Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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A maple leaf on graph paper

Office de la propriété intellectuelle du Canada

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

Référence : 2022 COMC 255

Date de la décision : 2022-12-16

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE D’UNE OPPOSITION

Opposante : Pure Devotion Inc.

Requérante : Ask Cosmetics Inc.

Demande : 1,781,468 pour PURE DEVOTION

Introduction

[1] Pure Devotion Inc. (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce PURE DEVOTION (la Marque), qui fait l’objet de la demande no 1,781,468 (la Demande) produite par Ask Cosmetics Inc (la Requérante).

[2] La Demande est fondée sur l’emploi de la Marque au Canada depuis le 14 février 2016. L’état déclaratif des produits (les Produits), y compris la classe de Nice (CI), est reproduit ci-dessous :

[traduction]

Cl 03 (1) Cosmétiques de soins du visage, nommément nettoyants, lotions, savons liquides, crèmes, hydratants, lotions protectrices et laits pour la peau. (2) Cosmétiques pour les soins de la peau, nommément nettoyants, lotions, savons liquides, crèmes, hydratants, lotions protectrices et laits pour la peau.

[3] Pour les motifs qui suivent, l’opposition est rejetée.

Le dossier

[4] La Demande a été produite le 9 mai 2016 et a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 21 mars 2018. Une déclaration d’opposition a été produite le 21 août 2018. Conformément à l’article 70 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi), les motifs d’opposition seront traités conformément aux dispositions de la Loi dans leur version antérieure au 17 juin 2019. L’Opposante invoque des motifs d’opposition fondés sur la non-conformité aux articles 30b) et 30i), le droit à l’enregistrement en vertu de l’article 16(1)c) et le caractère distinctif en vertu de l’article 2 de la Loi.

[5] La Requérante a produit et signifié une contre-déclaration réfutant les motifs d’opposition.

[6] Les deux parties ont produit des éléments de preuve, lesquels sont abordés ci-dessous. Les deux parties ont produit des observations écrites et seule la Requérante était présente à l’audience.

Aperçu de la preuve

[7] L’Opposante a produit les affidavits de Teresa Van Fleet, fondatrice de l’Opposante, et de Chris Steffler, graphiste. La preuve produite par l’Opposante vise à établir que Mme Van Fleet et M. Steffler ont inventé le nom PURE DEVOTION. Selon Mme Van Fleet, après avoir fait effectuer des recherches sur la disponibilité de la marque de commerce pour PURE DEVOTION, elle a également commencé à exercer ses activités sous le nom Pure Devotion et a ensuite constitué ce nom en société. Mme Van Fleet estime que la Requérante a agi uniquement en tant que sous-traitante pour les Produits et que l’Opposante et son prédécesseur en titre sont les propriétaires et utilisateurs de la Marque sous laquelle les Produits ont été vendus à The Shopping Channel en février 2016.

[8] La Requérante a produit l’affidavit de Sherry Lane, vice-présidente de la Requérante. L’affidavit Lane vise à établir que c’est la Requérante qui a inventé le nom PURE DEVOTION, qui a fait les démarches pour effectuer des recherches sur la disponibilité de la marque de commerce pour la Marque, qui a finalisé l’étiquetage et les illustrations de produits arborant la Marque pour les Produits, et qui a vendu ces Produits à The Shopping Channel en février 2016.

[9] Étant donné que les deux parties présentent une version différente des événements qui ont mené à la création et à l’emploi de la Marque, la détermination de la partie qui a créé et employé la Marque et qui en est la propriétaire depend, en bout de compte, de la crédibilité des éléments de preuve des parties.

Fardeau ultime et fardeau de preuve

[10] C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer que la Demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition. Une fois que l’Opposante s’est acquittée de ce fardeau de preuve initial, la Requérante doit convaincre le registraire, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d’opposition plaidés ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de la Marque [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la p. 298; Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al, (2002) 20 CPR (4th) 155 (CAF)].

Analyse des motifs d’opposition

Motif d’opposition fondé sur l’article 30b)

[11] La date pertinente pour examiner un motif d’opposition en vertu de l’article 30b) de la Loi est la date de la production de la demande [Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC), à la p. 475].

[12] L’Opposante a fait valoir que contrairement aux exigences de l’article 30b) de la Loi, la Requérante n’avait pas employé la marque de commerce PURE DEVOTION en lien avec les Produits en date du 14 février 2016 comme il est allégué dans la Demande, ou de toute façon conforme aux exigences de l’article 30b). Je crois comprendre que l’Opposante ne conteste pas que la Marque a été employée en février 2016, mais qu’elle soutient plutôt que c’est l’Opposante et son prédécesseur en titre qui ont employé la Marque, et non la Requérante.

