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Office de la propriété intellectuelle du Canada
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
Référence : 2023 COMC 047
Date de la décision : 2023-03-13
[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION
Opposante : Golden Cala Trading EST
Requérant : Florian Mack
Demande : 1855282 pour lens.me & Design
Introduction
[1] Florian Mack (le Requérant) a produit la demande d’enregistrement pour la marque de commerce lens.me & Design (la Marque), reproduite ci-dessous :
[2] La demande comprend la revendication de couleur suivante : [traduction] « La couleur est revendiquée comme caractéristique de la marque de commerce. Le bleu et le blanc sont revendiqués comme caractéristiques de la marque. Plus précisément, le terme “lens.” est bleu, et les lettres ME sont blanches dans un cercle bleu. »
[3] La Marque visée par la demande est enregistrée en liaison avec les produits et services suivants :
PRODUITS
[traduction]
(1) Produits optiques, nommément verres de contact; lunettes, lunettes de soleil et verres de contact. (les Produits)
SERVICES
[traduction]
(1) Services de magasin de vente au détail en ligne de cosmétiques et de produits de beauté, nommément verres de contact pour la modification ou l’embellissement des yeux et de la couleur des yeux, verres de contact colorés à usage cosmétique, verres de contact colorés (sans ordonnance), verres de contact à usage cosmétique.
(2) Services de vente au détail en ligne de produits optiques, nommément de verres de contact, de lunettes, de lunettes de soleil et d’articles de lunetterie.
(3) Services optiques, nommément ajustement de verres de contact, de lunettes et de lunettes de soleil.
(collectivement, les Services)
[4] Golden Cala Trading EST (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la Marque. L’opposition est fondée sur des allégations selon lesquelles le Requérant n’employait pas la Marque à la date de premier emploi revendiquée, que sa déclaration selon laquelle elle avait l’intention d’employer la Marque au Canada était fausse, et que la Marque crée de la confusion avec les dessins-marques « Lens me » non déposés de l’Opposante (les Marques de l’Opposante), reproduits ci-dessous :
[5] Pour les raisons qui suivent, la demande est rejetée en partie.
Le dossier
[6] La demande a été produite le 31 août 2017 et est fondée sur l’emploi au Canada en liaison avec les Produits et les services (1) et (2), ainsi que sur l’emploi projeté au Canada en liaison avec les services (3). La demande revendique également une date de priorité du 2 avril 2017, en liaison avec les Produits et les services (1) et (3), fondée sur une demande à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) en liaison avec ces produits et services.
[7] La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 22 mai 2019. Le 22 novembre 2019, l’Opposante s’est opposée à la demande en produisant une déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi).
[8] Tous les renvois sont à la Loi dans sa version modifiée le 17 juin 2019, à l’exception des motifs d’opposition qui renvoient à la Loi dans sa version antérieure (voir l’article 70 de la Loi).
[9] Les motifs d’opposition sont résumés ci-dessous :
contrairement à l’article 30b), le Requérant n’a pas employé la Marque au Canada en liaison avec les Produits et les services (1) et (2) à la date de premier emploi revendiquée;
contrairement à l’article 30e) de la Loi, la déclaration du Requérant selon laquelle il avait l’intention d’employer la Marque au Canada en liaison avec les services (3) n’était pas exacte;
contrairement à l’article 30i) de la Loi, le Requérant n’aurait pas pu être convaincu qu’il avait le droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Produits et les Services;
contrairement aux articles 38(2)c) et 16(1)a) de la Loi, la Marque créait de la confusion avec les Marques de l’Opposante employées antérieurement au Canada;
contrairement aux articles 38(2)d) et 2 de la Loi, la Marque n’est pas distinctive.
[10] Le 11 février 2020, le Requérant a signifié et produit une contre-déclaration niant chacun des motifs d’opposition. Les deux parties ont produit une preuve, laquelle est examinée ci-dessous. Aucun contre-interrogatoire n’a été effectué à l’égard de toute preuve produite dans le cadre de la présente instance.
[11] Les deux parties ont également produit des observations écrites et étaient représentées à l’audience.
La preuve
Preuve de l’Opposante
[12] L’Opposante a produit deux documents à titre de preuve en vertu du paragraphe 50(1) du Règlement sur les marques de commerce, DORS/2018-227 (le Règlement) : un document qu’elle prétend être un affidavit de Ghazi Alanazi, le président-directeur général de l’Opposante (le Document Alanazi); et un affidavit signé par Mohit Sethi, un stagiaire de l’agent officiel de l’Opposante, souscrit le 26 novembre 2020 (l’Affidavit Sethi). Chacun sera examiné ci-dessous.
