Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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Office de la propriété intellectuelle du Canada

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

Référence : 2023 COMC 008

Date de la décision : 2023-01-23

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE D’UNE PROCÉDURE EN VERTU DE L’ARTICLE 45

Partie requérante : The Wonderful Company LLC

Propriétaire inscrite : Fresh Trading Limited

Enregistrement : LMC971,518 pour CIRCLES DESSIN

Introduction

[1] La présente décision concerne une procédure de radiation sommaire engagée en application de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T‐13 (la Loi), à l’égard de l’enregistrement no LMC971,518 pour la marque de commerce CIRCLES DESSIN (la Marque), appartenant à Fresh Trading Limited (la Propriétaire), reproduite ci-dessous :

[2] Pour les raisons exposées ci-dessous, je conclus que l’enregistrement doit être radié.

La procédure

[3] Le 15 juin 2020, à la demande de The Wonderful Company LLC (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a donné l’avis prévu à l’article 45 de la Loi à la Propriétaire.

[4] L’avis enjoignait à la Propriétaire d’indiquer, à l’égard de chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement, si la Marque a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois années précédant la date de l’avis et, dans la négative, qu’elle précise la date à laquelle la Marque a ainsi été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. En l’espèce, la période pertinente pour établir l’emploi s’étend du 15 juin 2017 au 15 juin 2020.

[5] La Marque est enregistrée pour l’emploi en liaison avec les produits suivants :

[traduction]

Boissons non alcoolisées aromatisées aux fruits; jus de fruits; eaux minérales; boissons au yogourt; boissons aux fruits; boissons gazeuses non alcoolisées; sirops et poudres pour faire des boissons; bières.

[6] La définition pertinente d’emploi en l’espèce est énoncée à l’article 4 de la Loi comme suit :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[7] Il est bien établi que le niveau de preuve requis pour établir l’emploi dans le cadre de la présente procédure est peu élevé [Woods Canada Ltd c Lang Michener (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst)] et qu’il n’est pas nécessaire de produire une surabondance d’éléments de preuve [Union Electric Supply Co Ltd c Registraire des marques de commerce (1982), 63 CPR (2d) 56 (CF 1re inst)]. Toutefois, il n’en faut pas moins présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement pendant la période pertinente.

[8] En l’absence d’emploi, conformément à l’article 45(3) de la Loi, l’enregistrement est susceptible d’être radié, à moins que le défaut d’emploi ne soit en raison de circonstances spéciales.

[9] En réponse à l’avis du registraire, la Propriétaire a produit trois affidavits :

  • l’affidavit de James Davenport, un directeur, secrétaire d’entreprise et directeur des opérations pour la Propriétaire, souscrit le 6 avril 2021 (l’affidavit Davenport);

  • l’affidavit de Conor Love, un directeur pour Innocent Limited, une filiale à part entière de la Propriétaire, souscrit le 1er avril 2021 (l’affidavit Love);

  • l’affidavit de Christina Canagasabey, une stagiaire employée par l’agent au dossier de la Propriétaire, souscrit le 12 novembre 2019.

[10] La Partie requérante et la Propriétaire ont produit des observations écrites et étaient représentées à l’audience.

La preuve

L’affidavit Davenport

[11] M. Davenport affirme que la Propriétaire est l’entreprise portefeuille mère du groupe d’entreprises Innocent, y compris Innocent Limited (Innocent UK) et d’autres filiales et affiliés partout dans le monde (collectivement, Innocent Group). Il affirme également qu’il est un directeur et secrétaire d’entreprise pour Innocent UK et confirme que la Propriétaire exerce un contrôle sur le caractère et la qualité des produits vendus par Innocent Group en liaison avec ses marques de commerce, y compris la Marque. Il fait renvoi à Fresh Trading, Innocent UK et Innocent Group collectivement en tant que l’Entreprise; de plus, il fait renvoi tout au long de son affidavit aux [traduction] « Produits Innocent », définis comme comprenant des boissons fouettées aux fruits, des boissons sans produits laitiers, des jus de fruits, des [traduction] « cocktails concentrés » de jus et de légumes, des boissons pétillantes [traduction] « de bulles » aux fruits et à l’eau, des produits de fruits pour enfants et de l’eau de noix de coco.