[13] Compte tenu de ce qui précède, je vais maintenant résumer la version des événements menant à l’emploi de la Marque en février 2016 fournie par chaque partie.

La preuve de l’Opposante – les affidavits Van Fleet et Steffler

L’affidavit Van Fleet

[14] L’affidavit de Teresa Van Fleet a été souscrit le 9 janvier 2019. Mme Van Fleet a été soumise à un contre-interrogatoire au sujet de son affidavit; la transcription du contre-interrogatoire et les réponses aux engagements sont versées au dossier. Mme Van Fleet se présente comme la fondatrice de l’Opposante, ayant occupé ce poste depuis la constitution de l’Opposante en société le 23 février 2016. Mme Van Fleet décrit l’Opposante en tant que successeure d’une entreprise qu’elle à lancée qui [traduction] « proposait de fabriquer et de vendre des produits cosmétiques de soins du visage et de la peau par l’intermédiaire du Shopping Channel, et qui a commencé à être exploitée sous le nom de PURE DEVOTION depuis au moins aussi tôt que le janvier 2016 » (para 22).

[15] Mme Van Fleet déclare qu’après un essai préliminaire infructueux à l’automne 2015, elle a décidé d’essayer de mettre sur pied la nouvelle entreprise pour créer, fabriquer et vendre une gamme de produits naturels pour le visage et la peau. Elle affirme que son amie Karen Wheeler, qui était à l’époque la présidente de la Requérante, a indiqué que la Requérante serait prête à fabriquer la gamme de produits en sous-traitance pour la nouvelle entreprise de Mme Van Fleet (para 3 à 6). Je fais remarquer que Karen Wheeler est également connue et mentionnée sous le nom Karen Orlowski dans le dossier (contre-interrogatoire de Mme Van Fleet, à la Q63). Par souci d’uniformité, j’emploierai le nom Mme Wheeler pour décrire cette dernière tout au long de la présente décision.

[16] Mme Van Fleet affirme qu’en décembre 2015, elle a discuté avec Chris Steffler de noms commerciaux possibles pour la nouvelle entreprise, et que M. Steffler a suggéré d’appeler la nouvelle gamme de produits PURE DEVOTION. Ils ont fait effectuer une recherche de la disponibilité de la marque de commerce pour ce nom ainsi que pour deux autres noms possibles à la mi-janvier 2016. Après avoir reçu l’avis que le nom PURE DEVOTION était disponible, ils ont décidé que PURE DEVOTION serait le nom de la nouvelle gamme de produits ainsi que de l’entreprise. Mme Van Fleet affirme qu’elle a dès lors commencé à exercer ses activités sous le nom PURE DEVOTION (para 77).

[17] Le premier (et le seul) produit de PURE DEVOTION était une trousse de soins du visage comprenant un nettoyant pour le visage, un hydratant et un croquis de visage. Mme Van Fleet affirme que, pour se conformer aux exigences en matière d’emballage et d’étiquetage de produits de consommation, elle a ajouté une mention du site Web du sous-traitant (askcosmetics.com) et du numéro de téléphone du service à la clientèle sur la bouteille. Cela a été approuvé par Mme Wheeler au nom de la Requérante en tant que fabricante des produits PURE DEVOTION (para 8). Les Pièces 9 et 10 sont des photographies du nettoyant et de l’hydratant PURE DEVOTION, respectivement. Je note que la Marque est bien visible sur le devant des bouteilles. Le dos des bouteilles arbore également la Marque ainsi que la mention d’une adresse partielle (Toronto, Ontario et un code postal), d’un numéro de téléphone commençant par l’indicatif 1-877 appartenant à la Requérante et de l’adresse du site Web askcosmetics.com.