Document Alanazi
[13] D’emblée, comme il est noté dans les observations écrites du Requérant, il n’est pas clair si le Document Alanazi a été dûment souscrit. Je note d’abord que le 30 novembre 2020, l’Opposante a demandé et obtenu une prorogation, en vertu de l’article 47(1) de la Loi, pour fixer un rendez-vous et faire exécuter son affidavit à l’ambassade du Canada en Arabie saoudite. Dans le cadre de cette demande, l’Opposante a soutenu ce qui suit :
[traduction]
Le Déposant, M. Alanazi, réside en Arabie saoudite et, en raison de la pandémie de COVID-19 en cours, il n’a pas pu obtenir un rendez-vous à l’ambassade du Canada en Arabie saoudite pour souscrire à son affidavit devant un commissaire aux affidavits ou un notaire. M. Alanazi a fait tout son possible pour réserver un rendez-vous à l’ambassade du Canada, mais en raison de la deuxième vague de la pandémie et des restrictions continues, aucun rendez-vous en temps opportun n’était possible. M. Alanazi espère pouvoir obtenir un rendez-vous d’ici deux semaines pour faire exécuter l’affidavit et le faire notarier ou officialiser par un commissaire. L’Opposante soutient que les processus opérationnels de l’ambassade du Canada en Arabie saoudite échappent au contrôle de l’Opposante et du déposant, M. Alanazi, et que, par conséquent, ils sont considérés comme des circonstances exceptionnelles justifiant la demande de l’Opposante. [Non souligné dans l’original]
[14] Le 12 décembre 2020, l’Opposante a produit et signifié le Document Alanazi. Bien que le document soit identifié comme un affidavit et commence par la formule [traduction] « JE […] FAIS CE SERMENT ET AFFIRME CE QUI SUIT », les constats d’assermentation à la fin du document et sur chaque pièce ne sont pas complets, en ce sens qu’ils ne sont ni datés ni signés par un notaire ou un commissaire aux affidavits. La date numérique « 1/12/2020 » est inscrite à la main sous la signature de M. Alanazi, sur la dernière page du prétendu affidavit. De plus, il y a un tampon sur la dernière page qui semble être le sceau corporatif de l’Opposante, ainsi que deux autres tampons arborant des signatures. Je note qu’un de ces tampons arbore la date « 14/12/2020 ». Par ailleurs, les tampons sont en arabe, sans version française ou anglaise du texte et sans explication, sauf ce qui suit, écrit dans la lettre d’accompagnement de l’Opposante :
[traduction]
L’Opposante confirme que l’affidavit Alanazi a été officialisé par un commissaire conformément aux pratiques et procédures en vigueur en Arabie saoudite. En raison de la pandémie de COVID-19 en cours et de l’exigence de distanciation sociale, l’ambassade du Canada en Arabie saoudite ne permet actuellement pas la prise de rendez-vous pour notarier des documents. Par conséquent, le Déposant de l’Opposante a été signé par la Chambre de commerce à la suite de la procédure appropriée en Arabie saoudite.
En Arabie Saoudite, la procédure appropriée exige que la Chambre de Commerce vérifie et confirme que la signature de l’affidavit appartient au signataire autorisé. La Chambre de commerce atteste de l’affidavit et des pièces (dans leur intégralité), et il est d’usage que le Déposant et la Chambre de commerce n’exécutent que la page de signature de l’affidavit. L’Opposante confirme que M. Alanazi était en possession du document complet (affidavit et pièces) devant la Chambre de commerce lorsqu’il a été souscrit. Toutefois, il n’existe aucune procédure en Arabie saoudite exigeant que le Déposant ou la Chambre de commerce signe ou estampille les pages de couverture des pièces. [Non souligné dans l’original]
[15] Comme l’a noté le Requérant, il n’est pas clair si les déclarations contenues dans le Document Alanazi ont été faites devant une personne ayant le pouvoir de faire prêter serment. Je suis d’accord. À cet égard, je note premièrement que, en règle générale, le registraire accepte les affidavits (ou les déclarations) établis sous serment (ou prononcées) dans d’autres pays, dans la mesure où ils répondent aux exigences de ce pays [88766 Canada Inc c Kabushiki BANDAI NAMCO Entertainment (exerçant également ses activités sous le nom de BANDAI NAMCO Entertainment Inc.), 2016 COMC 74; Orion Corporation c Cross Vetpharm Group Limited, 2018 COMC 8; Dubuc c Montana (1991), 38 CPR (3d) 88 (COMC)]. Toutefois, le droit étranger est considéré comme des faits qui doivent être prouvés [Waterford Wedgwood PLC c Forma-Kutzscher GmbH (2006), 50 CPR (4th) 358 (COMC), au para 26]; en l’espèce, l’Opposante n’a déposé aucun affidavit ni aucune déclaration solennelle confirmant que le Document Alanazi a été exécuté conformément aux lois de l’Arabie saoudite.
[16] Deuxièmement, même si je tenais compte des renseignements contenus dans la lettre d’accompagnement jointe au Document Alanazi, je note qu’il n’est pas clair si le document a été souscrit devant la Chambre de commerce, ou si la signature de M. Alanazi a simplement été vérifiée. À cet égard, je note qu’aucune traduction des parties en arabe du document n’a été fournie par l’Opposante; par conséquent, il est possible que les documents en arabe attestent simplement de l’identité de M. Alanazi, et non pas du fait qu’ils ont été dûment souscrits. Comme l’a noté le Requérant, la vérification qu’une signature appartient au signataire n’équivaut pas faire prêter serment, et le fait qu’un document arbore un tampon et soit signé par un notaire n’établit pas, en soi, que les déclarations qu’il contient ont été faites sous serment devant ce notaire [voir 88766 Canada Inc c 167407 Canada Inc, 2010 COMC 167; Citadelle, Coopérative de Producteurs de Sirop d’Érable / Citadelle, Maple Syrup Producers’ Cooperative c RAVINTORAISIO OY, 2018 COMC 55]. De plus, la date figurant sur l’un des deux tampons est postérieure à la date figurant sous la signature de M. Alanazi, ce qui soulève un sérieux doute quant à la question de savoir si M. Alanazi a signé le document en présence de la personne qui a attesté de sa signature.
[17] Troisièmement, je note que, à titre de contre-preuve en vertu de l’article 54 du Règlement, l’Opposante a fourni un affidavit supplémentaire de M. Alanazi, qui ne contient aucune des lacunes du Document Alanazi et semble à première vue avoir été dûment souscrit devant un notaire.
[18] Enfin, bien que le Requérant ait soulevé les questions susmentionnées au sujet du Document Alanazi dans ses observations écrites, l’Opposante a choisi de ne pas fournir une version dûment souscrite du Document Alanazi, ni même une traduction des documents en arabe.
[19] En l’absence de ces renseignements, je ne considère pas ces questions comme de simples détails techniques qui peuvent être négligés par le registraire, puisqu’elles concernent le fondement même de la définition du document à titre d’affidavit. Par conséquent, je conclus que le Document Alanazi est inadmissible dans le cadre de la présente procédure [pour des conclusions similaires, voir Barrette Legal Inc c Dallevigne SPA, 2015 COMC 12, aux para 7 à 12; Shanxi Valley Tribute Grain Trading Co, Ltd c Shanxi Qinzhouhuang Millet (Group) Co Ltd, 2022 COMC 202, aux para 16 et 17]. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de résumer son contenu.
