Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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Office de la propriété intellectuelle du Canada

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

Référence : 2023 COMC 091

Date de la décision : 2023-05-30

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE D’UNE OPPOSITION

Opposante : Zoe International Distributing Inc.

Requérante : Zeal Design Limited

Demande : 1,926,298 pour GREEN JAY

Introduction

[1] Zoe International Distributing Inc. (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce GREEN JAY (la Marque), laquelle est l’objet de la demande d’enregistrement no 1,926,928 (la Demande) présentée par Zeal Design Limited (la Requérante).

[2] La Demande est liée aux produits suivants (les Produits) de la classe 34 de la classification de Nice :

[traduction]

(1) Cendriers; boîtes à cigares; machines à rouler les cigarettes; papier à rouler les cigarettes; porte-briquets à cigarettes; fume-cigarettes électroniques; étuis pour paquet de cigarettes et briquet; boîtes à cigares pourvues d’un humidificateur; boîtes d’allumettes; plateaux à rouler; coffres pour le rangement de cigares; coffres pour le rangement de cigarettes; coffres pour le rangement de tabac; coffres pour le rangement d’herbes; pots à tabac; boîtes à tabac

(2) Étuis à cigares; fume-cigares; allume-cigares; tubes à cigares; étuis à cigarettes; fume-cigarettes; tubes à cigarettes; briquets informatisés pour cigarettes; briquets électroniques pour cigarettes; porte-cigares et porte-cigarettes; briquets pour fumeurs; articles pour fumeurs, nommément contenants de poche en métal avec couvercles pour mégots de cigarettes

(3) Moulins à tabac Tobacco

[3] La Demande revendique l’emploi des Produits au Canada depuis au moins aussi tôt que le mois d’octobre 2017, ainsi que sur l’emploi projeté des Produits (1) et (3). La Demande comprend également une revendication d’emploi et d’enregistrement aux États-Unis à l’égard des Produits (2) et (3).

[4] L’opposition est principalement fondée sur l’allégation que la Marque crée de la confusion avec l’emploi et l’enregistrement antérieurs par l’Opposante de la marque de commerce JAYS en liaison avec les produits, y compris [traduction] « tabac et accessoires de tabac, notamment papier à rouler ».

[5] Pour les raisons qui suivent, la Demande est rejetée puisque la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’il n’y a aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques de commerce des parties.

Le dossier

[6] La Demande a été déposée le 19 octobre 2018, et annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 12 mai 2021.

[7] Le 12 juillet 2021, l’Opposante a produit une déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). L’Opposante soulève les motifs d’opposition fondés sur l’enregistrabilité en vertu de l’article 12(1)d), le droit à l’enregistrement en vertu de l’article 16(1)a), le caractère distinctif en vertu de l’article 2 et la non-conformité avec l’article 38(2)f) de la Loi.

[8] La Requérante a produit une contre-déclaration dans laquelle elle conteste les motifs d’opposition.

[9] À l’appui de son opposition, l’Opposante a produit l’affidavit de Demetr Georganas. Aucun contre-interrogatoire n’a été mené.

[10] La Requérante a choisi de ne pas produire de preuve. Seule l’Opposante a produit des observations écrites et aucune audience n’a été tenue.

[11] Avant d’examiner les allégations avancées dans la déclaration d’opposition, j’examinerai la preuve de l’Opposante, le fardeau de preuve de l’Opposante et du fardeau ultime de la Requérante.

La preuve de l’Opposante

[12] La preuve de l’Opposante se compose de l’affidavit de Demetra Georganas (souscrit le 15 mars 2022), la directrice générale de l’Opposante. Mme Georganas fournit des renseignements sur les activités de l’Opposante ainsi que sur son emploi et la publicité de ses marques de commerce JAYS. Les parties pertinentes de l’affidavit sont énoncées ci-dessous.

Activités de HBI Canada

[13] Mme Georganas explique que l’Opposante exerce ses activités sous le nom de « HBI Canada », et qu’à ce titre, les registres et documents de l’Opposante affichent HBI Canada plutôt que Zoe International Distributing Inc (para 2). Par conséquent, les termes « HBI Canada » et « Opposante » sont utilisés de manière interchangeable dans le présent résumé.

