Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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Office de la propriété intellectuelle du Canada

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

Référence : 2023 COMC 110

Date de la décision : 2023-06-30

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

Opposante : Navsun Holdings Ltd

Requérante : Sadhu Singh Hamdard Trust

Demande : 1,847,983 pour AJIT WEB TV

Introduction

[1] Sadhu Singh Hamdard Trust (la Requérante) a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce AJIT WEB TV (la Marque) en liaison avec les services suivants (les Services) sur la base de son emploi au Canada depuis le 10 janvier 2014 au moins.

[traduction]

Classe 38 – (1) Télédiffusion, programmation télévisuelle et télédiffusion par transmission par vidéo à la demande.

[2] La demande d’enregistrement de la Marque a été contestée par Navsun Holdings Ltd (l’Opposante) en raison de l’emploi de sa marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY, représentée ci-dessous en liaison avec un journal, un site Web proposant des nouvelles et des divertissements, ainsi que des programmes télévisés et radiophoniques.

 

[3] Les parties ont été engagées dans un certain nombre de procédures devant le registraire, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale concernant principalement l’emploi de la marque de commerce AJIT en liaison avec deux journaux de langue punjabi au Canada, à savoir le Ajit Weekly, un journal hebdomadaire canadien gratuit publié par l’Opposante et le Daily Ajit, un journal indien publié par la Requérante.

[4] En l’espèce, l’Opposante apporte la preuve de l’emploi d’une marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY, sur son site Internet et dans son journal distribué au Canada. Contrairement aux instances antérieures portées devant la Cour fédérale et le registraire, la preuve produite par la Requérante n’a trait qu’à l’emploi de la Marque sur sa chaîne YouTube et à des données statistiques montrant que la fréquentation de ce site Web est importante au Canada.

[5] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande en raison du fait que la Requérante n’a pas démontré qu’elle est la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque, ni que la marque présente un caractère distinctif.

Contexte

[6] La demande a été produite le 18 juillet 2017 et annoncée aux fins d’opposition dans le numéro du Journal des marques de commerce du 12 février 2020. L’Opposante s’est opposée à la demande le 31 août 2020, en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi).

[7] Les motifs d’opposition sont les suivants :

i. le journal Ajit Weekly, en format papier et en format électronique;

ii. ajitweekly.com, un site Web qui propose des nouvelles et des services de divertissement;

iii. Ajit Broadcasting Corporation et ABC Radio, des services radiophoniques et audio qui proposent des nouvelles et des divertissements;

iv. Ajit Television Network et Ajit Weekly presents Darshan TV, des services de télévision qui proposent des nouvelles et des divertissements;

v. la confusion admise avec la Marque de l’Opposante qui existait à la date réelle de premier emploi de la Marque par la Requérante en liaison avec les Services.

[8] L’Opposante a produit à titre de preuve l’affidavit de Kanwar (Sunny) Bains, l’un de ses actionnaires et directeurs. La Requérante a produit à titre de preuve l’affidavit de Sukhvinder Singh, responsable du marketing pour le journal Ajit publié par la Requérante. Les deux parties ont produit des observations écrites et participé à une audience.

Fardeau de preuve et fardeau ultime

[9] Avant d’examiner les motifs d’opposition, j’estime nécessaire de rappeler certaines exigences techniques en ce qui a trait i) au fardeau de preuve dont doit s’acquitter un opposant, soit celui d’étayer les allégations dans la déclaration d’opposition, et ii) au fardeau ultime qui incombe à un requérant de prouver sa cause.

[10] En ce qui a trait au point i) ci-dessus, l’opposant a le fardeau de preuve d’appuyer les faits sur lesquels il appuie ses allégations formulées dans la déclaration d’opposition : John Labatt Limited c The Molson Companies Limited, 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la p 298. Le fait qu’un fardeau de preuve soit imposé à l’opposant signifie que, pour qu’il soit tenu compte d’une question précise, il doit y avoir une preuve suffisante qui permette de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question. Quant au point ii) mentionné ci-dessus, c’est au requérant qu’incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d’enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi invoquées par un opposant (en ce qui a trait aux allégations pour lesquelles l’opposant s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait). Le fait que le fardeau ultime incombe au requérant signifie que, s’il est impossible de parvenir à une conclusion déterminante une fois que toute la preuve est présentée, la question doit être tranchée à l’encontre du requérant.