Affidavit Sethi
[20] L’Affidavit Sethi contient un certain nombre d’imprimés tirés de l’archive Internet Wayback Machine concernant la page Web lens.me du Requérant, tel qu’elle figurait à diverses dates entre 2015 et 2017. La Marque figure dans le coin supérieur gauche de chaque capture d’écran, et les pages contiennent des renseignements sur les ventes de verres de contact. Les versions de la page datée du 1er août 2015 et du 30 septembre 2015 montrent une image de lunettes de soleil avec les mots « coming soon » [bientôt]; toutefois, les lunettes de soleil ne figurent pas sur les pages ultérieures. Les versions de la page Web de 2016 et de 2017 contiennent un onglet intitulé « Worldwide Express Delivery » [livraison mondiale rapide]; toutefois, des captures d’écran datées du 1er mai 2017 et du 6 juin 2017 montrent des renseignements sur la livraison, indiquant [traduction] « Nous ne livrons pas actuellement » au Canada. Une capture d’écran datée du 21 septembre 2017 indique que [traduction] « LENS.ME OFFRE LA LIVRAISON GRATUITE À » une liste de pays, y compris le Canada.
[21] Le Requérant soutient qu’aucun poids ne devrait être accordé à l’Affidavit Sethi en ce qui a trait à la question de savoir si le site Web du Requérant a offert la livraison au Canada dans le passé, puisque cette preuve est litigieuse et ne devrait pas être fournie par les employés de l’agent de l’Opposante au dossier, conformément à Kocsis Transport Ltd c « K » Line America Inc (2008), [2008] TMOB No 37, 2008 CanLII 88277 (COMC).
[22] Bien que le déposant soit à l’emploi de l’agent de l’Opposante et que la preuve soit axée sur la question de savoir si la Requérante a employé la Marque au Canada, je ne conclus pas qu’un poids moindre devrait être accordé à la preuve puisqu’il ne s’agit pas du même type de témoignage d’opinion que celui dont il est question dans Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd c Hyundai Auto Canada, 2006 CAF 133. À cet égard, les imprimés de sites Web obtenus par les déposants à l’emploi des agents des parties dans les procédures d’oppositions ont été acceptés dans de nombreuses procédures [voir, par exemple, zip.ca Inc c BBY Solutions, Inc, 2014 COMC 96, au para 15; Assoc canadienne des bijoutiers c American Gem Society, 2010 COMC 106].
[23] En ce qui concerne les pages archivées sur le site WayBack Machine, il a été conclu qu’elles étaient généralement fiables [Candrug Health Solutions Inc c Thorkelson, 2007 CF 411, au para 21, infirmée pour d’autres motifs par 2008 CAF 100]. Plus particulièrement, une preuve issue du site WayBack Machine à l’appui d’un motif d’opposition fondé sur l’article 30b) invoqué par un opposant a été jugée admissible [Assoc royale de golf du Canada c Ontario Regional Common Ground Alliance (2009), 72 CPR (4th) 59 (COMC)].
[24] Par conséquent, même s’il s’agit de ouï-dire, je conclus que la preuve issue de Wayback Machine jointe à l’Affidavit Sethi est admissible. À cet égard, il était nécessaire que l’Opposante la produise pour contester l’allégation d’emploi fondé sur l’article 30b), et elle est fiable, puisque la Requérante semble avoir participé à sa création et a eu la possibilité de réfuter la preuve [voir, par exemple, Reliant Web Hostings Inc c Tensing Holding BV, 2012 COMC 48, au para 35; Petronas Lubricants Italy SpA c Sasol Olefins & Surfactants GmbH, 2017 COMC 25, aux para 20 et 21].
Preuve du Requérant
[25] Le Requérant a déposé un affidavit en son nom propre (l’Affidavit Mack), établi sous serment le 12 avril 2021.
[26] M. Mack affirme qu’il est le gestionnaire, l’administrateur et l’actionnaire de Sky Optical LLC (Sky), une entreprise à laquelle il accorde des licences pour ses marques de commerce, ses droits d’auteur et ses noms de domaine. Il affirme avoir enregistré le nom de domaine lensme.com le 1er mars 2006 et être allé de l’avant avec le lancement prévu de l’entreprise LENS.ME vers juin 2015, avec la première vente de verres de contact à un client situé à Dubaï (Émirats arabes unis), le 28 juin 2015. Il affirme avoir enregistré le site Web lens.me le 9 avril 2015, et que le site Web lensme.com redirige maintenant les visiteurs vers le site Web lens.me. Également à l’été et à l’automne 2015, M. Mack a créé des comptes de médias sociaux pour son entreprise sur Facebook, Instagram, YouTube, Pinterest et Twitter, dont des imprimés sont joints à titre de Pièce FM4.
[27] M. Mack affirme que Sky [traduction] « offr[e] des services de livraison à l’échelle mondiale sous la [Marque] » dans plusieurs pays, y compris le Canada. Il affirme que Sky [traduction] « offre des verres de contact, des produits pour verres de contact et des produits de beauté, et vend au détail en ligne des verres de contact, des produits pour verres de contact et des produits de beauté à des consommateurs au Canada sous la [Marque] depuis au moins aussi tôt que le 7 novembre 2015, date à laquelle la première commande au Canada a été passée sur le site Web de [Sky] ».
[28] M. Mack affirme que plus de 25 000 commandes ont été expédiées au Canada depuis cette date par l’entremise du site Web lens.me, et il fournit les chiffres du nombre de visiteurs canadiens sur le site Web lens.me chaque année. Ces chiffres comprennent 72 791 visiteurs en 2015, et des centaines de milliers ou de millions de 2016 à 2020. Il fournit également les chiffres du nombre d’abonnés mondiaux des comptes de médias sociaux susmentionnés.