[14] Mme Georgana déclare que depuis plus de deux décennies, HBI Canada fabrique et distribue en gros des produits accessoires pour les marchés de la cigarette [traduction] « à rouler » ou [traduction] « à confectionner » avec des produits comme du papier à rouler, des emballages de chanvre, des embouts à rouler, des machines à rouler, des plateaux à rouler, des briquets, des cendriers, des moulins, de la cigarette électronique, des rangements, des neutralisants d’odeurs, des nettoyants, entre autres (para 4).

[15] Les efforts de commercialisation de HBI Canada se sont concentrés sur la présentation de ses marques aux détaillants d’accessoires de tabac, en mettant l’accent sur les [traduction] « magasins d’accessoires de cannabis », c’est-à-dire les magasins spécialisés dans l’équipement et les accessoires utilisés pour fumer. HBI Canada cible également des détaillants plus généraux, tels que les stations-service et les dépanneurs, pour qu’ils vendent ses produits (para 7). Depuis la légalisation du cannabis au Canada en 2017, le marché spécialisé percé par HBI Canada a connu une croissance exponentielle (para 8).

The JAYS Brand

[16] L’Opposante est propriétaire d’un enregistrement pour la marque de commerce JAYS (LMC664,612) en liaison avec [traduction] « le tabac et les accessoires de tabac, notamment le papier à rouler, les machines à rouler, les cigarettes, les cigares, le tabac à cigarettes, les pipes » (para 9, Pièce A). Mme Georganas affirme qu’au fil des ans, HBI Canada a employé [traduction] « diverses marques de commerce formatives de JAYS » en liaison avec des produits accessoires pour l’industrie du cannabis et du tabac, y compris : JUICY JAYS (premier emploi en 2002), JAVA JAYS (première utilisation en 2003), GI JAYS (premier emploi en 2001), COOL JAYS (premier emploi en 2001), et JAYS ROLLS (premier emploi en 2011) (para 10). Dans l’affidavit Georganas, l’enregistrement de JAYS et les marques formatives de JAYS précédemment mentionnées sont collectivement désignés sous le nom de « marque JAYS » (para 11). Par souci de commodité, j’ai fait de même dans mon résumé de ces éléments de preuve.

L’emploi de JUICY JAYS constitue l’emploi de la marque de commerce déposée JAYS

[17] Mme Georganas affirme que JUICY JAYS est l’une des marques les plus populaires du portefeuille de HBI Canada (para 20). Je note que JUICY JAYS apparaît généralement sur l’étiquetage et l’emballage des produits avec le mot JUICY en grosses lettres colorées et JAY’S en lettres noires plus petites et de taille décroissante, les deux mots étant superposés sur une image de gouttelette. Un symbole ® apparaît systématiquement après le mot JUICY; dans certains cas (comme ci-dessous), il apparaît également après JAY’S :

[18] Je suis d’avis que l’emploi de JUICY JAYS constitue un emploi de la marque déposée JAYS étant donné que le contraste dans la taille et la couleur de JAYS lui permet de rester reconnaissable. Je tire cette conclusion même si la marque JAYS est plus petite que le mot JUICY et le dessin de la gouttelette [pour des conclusions similaires où il a été jugé qu’une marque nominale se démarquait bien qu’elle soit plus petite que le matériau qui l’entoure, voir la décision Epic Aviation, LLC c Imperial Oil Limited, 2020 COMC 103, aux para 17 à 25]. Je considère également que l’inclusion d’une apostrophe dans JAY’S est une variation mineure de la marque de commerce qui lui permet de rester reconnaissable et de conserver son identité [pour une conclusion semblable, voir la décision Labrador II, Inc c Ren’s Feed and Supplies Ltd, 2016 COMC 181, au para 32]. En ce qui concerne l’inclusion du symbole ®, je considère que l’interprétation probable de ce symbole après JUICY est que ce mot particulier serait considéré comme une marque indépendante. Dans la mesure où un symbole ® apparaît également après JAY’S, je suis d’avis qu’il serait probablement interprété par les consommateurs comme une indication que JAY’S est également une marque indépendante. Cela dit, je ne considère pas que l’emplacement du symbole ® soit déterminant pour cette question.