[18] Mme Van Fleet affirme que, au moment où le produit PURE DEVOTION était en cours de fabrication ou à peu près à ce moment-là, Mme Wheeler discutait avec The Shopping Channel (TSC) au sujet de la diffusion d’une émission d’une heure sur le produit de la Requérante (non pas le produit PURE DEVOTION, mais bien un autre produit sous une marque de commerce différente) en février 2016. Mme Van Fleet affirme que, puisque la Requérante ne disposait pas d’un inventaire suffisant pour réaliser l’émission de façon satisfaisante, TSC a accepté de diviser l’émission en deux parties, soit l’une consacrée au produit de la Requérante et l’autre au produit PURE DEVOTION, afin que Mme Van Fleet puisse lancer la gamme PURE DEVOTION. Mme Van Fleet affirme qu’au cours de toutes les discussions, les deux parties et TSC ont noté et compris que la Requérante et Pure Devotion étaient des entités distinctes, même si elles allaient partager le créneau horaire d’une heure (para 9). La Pièce 5 est décrite comme étant une copie d’un courriel envoyé par TSC à Mme Fleet, accompagnée d’une nouvelle entente de fournisseur faisant renvoi à l’entreprise sous le nom Pure Devotion LLC. Les Pièces 6, 6A et 7 sont décrites comme étant des formulaires des spécifications d’un nouvel article pour la trousse de soins du visage, le nettoyant et l’hydratant PURE DEVOTION, respectivement, présentés par Mme Van Fleet à TSC le 16 février 2016 ou vers cette date. La Pièce 8 est décrite comme étant une copie du bon de commande (BC) émis par TSC pour les produits PURE DEVOTION. Mme Van Fleet déclare que TSC exigeait la remise immédiate d’un BC signé pour que les produits PURE DEVOTION soient présentés au cours de l’émission de février de TSC. Pour éviter tout retard, les parties ont convenu d’émettre un BC unique pour la commande de PURE DEVOTION par l’intermédiaire de la Requérante, puisqu’elle était déjà établie comme fournisseur de TSC (para 10).

[19] Mme Van Fleet affirme que la Requérante a ensuite procédé, selon les instructions fournies à Mme Wheeler, à l’embouteillage des produits PURE DEVOTION. Mme Van Fleet, avec l’aide d’amis, a ensuite ajouté les numéros de lot, scellé les produits et emballé les trousses pour le visage dans des boîtes pour les expédier à TSC. Environ 2 000 trousses ont été produites (para 12).

[20] Mme Van Fleet affirme qu’au cours de l’émission de TSC, qui a été diffusée le 23 février 2016, il existait une séparation nette entre la partie de l’émission consacrée à la vente des produits de la Requérante et la partie de l’émission consacrée à la vente des produits PURE DEVOTION. Mme Van Fleet note que pour mettre en évidence cette distinction, l’arrière-plan a changé de couleur et le logo PURE DEVOTION a été affiché bien en vue (para 14).

[21] Mme Van Fleet affirme qu’après l’émission, TSC a versé à la Requérante un paiement pour tous les produits vendus, et a lui renvoyé les produits de la Requérante et les produits Pure Devotion qui n’ont pas été vendus. Plus précisément, 1 157 trousses de soins du visage PURE DEVOTION qui n’ont pas été vendues ont été renvoyées aux locaux de la Requérante à Burlington, en Ontario. L’Opposante a transporté les produits vers une installation d’entreposage temporaire en avril 2016 environ (para 15, Pièce 11).

[22] Mme Van Fleet affirme avoir demandé la constitution de l’Opposante en société le 19 février 2016 et, en date de la constitution en société (le 23 février 2016), avoir transféré tous ses droits dans l’entreprise PURE DEVOTION, y compris le nom commercial et la marque de commerce PURE DEVOTION, à la nouvelle société (para 16). L’Opposante a produit une demande pour la marque de commerce PURE DEVOTION, qui a été abandonnée par inadvertance; une nouvelle demande a été produite en janvier 2018 (para 17). Mme Van Fleet a également demandé à M. Steffler d’enregistrer, au nom de l’Opposante, les noms de domaine puredevotion.ca et pure-devotion.com (para 18).

[23] Lors du contre-interrogatoire, un certain nombre de déclarations de Mme Van Fleet ont été remises en question ou minées. À cet égard, les faits et déclarations suivants sont exposés ci-après :

[24] Lors du contre-interrogatoire, Mme Van Fleet a reconnu qu’en janvier et février 2016, Mme Wheeler faisait l’objet d’un différend visant au moins un autre actionnaire de la Requérante (Q141). Mme Van Fleet était également au courant que Mme Wheeler faisait l’objet d’une requête de mise en faillite (Q145). Le différend entre Mme Wheeler et les autres actionnaires de la Requérante pourrait être défini comme ayant trait à la répartition des fonds de la Requérante qui pourraient avoir été empruntés par Mme Wheeler (Q147).