[29] À titre de Pièce FM8, M. Mack joint une copie expurgée d’un registre de clients canadiens tenu par Sky, qui montre plus de 15 000 entrées pour des [traduction] « clients au Canada qui achètent des produits optiques, y compris des verres de contact, en liaison avec la [Marque] ». Je note que la première entrée liée à des verres de contact montre un [traduction] « client de verres de couleur » depuis le 20 octobre 2015, situé à Brampton (Ontario). À titre de Pièce FM9, il joint une série de factures de clients qui ont acheté des verres de contact et des produits connexes (y compris ce qui semble être du liquide pour verres de contact). La plus ancienne de ces factures est datée du 7 novembre 2015 et a été émise par Sky (avec une adresse à Dubaï [Émirats arabes unis]) à un client de Brampton (Ontario).
[30] Je fais les observations suivantes au sujet de cette facture :
la Marque ne figure que dans le coin supérieur gauche de la facture;
le produit acheté est inscrit comme étant « Solotica Hidrocor – 2 lentilles » [deux verres de contact Solotica Hidrocor], avec une petite image d’emballage, dont le texte est trop petit pour être lisible;
la « Shipping Method » [méthode de livraison] est indiquée comme étant « 4 Day Express Shipping – Fixed » [livraison rapide en quatre jours – fixe];
le statut du paiement est indiqué comme étant « complete » [complété].
[31] M. Mack joint le tableau suivant indiquant les chiffres de ventes au Canada entre 2015 et la date de l’affidavit :
Année
|
Nombre de commandes en provenance du Canada
|
Valeur des ventes découlant de commandes en provenance du Canada
|
---|---|---|
2015
|
47
|
Environ 3 995 $ US
|
2016
|
1 474
|
Environ 125 000 $ US
|
2017
|
4 275
|
Environ 360 000 $ US
|
2018
|
6 498
|
Environ 550 000 $ US
|
2019
|
6 468
|
Environ 550 000 $ US
|
2020
|
7 254
|
Environ 616 000 $ US
|
2021
|
1 427
|
Environ 121 000 $ US
|
[32] En ce qui concerne l’annonce, M. Mack affirme que Sky a commencé à annoncer et à promouvoir la Marque au Canada au moins aussi tôt qu’en novembre 2015 par l’entremise du site Web lens.me et de comptes de médias sociaux. Il affirme qu’en ce qui concerne les services (3), Sky [traduction] « n’offre pas encore les services physiques au Canada, mais qu’elle fournit des renseignements et des conseils sur l’ajustement de verres de contact avec chaque commande passée par des consommateurs canadiens ». Il fournit la ventilation suivante des dépenses publicitaires liées au Canada en liaison avec la Marque :
Année
|
Dépenses de commercialisation liées au Canada (en dollars américains)
|
---|---|
2015
|
2 819 $
|
2016
|
15 646 $
|
2017
|
31 239 $
|
2018
|
16 818 $
|
2019
|
34 486 $
|
2020
|
39 332 $
|
2021
|
14 356 $
|
[33] Le reste de l’affidavit de M. Mack concerne les activités de l’Opposante, y compris des renseignements sur un courriel d’une personne qui prétend être un représentant de l’Opposante, les procédures de radiation des Marques de l’Opposante en Arabie saoudite et ailleurs, les lacunes et les incohérences alléguées dans le Document Alanazi, et les cas de « confusion réelle » entre la Marque et les Marques de l’Opposante. Étant donné que ces déclarations concernent principalement le Document Alanazi, qui ne fait pas partie de la preuve en l’espèce, elles ne seront pas examinées en détail.
Contre-preuve de l’Opposante
[34] À titre de contre-preuve en vertu de l’article 54 du Règlement, l’Opposante a déposé un affidavit supplémentaire de M. Alanazi (l’Affidavit Alazani), souscrit le 7 juillet 2021. L’Affidavit Alanazi répond aux déclarations faites dans l’Affidavit Mack, y compris concernant la procédure de radiation des Marques de l’Opposante en Arabie saoudite, le courriel joint à l’affidavit de M. Mack niant toute connaissance ou autorisation de ce courriel, les incohérences alléguées en ce qui a trait au site Web de l’Opposante, et les cas de confusion réelle mentionnés par M. Mack. À titre de seule pièce jointe à cet affidavit, M. Alanazi joint une copie d’une déclaration du registre commercial de l’Arabie saoudite, accompagnée d’une traduction anglaise, qui montre que la licence commerciale de l’Opposante octroyée en 2013 a été [traduction] « radiée »; M. Alanazi affirme que cela a été fait [traduction] « à des fins de restructuration de l’entreprise » et que la licence a été rétablie en 2015.
Analyse
Motif d’opposition : article 30b)
[35] L’Opposante allègue que la demande du Requérant n’est pas conforme aux exigences de l’article 30b) de la Loi, en ce sens que, contrairement à l’allégation formulée dans la demande, le Requérant n’avait pas employé la Marque, au sens de l’article 4 de la Loi, au Canada en liaison avec les Produits et les services (1) et (2), tels que décrits dans la demande à la date de premier emploi revendiqué (le 7 novembre 2015).
[36] Le fardeau de preuve initial qui incombe à l’opposant en vertu de l’article 30b) est léger, puisque les faits pertinents se rapportant à l’emploi sont plus facilement accessibles au requérant [Tune Masters c Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 CPR (3d) 84 (COMC)]. De plus, l’opposant peut s’acquitter de son fardeau preuve en renvoyant non seulement à sa propre preuve, mais également à la preuve du requérant [voir Brasseries Labatt Ltée c Brasseries Molson (1996), 68 CPR (3d) 216 (CF 1re inst)]. Pour s’acquitter de son fardeau en invoquant la preuve du requérant, l’opposant doit démontrer que la preuve du requérant est « nettement incompatible » avec les revendications énoncées dans la demande ou qu’elle « sème un doute » quant à celles-ci [voir Ivy Lea Shirt Co c Muskoka Fine Watercraft & Supply Co (1999), 2 CPR (4th) 562 (COMC), conf par 2001 CFPI 252; et Bacardi & Co c Corporativo de Marcas GJB, SA de CV, 2014 CF 323, aux para 33, 50 et 54].