Publicité et promotion de la marque JAYS au Canada

[19] Mme Georganas déclare que l’une des principales formes de commercialisation de HBI Canada est son catalogue de produits, qui est largement distribué plusieurs fois par an aux détaillants partout au Canada. Les détaillants utilisent ces catalogues pour se renseigner sur les divers produits offerts par HBI Canada et pour commander des marques spécifiques qu’ils vendent ensuite dans leurs magasins ou en ligne. En 2002, des copies papier du catalogue de HBI Canada ont été envoyées à environ 85 détaillants dans tout le pays; en 2021, ce nombre est passé à environ 2 350. Tous les catalogues, qui sont souvent accompagnés de brochures supplémentaires ou des documents de marketing, font la publicité et la promotion des produits accessoires utilisés en liaison avec la marque JAYS par HBI Canada (para 13). Les Pièces Ab-Azzn de l’affidavit Georganas contiennent des copies de catalogues distribués par HBI Canada de 2002 à 2021. Je note qu’il y a une divergence dans l’étiquetage de ces pièces puisque Mme Georganas indique qu’elles sont contenues dans la Pièce B (qui ne contient qu’une partie du catalogue de 2002). Comme il s’agit simplement d’une erreur d’étiquetage commise par inadvertance, je ne vois pas ce que cela implique dans le cadre de la présente procédure.

[20] HBI participe à des salons professionnels destinés aux membres de l’industrie (détaillants et autres distributeurs) et aux consommateurs, et assure la promotion et la commercialisation de la marque JAYS à tous les salons professionnels auxquels elle participe. HBI Canada fait également la promotion, la publicité et la vente de plusieurs de ses produits, y compris les produits de la marque JAYS, sur son site Web hbicanada.com (le site Web de l’Opposante), bien que Mme Georganas note que l’accès en ligne aux renseignements sur les prix et aux bulletins d’information affichés sur le site Web est réservé aux détaillants qui détiennent un compte de vente en gros. Le catalogue annuel de HBI Canada est disponible pour les détaillants sur le site Web de l’Opposante depuis 2001 (para 15).

[21] Mme Georganas déclare qu’en 2020, les dépenses annuelles associées aux activités de marketing et de promotion de HBI Canada pour ses marques, y compris la marque JAYS, s’élevaient à environ 330 000 $. Ce montant couvrait la préparation et la distribution du catalogue, les articles promotionnels destinés aux détaillants, la participation à des salons professionnels, les salaires et avantages de deux « ambassadeurs de la marque » employés par HBI Canada pour veiller à ce que les détaillants soient bien soutenus par HBI Canada dans leurs activités, ainsi que divers coûts de marketing (para 16).

Emploi de la marque JAYS sur l’emballage des produits et sur les produits

[22] Mme Georganas affirme que HBI Canada a employé la marque JAYS sur l’emballage des produits et le matériel connexe pour permettre aux détaillants et aux consommateurs de distinguer les produits de la marque JAY des autres produits, et que la marque JAYS était, et est toujours, bien en vue sur les produits vendus au Canada par HBI Canada (para 17). À l’appui, Mme Georganas renvoie à des pages spécifiques des catalogues de HBI de 2002 à 2021 montrant des produits arborant la marque JAYS. Mme Georganas affirme que les images des produits figurant dans les catalogues représentent fidèlement l’étiquetage, le marquage et/ou l’emballage utilisés pour les produits respectifs vendus au Canada par HBI Canada. En particulier, je note que des images d’emballages de papier à rouler affichant la marque JUICY JAYS (conformes à la représentation figurant au paragraphe 17 ci-dessus) sont fournies pour chaque année entre 2005 et 2021 (para 18, Pièces Ab à Azzn).

[23] La Pièce C est décrite comme des imprimés provenant du site Web de HBI Canada et montrant les papiers à rouler, les bâtonnets d’encens, les cônes préroulés et les plateaux à rouler actuels de JUICY JAYS. Mme Georganas note que dans le cas du papier à rouler, des bâtons d’encens et des cônes préroulés, la marque déposée JAYS figure sur la boîte contenant les paquets emballés individuellement (qui est exposée sur les étagères des magasins de détail) ainsi que sur les paquets emballés individuellement (qui sont vendus individuellement par les détaillants aux consommateurs). La Pièce D est décrite comme des exemples représentatifs de l’étiquetage et/ou de l’emballage utilisés par HBI Canada pour les produits vendus au Canada, y compris les produits JUICY JAYS (para 21). Je note que l’étiquetage et l’emballage affichant la marque de commerce JUICY JAYS sont conformes à la description figurant au paragraphe 17 ci-dessus.