L’affidavit Steffler

[25] L’affidavit de Chris Steffler a été souscrit le 9 janvier 2019. M. Steffler a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, et la transcription et les réponses aux engagements sont versées au dossier. M. Steffler se présente comme un graphiste indépendant (para 1).

[26] M. Steffler déclare qu’en décembre 2015, il discutait au sujet d’autres noms pour la nouvelle entreprise de Mme Van Fleet qui proposait de fabriquer et de vendre des produits cosmétiques pour le visage et la peau, et il a proposé « PURE DEVOTION » comme nom de la nouvelle gamme de produits (para 2).

[27] M. Steffler affirme que Mme Van Fleet a retenu ses services pour concevoir le graphisme des bouteilles du nettoyant et de l’hydratant pour le visage PURE DEVOTION. M. Steffler était également responsable de la conception de la feuille de croquis de visage destinée à accompagner les produits. Les Pièces 1 à 3 sont des copies du graphisme des bouteilles et du croquis de visage. M. Steffler note également que Mme Van Fleet lui a demandé d’adresser toutes les factures pour le travail susmentionné à PURE DEVOTION (para 5, Pièce 4). Cependant, lors du contre-interrogatoire, M. Steffler a affirmé n’avoir jamais facturé qui que ce soit pour ce travail (Q34).

[28] Lors du contre-interrogatoire, M. Steffler a reconnu qu’il avait également effectué des travaux pour la Requérante en janvier 2016 (Q70). Il y a mis fin lorsque la Requérante a cessé de le payer (Q71), et a porté l’affaire du non-paiement devant une cour des petites créances (Q73 à Q75). Une ordonnance de dépens a été rendue contre M. Steffler en faveur des défendeurs (y compris la Requérante en l’espèce) (Q76).

[29] Lors du contre-interrogatoire, M. Steffler n’a pas semblé être en mesure de déterminer avec certitude laquelle des parties vendait réellement les produits PURE DEVOTION. Quant à la question de savoir si la présence des coordonnées de la Requérante sur les produits PURE DEVOTION était raisonnable, puisque la Requérante était celle qui vendait les produits, M. Steffler a répondu : [traduction] « C’est une bonne question. Je laisse les filles [Mme Van Fleet et Mme Wheeler] répondre à cette question. Je n’en sais rien. Comme je l’ai dit, je ne suis que la personne qui s’occupe du logo. Je ne suis que la personne qui s’occupe du marketing. Je ne suis que – vous savez, je suis là-bas. Ils avaient l’équipement de fabrication, et Karen faisait, vous savez, partie de tout ce qui s’y passait. Je ne sais pas. C’est ce que je dirais. » (Q94)

La preuve de la Requérante – l’affidavit Lane

Question préliminaire – objection quant à l’admissibilité de l’affidavit

[30] Dans les observations écrites qu’elle a produites, l’Opposante soutient que l’affidavit Lane devrait être retiré du dossier ou, sinon, que peu de poids devrait lui être accordé, le cas échéant, et qu’une conclusion défavorable devrait être tirée à l’encontre de la Requérante lorsque la preuve de l’Opposante crée un conflit avec celle de la Requérante.

[31] Une ordonnance de contre-interrogatoire de Mme Lane a été rendue le 18 septembre 2019 et, le 20 janvier 2020, l’Opposante a écrit au registraire, indiquant que la Requérante avait refusé de fournir des dates pour le contre-interrogatoire et que, par conséquent, l’affidavit Lane devrait être considéré comme ne faisant pas partie du dossier ou, sinon, que l’Opposante devrait se voir accorder une prorogation du délai pour mener à bien le contre-interrogatoire. Le 21 janvier 2020, la Requérante a écrit au registraire, s’opposant à la définition des faits par l’Opposante. La Requérante a fait valoir qu’elle n’avait pas refusé de fournir des dates, mais qu’il y avait un problème de conflit d’intérêts, puisque M. James Carson, avocat de l’Opposante (à l’époque), qui avait comparu lors du contre-interrogatoire de l’Opposante, avait en fait déjà représenté la Requérante dans le cadre des activités de la Requérante directement liées à l’opposition. L’avocat de la Requérante avait soulevé cette question avec l’Opposante et indiqué qu’il était prêt à fournir des dates pour le contre-interrogatoire dans la mesure où le cabinet de l’Opposante ne représentait pas cette dernière. L’avocat de la Requérante déclare avoir effectué un suivi avec l’avocat de l’Opposante le 6 décembre 2019, mais n’avoir reçu aucune réponse.