[37] Si l’opposant réussit à s’acquitter de son fardeau initial, le requérant doit alors, en réponse, établir le bien-fondé de sa revendication d’emploi. Toutefois, le requérant n’est pas tenu de le faire si la date de premier emploi n’a pas d’abord été mise en doute par l’opposant qui s’acquitte de son fardeau de preuve [voir Kingsley c Ironclad Games Corp, 2016 COMC 19].
Licences
[38] L’Opposante soutient que rien n’indique que le Requérant exerçait un contrôle sur la nature et la qualité des produits et services fournis en liaison avec la Marque, conformément à l’article 50(1) de la Loi, notant qu’il n’y a aucune disposition de contrôle dans le contrat de licence joint à l’Affidavit Mack à titre de Pièce FM5. Toutefois, je suis d’accord avec le Requérant qu’il est raisonnable de conclure que le contrôle requis existe lorsque le concédant et un administrateur du licencié sont la même personne [voir, par exemple, Petro-Canada c 2946661 Canada Inc (1998), 83 CPR (3d) 129 (CF 1re inst); Mohammed Azhar Khan c BAR B Q TONIGHT GLOBAL PTE LTD, 2017 COMC 73, au para 34]. Par conséquent, je suis disposé à conclure en l’espèce que le contrôle requis existe en vertu de l’article 50(1) de la Loi.
Produits
[39] En ce qui concerne les Produits, l’Opposante soutient que la seule preuve d’emploi à la date de premier emploi revendiquée est la facture du 7 novembre 2015, jointe à la Pièce FM9 de l’Affidavit Mack. L’Opposante soutient que les clients seraient plus susceptibles de percevoir la Marque sur cette facture comme un nom commercial, plutôt que comme une marque de commerce, citant Hortilux Schreder BV c Iwasaki Electric Co, 2011 CF 967, conf par 2012 CAF 321. À cet égard, l’Opposante note que la Marque ne figure que dans le coin supérieur gauche de la facture, que le produit est inscrit comme étant des lentilles « Solotica Hidrocor » et que les captures d’écran archivées jointes à l’Affidavit Sethi à titre de Pièces A et B comprennent la déclaration « lens.me is an official distributor of Solotica » [lens.me est un distributeur officiel de Solotica].
[40] De plus, l’Opposante soutient que rien n’indique que les factures ont été envoyées avec les produits expédiés, et que, quoi qu’il en soit, la preuve indique que la commande a été passée le 7 novembre 2015, avec une méthode de livraison de « 4 Day Express Shipping – Fixed » [livraison rapide en quatre jours – fixe], de sorte qu’il n’est pas possible que le transfert de propriété ou de possession des verres de contact ait eu lieu le 7 novembre 2015.
[41] En réponse, le Requérant soutient que la Marque est bien visible sur les captures d’écran du site Web lens.me jointes à l’Affidavit Sethi, que, parce qu’un client verrait la Marque sur cette page Web au moment de commander les Produits, la Marque serait associée aux Produits au sens de la Loi, et que ce lien serait maintenu à la réception des Produits. À cet égard, le Requérant soutient que le lien entre les Produits et la Marque sur le site Web est comparable à la présentation d’une marque de commerce dans un catalogue à partir duquel les consommateurs peuvent passer des commandes, conformément à Rosenstein c Elegance Rolf Offergelt GmbH (2005), 47 CPR (4th) 196 (COMC), aux para 14 et 15, et à Cook Inc c Applied Medical Resources Corp, 2011 COMC 151, aux para 39 à 41.
[42] Je conclus que la preuve du Requérant est incompatible avec la date de premier emploi revendiquée en liaison avec les Produits. Même si j’étais convaincu que la facture accompagnait la commande du 7 novembre 2015, je ne serais pas convaincu que la facture montre l’avis de liaison requis entre la Marque et les produits inscrits sur la facture. Il est bien établi que la présentation d’une marque de commerce sur une facture qui accompagne les produits au moment du transfert peut satisfaire aux exigences de l’article 4(1) de la Loi, à condition qu’il fournisse l’avis de liaison requis entre la marque de commerce et les produits [voir Hortilux Schreder BV c Iwasaki Electric Co, 2012 CAF 321; et Riches, McKenzie & Herbert c Pepper King Ltd (2000), 8 CPR (4th) 471 (CF 1re inst)]. La principale considération est « celle de savoir si la marque de commerce est employée comme marque de commerce pour décrire les marchandises […] donnant ainsi à la personne à qui sont transférées les marchandises un avis suffisant de cet emploi. […] Si la marque de commerce est apposée dans la partie supérieure de la facture mais non dans le corps de la facture, l’emploi n’est la plupart du temps pas considéré comme un emploi en liaison avec les marchandises facturées » [voir Tint King of California Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1440, au para 32].
[43] De même, en ce qui concerne l’affirmation du Requérant selon laquelle la présentation de la Marque sur son site Web est analogue à la présentation d’une marque de commerce dans un catalogue, je note que l’endroit et la manière dont une marque de commerce est présentée sur un site Web sont pertinents pour déterminer si l’existence de l’avis de liaison requis a été établie [voir, par exemple, McMillan LLP c SportsLine.com, Inc, 2014 COMC 51, au para 12; Imex Systems Inc c Pinnacle Webworx Inc, 2015 COMC 163, au para 14].