Ventes de produits de la marque JAYS au Canada

[24] Mme Georganas déclare qu’au cours des deux dernières décennies, HBI Canada a vendu et distribué plus de 900 000 unités en gros de produits de marque JAYS, ce qui équivaut à plus de 20 millions d’emballages au détail distribués et disponibles pour la consommation par les consommateurs sur le marché canadien. Mme Georganas estime qu’à un prix de vente moyen de 20 $ par unité de vente en gros, cela se traduit par des ventes d’environ 18 millions de dollars de produits de la marque JAYS par HBI Canada sur le marché canadien depuis 1999 (para 24).

Produits des parties disponibles à la vente chez les mêmes détaillants

[25] Mme Georganas affirme que les vendeurs de produits accessoires pour l’industrie du cannabis et du tabac sont non seulement très susceptibles de vendre les produits de la Requérante et de HBI Canada, mais qu’ils l’ont effectivement fait (para 29). À l’appui, les Pièces I à O comprennent des captures d’écran des sites Web de quatre détaillants tiers présentant à la fois le papier à rouler JUICY JAYS de l’Opposante et divers produits GREEN JAY de la Requérante, en particulier des tubes préroulés à support unique et des briquets électroniques.

[26] Bien que les extraits de sites Web de tiers soient généralement considérés comme des ouï-dire et ne puissent être considérés comme des preuves de la véracité de leur contenu, je suis disposée à leur accorder un certain poids pour montrer qu’il existe un potentiel de chevauchement dans les voies de commercialisation, en particulier en l’absence de preuves de la part de la Requérante.

Fardeau de preuve et fardeau ultime

[27] C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demande est conforme aux exigences de la Loi. Cela signifie que s’il est impossible d’arriver à une conclusion définitive en faveur de la Requérante après avoir examiné l’ensemble de la preuve, le litige doit être tranché à l’encontre de la Requérante. Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [John Labatt Limited c The Molson Companies Limited (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la p 298].

Analyse des motifs d’opposition

Motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d)

[28] L’Opposante plaide que la Marque n’est pas enregistrable, puisque, en contravention à l’article 12(1)d), la Marque crée de la confusion avec l’enregistrement de l’Opposante no LMC664,612 pour la marque de commerce JAYS. La date pertinente pour examiner ce motif d’opposition est la date de ma décision [Park Avenue Furniture Corporation c Wickes/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)].

[29] J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire de consulter le registre et je confirme que l’enregistrement est en vigueur à la date de cette décision. Par conséquent, l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial à l’égard de ce motif. Cependant, je note que l’enregistrement a fait l’objet d’une procédure en vertu de l’article 45 de la Loi. Dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45, selon la décision du registraire en date du 30 mars 2023, celui-ci a conclu que l’enregistrement devait être modifié afin d’inclure seulement les produits [traduction] « le tabac et les accessoires de tabac, notamment les papiers à rouler » [Wises Professional Corporation et ZOE International Distributing Inc., 2023 COMC 60].

[30] La période pour interjeter appel de la décision du 30 mars 2023 du registraire n’est pas écoulée; par conséquent, la décision n’a pas pris effet. Par conséquent, aux fins de la présente procédure d’opposition, je tiens compte de l’enregistrement no LMC664,612 de l’Opposante dans sa version actuelle en liaison avec l’ensemble complet de produits, notamment [traduction] « Tabac et accessoires du tabac, notamment papier à rouler, machines à rouler, cigarettes, cigares, tabac à cigarettes, pipes », plutôt que la version modifiée établie dans la décision du 30 mars 2023 du registraire.

Test en matière de confusion

[31] En déterminant si deux marques de commerce créent de la confusion, toutes les circonstances de l’espèce doivent être considérées, y compris celles énoncées à l’article 6(5) de la Loi : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; le genre de produits, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce, y compris dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Ces critères ne sont pas exhaustifs et un poids différent sera accordé à chacun dans le cadre d’une évaluation contextuelle [Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 (CSC) au para 54; Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 49 CPR (4th) 401]. Je cite également Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, 92 CPR (4th) 361, au para 49, où la Cour suprême du Canada déclare que l’article 6(5)e), la ressemblance entre les marques, sera souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion.

[32] Le test en matière de confusion est évalué comme une question de la première impression dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé à la vue de la marque du requérant, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce de l’opposante et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques [Veuve Clicquot, précité, au para 20]. De plus, lorsqu’il est probable que le public présumera que les produits ou les services du requérant sont approuvés, autorisés ou appuyés par l’opposant, de sorte qu’il existe un état de doute et d’incertitude dans l’esprit de la clientèle, il s’ensuit que les marques de commerce créent de la confusion [voir Glen-Warren Productions Ltd c Gertex Hosiery Ltd (1990), 29 CPR (3d) 7 (CF 1re inst), au para 21].