[12] M. Davenport affirme que la Marque a été employée par l’Entreprise en liaison avec les Produits Innocent pendant de nombreuses années au moyen d’une étiquette qui est imprimée sur l’emballage ou qui est appliquée à de tels produits. À titre de Pièces D à K, il joint un certain nombre de captures d’écran du site Web de l’Entreprise illustrant la Marque arborée sur l’emballage pour des boissons fouettées, des produits sans produits laitiers, des produits de jus, des produits vitaminés, des produits de cocktails concentrés de jus, des produits de bulles, des produits de boissons d’enfants et de l’eau de noix de coco. Il confirme que ces images sont représentatives de la façon dont la Marque était arborée sur les Produits Innocent au cours de la période pertinente.

[13] À titre de Pièces L, M et N, M. Davenport joint des captures d’écran d’amazon.ca présentant un produit de bulles et deux produits d’eau de noix de coco étant disponibles pour la vente; M. Davenport confirme que ces captures d’écran sont représentatives de la façon dont les Produits Innocent ont été offerts pour la vente au Canada au cours de la période pertinente. Il indique également que, depuis 2019, [traduction] « l’Entreprise a activement mené des efforts pour entrer dans le marché canadien par des voies de vente de détail traditionnelles », comme il est établi dans l’affidavit Love.

L’affidavit Love

[14] M. Love confirme que, depuis 2019, Innocent UK mène activement des efforts pour entrer dans le marché canadien par l’entremise de voies de vente de détail traditionnelles. Il affirme qu’en 2019, Innocent UK a entamé des discussions avec Coca‐Cola Limited (CCL) pour importer des boissons fouettées pour la vente au Canada, et que l’objectif était que de telles boissons fouettées soient disponibles pour la vente au Canada à compter de mars 2020. De plus, il indique que Innocent UK a fait appel à un expert-conseils en affaires tiers pour évaluer le marché des jus au Canada et fournir des recommandations quant aux meilleures voies pour un lancement pour la vente de détail. Cependant, cette évaluation a été [traduction] « suspendue » le 23 mars 2020 en raison de la pandémie de COVID-19.

[15] M. Love affirme que, en octobre 2019, CCL a communiqué avec Farm Boy Company Inc (Farm Boy), une chaîne d’épiceries avec plus de trente magasins, pour confirmer si Farm Boy était intéressée à devenir une distributrice des boissons fouettées Innocent au Canada au cours d’un lancement d’essai. Il indique que CCL et Farm Boy ont conclu une entente pour l’essai des boissons fouettées Innocent en décembre 2019 ou vers cette date. Entre la fin de 2019 et mars 2020, il y a eu des discussions internes entre CCL et Innocent UK quant à l’étiquetage, la production et l’expédition des boissons fouettées au Canada. À titre de Pièces B et C, il joint des copies d’étiquettes bilingues pour les boissons fouettées arborant la Marque créées pour le marché canadien. Il affirme que ces efforts comportaient également des examens juridiques, des dispositions pour l’expédition, l’évaluation des questions relatives aux tarifs et aux douanes et la création de documents financiers internes. En date de la mi-mars, il affirme que Innocent UK, CCL et Farm Boy étaient [traduction] « sur la bonne voie » pour que les boissons fouettées soient dans les magasins Farm Boy vers mai 2020.

[16] Cependant, le 23 mars 2020, le gouvernement du Royaume-Uni a déclaré un décret de rester à la maison d’une durée indéterminée en réponse à la pandémie, lequel a duré près de trois mois et [traduction] « a eu de graves répercussions sur les activités commerciales d’Innocent et, en particulier, nos efforts pour distribuer la marque Innocent dans de nouveaux marchés », faisant en sorte qu’Innocent UK a été incapable de produire et d’expédier des produits au Canada. Il affirme qu’Innocent UK a informé CCL de ces nouvelles : à titre de Pièce D, il joint une copie d’un courriel d’un représentant de CCL à Farm Boy en date du 28 mars 2020 informant Farm Boy [traduction] « [qu’]en raison du virus de la COVID-19, [Innocent] ne sera pas en mesure de produire et d’expédier le produit au Canada comme il était prévu précédemment ».