[44] En l’espèce, étant donné que la Marque figure dans le coin supérieur gauche de la facture et qu’une autre marque de commerce est présentée en liaison avec les produits énumérés, je conclus que la Marque figurant sur la facture est un nom commercial ou, au mieux, une marque de commerce employée en liaison avec des services, comme discuté ci-dessous, et ne fournit pas l’avis de liaison requis avec les produits énumérés. J’en arrive à la même conclusion en ce qui a trait à la présentation de la Marque sur les captures d’écran du site Web produites aux Pièces A et B de l’Affidavit Sethi, puisque la Marque figure dans le coin supérieur gauche du site Web. À cet égard, je note que plusieurs des captures d’écran comprennent les mots « lens.me is an official distributor of Solotica » [lens.me est un distributeur officiel de Solotica].
[45] Quoi qu’il en soit, il est bien établi que la commande de produits n’est pas suffisante pour établir l’emploi au sens de l’article 4(1) de la Loi. Comme il est déclaré dans Ridout & Maybee LLP c HJ Heinz Co Australia Ltd, 2014 CF 442, au para 42, « le “moment important” pour l’analyse relative à l’emploi de la marque de commerce est le moment du transfert, que ce soit le transfert de propriété ou de possession; les éléments soulignés nécessaires de l’emploi doivent être tous satisfaits à ce moment‑là ». Dans cette affaire, la Cour fédérale a déclaré que « le transfert de propriété associé aux marchandises a eu lieu lorsque celles‑ci ont été placées sous la garde des expéditeurs pour être transportées au Canada » [voir également Estee Lauder Cosmetics Ltd c Loveless, 2017 CF 927, aux para 31 à 33]. En l’espèce, rien n’indique qu’un tel transfert de propriété ou de possession avait eu lieu à la date de commandel indiquée sur la facture, à savoir le 7 novembre 2015. En effet, le renvoi sur la facture à « 4 Day Express Shipping – Fixed » [livraison rapide en quatre jours – fixe] soulève un doute sérieux quant à la réalisation d’un tel transfert le 7 novembre 2015.
[46] Par conséquent, la preuve du Requérant n’est pas compatible avec la date de premier emploi revendiquée; je conclus donc que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’article 30b) en ce qui a trait aux Produits. Par conséquent, il incombe au Requérant d’établir sa date de premier emploi revendiquée en liaison avec les Produits.
[47] Étant donné que le Requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que la Marque a été employée pour la première fois au Canada en liaison avec les Produits à la date de premier emploi revendiquée, ce motif d’opposition est donc accueilli en ce qui a trait aux Produits.
Services
[48] En ce qui concerne les services (1) et (2), l’Opposante soutient que ces services n’ont pas été exécutés, puisque la transaction susmentionnée n’a pas eu lieu le 7 novembre 2015. De plus, l’Opposante soutient qu’il n’y a aucune preuve de la façon dont la Marque a été commercialisée, annoncée et promue par l’entremise de la page Web lens.me et des comptes de médias sociaux, tel que décrit dans l’Affidavit Mack. À cet égard, l’Opposante note que l’Affidavit Mack fournit des chiffres annuels du nombre de visiteurs canadiens du site Web lens.me et des dépenses de commercialisation au Canada pour l’année 2015, mais soutient que rien n’indique que ces visiteurs ont visité le site Web avant le 7 novembre 2015 ou que ces dépenses ont été engagées avant cette date. À cet égard, l’Opposante renvoie aux captures d’écran jointes à l’Affidavit Sethi et soutient que celles-ci démontrent que le Requérant n’expédiait pas ses Produits au Canada à la date pertinente ou avant cette date.
[49] En réponse, le Requérant soutient que la commande passée le 7 novembre 2015 démontre qu’il avait exécuté les services (1) et (2) à cette date, affirmant que [traduction] « [l]e consommateur qui a passé une commande ce jour-là a clairement vu la Marque parce qu’il a passé sa commande par l’entremise du site Web », comme il est indiqué dans l’Affidavit Mack. Le Requérant soutient que l’emploi d’un nom commercial en liaison avec des services n’exclut pas l’emploi de ce nom commercial en tant que marque de commerce au sens de l’article 4(2) de la Loi, citant Robinson Sheppard Shapiro SENCRL/LLP c Exo Inc, 2017 COMC 132, aux para 37 à 39.
[50] Je suis d’accord avec le Requérant en ce qui a trait aux services de vente au détail en général. L’emploi d’un nom commercial en liaison avec des services n’exclut pas l’emploi de ce nom commercial à titre de marque de commerce au sens de l’article 4(2) la Loi [Consumers Distributing Co / Cie Distribution aux Consommateurs c Toy World Ltd, 1990 CarswellNat 1398 (COMC), au para 14]. La question de savoir si un mot est employé comme marque de commerce ou comme nom commercial est une question de fait. Il s’agit de savoir si le Requérant a démontré que la marque de commerce est employée d’une façon telle qu’elle peut être perçue comme une marque de commerce, et non simplement comme une dénomination sociale ou un identifiant d’entreprise. Les facteurs pertinents à considérer pour déterminer s’il s’agit d’un emploi comme marque de commerce ou comme nom commercial comprennent la question de savoir si la marque de commerce se démarque de l’adresse commerciale ou des autres renseignements identifiant l’entreprise d’une manière telle que le public percevrait cet emploi comme un emploi d’une marque de commerce en liaison avec des services, et non simplement comme l’identification d’une entité juridique [voir Road Runner Trailer Manufacturing Ltd c Road Runner Trailer Co (1984), 1 CPR (3d) 443 (CF 1re inst), au para 16; Nightingale Interloc Ltd c Prodesign Ltd (1984) 2 CPR (3d) 535 (COMC), au para 7; Borden Ladner Gervais LLP c GDC Communities, 2015 COMC 50, au para 20].