Question préliminaire : portée de la déclaration d’opposition

[11] En l’espèce, l’Opposante a, dans ses arguments écrits, produit des preuves ayant trait à plusieurs marques de commerce formées du mot AJIT et y a renvoyé. La Requérante soutient que seule l’emploi du logo AJIT WEEKLY a été invoquée dans la déclaration d’opposition et que, de ce fait, l’Opposante ne peut se prévaloir d’aucune autre marque de commerce.

[12] La déclaration d’opposition est précise en ce qu’il n’y est fait référence qu’à une seule marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY, à l’appui du motif de confusion fondé sur l’article 16(1)a). En ce qui concerne ce motif d’opposition, sa portée a été clairement définie. Il est donc inopportun de considérer que l’acte de procédure a été élargi en raison de la preuve; si l’Opposante souhaitait élargir cet acte de procédure pour y inclure d’autres marques de commerce, elle aurait dû demander l’autorisation de produire une déclaration d’opposition modifiée.

[13] Je parviens à une conclusion différente en ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’article 2, car ce motif d’opposition fait l’objet de deux paragraphes dans la déclaration d’opposition, dont un qui ne limite pas l’Opposante à une ou plusieurs marques de commerce en particulier :

[traduction]

Aux termes de l’article 38(2)d), la marque de commerce ne présente pas de caractère distinctif au sens de l’article 2, étant donné que la marque de commerce ne distingue pas réellement les produits et services de la Requérante des produits et services similaires d’autres personnes, et qu’elle n’est pas adaptée pour les distinguer.

 

Question préliminaire : décisions antérieures concernant les parties

[14] Dans leurs observations écrites et à l’audience, les parties renvoient aux décisions du registraire, de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale concernant l’emploi par les parties de leurs marques de commerce AJIT respectives. Bien que je renvoie à ces décisions tout au long de ma décision, les conclusions et les constatations qu’elles contiennent ne me lient pas dans la mesure où la preuve diffère de celle qui m’a été présentée [Vibe Ventures LLC c CTV Limited, 2010 COMC 166, aux paras 59-60]. Si M. Bains joint à son affidavit les décisions rendues jusqu’au moment où il a prêté serment, ces pièces ne sont que des preuves des décisions elles-mêmes, et non des faits qui y sont cités.

Question préliminaire : premier emploi d’une marque de commerce

[15] La Requérante soutient dans ses arguments écrits au paragraphe 51 que la question de savoir qui a employé la marque de commerce AJIT au Canada en premier est importante :

[traduction]

[16] Premièrement, aucun élément de preuve en l’espèce ne me permet de conclure que la Requérante a été la première à employer la marque de commerce AJIT au Canada en liaison avec des journaux et la diffusion de nouvelles, d’informations et de divertissements. Même si je le pouvais, la marque de commerce en cause en l’espèce est AJIT WEB TV et le fait de savoir qui a employé la marque de commerce AJIT en premier, compte tenu des emplois concurrents, ne serait pas déterminant pour savoir si la Requérante avait le droit d’enregistrer la marque de commerce AJIT WEB TV, ni pour déterminer son caractère distinctif. Bien que limités au caractère distinctif, les observations de la Cour d’appel fédérale confirmant la décision 2015 COMC 214 sont également instructives [Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 10] :

[15] Les questions de savoir si l’appelante était ou non la première à utiliser la marque au Canada et si l’emploi subséquent par l’intimée constituait une contrefaçon ne sont d’aucune importance lorsque, comme en l’espèce, les parties utilisent la marque concurremment depuis plus d’une décennie, et que, pendant cette période, l’intimée a su acquérir une notoriété liée à sa marque au Canada suffisante pour que soit annulé le caractère distinctif de la marque de l’appelante. Comme le souligne la Cour dans l’arrêt Farside Clothing Ltd. c Caricline Ventures Ltd., 2002 CAF 446, au paragraphe 9 [Farside Clothing], l’emploi antérieur constituant une contrefaçon peut faire perdre à une marque son caractère distinctif, la portée d’une telle érosion demeurant une question de fait à considérer dans chaque cas. En cas de poursuite pour commercialisation trompeuse, une partie peut invoquer le présumé emploi constituant une contrefaçon pour contester le caractère distinctif.