[17] M. Love indique [traduction] « [qu’]Innocent UK a repris ses efforts pour entrer dans le marché canadien par l’entremise de voies de vente de détail traditionnelles en juillet 2020, lorsqu’il a communiqué avec un café indépendant en Alberta pour déterminer s’il serait intéressé par la vente des boissons fouettées de marque Innocent ». Innocent UK a alors convenu de commencer un lancement d’essai pour les boissons fouettées en octobre 2020, de 20 à 30 boissons fouettées devant être livrées au café chaque mois. Cependant, M. Love affirme qu’Innocent UK, en raison d’autres confinements, a été de nouveau incapable de produire ou d’expédier des produits au Canada jusqu’en 2021.

[18] Enfin, M. Love indique qu’Innocent UK, en général, entre d’abord dans de nouveaux marchés en offrant des boissons fouettées et des jus et que, bien que la pandémie ait retardé ses plans pour le Canada, [traduction] « nous reprendrons nos efforts pour vendre les boissons fouettées et les jus de marque Innocent par les voies de vente de détail traditionnelles dès que possible, dans le but d’introduire et de vendre la gamme complète de Produits Innocent au Canada ».

L’Affidavit Canagasabey

[19] Mme Canagasabey indique que le 25 septembre 2019, ou vers cette date, à la demande de Nathan Piché, un avocat employé à l’agent au dossier de la Propriétaire, elle a acheté une canette du produit de boisson Innocent Bubbles au moyen d’amazon.ca. À tire de Pièces A à F3, elle joint des captures d’écran d’amazon.ca illustrant le produit tel qu’il est présenté sur cette page, la confirmation d’achat sur cette page, une confirmation de commande et un avis d’expédition envoyé à son adresse de courriel personnelle, ainsi que des photos de l’emballage et du produit. L’emballage indique que le produit provient du Royaume-Uni. Je note que la canette arbore la Marque et était offerte pour la vente sur amazon.ca pour 14,29 dollars canadiens.

Motifs de la décision

[20] La Partie requérante soulève un certain nombre de questions en ce qui a trait à la preuve de la Propriétaire. En particulier, la Partie requérante observe qu’il n’y a aucune preuve d’emploi par la Propriétaire; qu’il n’y a aucune preuve quant à un certain nombre de produits spécifiés par l’enregistrement, y compris les [traduction] « boissons au yogourt, les sirops et poudres pour faire des boissons et les bières »; que la vente mentionnée dans l’affidavit Canagasabey n’est pas une vente dans la pratique normale du commerce; et que la Propriétaire n’a démontré aucune circonstance spéciale justifiant le défaut d’emploi. Chaque observation sera examinée à tour de rôle.

Question préliminaire : ouï-dire

[21] La Partie requérante observe que les paragraphes dans l’affidavit Davenport en ce qui a trait à amazon.ca et le courriel de CCL à Farm Boy joint à titre de Pièce D à l’affidavit Love constituent du ouï-dire inadmissible, puisqu’il n’y a aucune preuve qu’ils satisfont le test de la nécessité et de la fiabilité.

[22] Cependant, je suis d’accord avec la Propriétaire que les règles à l’égard du ouï-dire sont moins strictes pour une procédure en vertu de l’article 45 et que les préoccupations relatives à la preuve devaient viser le poids plutôt que l’admissibilité [voir FCA US LLC c Pentastar Transportation Ltd, 2019 CF 745, au para 49; et Rogers Media Inc c La Cornue, 2019 COMC 63, au para 28].

Emploi par la Propriétaire

[23] La Partie requérante observe que l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec les produits vendus par un distributeur ne constitue pas l’emploi de la marque de commerce par le distributeur, mais plutôt un emploi de la marque de commerce qui profite à l’entité à la source du produit, citant Manhattan Industries Inc c Princeton Mfg Ltd (1971), 4 CPR (2d) 6, aux pp 16-17 (CF 1re inst) [Manhattan Industries] et Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd c Skyway Cigar Store, 1998 CanLII 7773 (CF 1re inst), au para 60. Par conséquent, puisque la Propriétaire est une entreprise de portefeuille, la Partie requérante observe que tout emploi par Innocent UK ne profiterait pas à la Propriétaire, puisqu’elle n’est pas la source du produit.