[51] En l’espèce, comme le montrent les captures d’écran jointes à l’Affidavit Sethi, le site Web du Requérant présentait la Marque avant et après la date pertinente. Étant donné que la Marque est une marque de commerce et qu’elle était présentée bien en vue dans le coin supérieur gauche de la page Web, je conclus qu’elle se démarque des éléments qui l’entourent, de sorte que le public la percevrait comme une marque de commerce plutôt que simplement comme l’identification d’une entité juridique [voir Frady Yacoub c E-source, Inc, 2020 COMC 11, aux para 27 et 28]. Étant donné que la preuve du Requérant établit qu’un client au Canada a commandé des verres de contact par l’entremise de ce site Web à la date pertinente, je conclus que la preuve n’est pas incompatible avec la revendication d’emploi du Requérant en ce qui a trait aux catégories générales de services décrites dans les services (1) et (2).
[52] Par conséquent, pour les raisons susmentionnées, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial à l’égard de ce motif d’opposition en ce qui a trait aux services (1) et (2). Ce motif d’opposition est donc rejeté en ce qui a trait à ces services.
Motif d’opposition : article 30e)
[53] L’Opposante allègue qu’au moment où la demande a été produite, le 31 août 2017, la déclaration selon laquelle le Requérant, par lui-même ou par l’entremise d’un licencié, avait l’intention d’employer la Marque au Canada en liaison avec les services (3) était fausse et inexacte, puisqu’au moment où la demande a été produite, le Requérant n’avait pas l’intention, par lui-même ou par l’entremise d’un licencié, d’employer la Marque en liaison avec les services (3) au Canada. Plus particulièrement, l’Opposante note que M. Mack affirme, au paragraphe 12 de son affidavit, que Sky [traduction] « fournit des renseignements et des conseils sur l’ajustement de verres de contact avec chaque commande passée par des consommateurs canadiens ». L’Opposante soutient que cette déclaration établit que le Requérant exécutait les services (3) au Canada à la date pertinente et que la déclaration selon laquelle le Requérant avait l’intention d’employer la Marque en liaison avec les services (3) au Canada était donc fausse.
[54] La date pertinente pour évaluer ce motif d’opposition est la date de priorité de la demande (le 2 avril 2017), puisqu’elle ne concerne que les services (3) [voir SmithKline Beecham Corp c Pierre Fabre Médicament, [1998] COMC no 141, au para 6 (SmithKline Beecham)]. Toutefois, pour les raisons examinées ci-dessous, ce motif ne peut pas être accueilli, peu importe si la date pertinente était la date de priorité ou la date de production du 31 août 2017, puisque l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial.
[55] Comme pour l’article 30b) de la Loi, le fardeau initial de l’opposant en vertu de l’article 30e) est plus léger, puisque les renseignements pertinents se rapportant à l’emploi sont plus facilement accessibles au requérant, et que l’opposant peut s’acquitter de son fardeau en renvoyant à la preuve du requérant. Pour s’acquitter de son fardeau en invoquant la preuve du requérant, l’opposant doit démontrer que la preuve du requérant est « nettement incompatible » avec les revendications énoncées dans la demande ou qu’elle « sème un doute » quant à celles-ci [voir Bacardi & Co, précité].
[56] De plus, une demande fondée sur l’emploi projeté sera rejetée s’il ressort de la preuve que la marque visée par la demande a été employée avant la date de production de la demande [Tone-Craft Paints Ltd c Du-Chem Paint Co (1969), 62 CPR 283 (COMC); Airwick Industries Inc c Metzner (1982), 74 CPR (2d) 55 (COMC); Société Nationale Elf Acquitaine c Spex Design Inc (1988), 22 CPR (3d) 189 (COMC); et Frisco-Findus SA c Diners Delite Foods Ltd (1989), 26 CPR (3d) 556 (COMC)].
[57] En ce qui concerne la déclaration de l’Affidavit Mack citée ci-dessus par l’Opposante, le Requérant soutient que cette déclaration a été faite en 2021 et que, quoi qu’il en soit, elle [traduction] « peut être interprétée comme une affirmation selon laquelle, bien que [Sky] n’ait toujours pas commencé à fournir des services d’ajustement au Canada, elle prévoit le faire à l’avenir, et cette intention est corroborée par le fait que [Sky] offre déjà des renseignements et des conseils d’ajustement à ses clients ». Par conséquent, le Requérant soutient que sa preuve n’est pas nettement incompatible avec la revendication d’emploi proposée à la date pertinente.
[58] Autre que la déclaration susmentionnée dans l’Affidavit Mack, il n’y a aucun renseignement sur la nature des [traduction] « renseignements et des conseils » fournis par le Requérant ou Sky. De plus, comme l’a fait remarquer le Requérant, la déclaration de M. Mack selon laquelle Sky fournit ces [traduction] « renseignements et [c]es conseils » est au présent, sans indication quant à la période pendant laquelle Sky aurait fourni ces renseignements et ces conseils. En l’absence de tels renseignements, je ne suis pas disposé à conclure que le Requérant a exécuté les services [traduction] « Services optiques, nommément ajustement de verres de contact, de lunettes et de lunettes de soleil » en liaison avec la Marque, au sens de la Loi, avant la date pertinente. Par conséquent, je ne conclus pas que la preuve est « nettement incompatible » avec les revendications d’emploi projeté énoncées dans la demande ou qu’elle « sème un doute » quant à celles-ci.
[59] Par conséquent, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial à l’égard de ce motif d’opposition. Celui-ci est donc rejeté.
Motif d’opposition : article 30i)
[60] L’Opposante allègue que, contrairement à l’article 30i) de la Loi, à la date de production de la Demande et à toutes les dates pertinentes, le Requérant n’aurait pas pu être convaincu qu’il avait le droit d’employer la Marque au Canada parce que :
[61] Le Requérant connaissait, est réputé connaître ou aurait dû connaître les droits attachés aux Marques de l’Opposante, dont le droit d’auteur appartient à l’Opposante, et l’emploi et l’emploi projeté de la Marque étaient susceptibles de contrevenir à la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, ch C-42;
[62] Le Requérant connaissait, est réputé connaître ou aurait dû connaître les droits et la réputation attachés aux Marques de l’Opposante, qui ont été employées au Canada bien avant la date à laquelle le Requérant a commencé à employer la Marque au Canada, et, de plus, l’emploi de la Marque est donc illégal puisqu’il contrevient ou est susceptible de contrevenir à l’article 7 de la Loi.