[16] Il incombe à un commerçant de protéger le caractère distinctif de sa marque, même en cas de contrefaçon (voir Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 26, [2006] 1 R.C.S. 772; Suzanne’s aux paragraphes 6 et 7; Farside Clothing au paragraphe 9). Les nouveaux éléments de preuve concernant le lectorat du journal de l’appelante ne peuvent rien y changer. Il appartenait à l’appelante de prendre des mesures suffisantes pour protéger ses droits à la marque contestée, ce qu’elle n’a pas fait.

Motifs d’opposition

Motif d’opposition fondé sur l’article 16

[17] L’Opposante fait valoir que la Marque prête à confusion avec l’emploi de sa marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY, en liaison avec un journal (en format papier et en format électronique), un site Web qui propose des nouvelles et des divertissements, des services radiophoniques et audio et des services de télévision, tel que précisé au paragraphe 7b) de la présente décision.

[18] La date pertinente est le 10 janvier 2014 puisque la Requérante a démontré l’emploi de la Marque à partir de cette date sur sa chaîne YouTube qui a été visionnée au Canada (article 16(1)a) de la Loi, affidavit Singh, aux paras 6-8, pièces B-C).

L’Opposante s’acquitte de son fardeau de preuve

[19] L’Opposante s’acquitte de son fardeau de preuve en démontrant l’emploi de sa marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY, en liaison avec un journal (en format papier et en format électronique) et un site Web qui propose des nouvelles et des divertissements avant le 10 janvier 2014 (affidavit de Bains, aux paras 33, 37, pièce 28).

[20] L’Opposante ne s’acquitte pas de son fardeau de preuve en ce qui concerne les services de télévision car rien ne démontre qu’elle a commencé à employer le logo AJIT WEEKLY en liaison avec de tels services avant la date pertinente (affidavit de Bains, aux paras 40-42). L’Opposante ne s’acquitte pas non plus de son fardeau de preuve en ce qui concerne les services radiophoniques car aucune preuve ne démontre que ces services ont été offerts en liaison avec cette marque de commerce (le logo AJIT WEEKLY) (affidavit de Bains, au para 36).

Test en matière de confusion

[21] Le test à appliquer pour trancher la question de la confusion est énoncé à l’article 6(2) de la Loi, qui prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice.

[22] Par conséquent, l’article 6(2) de la Loi ne concerne pas la confusion entre les marques de commerce elles-mêmes, mais celle entre des produits ou services d’une source qui sont considérés comme provenant d’une autre source. La question essentielle en l’espèce est de savoir si un consommateur, ayant un souvenir imparfait de la marque de commerce de l’Opposante, le logo AJI WEEKLY, penserait que les services de télévision AJIT WEB de la Requérante émanent de l’Opposante, sont commandités par elle ou sont approuvés par elle.

[23] Dans l’application du test en matière de confusion, je dois tenir compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, y compris celles énumérées à l’article 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Ces critères ne sont pas exhaustifs et un poids différent sera accordé à chacun d’entre eux dans le cadre d’une évaluation spécifique au contexte [Veuve Cliquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23]]. Je cite également Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 où la Cour suprême du Canada déclare, au para 49, que l’article 6(5)e), la ressemblance entre les marques de commerce, est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion.

Caractère distinctif inhérent

[24] Les marques de commerce des parties présentent un caractère distinctif inhérent dans la mesure où le mot AJIT, qui est un mot punjabi signifiant [traduction] « invaincu » ou [traduction] « invincible », n’a pas de signification en soi en liaison avec les produits et les services des parties. Cela étant dit, le fait qu’AJIT soit un prénom ou un nom et qu’il ait une signification historique (voir l’affidavit de Bains, pièces 12-13; 19-20) réduit quelque peu le caractère distinctif inhérent de cet élément [pour une conclusion similaire, voir Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2021 CF 602 au para 54]. Si le dessin de la marque de commerce de l’Opposante lui confère un certain degré de caractère distinctif, les mots WEEKLY et WEB TV n’ajoutent aucun caractère distinctif inhérent aux marques de commerce respectives des parties, car ils sont descriptifs des produits et services qui y sont liés.