[24] Cependant, je suis d’accord avec la Propriétaire que, compte tenu de la nature et de l’objectif de l’article 45 de la Loi, il est approprié de supposer qu’un propriétaire inscrit est la « source » des produits en question, à moins que la preuve n’indique le contraire, comme dans le cas d’un licencié [voir Marks & Clerk c Tritap Food Broker, 2017 COMC 35 et Gowling Lafleur Henderson LLP c Henry Company, LLC, 2017 COMC 51]. En l’espèce, M. Davenport indique clairement que la Propriétaire [traduction] « est responsable de surveiller l’emploi, le maintien, la gestion, la protection et le développement de toute propriété intellectuelle au sein du groupe d’entreprises Innocent à l’échelle mondiale ». De plus, M. Love indique que la Propriétaire, par ses filiales, [traduction] « gère et exerce un contrôle sur [...] le développement, la mise en marché, la fabrication et la distribution des boissons de marque “innocent” », y compris les « Produits Innocent ».

[25] Par conséquent, puisque que les affidavits Davenport et Love attestent clairement de la manière dont la Propriétaire exerce un contrôle sur le caractère et la qualité de ses produits, et du moyen par lequel elle le fait, et je suis convaincu que tout emploi démontré de la Marque en liaison avec ces produits par Innocent UK et Innocent Group profiterait à la Propriétaire [voir Empresa Cubana Del Tobaco Trading c Shapiro Cohen, 2011 CF 102, au para 84].

Transferts dans la pratique normale du commerce

[26] La Partie requérante observe que la vente mentionnée dans l’affidavit Canagasabey n’est pas un transfert dans la pratique normale du commerce tel qu’il est établi à l’article 4(1) de la Loi. À cet égard, la Partie requérante note qu’il n’y a aucune autre preuve de ventes des produits de la Propriétaire par amazon.ca ou autrement; que le prix payé par Mme Canagasabey pour une seule canette de 330 ml était [traduction] « exorbitant »; que l’achat a été fait selon les instructions d’un avocat employé par l’agent au dossier de la Propriétaire; et que l’achat a été fait peu après la date à laquelle la Marque est devenue susceptible à un avis en vertu de l’article 45. Par conséquent, la Partie requérante observe que cette vente était conçue par la Propriétaire et n’était pas une vente dans la pratique normale du commerce.

[27] La Propriétaire observe que cette vente a suivi le motif de la pratique normale du commerce décrit par M. Davenport dans sa discussion sur les ventes en ligne par la Propriétaire, et constitue donc un emploi prima facie de la Marque en liaison avec les produits spécifiés par l’enregistrement [traduction] « boissons gazeuses non alcoolisées ». Par conséquent, la Propriétaire affirme qu’il [traduction] « n’y a aucun fondement pour la conclusion selon laquelle l’achat de Mme Canagasabey était d’une quelconque façon conçue ou en dehors de la pratique normale du commerce ». À l’appui, la Propriétaire cite Guido Berlucchi & C Srl c Brouilette Kosie Prince, 2007 CF 245 (Guido Berlucchi), aux para 17 et 18, pour la proposition que seule la preuve prima facie d’emploi est requise dans une procédure en vertu de l’article 45 et que « la preuve d’une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire dans la mesure où il s’agit d’une véritable transaction commerciale et qu’elle n’est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce en litige ».

[28] Je note que ni M. Davenport, ni Mme Canagasabey n’expliquent clairement la relation de la Propriétaire avec JMO Online UK (Jalpur Millers), l’entité inscrite comme vendeur sur les captures d’écran d’amazon.ca jointes à l’affidavit Canagasabey, autre que la mention générale de M. Davenport des [traduction] « tiers distributeurs » dans son affidavit. Peu importe, bien que je comprenne l’argument de la Propriétaire que M. Davenport a décrit le motif de la pratique normale du commerce de la Propriétaire à l’égard des ventes en ligne et que la vente démontrée dans l’affidavit Canagasabey ait suivi ce motif, le fait demeure qu’il s’agit d’une vente qui a été faite selon les instructions d’un avocat de la firme représentant la Propriétaire et que la Propriétaire n’a produit aucune autre preuve démontrant des ventes en ligne suivant ce motif. Bien que la preuve d’une seule vente puisse être suffisante pour démontrer l’emploi aux fins de la procédure de radiation prévue à l’article 45, elle ne peut l’être que dans la mesure où il s’agit d’une véritable transaction commerciale et qu’elle n’est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l’enregistrement [voir Philip Morris Inc c Imperial Tobacco Ltd (1987), 13 CPR (3d) 289 (CF 1re inst) (Philip Morris), au para 12]. Comme l’a exprimé la Cour fédérale dans Guide Berlucchi, un propriétaire inscrit qui choisit de fournir la preuve d’une seule vente « joue avec le feu, car il doit alors fournir suffisamment de renseignements concernant le contexte dans lequel s’est déroulée la vente pour éviter de susciter dans l’esprit du registraire ou de la Cour des doutes qui pourraient jouer contre lui » [Guido Berlucchi, au para 20].