[32] Le 7 février 2020, l’Opposante a désigné un nouvel avocat. Bien que le nouvel avocat ait demandé une prorogation du délai pour produire une contre-preuve, aucune demande n’a été faite en ce qui concerne le contre-interrogatoire, et aucune observation n’a été produite indiquant un quelconque souhait d’inscrire le contre-interrogatoire de Mme Lane au calendrier ou des mesures prises à cette fin.

[33] Compte tenu de ce qui précède, la Requérante ne semble pas avoir refusé de fournir des dates pour le contre-interrogatoire. La Requérante semble plutôt avoir été disposée à fournir des dates sous réserve de la résolution d’une question de conflit d’intérêts soulevée avec l’Opposante. J’estime donc qu’il n’y a aucune raison de retirer l’affidavit Lane du dossier.

Aperçu de l’affidavit Lane

[34] Mme Lane est la vice-présidente de la Requérante et elle occupe ce poste depuis le 27 septembre 2016. Mme Lane soutient que la Marque a toujours appartenu à la Requérante. Elle allègue que Mme Wheeler, avant avoir été démise de ses fonctions auprès de la Requérante (en janvier 2016 environ), a cherché à transférer les actifs de la Requérante, dont la Marque en question, pour son propre profit. Mme Lane allègue en outre que, puisque Mme Wheeler faisait l’objet d’une requête de mise en faillite, elle ne voulait pas détenir personnellement des actifs, y compris la Marque. Elle allègue que Mme Wheeler a plutôt cherché à comploter avec Mme Van Fleet et possiblement M. Steffler, ou à les tromper, afin d’établir une entreprise qui semble distincte.

[35] Mme Lane explique que, après le départ de Mme Wheeler auprès de la Requérante, elle est devenue la vice-présidente de cette dernière et qu’en vertu de ce rôle, elle a accès aux dossiers commerciaux de la Requérante, y compris ses serveurs de courriel (para 12). À cette fin, Mme Lane joint un certain nombre de courriels et de factures à l’appui de ses affirmations selon lesquelles la Requérante est celle qui a créé, possédé et employé la Marque.

Courriels et facture indiquant que la Requérante a eu l’idée du nom PURE DEVOTION et entrepris les démarches pour effectuer la recherche de la disponibilité de la marque de commerce

[36] Mme Lane affirme qu’à partir du mois d’août 2015 environ et jusqu’en janvier 2016, M. Steffler était un sous-traitant de la Requérante. Elle affirme que M. Steffler avait un contrat d’exclusivité et n’était pas censé travailler pour d’autres personnes ou entités quant aux cosmétiques (para 13). La Pièce A ci-jointe est une série de courriels commençant le 12 janvier 2016, dans lesquels M. Steffler écrit à « Team ASK » au sujet de [traduction] « notre dernier projet », à savoir deux articles de soins pour le visage dans des bouteilles de deux onces. M. Steffler écrit que [traduction] « ASK a besoin d’un nom pour sa gamme de produits » et sollicite des commentaires au sujet d’une liste de trois noms proposés constitués des mots PURE/PURITY. Il declare ensuite : [traduction] « Je vous remercie à l’avance pour votre réponse rapide, car Karen [Wheeler] a hâte d’avancer sur ce dossier, étant donné qu’une commande importante a été passée pour ces produits. »

[37] Diverses réponses à la demande de commentaires sur le choix du nom sont comprises dans la série de courriels (para 15). Le courriel suivant, qui indique qu’un employé de la Requérante (dont l’adresse électronique est accounting@askcosmetics.com) a eu l’idée du nom de la Marque, en ressort particulièrement :

[38] La Pièce B renferme un ensemble de courriels du 14 janvier 2016 échangés entre Karen Wheeler (à partir de son adresse électronique karen@askcosmetics.com) et l’avocat spécialiste des marques de commerce de la Requérante à l’époque, M. James Carson de Blaney McMurtry LLP, au sujet de la disponibilité d’un certain nombre de marques de commerce, y compris PURE DEVOTION (para 16). Mme Wheeler a demandé de connaître de façon urgente l’emploi de Pure Devotion pour les soins du visage au Canada, aux États-Unis et en Europe.

[39] La Pièce D comporte une copie d’une facture datée du 31 janvier 2016, adressée par M. James Carson à Mme Diane Iles (désignée comme vice-présidente des opérations de la Requérante) concernant divers services liés aux marques de commerce, y compris [traduction] « la réalisation de recherches préliminaires quant à l’enregistrabilité de PURE DEVOTION » (para 18).

