèce supplémentaire – Position antérieure incohérente prise par l’Opposante au cours de l’examen

[46] Lors de l’audience, la Requérante a observé que l’Opposante a adopté la position que les marques de commerce en question ne créent pas de confusion lorsqu’elle a répondu à une objection de la section de l’examen dans la poursuite de sa demande no 1,831,173 et qu’il s’agit d’une circonstance de l’espèce qui favorise la Requérante. Puisqu’elle a été introduite par la Requérante dans le cadre de l’affidavit Grison, la réponse en question fait partie du dossier.

[47] Pour sa part, l’Opposante a observé que rien n’empêche une partie de changer sa stratégie ou de présenter des arguments différents et que la procédure en instance était nécessaire, notamment puisqu’elle est au-delà de la compétence de la section de l’examen de tenir compte de la date de premier emploi dans l’évaluation de la confusion entre les marques de commerce.

[48] Le registraire peut en effet disposer d’une preuve qui ne faisait pas partie du dossier à l’étape de l’examen et le fardeau est plutôt différent à l’étape de l’examen qu’à l’étape de l’opposition [Matusalem c Espiritu de Chile Ltd, 2011 COMC 137, au para 23; Simmons IP Inc c Park Avenue Furniture Corp (1994), 56 CPR (3d) 284 (COMC), à la p 288; Proctor & Gamble Inc c Morlee Corp (1993), 48 CPR (3d) 377 (COMC), à la p 386; Thomas J Lipton Inc c Boyd Coffee Co (1991), 40 CPR (3d) 272 (COMC), à la p 277]. Il est également pertinent de rappeler que les décisions de la section de l’examen ne sont pas contraignantes et n’ont aucune valeur à titre de jurisprudence à l’égard des procédures d’opposition [PepsiCo, Inc c Coca-Cola Inc/Coca-Cola Ltée, 2016 COMC 12, au para 123; Thinklab Consulting Inc c Combustion Creativity Inc, 2018 COMC 14, au para 85; Worldwide Diamond Trademarks Limited c De Trung Vo, 2016 COMC 20, au para 32]. En bout de compte, peu importe la position antérieure prise par l’Opposante, je dois arriver à une conclusion quant à la confusion en l’espèce qui est conforme au droit et à la jurisprudence pertinente et qui tient compte des faits particuliers en l’espèce [Molson Breweries c Labatt Brewing Co (1996), 68 CPR (3d) 202 (CF 1re inst), à la p 213].

[49] Par conséquent, bien que ma conclusion ci-dessous corresponde à certains des arguments de l’Opposante produits en réponse à l’objection de la section de l’examen soulevée dans le cadre de la poursuite de sa marque de commerce enregistrée sous le numéro 1,831,173, je n’estime pas que de tels arguments constituent une circonstance importante en l’espèce.

Conclusion concernant la probabilité de confusion

[50] Après avoir considéré l’ensemble des circonstances de l’espèce, j’estime que la Requérante s’est acquittée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’est pas probable que la Marque crée de la confusion avec la marque de commerce invoquée par l’Opposante. J’arrive à cette conclusion particulièrement compte tenu des différences entre les marques de commerce et les différences dans les produits, services et voies de commercialisation des parties.

[51] Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 16(3)a) est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif

[52] L’Opposante plaide que la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi puisqu’elle ne distingue pas véritablement, et elle n’est pas adaptée pour distinguer, les services en liaison avec lesquels la Requérante propose son emploi des produits des autres, et en particulier des produits de l’Opposante associés avec la marque de commerce JUKEBOX de l’Opposante.

[53] Puisque le motif d’opposition fondé sur l’article 16(3)a) de l’Opposante n’a pas été accueilli, le motif d’opposition fondé sur l’article 2 ne sera également pas accueilli puisqu’il invoque exactement la même marque de commerce. En particulier, même si je devais considérer la preuve de M. Gouin comme suffisante pour permettre à l’Opposante de s’acquitter de son fardeau sous ce motif (lequel, conformément à mes commentaires ci-dessus à l’égard de la mesure à laquelle la marque de commerce de l’Opposante est devenue connue, est questionnable), j’estime malgré tout, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune probabilité de confusion entre la Marque et la marque de commerce JUKEBOX de l’Opposante pour des raisons semblables à celles abordées ci-dessus. Je n’estime pas que les différences dans les dates pertinentes ont une incidence importante sur ma conclusion générale concernant la probabilité de confusion.

[54] Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 2 est également rejeté.

Décision

[55] Compte tenu de tout ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

 

Iana Alexova

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

William Desroches

 

Le français est conforme aux WCAG.


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE : 3 février 2022

COMPARUTIONS

Richard Uditsky

Pour l’Opposante

Lorraine Pinsent

Pour la Requérante

AGENTS AU DOSSIER

ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO S.E.N.C.R.L./L.L.P.

Pour l’Opposante

MLT AIKINS LLP

Pour la Requérante

 

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