[29] En l’espèce, puisque la vente a été faite selon les instructions d’un avocat de la firme représentant la Propriétaire, il est difficile de conclure qu’elle a été faite pour toute autre raison que celle de protéger l’enregistrement. Par conséquent, je n’estime pas qu’il s’agit d’une « véritable transaction commerciale », comme il est envisagé dans Philip Morris, même si elle peut autrement suivre le motif décrit par M. Davenport. Il n’y a rien dans la preuve pour démontrer que la Propriétaire a autrement vendu de quelconques produits de cette manière au cours de la période pertinente et l’offre à la vente des produits au cours de la période pertinente n’est pas suffisante à elle seule [voir, par exemple Molson Cos c Halter (1976), 28 CPR (2d) 158 (CF 1re inst)]. À cet égard, je suis d’accord avec la Partie requérante que la présente affaire peut se distinguer de l’affaire M Capewell & Associates Inc c Bollinger Industries, Inc, 2022 COMC 223, citée par la Propriétaire à l’appui de sa position, dans laquelle la preuve du propriétaire inscrit comprenait non seulement des captures d’écran démontrant la disponibilité des produits en ligne sur des sites Web comme amazon.ca, mais comprenait également un [traduction] « registre des commandes » illustrant des chiffres de vente pour de tels produits. Contrairement à la présente affaire, il n’y avait rien pour suggérer que les ventes illustrées dans le registre des commandes dans l’affaire invoquée n’avaient pas été réalisées dans la pratique normale du commerce.

[30] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la Propriétaire a démontré l’emploi de la Marque en liaison avec un des produits visés par l’enregistrement au sens des articles 4 et 45 de la Loi.

Circonstances spéciales

[31] Par conséquent, la question à trancher est celle de savoir, en vertu de l’article 45(3) de la Loi, si des circonstances spéciales existaient pour justifier le défaut d’emploi. La règle générale porte que le défaut d’emploi sera pénalisé par la radiation, mais il peut exister une exception lorsque le défaut d’emploi est attribuable à des circonstances spéciales [Smart & Biggar c Scott Paper Ltd, 2008 CAF 129 (Scott Paper)].

[32] Pour déterminer si l’existence de circonstances spéciales a été établie, le registraire doit en premier lieu déterminer, à la lumière de la preuve, les raisons pour lesquelles la marque de commerce n’a effectivement pas été employée pendant la période pertinente. En deuxième lieu, le registraire doit déterminer si ces raisons du défaut d’emploi constituent des circonstances spéciales [selon Canada (Registraire des marques de commerce) c Harris Knitting Mills Ltd (1985), 4 CPR (3d) 488 (CAF) (Harris Knitting)]. La Cour fédérale a conclu que des circonstances spéciales signifient des circonstances ou des raisons qui sont « inhabituelles, peu communes ou exceptionnelles » [John Labatt Ltd c Cotton Club Bottling Co (1976), 25 CPR (2d) 115 (CF 1re inst), au para 29].

[33] Si le registraire détermine que les raisons du défaut d’emploi constituent des circonstances spéciales, le registraire doit toujours déterminer si ces circonstances spéciales justifient la période de défaut d’emploi. Cette détermination repose sur l’examen de trois critères : (i) la durée de la période pendant laquelle la marque n’a pas été employée; (ii) si les raisons du défaut d’emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit; et (iii) s’il existe une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque à court terme [Harris Knitting]. Ces critères sont tous pertinents, mais le deuxième critère doit obligatoirement être rempli pour que l’on puisse conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi [Scott Paper].