Courriel suggérant que Mme Wheeler est à l’origine de la constitution de l’Opposante en société

[40] La Pièce E comporte une copie d’un courriel daté du 11 mars 2016 de M. James Carson à Mme Wheeler, Mme Van Fleet et M. R. Carson (un autre avocat) quant à la marque de commerce PURE DEVOTION. Ce document a également été désigné à titre de Pièce 4 au contre-interrogatoire Van Fleet. Dans ce courriel, M. Carson indique que son cabinet a effectué certaines des recherches de marques de commerce qui ont abouti au choix du nom PURE DEVOTION addressé à la Requérante [traduction] « car c’était l’entité qui existait à l’époque. »

[41] Le courriel indique en outre que [traduction] « lorsque Karen a voulu constituer Pure Devotion Inc. en société, je l’ai invitée à consulter mon fils qui exerce ses activités à Burlington. Il a constitué Pure Devotion Inc. en société, mais les demandes de marque de commerce [pour PURE DEVOTION] n’ont pas été produites. »

Courriel suggérant que Mme Wheeler donnait l’approbation finale quant au graphisme et à l’étiquetage des produits PURE DEVOTION

[42] La Pièce F comporte un courriel daté du 18 janvier 2016 envoyé par Mme Wheeler à M. Steffler, Mme Van Fleet et à d’autres adresses électroniques, dont « Ask Accounting »; cette pièce a également été désignée à titre de Pièce 3 au contre-interrogatoire Van Fleet. La ligne d’objet du courriel est [traduction] « Texte du graphisme de la bouteille de nettoyant pour le visage ». Mme Wheeler écrit [traduction] « Bonjour, désolée pour le retard. Voici le texte. Il peut être modifié, bien sûr. Qui a des idées? Parlez-en ou taisez-vous à jamais. K. » Le courriel fournit ensuite le texte devant figurer sur le devant et le dos de la bouteille du nettoyant PURE DEVOTION. Mme Wheeler écrit notamment que le [traduction] « logo Ask Cosmetic et l’adresse etc. » doivent figurer au dos de la bouteille.

[43] Mme Lane affirme que, hormis une modification mineure, le graphisme et l’étiquetage proposés par Mme Wheeler ont été utilisés sur les produits finaux vendus par la Requérante lors de l’émission de TSC (para 24). Mme Lane souligne qu’une mention du site Web de la Requérante (www.askcosmetics.com) figure au bas du produit (para 25).

Facture de la Requérante adressée à TSC pour les produits arborant la marque PURE DEVOTION

[44] La Pièce G comporte une facture (no 886743) datée du 12 février 2016 adressée par la Requérante à TSC et portant la mention « PAID ». Ce document a également été désigné à titre de Pièce A au contre-interrogatoire Van Fleet. Mme Lane explique que sur la facture, la marque principale de la Requérante, TIPS, est utilisée pour décrire les produits vendus (par exemple, 2000 TIPS – Pure Devotion Essential Face Care, 12 TIPS – Pure Devotion Daily Facial Cleanser, et 12 TIPS – Pure Devotion Protection Moisturizer). Mme Lane affirme que cela confirme que la marque de commerce PURE DEVOTION était une sous-marque de TIPS et qu’elle a toujours été une marque de commerce de la Requérante (para 26). Les documents de listes d’emballage de la Requérante pour l’expédition à TSC et correspondant à la commande, ainsi que les commandes d’autres produits de la Requérante sous sa marque TIPS, sont versés au dossier à titre de Pièce I.

[45] La Pièce H comporte des copies de pages du site Web de TSC illustrant la façon dont les produits PURE DEVOTION sont annoncés. On y voit la bouteille de nettoyant arborant la Marque, ainsi qu’un aperçu du produit, des suggestions d’utilisation, des ingrédients et une section intitulée « About the Brand ». Cette section aborde la marque principale de la Requérante, TIPS (para 27).

[46] Mme Lane affirme qu’une grande partie des produits PURE DEVOTION a été vendue au moyen de TSC; le reste des produits a été remis par TSC à l’entrepôt de la Requérante. Une partie de ces produits a ensuite été volée dans l’entrepôt de la Requérante et transportée, à la demande de Mme Van Fleet, vers un autre entrepôt. Mme Lane soutient que TSC n’a, à aucun moment, livré de produits PURE DEVOTION à Mme Van Fleet ou à l’Opposante (para 28).