Caractère distinctif inhérent des marques de commerce et mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[33] Aucune des parties n’a présenté d’éléments de preuve ou d’observations concernant la signification des mots composant les marques de commerce en question. Toutefois, le registraire peut prendre connaissance des définitions des dictionnaires [Tradall SA c Devil’s Martini Inc, 2011 COMC 65 (COMC) au para 29] et je l’ai fait en l’espèce en consultant les dictionnaires en ligne Merriam-Webster (à l’adresse www.merriam-webster.com) et dictionary.com.

[34] Bien que le mot JAY, en tant que substantif, ait plus d’un sens, dans la mesure où les produits des parties couvrent généralement des produits ou des accessoires pour fumer, le sens le plus dominant serait l’argot pour [traduction] « une cigarette de marijuana ». D’après mon examen de l’affidavit Georganas, je comprends que le papier à rouler de l’Opposante pourrait également être utilisé pour rouler des cigarettes de marijuana. Par exemple, l’affidavit Georganas fait référence à la vente et à la distribution par l’Opposante de cannabis et de produits du tabac en liaison avec la marque JAYS (para 10 et 12). En outre, bien que cela ne soit pas déterminant (compte tenu des questions de ouï-dire), le papier à rouler aromatisé JUICY JAYS de l’Opposante et le produit de la Requérante (tube préroulé à support de marque GREEN JAY) sont présentés sur le site Web de l’Ontario Cannabis Store (Pièce I). Par conséquent, la marque de l’Opposante a un caractère distinctif inhérent solide.

[35] En ce qui a trait à la Marque de la Requérante, son caractère distinctif est pareillement limité. Je n’estime pas que l’inclusion du préfixe GREEN influence considérablement le caractère distinctif inhérent de la Marque compte tenu de la nature descriptive de ce mot. Au mieux, la Marque de la Requérante n’est que légèrement plus distinctive que la marque de l’Opposante.

[36] Il est possible de renforcer une marque de commerce en faisant en sorte qu’elle devienne connue par sa promotion ou son emploi. L’affidavit Georganas indique que la marque de commerce de l’Opposante (comme indiqué au paragraphe 17) a été employée de manière continue en liaison avec du papier à rouler depuis 2005. Bien que l’Opposante n’ait pas fourni d’échantillons réels d’emballages de produits, elle a néanmoins fourni, par le biais de ses catalogues de produits, des exemples représentatifs de la manière dont la marque est apparue sur les emballages de papier à rouler de l’Opposante chaque année depuis 2005. En outre, bien que les ventes annuelles correspondant spécifiquement aux produits JUICY JAYS n’aient pas été fournies, Mme Georganas a mentionné des ventes d’environ 18 millions de dollars de produits de marque JAYS (qui incluraient JUICY JAYS) au cours des deux dernières décennies. Les dépenses de commercialisation ont également été mentionnées dans l’affidavit Georganas, bien qu’elles ne soient pas ventilées en fonction des marques ou des produits spécifiques de JAYS. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, je suis disposée à conclure que la marque de commerce de l’Opposante est devenue connue, en liaison avec du papier à rouler, au moins dans une certaine mesure minime au Canada.

[37] En ce qui concerne la Marque, la Requérante n’a fourni aucune preuve établissant qu’elle est devenue connue dans une certaine mesure en liaison avec les produits.

[38] En général, compte tenu du caractère distinctif acquis plus important de la marque de commerce de l’Opposante au Canada, j’estime que ce facteur, lequel est une combinaison du caractère distinctif inhérent et acquis, favorise l’Opposante.

Période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[39] L’inclusion du papier à rouler JUICY JAYS dans les catalogues annuels de HBI Canada (dans le format susmentionné) depuis 2005 indique que la marque de commerce JAYS de l’Opposante a été employée en liaison avec du papier à rouler par l’Opposante depuis au moins cette date. En revanche, la Requérante n’a produit aucune preuve établissant qu’elle a employé la Marque en liaison avec les Produits (2) (la Demande comprend une revendication d’emploi depuis octobre 2017 pour ces produits) ou qu’elle a commencé à employer la Marque en liaison avec les Produits (1) et (3) (à l’égard desquels la Demande revendique l’emploi projeté).