[34] La Propriétaire observe que la pandémie est une circonstance spéciale puisqu’elle a perturbé le commerce à l’échelle mondiale et a directement empêché la Propriétaire de vendre ses produits par des voies de vente de détail traditionnelles au Canada. La Propriétaire remarque que le registraire a conclu que [traduction] « les forces naturelles imprévues » peuvent contribuer à une conclusion de circonstances spéciales, citant McCain Foods Ltd c Chef America Inc (1996), 71 CPR (3d) 103 (COMC) (McCain) qui concernait un tremblement de terre. De plus, la Propriétaire observe que la période de défaut d’emploi devrait être calculée à partir de la date d’enregistrement, le 23 mai 2017, et que la période de trois ans de défaut d’emploi est relativement courte. Enfin, en ce qui a trait aux produits autres que les boissons fouettées, la Propriétaire observe que le registraire a précédemment reconnu les difficultés inhérentes à l’établissement d’une gamme complète de produits et a conclu que cela constitue une circonstance spéciale qui peut justifier l’absence d’emploi pour une période raisonnable [citant Dubuc c Montana (1991), 38 CPR (3d) 88 (COMC), aux para 95 et 96].

[35] La Partie requérante remarque que l’affidavit Love fait renvoi aux efforts commençant en octobre 2019 pour un [traduction] « essai » des boissons fouettées Innocent à Farm Boy et aux efforts commençant en juillet 2020 pour un lancement d’essai des boissons fouettées Innocent à un café en Alberta, ni l’un, ni l’autre de ces essais n’ayant abouti en raison des restrictions associées à la pandémie. La Partie requérante remarque que ces efforts concernent exclusivement les boissons fouettées et affirme que l’affidavit de la Propriétaire reste muet quant aux efforts avant octobre 2019 d’entrer dans le marché canadien. À cet égard, la Partie requérante cite Oyen Wiggs Green & Mutala LLP c Rath (2010), 82 CPR (4th) 77 (COMC) (Rath), au para 12, pour la proposition que les circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi doivent s’appliquer pour l’ensemble de la période pertinente.

[36] En ce qui a trait à l’observation de la Propriétaire que la pandémie de COVID-19 constitue une circonstance spéciale justifiant le défaut d’emploi, je reconnais que la pandémie a été un événement perturbateur unique pour les entreprises au Canada et partout dans le monde. En raison de sa portée et sa magnitude, il s’agit d’une circonstance sans parallèle clair dans la jurisprudence; par conséquent, lorsqu’il est question d’évaluer si le défaut d’emploi d’une marque de commerce sera justifié pour des raisons associées à la pandémie, il est nécessaire de tenir compte des réalités uniques de la pandémie.

[37] Malgré tout, bien que la pandémie puisse être une circonstance « inhabituelle, peu commune ou exceptionnelle », elle ne justifiera pas automatiquement le défaut d’emploi d’une marque de commerce. Il est toujours nécessaire de démontrer que le défaut d’emploi d’une marque de commerce est justifié en raison de circonstances spéciales correspondant au cadre établi par la Cour fédérale dans Harris Knitting. Ainsi, lorsqu’un propriétaire affirme que la pandémie constitue des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de sa marque de commerce, le propriétaire doit d’abord démontrer que le défaut d’emploi d’une marque de commerce est en fait en raison de la pandémie; autrement dit, il doit fournir une preuve suffisante pour démontrer qu’il aurait employé la marque de commerce si la pandémie n’avait pas eu lieu. Alors, si un propriétaire est en mesure de démontrer que la pandémie était la raison pour le défaut d’emploi, il doit tout de même convaincre le registraire qu’un tel défaut d’emploi est justifiable compte tenu de la période du défaut d’emploi, de la question de savoir si un tel défaut d’emploi était en fait en dehors de la volonté du propriétaire et de la question de savoir si une reprise de l’emploi est imminente [voir Harris Knitting]. Puisque le deuxième facteur sera essentiel pour une conclusion de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi, c’est le propriétaire qui aura l’obligation de fournir une preuve concrète démontrant que le défaut d’emploi associé à la pandémie, ainsi que pour toute autre raison, était en dehors de la volonté du propriétaire. Autrement dit, il n’est pas suffisant qu’un propriétaire mentionne la pandémie en général sans fournir de détails suffisants quant à ses répercussions sur les activités du propriétaire.