Période d’emploi et mesure dans laquelle la marque est devenue connue

[25] La mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues et leur durée d’emploi favorisent l’Opposante puisque la preuve d’emploi la plus ancienne de la Requérante remonte à la date pertinente. La preuve de l’Opposante indique que son logo AJIT WEEKLY (ou une variante antérieure de cette marque de commerce) est apparu sur son journal AJIT WEEKLY dont le tirage est supérieur à 5 000 exemplaires à Toronto et à Vancouver (affidavit de Bains, paras 30, 44; pièces 22 à 23; 33 à 34). Sur le site Web de l’Opposante apparaît le logo de sa marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY, et sont publiées sur celui-ci des versions électroniques du journal Ajit Weekly ainsi que d’autres services d’information, de divertissement et de communication destinés à la communauté punjabi depuis 2011 au moins (para 37; affidavit de Bains, pièces 28 et 29).

Nature des produits et des services et nature du commerce et de l’entreprise

[26] Il y a un chevauchement direct entre les Services et les produits et services de l’Opposante. Les services sont décrits sur la chaîne YouTube de la Requérante comme « The Official Ajit Web TV Channel for Daily Ajit Newspaper » [La chaîne de télévision officielle d’Ajit Web pour le journal quotidien Ajit] et « News Bulletin » [Bulletin de nouvelles] étiqueté sur les vidéos (affidavit de Singh, pièces A et B). L’Opposante a apporté la preuve qu’elle propose des journaux et un site Web qui reprend les versions électroniques du journal Ajit Weekly, ainsi qu’une gamme d’autres services d’information, de divertissement et de communication destinés à la communauté punjabi (affidavit de Bains, para 33, pièce 28). La différence précise dans la manière dont les nouvelles sont fournies n’est pas suffisante pour que la nature des produits, des services, du commerce et de l’entreprise diffère.

Degré de ressemblance

[27] Le degré de ressemblance entre les marques dans l’apparence, la sonorité et les idées suggérées doit être pris en considération. Cependant, il faut éviter de placer les marques de commerce côte à côte dans le but de les examiner attentivement et d’en relever les similitudes ou les différences; chaque marque de commerce doit être considérée dans son ensemble [Veuve Clicquot, précité].

[28] Dans Masterpiece, la Cour suprême du Canada a déclaré que la meilleure façon d’évaluer le degré de ressemblance consiste à se demander d’abord si un aspect de la marque de commerce est particulièrement frappant ou unique [para 64].

[29] En l’espèce, l’élément le plus frappant de chaque marque de commerce est le mot AJIT. Je ne trouve pas que les syntagmes WEEKLY et WEB TV diminuent le degré de ressemblance entre les marques de commerce des parties dans l’apparence, le son ou les idées suggérées parce que ces éléments sont suggestifs, sinon descriptifs, des services des parties [Reno-Dépôt Inc c Homer TLC Inc (2009), 84 CPR (4th) 58 (COMC) au para 58]. Bien que le dessin du logo donne une apparence quelque peu différente de la marque de commerce, il n’a pas d’incidence sur les idées suggérées par les marques de commerce, ni sur la similitude sur le plan de la sonorité. Au vu de ce qui précède, j’estime qu’il existe un degré important de ressemblance entre les marques de commerce des parties.

Circonstances de l’espèce : confusion admise

[30] Dans sa déclaration d’opposition, l’Opposante allègue ce qui suit :

[traduction]

La Requérante a admis dans le dossier judiciaire no T-1127-10 que l’emploi par l’Opposant de [son] logo AJIT (la « Marque de l’Opposante ») porte à confusion avec l’emploi par la Requérant de [son] logo AJIT (la « confusion admise »).

[31] Je ne considère pas qu’il s’agisse d’une circonstance de l’espèce pertinente, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, la décision de savoir si une marque de commerce prête ou non à confusion implique de trancher une question pratique de fait et les faits de la présente affaire ne sont pas identiques à ceux du dossier T-1127-10. Il est important de faire remarquer que les marques de commerce en cause ne sont pas les mêmes, pas plus que les dates pertinentes. Deuxièmement, dans Molson Breweries c Labatt Brewing Co (1996), 68 CPR (3d) 202 (CF 1re inst), la Cour a conclu qu’une position antérieure incohérente adoptée par une partie sur la question de savoir si la marque de commerce d’une autre partie prêtait à confusion n’était pas une circonstance de l’espèce pertinente dans l’évaluation du risque de confusion.