[40] Dans l’arrêt Pink Panther Beauty Corp c United Artists Corp, 1998 CanLII 9052 (CAF), [1998] 3 CF 534 (CAF), la Cour d’appel fédérale confirme que la période pendant laquelle une marque de commerce a été en emploi est un facteur auquel il faut accorder du poids lors de l’évaluation de la confusion :

[traduction]

La période pendant laquelle une marque a été en usage est manifestement un facteur susceptible de faire naître la confusion chez le consommateur quant à l’origine des marchandises ou des services. Par rapport à une marque qui fait son apparition, une marque qui est employée depuis longtemps est présumée avoir fait une certaine impression à laquelle il faut accorder un certain poids. Il est important de se rappeler que le terme « emploi » est défini par la Loi et qu’il a donc un sens particulier.

[41] Par conséquent, ce facteur favorise l’Opposante.

Genre des produits, services ou entreprises, et nature du commerce

[42] C’est l’état déclaratif des produits de la Requérante, tel que fourni dans la Demande, comparativement à l’état déclaratif des produits dans l’enregistrement de l’Opposante (à la date de ma décision) qui gouverne ma décision concernant ce facteur.

[43] Il y a un chevauchement direct entre les produits [traduction] « tabac et accessoires de tabac, notamment le papier à rouler et les machines à rouler » de l’Opposante et le [traduction] « papier à rouler les cigarettes » et les [traduction] « machines à rouler les cigarettes » de la Requérante. Il existe également un lien entre les autres Produits de la Requérante et les produits de l’Opposante dans la mesure où il s’agit de produits ou d’accessoires pour fumer.

[44] Compte tenu du chevauchement entre les produits des parties, et en l’absence de toute preuve ou de tout argument contraire de la part de la Requérante, j’estime qu’il existe la possibilité de chevauchement dans les voies de commercialisation des parties. Les extraits de sites Web de tiers présentant les produits des deux parties, même s’ils ne sont pas déterminants, appuient également cette conclusion. Si j’ai tort d’inclure ce site Web dans mon analyse, je note que le fait de le retirer de cette analyse n’affecterait pas ma conclusion sur ce facteur ni ma conclusion globale sur la probabilité de confusion.

[45] En conséquence, ces facteurs favorisent l’Opposante.

Degré de ressemblance

[46] Lorsqu’on examine le degré de ressemblance, il est préférable de commencer par se demander s’il y a un aspect de la marque de commerce qui est particulièrement frappant ou unique [Masterpiece, précité, au para 64].

[47] L’élément frappant de la marque de commerce de l’Opposante, en fait son seul élément, est le mot JAYS.

[48] En ce qui concerne la Marque de la Requérante, je considère que l’élément frappant de la Marque est le mot JAY.

[49] J’estime qu’il y a un degré important de ressemblance entre les marques des parties. La Marque de la Requérante reprend effectivement l’intégralité de la marque de l’Opposante (à l’exception de la lettre S) et y ajoute le mot GREEN comme préfixe. Bien que, dans certaines circonstances, la première composante d’une marque de commerce soit considérée comme la plus importante, je suis d’avis que ce n’est pas le cas en l’espèce, car le mot GREEN serait probablement considéré comme ayant une signification descriptive, ce qui atténuerait son incidence sur la Marque. Bien qu’il y ait quelques différences entre les marques de commerce dans la présentation, le son et les idées suggérées, si l’on considère l’ensemble, les ressemblances l’emportent sur les différences. Par conséquent, ce facteur favorise l’Opposante.

Conclusion concernant le motif fondé sur l’article 12(1)d)

[50] Pour parvenir à ma conclusion dans cette affaire, je m’en voudrais de ne pas mentionner la décision dans l’affaire San Miguel Brewing International Limited c Molson Canada 2005, 2013 CF 156, infirmant la décision 2012 COMC 65. Dans cette décision, la Cour a infirmé la conclusion du registraire (agissant par l’intermédiaire du membre Bradbury) selon laquelle il existait une probabilité raisonnable de confusion entre la marque de commerce RED HORSE & Design et la marque de commerce BLACK HORSE, toutes deux essentiellement en liaison avec de la « bière ». Ce faisant, la Cour a formulé les observations suivantes [au para 40] :

[traduction]