[38] En date de cette décision, bien qu’il ait eu plusieurs affaires où le registraire a évalué des arguments que le défaut d’emploi d’une marque de commerce doit être justifié en raison de la circonstance spéciale de la pandémie, la Propriétaire ne m’a présenté aucune affaire de cette sorte où de tels arguments ont été accueillis. Je note que dans certaines affaires, le registraire a conclu que la pandémie n’était pas la cause ou la raison principale pour le défaut d’emploi [BenefitHub, Inc c Frontline Centre Inc, 2021 COMC 233; Smart & Biggar LLP c Keith Dykes dba Happy Campers Tent Trailer Rentals, 2022 COMC 69; et Cory Adam Schneider c Lot Boy Interactive Inc, 2022 COMC 106]; dans l’une des affaires, le registraire n’a pas eu à évaluer les arguments quant à la pandémie, puisqu’on a conclu que d’autres circonstances spéciales justifiaient le défaut d’emploi [Life Maid Right - 2799232 Ontario Inc c Maid Right, LLC, 2022 COMC 104]; et dans deux affaires, le registraire a suivi la série d’affaires Rath en concluant que la pandémie ne pouvait pas constituer des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi, puisqu’elle ne s’appliquait qu’à quelques mois à la fin de la période pertinente [Stewart McKelvey c Brookfield Residential (Alberta) LP, 2022 COMC 176 (Brookfield); Norton Rose Fulbright Canada LLP/SENCRL, srl c Mama Shelter, 2022 COMC 229 (Mama Shelter)].

[39] En l’espèce, bien que la Partie requérante cite Rath pour le principe que les circonstances spéciales doivent s’appliquer à l’ensemble de la période pertinente, la Propriétaire observe que ce principe est présenté sans soutien juridique dans Rath et n’est pas mentionné dans les principales affaires relatives aux circonstances spéciales comme Scott Paper. De plus, la Propriétaire observe que le principe n’a pas été cité par la Cour et va à l’encontre d’autres décisions de la Commission, y compris McCain. Par conséquent, la Propriétaire observe que Rath est un cas exceptionnel et ne devrait pas être suivi en l’espèce. Plutôt, la Propriétaire observe que c’est l’affaire McCain qui devrait être suivie, laquelle la Propriétaire cite pour la proposition qu’une force naturelle imprévue peut constituer des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi, même si cet événement n’englobe qu’un bref moment au cours de la période pertinente.

[40] Cependant, je ne suis pas d’accord avec la Propriétaire que l’affaire McCain appuie une telle proposition. Plutôt, le registraire a conclu ce qui suit :

[traduction]

Il me semble que la période « créneau » de la fin de l’été jusqu’à l’automne relativement courte considérée comme préférable par l’inscrivant pour l’introduction des produits dans le marché canadien, les changements requis à l’égard de certaines des saveurs des produits, la demande extrême pour le produit aux États-Unis, le temps et l’argent nécessaires pour la construction de sa nouvelle usine au Kentucky pour répondre à la demande accrue pour ses produits, le tremblement de terre majeur de janvier 1994 qui a causé de graves dommages et qui a entraîné des problèmes dans la production, l’offre te la demande pour Chef America Inc, ci-dessus, en masse, ont créé, j’estime, des circonstances en dehors de la volonté de l’inscrivant l’empêchant de lancer ses marques au Canada. [au para 17]

[41] Autrement dit, le tremblement de terre en question dans McCain était une seule des nombreuses raisons qui, une fois rassemblées, constituaient des circonstances spéciales. Puisqu’au moins certains de ces facteurs étaient présents pour l’ensemble de la période pertinente dans McCain, il n’y a aucun conflit entre cette affaire et Rath. En effet, McCain respecte entièrement le principe selon lequel le propriétaire doit fournir la preuve des raisons (que ce soit individuellement ou cumulativement) qui l’ont empêché d’employer une marque de commerce pour l’ensemble de la période pertinente pour que des circonstances spéciales justifient le défaut d’emploi.

[42] Conformément à ce principe, je note que dans les affaires Brookfield et Mama Shelter, les propriétaires inscrits ne sont pas arrivés à démontrer que le défaut d’emploi de leurs marques de commerce respectives au cours de la partie prépandémique de la période pertinente était le résultat de toute autre chose que des décisions commerciales volontaires, lesquelles ne constituent pas des circonstances spéciales. Autrement dit, ces propriétaires inscrits n’avaient pas démontré que la pandémie était en fait la raison pour le défaut d’emploi au cours de la période pertinente.