Conclusion

[32] Le test à appliquer est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la Marque, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque de commerce de l’Opposante, le logo AJIT WEEKLY, et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur.

[33] Après examen de toutes les circonstances de l’espèce, en particulier le degré de ressemblance entre les marques de commerce et le chevauchement direct des produits et services des parties, j’estime que la Requérante ne s’est pas acquittée du fardeau ultime qui lui incombait de prouver qu’il n’y avait pas de risque raisonnable de confusion, selon la prépondérance des probabilités. À mon avis, le consommateur ordinaire ayant une mémoire imparfaite pourrait ne pas être particulièrement attentif aux différences entre le logo AJIT WEEKLY de l’Opposante et la Marque et pourrait penser que les Services émanent de l’Opposante ou sont liés d’une manière ou d’une autre à cette dernière.

Motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif

[34] L’Opposante fait valoir que la Marque ne présente pas de caractère distinctif parce qu’elle ne distingue pas réellement les Services avec lesquels elle est employée par la Requérante de l’emploi par l’Opposante de la marque de commerce AJIT WEEKLY en liaison avec un journal (en format papier et en format électronique), un site Web qui propose des nouvelles et des divertissements, des services radiophoniques et audio, des services de télévision et des services de publicité, comme indiqué au paragraphe 1(d) de la déclaration d’opposition. L’Opposante fait également valoir ceci au paragraphe 1(e) :

[traduction]

Aux termes de l’article 38(2)d), la marque de commerce est dépourvue de caractère distinctif, au sens de l’article 2, étant donné que la marque de commerce ne distingue pas réellement les produits et services de la Requérante des produits et services similaires d’autres personnes et qu’elle n’est pas adaptée pour les distinguer.

[35] La date pertinente pour ce motif d’opposition est le 31 août 2020, la date de production de la déclaration d’opposition [Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc, 2004 CF 1185].

[36] Afin que ce motif soit accueilli, un opposant invoquant sa propre marque de commerce doit établir que, à cette date, sa marque de commerce était connue au Canada dans une certaine mesure à tout le moins; c’est-à-dire que sa réputation était « importante, significative ou suffisante » pour annuler le caractère distinctif établi d’une autre marque de commerce ou sinon qu’elle était bien connue dans une région particulière du Canada [Motel 6 Inc c No 6 Motel Ltd (1981), 56 CPR (2d) 44 (CF 1re inst); Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657; 1648074 Ontario Inc c Akbar Brothers (PVT) Ltd, 2019 CF 1305]. À cet égard, l’opposant doit démontrer que sa marque de commerce a acquis une réputation parmi les consommateurs comme indicateur de la source [Akbar Brothers, précité; Papiers Scott Limitée c Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478]. De plus, il doit y avoir une preuve claire de la mesure dans laquelle la marque de commerce était connue [Bojangles, précité; Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 10].

La preuve de l’Opposante est suffisante pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau de preuve

[37] La preuve de l’opposante est suffisante pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau de preuve en ce qui concerne sa marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY, qui, avant la date pertinente, figurait sur ses journaux distribués à Vancouver et à Toronto et sur son site Web qui semble attirer 5 000 visiteurs par mois (affidavit de Bains, para 37 à 38, 44; pièces 29 à 30).

La preuve de la Requérante ne lui permet pas de s’acquitter de son fardeau ultime

[38] La Requérante présente deux arguments principaux en ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif. Premièrement, si la Marque est adaptée pour distinguer les Services, le motif d’opposition doit être rejeté. Deuxièmement, compte tenu de son emploi de la Marque à la date pertinente, la Marque distinguait effectivement les Services de la Requérante.

[39] La Requérante soutient qu’une marque de commerce présente un caractère distinctif si elle répond à l’un ou l’autre des [traduction] « critères » énoncés à l’article 2 de la Loi (Observations écrites de la Requérante, para 87) :

[traduction]

L’article 2 de la [Loi] énonce que le terme « distinctive », en ce qui concerne une marque de commerce, s’entend de la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire des produits ou services d’autres personnes ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. En d’autres termes, une marque de commerce est distinctive si elle satisfait à L’UN OU L’AUTRE de ces critères.