[47] Mme Lane affirme que peu après la déclaration de faillite de Mme Wheeler, des inconnus ont rempli au moins un camion de produits et d’équipement, y compris des produits arborant la marque de commerce PURE DEVOTION, provenant de l’entrepôt de la Requérante. La police a été appelée et les produits volés ont été retrouvés dans un autre entrepôt où ils ont été saisis par la police et rendus à la Requérante (para 9).

Analyse

[48] Sur la base de l’examen de la preuve, je ne considère pas que l’Opposante a fourni des faits suffisants pour remettre en question la revendication de l’emploi de la Marque par la Requérante. Au contraire, la preuve de l’Opposante quant à l’emploi présumé de la Marque par son prédécesseur en titre soulève des doutes importants quant à savoir si c’est cette partie qui a effectivement employé la Marque.

[49] À titre d’exemple, bien que l’affidavit de Mme Van Fleet contienne un certain nombre d’allégations relatives au choix et à l’autorisation de la marque de commerce PURE DEVOTION par Mme Van Fleet, ces allégations ne sont pas étayées par la preuve. La preuve de la Requérante, qui est étayée par des courriels et des factures, contredit directement les revendications de Mme Van Fleet.

[50] En outre, l’allégation de l’Opposante selon laquelle la participation de la Requérante à la fabrication des produits PURE DEVOTION se limitait au rôle de sous-traitant n’est pas étayée par la preuve. En effet, les déclarations de Mme Van Fleet lors du contre-interrogatoire suggèrent le contraire, en particulier ses déclarations selon lesquelles : la Requérante ne lui a jamais envoyé de documents écrits indiquant les coûts de production, la Requérante a envoyé les produits PURE DEVOTION à TSC, Mme Van Fleet n’a jamais été payée pour les ventes des produits PURE DEVOTION et la Requérante n’a jamais émis de facture addressée à Mme Van Fleet pour tout travail effectué dans le cadre de la prétendue fabrication en sous-traitance.

[51] Par ailleurs, Mme Van Fleet ne possédait aucune facture correspondant à la vente des produits PURE DEVOTION à TSC. Elle a déclaré, après avoir vu la facture de la Requérante pour la vente des produits PURE DEVOTION à TSC lors du contre-interrogatoire (Pièce G, affidavit Lane), qu’elle n’avait aucune raison de croire que cette facture n’avait pas été envoyée à TSC. En particulier, dans la facture, la marque principale de la Requérante, TIPS, est employée pour décrire les produits vendus (par exemple, TIPS – Pure Devotion Essential Face Care, etc.). Les renseignements sur la marque TIPS de la Requérante sont également fournis à côté de l’affichage des produits PURE DEVOTION sur le site Web de TSC (Pièce H, affidavit Lane).

[52] En outre, Mme Van Fleet ne conteste pas que les produits PURE DEVOTION qui n’ont pas été vendus que l’Opposante a déposés dans un entrepôt temporaire ont été saisis par la police et rendus à la Requérante et qu’aucune mesure n’a été prise pour tenter de récupérer ces produits.

[53] Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté, puisque l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial en vertu de l’article 30b) de la Loi.

Motif d’opposition fondé sur l’article 30i)

[54] La date pertinente pour examiner un motif d’opposition en vertu de l’article 30i) de la Loi est la date de production de la demande [Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC), à la p. 475].

[55] L’Opposante a fait valoir que la Requérante ne pouvait pas déclarer de bonne foi, comme l’exige l’article 30i) de la Loi, qu’elle était convaincue d’avoir le droit d’employer la Marque en liaison avec les Produits faisant l’objet de la Demande, étant donné que le nom commercial PURE DEVOTION avait déjà été employé au Canada par les prédécesseurs en titre de l’Opposante, Mme Van Fleet et M. Steffler.

[56] Lorsqu’un requérant a fourni dans sa demande la déclaration exigée à l’article 30i) (comme en l’espèce), un motif d’opposition fondé sur cet article ne devrait être retenu que dans des cas exceptionnels, comme lorsqu’il existe une preuve de mauvaise foi de la part du requérant [Sapodilla Co Ltd c Bristol-Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), à la p. 155].