[43] Ainsi, bien qu’il soit possible d’imaginer un scénario où un propriétaire se prépare avec diligence à commencer ou à reprendre l’emploi d’une marque de commerce tout au long de la période pertinente, pour que ces efforts de bonne foi soient contrecarrés par les restrictions relatives à la pandémie survenant tard dans la période pertinente, un tel scénario doit être appuyé par des preuves claires démontrant que le défaut d’emploi de la marque de commerce tout au long de la période pertinente était en fait en dehors de la volonté du propriétaire. Une telle preuve n’a pas été fournie dans les affaires Brookfield ou Mama Shelter et elle n’a pas été fournie en l’espèce.

[44] À cet égard, la preuve de la Propriétaire est qu’elle a commencé activement à mener des efforts pour entrer dans le marché canadien par des voies de vente de détail traditionnelles à un moment non précisé en 2019, soit au-delà de la moitié de la période pertinente. La Propriétaire fournit une date plus précise d’octobre 2019 pour le début des négociations entre CCL et Farm Boy pour un lancement d’essai des boissons fouettées de la Propriétaire. Comme l’a remarqué la Partie requérante, le résultat est la preuve de la Propriétaire reste muette au sujet de ses activités pour au moins la première moitié, sinon les trois premiers quarts, de la période pertinente. Bien que la période de trois ans précisée à l’article 45(1) puisse respecter l’intention législative évidente que, en général, il y a un délai de démarrage maximal de trois ans pour qu’un inscrivant entame un emploi commercial sérieux au Canada, en l’espèce, il n’y a simplement aucune preuve que la Propriétaire menait de tels efforts de démarrage avant 2019. En l’absence de tels détails concrets, il est tout aussi possible que le délai pour commencer l’emploi était simplement le résultat de décisions commerciales volontaires de la part de la Propriétaire, ce qui ne constituerait pas des circonstances spéciales. Par exemple, je note que l’affidavit Love semble indiquer que la Propriétaire a pris la décision, en général, d’entrer dans de nouveaux marchés en se concentrant sur ses produits de boissons fouettées et de boissons. À tout le moins, il s’agit d’une décision commerciale volontaire de prioriser certains des produits spécifiés par l’enregistrement par rapport à d’autres.

[45] Autrement dit, la preuve de la Propriétaire n’a pas démontré que la pandémie était en fait la raison pour le défaut d’emploi au cours de la période pertinente ou qu’elle avait mené des efforts diligents tout au long de l’ensemble de la période pertinente de manière que cet emploi de la Marque aurait débuté au cours de la période pertinente, ne serait-ce que pour la pandémie. Plutôt, la preuve de la Propriétaire suggère qu’elle a seulement commencé à mener des efforts pour entamer l’emploi de la Marque dans la dernière partie de la période pertinente. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une affaire comme McCain où le propriétaire a fourni une preuve détaillée des efforts proactifs et diligents tout au long de la période pertinente dans son ensemble pour commencer l’emploi de sa marque de commerce et que de tels efforts ont été frustrés par les répercussions cumulatives de facteurs en dehors de sa volonté tout au long de la période pertinente. Bien que la Propriétaire ait démontré une certaine preuve d’une intention continue d’employer la Marque, une telle intention n’est pas suffisante à elle seule pour justifier le défaut d’emploi [Scott Paper, au para 28].

[46] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la Propriétaire a démontré l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi à l’égard d’un quelconque produit spécifié par l’enregistrement au sens de l’article 45(3) de la Loi.

Décision

[47] Par conséquent, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, l’enregistrement sera radié selon les dispositions de l’article 45 de la Loi.

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G.M. Melchin

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

William Desroches

 

Le français est conforme aux WCAG.


Comparutions et agents inscrits au dossier

DATE DE L’AUDIENCE : 2022-12-02

COMPARUTIONS

Pour la Partie requérante : Kevin Graham

Pour la Propriétaire inscrite : Nathan Piché

AGENTS AU DOSSIER

Pour la Partie requérante : Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., SRL/LLP

Pour la Propriétaire inscrite : Gowling WLG (Canada) LLP

 

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