[40] À l’appui de sa position, la Requérante renvoie à l’analyse effectuée dans Astrazeneca AB c Novopharm Ltd, 2003 CAF 57, au para 16 :

La définition de « distinctive » qui figure maintenant à l’article 2 de la Loi remonte directement au rapport du professeur Fox. Selon cette définition, une marque est « distinctive » si elle « distingue véritablement » les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires ou si elle « est adaptée à les distinguer ainsi ». Une marque distingue véritablement en acquérant le caractère distinctif par l’emploi, ce qui lui confère un caractère distinctif en fait. Une marque qui est « adaptée à les distinguer ainsi » est une marque qui ne dépend pas de l’emploi pour son caractère distinctif, parce qu’elle possède un caractère distinctif inhérent. Une marque se composant d’un mot forgé ou inventé entre dans cette catégorie : Standard Coil Products (Canada) Ltd. c Standard Radio Corp., [1971] CF 106 (1re inst.), à la page 115; The Molson Companies Limited c Les Brasseries Carling O’Keefe du Canada Limitée, [1982] 1 CF 175 (1re inst.), aux pages 278 et 279.

[41] Une marque de commerce revêt un caractère distinctif lorsque les consommateurs l’associent à une seule source; si une marque de commerce est associée à plus d’une source, elle ne peut pas avoir de caractère distinctif [Moore Dry Kiln Co of Canada Ltd c US Natural Resources Inc (1976), 30 CPR (2d) 40 (CAF), à la p. 49]. Pour présenter un caractère distinctif, une marque de commerce ne doit pas prêter à confusion quant à la source des produits et services qui y sont liés [Yiwu Thousand Shores E-Commerce Co Ltd c Lin, 2021 CF 1040 au para 32]. Par conséquent, si, à la date pertinente aux fins du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif, la Marque prête à confusion avec la marque de commerce de l’Opposante, le logo AJIT WEEKLY, le fait que la Marque présente un caractère distinctif inhérent sera insuffisant pour permettre à la Requérante d’obtenir gain de cause en ce qui a trait à ce motif d’opposition.

[42] À la date pertinente aux fins du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif, la Requérante employait la Marque depuis six ans et avait enregistré plus de 1 000 000 de visionnements au cours de l’année précédente (affidavit de Singh, pièce C). Bien que l’Opposante n’ait apporté aucune preuve de confusion réelle, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un facteur important en faveur de la Requérante, car il se peut que les Canadiens retiennent d’autres indices de source sur la chaîne YouTube de la Requérante pour faire la distinction entre la Marque et l’emploi par l’Opposante de sa marque de commerce, le logo AJIT WEEKLY. En particulier, le site Web de la Requérante fait référence à Daily Ajit, Daily Ajit News et « the Official Ajit Web TV Channel for Daily Ajit Newspaper » (affidavit de M. Singh, pièces A et B).

[43] Malgré ce qui précède, en raison du chevauchement des Services avec les produits et services de l’Opposante et de la similitude des marques de commerce telles que décrites en ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’article 16, j’estime que la Requérante n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau juridique qui lui incombait de me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque présentait un caractère distinctif par rapport aux Services à la date pertinente. Le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est donc accueilli.

Autres motifs d’opposition

[44] Puisque deux motifs d’opposition de l’Opposante ont déjà été accueillis, il n’est pas nécessaire d’aborder les autres motifs d’opposition.

Décision

[45] Compte tenu de ce qui précède, et dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la demande conformément aux dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

_______________________________

Natalie de Paulsen

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

Ali Alaoui Benhachem

 

Le français est conforme aux WCAG.


 

Comparutions et agents au dossier

DATE DE L’AUDIENCE : 2023-03-01

COMPARUTIONS

Pour l’Opposante : Tamara Ramsey

Pour la Requérante : Gregory C. Ludlow

AGENTS AU DOSSIER

Pour l’Opposante : Dale & Lessmann LLP

Pour la Requérante : PCK IP Laywers LLP

 

 

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