[63] La date pertinente pour évaluer ce motif d’opposition en ce qui a trait aux Produits et aux services (1) et (3) est la date de priorité (le 2 avril 2017), et, en ce qui a trait aux services (2), la date pertinente est la date de production de la demande (le 31 août 2017) [SmithKline Beecham, précité]. Toutefois, encore une fois, pour les raisons énoncées ci-dessous, ce motif est rejeté, peu importe laquelle de ces dates pertinentes est prise en compte, puisque l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial.
[64] Selon la jurisprudence, lorsque le requérant a fourni la déclaration exigée, on ne peut conclure à la non-conformité à l’article 30i) de la Loi qu’en présence de circonstances exceptionnelles qui rendent la déclaration du requérant fausse [voir Sapodilla Co Ltd c Bristol-Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), à la p. 155]. Il a déjà été conclu que la simple connaissance de l’existence de la marque de commerce d’un opposant n’appuie pas en soi une allégation selon laquelle le requérant n’aurait pas pu être convaincu de son droit d’employer sa marque [Woot, Inc c Les Restaurants Woot Inc, 2012 COMC 197].
[65] Dans ses observations écrites, l’Opposante affirme que [traduction] « [b]ien que ce motif d’opposition ne soit pas retiré, il ne sera pas poursuivi par l’Opposante dans les présentes observations ». Des observations similaires ont été présentées à l’audience. Je note que l’Opposante n’a fourni aucune preuve de propriété d’un droit d’auteur à l’égard des Marques de l’Opposante ni aucune preuve admissible portant qu’elle avait employé les Marques de l’Opposante au Canada avant les dates pertinentes.
[66] Par conséquent, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial à l’égard de ce motif d’opposition. Celui-ci est donc rejeté.
Motif d’opposition : articles 38(2)c) et 16(1)a)
[67] L’Opposante allègue que, contrairement aux articles 38(2)c) et 16(1)a) de la Loi, à la date de production de la demande, et à toute date pertinente, la Marque créait de la confusion avec les Marques de l’Opposante, employées antérieurement au Canada par l’Opposante. Je note que, puisque l’Opposante n’a invoqué aucun motif d’opposition fondé sur l’article 16(3) de la Loi, les services (3) visés par la demande du Requérant, fondés sur l’emploi projeté au Canada, ne sont pas en litige en ce qui a trait au motif d’opposition fondé sur l’article 38(2)c).
[68] La date pertinente pour évaluer un motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)a) est la date de premier emploi de la marque de commerce revendiquée dans la demande du requérant. Toutefois, dans les situations où la date de premier emploi revendiquée est contestée avec succès en vertu de l’article 30b), la date pertinente devient la date de production de la demande [voir American Cyanamid Co c Record Chemical Co (1972), 6 CPR (2d) 278 (COMC), à la p. 280; Everything for a Dollar Store (Canada) Inc c Dollar Plus Bargain Centre Ltd (1998), 86 CPR (3d) 269 (COMC), à la p. 282]. Quoi qu’il en soit, pour les raisons examinées ci-dessous, ce motif ne peut pas être accueilli, peu importe si la date pertinente était la date de premier emploi revendiquée ou la date de production, puisque l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial.
[69] Afin de s’acquitter de son fardeau initial à l’égard d’un motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)a) de la Loi, l’Opposante doit démontrer que la marque de commerce invoquée à l’appui de ce motif d’opposition a été employée ou révélée avant la ou les dates pertinentes et qu’elle n’avait pas été abandonnée à la date de l’annonce de la demande (le 22 mai 2019) (article 16(5) de la Loi). Étant donné que l’Opposante n’a fourni aucune preuve démontrant que les Marques de l’Opposante ont été employées ou révélées au Canada avant la date de premier emploi revendiquée par le Requérant, la date de production de la demande ou la date de priorité, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial à l’égard de ce motif, qu’elle que soit la date pertinente.
[70] Par conséquent, ce motif est rejeté.
Motif d’opposition : articles 38(2)d) et 2
[71] L’Opposante a également fait valoir que, contrairement aux articles 38(2)d) et 2 de la Loi, la Marque ne distingue pas les Produits ou Services du Requérant des produits et services de l’Opposante, ou n’est pas adaptée pour les distinguer.
[72] La date pertinente pour évaluer un motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif est la date de production de l’opposition (le 22 novembre 2019) [Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc, 2004 CF 1185, au para 25].
[73] L’Opposante doit s’acquitter du fardeau initial d’établir qu’à la date de production de l’opposition, les Marques de l’Opposante étaient connues dans une mesure suffisante pour annuler le caractère distinctif de la Marque visée par la demande [Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657]. Étant donné que l’Opposante n’a produit aucune preuve démontrant la mesure dans laquelle les Marques de l’Opposante étaient devenues connues au Canada à la date pertinente, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial à l’égard de ce motif.
[74] Par conséquent, ce motif est rejeté.
Décision
[75] Compte tenu de ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la demande en ce qui a trait aux Produits. Je rejette l’opposition en ce qui a trait aux Services selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.
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Jean Carrière
Membre
Commission des oppositions des marques de commerce
Office de la propriété intellectuelle du Canada
Traduction certifiée conforme
Anne Laberge, trad. a.
Le français est conforme aux WCAG.
COMPARUTIONS ET AGENTS AU DOSSIER
DATE DE L’AUDIENCE : 2023-01-23
COMPARUTIONS
Pour l’Opposante : Peter Cooke
Pour le Requérant : Reed W. Taubner
AGENTS AU DOSSIER
Pour l’Opposante : Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.
Pour le Requérant : Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.