[57] Sur la base de l’examen des éléments de preuve ci-dessus, j’estime que l’Opposante n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau de preuve initial de démontrer l’existence de mauvaise foi de la part de la Requérante. Rien dans le dossier ne me permet de conclure que, à la date de production de la Demande, la Requérante a agi de mauvaise foi en déclarant qu’elle était convaincue d’avoir le droit d’employer la Marque. Au contraire, la preuve indique qu’il n’y a pas eu d’emploi antérieur de PURE DEVOTION en tant que nom commercial (ou marque de commerce) par Mme Van Fleet ou par M. Steffler, qui a en fait été désigné par erreur comme un prédécesseur en titre de l’Opposante dans la déclaration d’opposition (contre-interrogatoire Van Fleet, Q26 à 31).

[58] Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)c)

[59] En ce qui concerne le motif invoqué fondé sur le droit à l’enregistrement, l’Opposante a le fardeau de preuve initial de prouver que son prédécesseur en titre a employé le nom commercial PURE DEVOTION au Canada avant la date de premier emploi revendiquée par la Requérante, soit le 14 février 2016.

[60] Comme je l’ai expliqué ci-dessus, j’estime que les éléments de preuve produits par l’Opposante ne démontrent pas l’emploi antérieur du nom commercial PURE DEVOTION par le prédécesseur en titre de l’Opposante. Au contre-interrogatoire, Mme Van Fleet a indiqué que dans la mesure où elle exerçait ses activités sous le nom PURE DEVOTION, elle cherchait simplement à développer l’entreprise et se renseignait sur les noms et les emballages de produits cosmétiques possibles. Nonobstant le fait qu’il est douteux qu’elle ait été la personne qui s’est renseignée au sujet du nom PURE DEVOTION en tant que nom possible (tel qu’évoqué ci-dessus), je ne considère pas que ces activités établissent l’emploi du nom commercial dans la pratique normale du commerce et en liaison avec la ou les catégories de personnes avec lesquelles ce commerce doit être effectué.

[61] En outre, Mme Van Fleet a reconnu qu’à l’exception des ventes effectuées à TSC en février 2016, Mme Van Fleet n’a vendu aucun autre produit sous le nom commercial Pure Devotion ou par elle-même avant le 23 février 2016, date de constitution de l’Opposante en société.

[62] Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’article 2

[63] L’Opposante a fait valoir que la Marque n’est pas distinctive en ce qu’elle ne permet pas de distinguer les produits liés à la Marque des produits liés à la marque de commerce et au nom commercial PURE DEVOTION de l’Opposante, et qu’elle n’est pas adaptée à cette fin.

[64] Pour s’acquitter de son fardeau de preuve initial dans le cadre de ce motif d’opposition, l’Opposante doit démontrer qu’à la date de production de la déclaration d’opposition, soit le 21 août 2018, la marque de commerce ou le nom commercial PURE DEVOTION était connu dans au moins une certaine mesure et que la réputation de la marque de commerce ou du nom commercial au Canada était importante, significative ou suffisante [Motel 6, Inc c No 6 Motel Ltd (1981), 1981 CanLII 2834 (CF), 56 CPR (2d) 44 (CF 1re inst); Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd (2006), 2006 CF 657 (CanLII), 48 CPR (4th) 427 (CF 1re inst)].

[65] Comme discuté ci-dessus, j’estime que les éléments de preuve ne soutiennent pas l’allégation de l’Opposante selon laquelle elle est la propriétaire de la Marque et la personne qui en fait l’emploi. Au contraire, le dossier indique que c’est la Requérante qui a créé la Marque, qui a fabriqué le produit de marque PURE DEVOTION et qui l’a vendu à TSC – les seules ventes du produit – de sorte que toute réputation attribuable à la Marque serait liée à la Requérante.

[66] Quant au nom commercial PURE DEVOTION, l’Opposante n’a démontré aucune preuve de l’emploi de ce nom commercial au Canada, puisque le simple enregistrement de l’entreprise sous un nom particulier ne constitue pas, en soi, un emploi en tant que nom commercial [Pharmx Rexall Drug Stores Inc c Vitabrin Investments Inc, (1995) 62 CPR (3d) 108].

[67] Par conséquent, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial, et ce motif d’opposition est rejeté.

Décision

[68] Compte tenu de tout ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

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Jennifer Galeano

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Ali Alaoui Benhachem
Le français est conforme aux WCAG.


Comparutions et agents inscrits au dossier

DATE DE L’AUDIENCE : 2022-09-20

COMPARUTIONS

Pour l’Opposante : Aucune comparution

Pour la Requérante : Kenneth R. Clark

AGENTS AU DOSSIER

Pour l’Opposante : Aucun agent nommé

Pour la Requérante : Aird & Berlis LLP

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