La Commission n’a pas considéré que ce qu’elle faisait consistait, en fait, à accorder à Molson le monopole d’une marque de commerce sur le mot HORSE de n’importe quelle couleur (verte, dorée, brune, bleue, etc.) en liaison avec de la « bière ». L’étendue de ce monopole est déraisonnable […]

[51] Dans la décision San Miguel, la Cour a tenu compte du fait que le consommateur pertinent (c’est-à-dire le consommateur de bière) est sensible aux noms des marques de bière, ainsi qu’à ce qu’il connaît et apprécie, et que le critère en matière de confusion est fondé sur le consommateur – buveur – et non sur ce qui pourrait être une fiction juridique du ou de la partenaire de vie non-buveur à qui l’on demande d’aller en acheter [para 33]. La Cour a également renvoyé à la décision antérieure dans Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd c Anheuser-Busch (1982) 68 CPR (2d) 1 (CF 1re inst), aux p 20 et 21, dans laquelle le juge Walsh a fait observer que les buveurs réguliers de bière seront fidèles à leur marque favorite. Dans San Miguel, la Cour a conclu qu’un coup d’œil aux étiquettes des parties suffit pour dissiper toute idée de confusion entre la marque RED HORSE (avec juste une tête de cheval) et la marque BLACK HORSE (avec un cheval vu de profil).

[52] Notamment, dans San Miguel, il y avait une preuve concernant l’état du registre, ainsi qu’une preuve de l’état du marché (listes provinciales de magasins d’alcool et déclarations sous serment d’un déposant) à l’égard des marques « horse », dont certaines étaient composées d’une couleur ou d’un autre descripteur en combinaison avec le mot « horse ».

[53] Je tiens compte des observations de la Cour dans San Miguel et je reconnais que les consommateurs doivent se voir accorder un certain mérite pour leur intelligence ou leurs connaissances.

[54] Cependant, après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, je conclus que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime de démontrer qu’il n’y a aucune probabilité raisonnable de confusion entre les marques de commerce des parties. J’arrive à cette conclusion particulièrement à la lumière du degré de ressemblance entre les marques de commerce des parties, de la période d’emploi de la marque de commerce de l’Opposante, du chevauchement ou de la ressemblance entre les produits des parties et de la possibilité de chevauchement dans leurs voies de commercialisation. Il s’agit toutefois d’une affaire limitée et son résultat n’a pas été étayé par le fait que la Requérante, à qui incombe le fardeau ultime dans le cadre de la procédure, n’a présenté aucune preuve ni aucun argument à l’appui de sa Demande.

[55] Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d) est accueilli.

Motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)a)

[56] L’Opposante a soutenu que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car, à la date de production de la Demande soit le 19 octobre 2018, la Marque créait de la confusion avec l’emploi antérieur des marques de commerce JAYS de l’Opposante (en liaison avec les produits visés par l’enregistrement de l’Opposante indiqués ci-dessus) et JUICY JAYS en liaison avec le tabac et les accessoires de tabac, notamment le papier à rouler, les machines à rouler et les cigares, depuis au moins 2002.

[57] L’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial, à l’égard de ce motif d’opposition, au moyen de sa preuve démontrant l’emploi de sa marque de commerce JAYS, comme il est indiqué ci-dessus, depuis avant la date pertinente pour ce motif d’opposition [voir l’article 16(1)a) qui indique que la date pertinente est la date de production de la demande ou la date de premier emploi de la marque de commerce au Canada, selon la première de ces éventualités].

[58] À mon avis, la date pertinente antérieure pour ce motif d’opposition ne modifie pas de façon importante l’analyse relative à la confusion significative présentée ci-dessus pour le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d). Par conséquent, la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime de démontrer qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion à la date pertinente pour ce motif d’absence de droit à l’enregistrement, et le motif d’opposition fondé sur l’article 16(3)a) est également accueilli.

Autres motifs d’opposition

[59] Puisque deux motifs d’opposition de l’Opposante ont déjà été accueillis, il n’est pas nécessaire d’aborder les autres motifs d’opposition.

Décision

[60] Compte tenu de ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la demande d’enregistrement selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

__________________

Jennifer Galeano

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Hortense Ngo

Le français est conforme aux WCAG.


Comparutions et agents inscrits au dossier

DATE DE L’AUDIENCE : Aucune audience tenue

AGENTS AU DOSSIER

Pour l’Opposante : DLA PIPER (CANADA) LLP

Pour la Requérante : SMART & BIGGAR LP

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